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formateur, expert associé France Education International (CIEP), membre professionnel laboratoire BONHEURS, CY Cergy Paris Université

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Billet de blog 14 février 2024

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Harcèlement scolaire : ne laisser rien dans l’ombre

Faire de la lutte contre le harcèlement une priorité éducative va de soi. Mais remettre en question la violence pédagogique systémique de notre organisation scolaire en faisant vivre la démocratie scolaire au lieu de la considérer comme un artifice inutile, est nécessaire pour ne pas renforcer les vulnérabilités des élèves.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

La quatrième ministre de l’éducation nationale depuis juin 2022 a, lors de sa première sortie publique, mis l’accent sur la lutte contre le harcèlement scolaire. Elle s’inscrit ainsi dans la continuité de ses prédécesseurs qui, depuis des années, mobilisent l’école et ses acteurs dans la prévention, la détection et l’élimination du harcèlement scolaire. On citera simplement, pour mémoire le programme pHARe, plan global de prévention et de traitement des situations de harcèlement. Mis en place depuis 2021, généralisé aux écoles et collèges à la rentrée 2022, il est étendu aux lycées depuis la rentrée 2023[1]

On s’arrêtera d’abord sur un exemple parmi d’autres, celui d’un collège urbain, où les élèves eux-mêmes sont devenus acteurs informés et sensibilisés de la lutte contre le harcèlement.

Les élus du conseil de vie collégienne (CVC) se sont saisis du thème de la lutte conte le harcèlement. Ils ont pris en charge l’organisation d’une heure de vie de classe sur ce thème, heure ouverte par le visionnement d’une vidéo à propos de laquelle ils ont préparé des questions pour lancer le débat. L’échange a été suivi d’un jeu de rôle sur le thème du harcèlement, auquel ont participé les élèves de chaque classe. A la suite de cette heure de vie de classe, un concours d’affiches pour lutter contre le harcèlement est lancé, les membres du CVC constituant le jury. Les quatre affiches choisies sont exposées en grand format sur les grilles du collège. Le CVC comme acteur déterminé de la mise en oeuvre du programme pHARe dans cet établissement, c’est la garantie d’un implication particulièrement forte des élèves eux-mêmes dans la lutte contre le harcèlement.

En quoi cet exemple peut-il être utile pour ne rien laisser dans l’ombre quand on veut faire reculer le harcèlement scolaire ?

Dans ce collège, les membres du conseil de vie collégienne sont élu(e)s et ont donc une légitimité démocratique plus forte que dans d’autres collèges où les membres du conseil sont désigné(e)s[2].

On ne doute pas, quand on voit les initiatives qu’elles et ils peuvent prendre, qu’elles et ils sont accompagné(e)s par un référent ou une référente vie collégienne qui veille à leur formation d’élus, et qu’elles et ils sont écouté(e)s, entendu(e)s et soutenu(e)s par la direction de l’établissement. Leur projet peut compter, jusque dans sa réalisation finale, sur l’appui de l’établissement.

Dans ce collège, les dix heures de vie de classe auxquelles ont au moins droit réglementairement les collégiens et lycéens sont pratiquées, et les élus collégiens peuvent proposer d’en prendre certaines en charge pour mobiliser leurs camarades.

Il y a donc là des enseignements à tirer pour tous les établissements scolaires : quelles place accordons-nous vraiment à la démocratie collégienne ou lycéenne, quel attention portons nous à la faire vivre au quotidien, en faisant des heures de vie de classe non pas un recours exceptionnel en cas de crise aiguë (auquel cas, elles arrivent trop tard), mais un moyen essentiel de régulation de la vie collective en classe ? Quel appui apportons-nous concrètement à la réalisation des projets collectifs des élèves ?

Selon les réponses qu’on apportera à ces questions, on pourra se dire qu’on est attentif ou non au climat scolaire, à la vie démocratique et aux propositions des élèves, et que, selon les cas, on crée ou non des conditions propices à une mobilisation collective contre le harcèlement.

Si les heures de vie de classe sont effectivement des lieux d’expression où il s’agit d’écouter d’abord les élèves puis de dialoguer avec eux en changeant ce qui peut être changé quand ils ont évoqué une difficulté, on a aussi plus de chances de faire émerger la souffrance scolaire du silence dans lequel elle est le plus souvent tenue. Cette souffrance a de multiples facteurs, externes pour certains à l’école, comme la précarité, le chômage, mais aussi internes. On pense bien sûr aux relations entre élèves, qui peuvent se traduire par du harcèlement, mais aussi aux relations entre les élèves et les personnels : discriminations, stigmatisations, comparaisons, sont des composantes de la violence pédagogique ordinaire.

S’interroge-t-on assez souvent sur le sens que peut avoir le fait de rester assis huit heures par jour, pour écouter en faisant silence la plupart du temps, temps marqué par des contrôles-surprises dont il est hors de question de discuter la note, de supporter le jugement des adultes et des pairs ? Dans son ouvrage L’attention portée aux vulnérabilités des élèves[3], Christophe Marsollier appelle à la plus grande vigilance sur ce point. Et il met en lumière le curriculum caché qui constitue la face invisible des apprentissage scolaires : s’inscrire dans un milieu contraignant, savoir bachoter, faire semblant, simuler, vivre dans la compétition instituée, crier en silence pour respecter la discipline imposée…

On touche là à la conception même de notre système de formation scolaire. Cette violence ordinaire et systémique : c’est celle notamment de la notation, du classement en groupes de niveau, du redoublement, de l’orientation couperet qui décide de votre destin scolaire qui différera selon que vous êtes issu d’un milieu populaire ou favorisé.

On en revient alors à l’exemple de départ. Plus on porte d’attention et de considération aux élèves, notamment les plus fragiles, plus on ouvre des espaces de prise de parole et de décisions autonomes, plus on favorise l’action individuelle et collective, les apprentissages concrets de la vie démocratique, et moins on fait silence sur ce qui ne va pas, n’est pas acceptable, plus on a alors de chances d’ouvrir la possibilité à celles et ceux qui sont harcelé(e)s de pouvoir être entendus, et prendre leur part du combat contre le harcèlement scolaire, parce qu’elles et ils ne sont plus isolé(e)s mais partie prenante d’un collectif.

Questionner chaque année les élèves sur le harcèlement est une excellente chose. Se questionner chaque année sur ce qu’on fait pour faire reculer la violence pédagogique ordinaire de notre organisation scolaire l’est également. Donner des cours d’empathie est sans doute utile. Pratiquer l’empathie dans le quotidien de l’établissement scolaire et de la classe l’est au moins tout autant.

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[1] https://www.education.gouv.fr/non-au-harcelement/phare-un-programme-de-lutte-contre-le-harcelement-l-ecole-323435

[2] Voir notre dernier billet : https://blogs.mediapart.fr/jean-pierre-veran/blog/080224/rearmement-civique-mieux-que-l-uniforme-l-election-pour-toutes-et-tous

[3] Voir le billet que nous lui avons consacré : https://blogs.mediapart.fr/jean-pierre-veran/blog/090223/l-ecole-au-prisme-des-vulnerabilites-des-eleves

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