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Billet de blog 14 juin 2020

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Autisme : le problème de la double empathie

S'il est vrai que les personnes autistes peuvent avoir du mal à traiter et à comprendre les intentions des autres dans le cadre des interactions sociales, lorsqu'on écoute les récits des personnes autistes, on peut dire que ces problèmes vont dans les deux sens.

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network.autism.org.uk Traduction de "The double empathy problem"

Le Dr Damian Milton est auteur, consultant, maître de conférences en déficience intellectuelle et développementale au Tizard Centre, Université du Kent et président du Collectif de recherche participative sur l'autisme (PARC). Damian aborde ici la théorie de la double empathie et ses implications pour la pratique.

Auteur : Dr Damian Milton

Illustration 1
Don't stop dreaming © Luna TMG Flickr
  • "...dès le début, dès que le mot "autisme" a été prononcé, la condition a été jugée de l'extérieur, par ses apparences, et non de l'intérieur selon la façon dont elle est vécue."

(Donna Williams, 1996, p.14).

Outre les "intérêts et comportements restreints", les critères de diagnostic indiquent que l'autisme peut être défini par des déficits dans l'interaction sociale et la communication. Du point de vue du profane non-autiste, les personnes autistes peuvent sembler avoir une compréhension déficiente de la vie sociale et des autres personnes. De telles idées sont ancrées dans les théories psychologiques dominantes qui tentent d'expliquer l'autisme comme une pathologie, une déviation du développement normal et du fonctionnement cognitif. Parmi ces théories, la plus répandue est celle selon laquelle les personnes autistes ont une déficience de la "théorie de l'esprit", c'est-à-dire la capacité d'imaginer les pensées et les sentiments des autres afin de comprendre et de prévoir leur comportement (également appelée "lecture mentale" et "mentalisation").

S'il est vrai que les personnes autistes peuvent avoir du mal à traiter et à comprendre les intentions des autres dans le cadre des interactions sociales, lorsqu'on écoute les récits des personnes autistes, on peut dire que ces problèmes vont dans les deux sens. La théorie de l'esprit autiste semble souvent laisser beaucoup à désirer, et nous n'aurions pas besoin d'organisations comme la National Autistic Society qui tente de faire connaître et comprendre l'autisme s'il était si facile de s'identifier aux façons autistes de percevoir et d'être dans le monde. Dès les premiers témoignages écrits par les personnes autistes, on peut voir de nombreuses mentions de ce manque de compréhension de la part des autres. C'est ce problème d'empathie mutuelle entre autistes et non-autistes qui a conduit à l'élaboration de la théorie du " problème de la'double empathie".

Théorie de la double empathie

En termes simples, la théorie du problème de la double empathie suggère que lorsque des personnes ayant des expériences très différentes du monde interagissent les unes avec les autres, elles auront du mal à s'identifier les unes aux autres. Cette situation est susceptible d'être exacerbée par les différences d'utilisation et de compréhension du langage. J'ai commencé à publier des comptes rendus théoriques sur cette question au début des années 2010, mais on trouve des idées similaires dans les travaux de Luke Beardon sur la "théorie de l'esprit neurogène" et dans ceux du philosophe Ian Hacking.

Plus récemment, des recherches menées par Elizabeth Sheppard et son équipe à l'université de Nottingham, Brett Heasman à la London School of Economics et Noah Sasson à l'université du Texas à Dallas, ont montré que dans des conditions expérimentales, les personnes non autistes avaient du mal à lire les émotions des participants autistes ou formaient des premières impressions négatives des personnes autistes. De telles preuves suggèrent que les théories psychologiques dominantes de l'autisme sont, au mieux, des explications partielles.

Selon la théorie du "problème de la double empathie", ces problèmes ne sont pas dus à la seule cognition des autistes, mais à une rupture de réciprocité et de compréhension mutuelle qui peut se produire entre des personnes ayant des manières très différentes de vivre le monde. Si l'on a déjà eu une conversation avec une personne dont on ne partage pas la langue maternelle, ou même un intérêt pour le sujet d'une conversation, on peut vivre une expérience similaire (bien que probablement brève).

Cette théorie suggère également que les personnes ayant vécu des expériences similaires sont plus susceptibles de créer des liens et d'atteindre un niveau de compréhension qui a des ramifications en ce qui concerne la possibilité pour les personnes autistes de se rencontrer.

Mettre la théorie en pratique

La portée de la théorie a de larges ramifications dans la pratique. La théorie prend en compte non seulement les différences de cognition et d'intérêts, mais aussi le contexte social dans lequel les interactions ont lieu. La théorie a le potentiel de changer radicalement la façon dont nous voyons l'autisme et donc les personnes autistes. Ce faisant, elle a également des répercussions sur la pratique et sur les moyens d'"intervention". Les tentatives visant à réduire la "symptomatologie" de l'autisme peuvent ne pas conduire à un bien-être accru, et le manque de compréhension et la stigmatisation qui en résulte pour les personnes autistes dans les environnements sociaux peuvent alors avoir un impact sur la santé mentale, l'emploi, l'accès à l'éducation et aux services, et les expériences du système de justice pénale. En bref, le revers du problème de la double empathie est la marginalisation sociale des minorités.

Le concept du problème de la double empathie a déjà influencé les programmes de formation de la National Autistic Society et la formation ATLASS gérée par Studio3 et le programme Synergy développé par AT-Autisme.

Des travaux supplémentaires sont nécessaires pour évaluer ces programmes, en examinant à la fois les perspectives des personnes autistes et des professionnels. L'extension de la recherche dans ce domaine pourrait améliorer notre compréhension et conduire à des interventions plus respectueuses qui peuvent améliorer les conséquences sociales négatives qui peuvent découler du problème de la double empathie.

Références

Donna Williams (1996), Autism: an inside-out approach. An innovative look at the 'mechanics' of 'autism' and its developmental 'cousins'. Jessica Kingsley Publishers

Pour aller plus loin

Dr Damian Milton (2017), A mismatch of salience. Pavilion

Milton, D. (2012) On the Ontological Status of Autism: the ‘Double Empathy Problem’. Disability and Society.  Vol. 27(6): 883-887.


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