Nous avons consacré deux billets de ce blog en juin et juillet à l’enseignement professionnel, à partir des travaux de Daniel Bloch[1]. Nous y alertions sur la nécessité de questionner le séparatisme social et culturel à l’œuvre dans notre enseignement.
Nous y revenons à la veille des vacances d’automne, car on ne peut se taire devant ce qui se joue dans l’enseignement professionnel à Paris, et qui tend à y renforcer encore la ségrégation scolaire.
La collectivité régionale n’a pas prêté attention aux alertes lancées depuis des lustres à propos de la dégradation des locaux de certains lycées. Et elle prend prétexte de son propre laisser-aller pour justifier en 2022 la fermeture complète de cinq lycées professionnels et la fermeture partielle de deux autres[2].
A-t-elle procédé à une quelconque consultation des élèves, des personnels, des parents d’élèves ? Non, bien sûr.
Toutes les décisions ont été prises d’en haut, où on décide donc du sort de centaines d’élèves et des personnels qui les encadrent, sans leur demander leur avis. Elèves et personnels sont traités comme des meubles ou des cartons que l’on déplace d’un lieu à l’autre.
Ces fermetures s’accompagnent d’un « redéploiement des formations » dans d’autres lycées.
Et là encore les choix sont révélateurs. Par exemple, les formations du lycée Valadon (18e arrondissement) sont redéployées dans trois autres, dont, pour trois classes, le lycée Elisa Lemonnier (12e arrondissement, à une quarantaine de minutes de distance). Par ricochet, le lycée Lemonnier perdrait toute sa section générale, soit neuf classes redéployées à leur tour au lycée Paul Valéry. Voici une mesure particulièrement symbolique au moment où l’on célèbre les cinquante ans du lycée Lemonnier, qui perdrait donc son caractère de lycée polyvalent pour devenir exclusivement un lycée professionnel. Une mesure également très symbolique avec le départ de neuf classes d’enseignement général pour accueillir trois classes d’enseignement professionnel, les six autres classes perdues étant sans doute annonciatrices de fermetures ultérieures partielles ou complètes d’autres lycées professionnels. Une mesure qui s’applique au premier lycée public parisien en valeur ajoutée pour la réussite au baccalauréat session 2021[3] : magnifique reconnaissance institutionnelle du travail des personnels et des élèves ! Une mesure qui réduit à néant les possibilités de mixité sociale, de coopération, d’interaction entre élèves du général et du professionnel. Chacun dans son couloir, la ségrégation scolaire a encore de beaux jours devant elle.
Les grèves que ces mesures ont déclenchées depuis lundi traduisent à la fois l’attachement des personnels et des élèves à leur établissement, à la richesse de son identité, et leur colère devant des mesures qui foulent aux pieds les principes de respect des personnes (personnels, élèves, parents) et s’apparentent à un déni de démocratie. Parents, personnels et élèves sont-ils mieux écoutés et entendus par le rectorat de l’académie de Paris ? On a refusé de les y recevoir cette semaine en leur disant qu’ils seraient reçus après le 8 novembre, selon le calendrier fixé par le rectorat…
Comme on le sait, la dernière loi votée au parlement en 2019 pour orienter la politique nationale d’éducation s’appelle « loi n° 2019-791 du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance »[4], dont le titre III est intitulé « améliorer la gestion des ressources humaines ». Le conseil régional d’Ile de France et l’académie de Paris en donnent ici un très éloquent exemple.
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[2] Sont concernés par la fermeture totale les LP A. Carrel, Valadon, C. De Gaulle, Brassaï, et Brassens. Sont touchés par la fermeture d’un de leurs sites les LP T. Gautier (site Charenton) et L. De Nehou (site Friant).
[3] https://www.elisa-lemonnier.fr/wp-content/uploads/lycee-elisa-lemonnier-general-et-techno-103922.pdf
[4] https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000038829065/