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Billet de blog 25 janvier 2016

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Collèges connectés : toujours les mêmes inconnues en 2016 ?

Un an après celle de 2015, la DEPP publie une nouvelle étude sur les deux vagues de collèges connectés, comparées à un panel de collèges témoins. Quelles évolutions perçoit-on ? Quelles interrogations suscite –t-elle ? Quels angles morts y demeurent ?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Un an après celle de 2015, la DEPP publie une nouvelle étude[1] sur les deux vagues de collèges connectés, comparées à un panel de collèges témoins. Quelles évolutions perçoit-on ? Quelles interrogations suscite –t-elle ? Quels angles morts y demeurent ?

Rappelons pour commencer que cette étude porte sur les collèges qui, en deux vagues successives de 23 en 2013-14 et 49 en 2014-15 ont été sélectionnés, dans le cadre du projet « Faire entrer l’École dans l’ère du numérique », afin de bénéficier d’investissements et d’un accompagnement pédagogique renforcés pour aller plus loin dans l’intégration du numérique aux enseignements et à la vie scolaire.

Le titre donné à l’étude oriente la lecture qui peut en être faite et les conclusions que l’on peut en tirer : Les collèges connectés : une utilisation plus fréquente des outils numériques par les élèves, associée à une évolution des pratiques pédagogiques des enseignants. S’en tenir au message optimiste de ce titre serait passer à côté d’un certain nombre d’observations fournies par cette étude qui peuvent aider à mieux penser la relation de la pédagogie à la révolution numérique.

Première observation : un indice synthétique d’écosystème numérique, prenant en compte l’équipement, les ressources, l’impulsion et la formation en relation avec le numérique, permet de mesurer les écarts entre les trois groupes de collèges : connectés de la première vague ("Cocons 1"), de la deuxième ("Cocons 2") et collèges témoins. Sans surprise, l’indice des premiers est à 0,50, celui des deuxièmes à 0,20, celui des témoins à -0,32. Cela traduit un écart significatif dans l’engagement financier des conseils départementaux et de l’Etat en terme de matériels, de ressources et de formation dans le domaine du numérique. Tout l’intérêt de l’étude est de mesurer si cet écart se retrouve ensuite dans les comparaisons entre les trois types de collège.

Deuxième observation, déterminante : « le lien direct entre l’écosystème numérique et les pratiques pédagogiques est très faible ». Ce résultat de l’étude, pudiquement évacué du titre général donné à la note d’information, ne manque pas d’intérêt pourtant. Les auteurs ont établi un indice de pratiques pédagogiques « actives », pratiques que le numérique est censé favoriser. Or le lien entre cet indice et celui de l’écosystème numérique n’est pas significatif. Par exemple, « Dans les « Cocons 1 », les professeurs ne sont pas sensiblement plus nombreux à déclarer utiliser le numérique en classe, seuls ou avec leurs élèves : 72 %, comparés à 65 % dans les « Cocons 2 » et 66 % dans les collèges témoins ».

Troisième observation : on note tout de même trois écarts encourageants.

-       « La proportion d’élèves qui déclarent utiliser régulièrement du matériel numérique en classe est plus élevée dans les « Cocons 1 » que dans les collèges témoins », ce que confirment les réponses des professeurs. Ces écarts sont sensibles dans certaines disciplines allant « jusqu’à 10 ou 15 points en sciences de la vie et de la Terre, histoire-géographie-éducation civique, français, langues vivantes et mathématiques. »Affirmation aussitôt tempérée par un autre constat : « En revanche, les différences entre les « Cocons 2 » et les collèges témoins ne sont significatives qu’en mathématiques ».

-       Dans les trois groupes de collèges, l’indice de pratiques pédagogiques actives est bien plus fort pour les professeurs qui utilisent le numérique avec leurs élèves que pour les autres : « 42 % d’entre eux (contre 22 % de ceux  qui utilisent seuls le numérique en classe) déclarent ne pas forcément donner les mêmes tâches à effectuer à tous les élèves, 80 % (contre 58 %) déclarent faire travailler les élèves en autonomie, 58 % (contre 28 %) les faire travailler en petits groupes hétérogènes et 75 % (contre 69 %) les amener à résoudre des situations-problèmes avant d’en dégager les lois générales». « A contrario, l’utilisation du numérique en classe par l’enseignant seul est liée à des pratiques tout aussi traditionnelles que celles des professeurs qui n’utilisent pas le numérique en classe». Mais ces professeurs « deviennent apparemment un peu moins nombreux à mesure que le dispositif se met en place : 42 % dans les collèges témoins, 39 % dans les « Cocons 2 » et 36 % dans les « Cocons 1 »».

-       Enfin, il semble que dans les « Cocons 1 », les professeurs qui n’utilisent le numérique que pour préparer leurs cours engagent des pratiques pédagogiques plus actives que dans les autres contextes : « ne pas forcément donner les mêmes tâches à effectuer à tous les élèves, faire travailler les élèves en petits groupes homogènes et faire travailler les élèves en petits groupes hétérogènes ».

Au bout de deux ans d’expérimentation, le bilan est donc plutôt mitigé, confirmant que la rapidité de la révolution numérique n’entame pas profondément la lenteur de la rénovation pédagogique. Mais ce bilan est également incomplet.

On observe en effet que cette étude n’apporte aucune information sur quelques domaines non négligeables. La présentation de l’étude indique que « l’interrogation porte notamment sur l’usage du numérique dans le cadre scolaire». Or, le cadre scolaire se réduit dans l’étude aux enseignements disciplinaires, ne disant rien de ce qui se joue, dans les collège connectés par rapport aux collèges témoins, en termes de vie scolaire et de documentation. Des questions importantes ne sont donc pas abordées.

Que disent les élèves de leurs espaces de travail et de détente hors salle de cours dans les trois types de collèges ? Les élèves, dans leur parcours citoyen, y bénéficient-ils plus fortement des contributions conjointes des professeurs de discipline, des professeurs-documentalistes et des conseillers principaux d’éducation ? Les récréations numériques ont-elles plus de consistance pour ceux des collèges connectés ? La relation éducative aux élèves et l’alliance éducative avec les familles est-elle favorisée dans les collèges connectés ? Les écarts constatés en termes d’équipement, de ressources et d’accompagnement, ont-ils permis à ces collèges de mieux mettre en œuvre une éducation aux médias et à l’information comme le prescrit pour tous les collégiens la loi de refondation de l’école de juillet 2013[2] ? Dans les collèges connectés, un investissement plus important qu’ailleurs en matériels, ressources et réseaux a-t-il incité à repenser l’ensemble des espaces d’étude, de travail et d’accueil des élèves et favorisé l’émergence de centres de connaissances et de culture ouverts[3] au travail individuel ou en groupes divers des élèves et des personnels ?

Cette note d’information conforte donc involontairement ce que le billet du 9 décembre dernier[4] constatait à propos de l’appel à projet « collège numérique et innovation pédagogique » : « cet appel à projet, comme tout texte, se lit aussi en fonction de ce qu’il passe sous silence. Si on recherche une occurrence de « espaces scolaires », « vie scolaire », « centre de documentation et d’information », « centre de connaissances et de culture », « salle d’étude », on n’en trouve aucune. Tout se passe donc comme si la forme scolaire traditionnelle était immuable, avec un seul espace scolaire valorisé et nommé, celui de la « classe », le reste étant un indéfini « hors la classe ». Et comme si on avait oublié le premier paragraphe de la lettre de mission du 8 septembre 2015 adressée à Catherine Becchetti-Bizot (c’est nous qui mettons en gras la deuxième phrase) : « Le déploiement du numérique dans le système scolaire représente un dossier stratégique de la refondation de l’Ecole pour améliorer l’efficacité des enseignements, réduire les inégalités sociales et culturelles, et ouvrir l’école sur son environnement. Pour atteindre ces objectifs, les démarches pédagogiques, les modes de suivi, d’accompagnement et d’évaluation des élèves ainsi que l’organisation des temps et des espaces scolaires sont appelés à évoluer.[5]»


[1] Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance, Note d’information n° 2, janvier 2016

http://cache.media.education.gouv.fr/file/2016/20/8/depp-ni-2016-02-CoCon-2014-2015_527208.pdf

Un billet de ce blog évoque l’étude de janvier 2015 : https://blogs.mediapart.fr/jean-pierre-veran/blog/020315/le-numerique-l-ecole-la-france-exemple-ou-exception

[2] Article 53 : « La formation dispensée à tous les élèves des collèges comprend obligatoirement une initiation économique et sociale et une initiation technologique ainsi qu'une éducation aux médias et à l'information »

[3] http://cache.media.eduscol.education.fr/file/actus_2012/77/1/2012_vademecum_culture_int_web_214771.pdf

[4] https://blogs.mediapart.fr/jean-pierre-veran/blog/091215/colleges-numeriques-et-innovation-pedagogique-des-absents-l-appel

[5] http://cache.media.eduscol.education.fr/file/Numerique/41/7/Lettre_de_Mission_de_Catherine_Becchetti-Bizot_464417.pdf

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