En complément de la série d'articles sur la génétique (1, 2, 3) un article ancien de Spectrum News sur une chercheuse.
Par Deborah Rudacille / 21 Juillet 2011

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Il y a quelques mois, une jeune femme est entrée dans le cabinet de Wendy Chung avec un portable et une clé USB. Elle a déclaré : « Voici mon histoire médicale, voici mon génome, maintenant à vous de trouver ce qui a causé tout ça. »
Il s’agit du genre de défi que Wendy Chung affectionne. Détective génétique talentueuse, elle est experte à suivre les symptômes d’un individu jusqu’à trouver une anomalie génétique particulière, en déterminant ses ramifications moléculaires et en identifiant le syndrome associé.
A en croire ceux qui la connaissent bien, cette disposition analytique s’accompagne d’une rare sensibilité.
“J’ai connu beaucoup de médecins brillants et pourtant, elle est loin devant eux, elle a en même temps une philosophie humaniste qui donne vie à tout ce qu’elle fait », affirme Hamilton Cain, père d’un des patients de Wendy Chung. « Non seulement elle pense à plein régime, mais en plus elle ressent à plein régime. Elle entre vraiment en relation avec les patients, leur histoire et leur vie. »
Wendy Chung, qui a débuté sa carrière de chercheuse en étudiant le diabète et l’obésité, est directrice du programme de génétique clinique au Centre Médical de l’Université de Columbia à New York, ainsi que du programme de bourses de l’Université pour la génétique clinique et moléculaire. Il y a deux ans, elle a investi le champ de l’autisme, lorsqu’elle a accepté une invitation à devenir la chercheuse principale du Projet Simons Variations chez les Individus (VIP), lancé par la fondation Simons, organisation mère de SFARI.org. La visée de ce projet est d’identifier et d’étudier des individus porteurs d’une délétion ou d’une duplication du chromosome 16p11.2, qui serait associée à l’autisme.
Wendy Chung délivre également de nombreux cours médicaux de base à Columbia. Son talent pour l’enseignement et le mentorat lui a valu la prestigieuse récompense Presidential Teaching Award (Récompense Présidentielle pour l’Enseignement) et d’autres prix. Elle représente ce qu’une génération ancienne de chercheurs a appelé « un triple défi » : clinicienne douée, chercheuse dotée d’ambition et enseignante douée, résume Rudolph Leibel, directeur de la division de génétique moléculaire au département de pédiatrie du Centre Médical de l’Université de Columbia.
“Elle est sans conteste une des plus brillantes de sa génération de médecins-scientifiques », ajoute Leibel, qui était le directeur de thèse de Chung à l’Université Rockefeller à New York, avant que les deux ne partent pour Columbia. « De bien des manières, elle est la tête d’affiche des médecins-scientifiques ».
Problèmes de cœur
Wendy Chung a commencé sa carrière avec les sciences fondamentales. « J’étais une scientifique académique : restant en laboratoire, à cloner des gènes et faire des recherches sur des pathologies très rares », dit-elle. « Cela restait très abstrait, mais c’était ce que mon directeur de thèse avait fait, et ce que je pensais être la mission d’un scientifique accompli. »
Mais une tragédie familiale l’a amenée à bouleverser ses projets. Bien avancée dans la grossesse, Wendy Chung a eu une fausse couche pour des raisons qui demeurent obscures d’un point de vue médical. Chung, qui a eu deux fils menés à terme, explique : « Comme cela arrive souvent avec ce genre d’expérience, cela a complètement changé ma vie. »
Elle affirme avoir commencé à se demander ce qu’elle laisserait derrière elle si jamais elle mourait le lendemain. « J’ai pris conscience que je serais très déçue si, à la fin de ma vie, les gens auraient seulement retenu que j’avais publié tel nombre d’articles », évoque-t-elle. « J’ai voulu m’assurer que mon travail marque une différence dans la vie des patients. »
Son but est dès lors devenu de faire des découvertes qui auraient une application directe sur les maladies humaines. Rudolph Leibel remarque qu’il a toujours pensé que cette transformation serait survenue en tout état de cause, même si la tragédie avait sans doute accéléré les choses.
"Les dons considérables de Wendy Chung étaient manifestes dès le début de sa carrière, alors qu’elle était chercheuse postdoctorale, travaillant dans son laboratoire à l’Université Rockefeller », se souvient Leibel.
En cours de travail sur son projet de thèse, par exemple, Wendy Chung a fait une découverte qui aurait échappé à de nombreux chercheurs expérimentés, relate-t-il. Elle a remarqué qu’un des animaux faisant partie d’un groupe d’étude sur le diabète avait une démarche inhabituelle, et elle a entrepris de déterminer si une mutation dans la colonie avait occasionné ce trait spécifique. Elle a réalisé cela toute seule, en filmant les animaux et en les préparant avec soin. Pour finir, elle a cloné un gène de cet animal qui affectait la conductance dans le cœur et pouvait causer des arythmies cardiaques mortelles. « C’est le genre de choses qu’on a maintes fois répété au cours de sa carrière », rappelle Leibel. « Elle a une conscience aiguë de ce qui vaut la peine d’être approfondi. »
A Columbia, Chung participe à des projets de recherche nombreux et variés, dans son exploration de la base génétique du diabète, des troubles cardiaques, des maladies neuro-musculaires et des troubles neuropsychiatriques. Elle siège également au conseil consultatif du programme de maîtrise en bioéthique ; elle a co-écrit en outre de très nombreux articles avec d’autres enseignants au sein de ce programme, dans le but d’explorer les implications éthiques et sociales de la médecine génétique.
« C’est la personne toujours motivée pour les questions de génétique à Columbia », évoque la cardiologue en pédiatrie Teresa Lee, qui a été membre du laboratoire de Wendy Chung et y travaille toujours, effectuant de la recherche sur les facteurs génétiques dans les maladies cardiaques. « Elle répond vraiment bien aux besoins des patients de l’hôpital qui ont un trouble génétique. »
Teresa Lee ajoute qu’en tant que mentor, Wendy Chung pousse ses étudiants à se dépasser, avec autant d’exigence qu’elle en a envers elle-même. Il y a quelques années, ses étudiants diplômés et post-doctorat ont organisé un dîner pour fêter l’attribution de la Récompense Présidentielle pour l’Enseignement (Presidential Teaching Award) à Wendy Chung. Chacun a contribué à un livre offert à ses deux fils, où ils ont évoqué les leçons qu’ils ou elles ont chacun reçues de sa part. Le choix de Teresa Lee était Le Petit Train Bleu* - « parce qu’elle croyait parfois plus en moi que je ne croyais moi-même », raconte-t-elle.
*Le Petit Train Bleu : film d’animation britannique sorti en 2011
Affaires de famille
Wendy Chung établit aussi de fortes relations avec ses patients et leurs familles. Il se trouve que Hamilton Cain, le père d’un de ses patients, est en train d’écrire un essai sur la médecine génétique, dont la protagoniste est Wendy Chung.
“Elle nous a défendus avec énergie », dit Cain, dont le fils, Owen, qui a maintenant 8 ans, est né avec une amyotrophie spinale, maladie neuromusculaire qui représente une des causes génétiques les plus courantes de décès chez les nouveaux nés.
La famille a supporté des mois d’angoisse et d’incertitude avant qu’elle diagnostique la maladie, juste au moment où l’on fêtait son premier anniversaire. Le soutien et les conseils de Wendy Chung ont beaucoup apporté à la famille, tandis qu’elle traversait les détails compliqués de son traitement, affirme Cain. « Cela nous a vraiment donné la force de prendre les bonnes décisions pour notre fils. »
Il arrive que la médecine génétique pose des questions difficiles à la fois aux médecins et aux familles. Ainsi, des délétions ou des duplications dans la zone 16p11.2 entraînent presque toujours certains symptômes d’autisme, mais un diagnostic ne se justifie que pour 30% seulement des personnes chez qui cette délétion s’est produite.
La recherche Simons VIP (Projet Variations chez les Individus) se donne pour but de comprendre le spectre intégral du phénotype 16p11.2, ou collection de caractéristiques. Avant qu’elle ne soit en mesure de le faire, cependant, il serait délicat de conseiller les parents sur l’opportunité de choisir des tests prénatals pour cette zone ainsi que d’autres anomalies génétiques moins bien caractérisées.
“Une des manières de considérer cette question est que les gens peuvent prendre leurs propres décisions », argumente Wendy Chung. « D’un autre côté, je peux vous présenter le revers de la médaille : les patients qui suivent une gamme intensive de soins, et qui disent par la suite ‘Eh bien, je regrette vraiment d’avoir pris cette décision’. »
Malgré tout, chaque fois que la question se pose de partager l’information avec les familles, Wendy Chung est invariablement en faveur de l’autonomie du patient, avance Christa Lese Martin, directrice du laboratoire de génétique à l’Université Emora d’Atlanta, et co-chercheuse pour la VIP Simons. « Elle garde toujours en tête les besoins de la famille. »
Comme l’ajoute Rudolph Leibel, Wendy Chung fait également office de caisse de résonance pour les médecins qui se débattent avec des questions ardues comme celle-ci à Columbia.
Et de conclure : “Elle ne se contente pas d’évoquer des hypothèses théoriques. Elle les a vécues elle-même, pour ce qui est de perdre un enfant pour des raisons qui restent encore inconnues. Je pense que c’est une des raisons pour lesquelles on la trouve si sensible et si efficace sur ces points. »
Source : Wendy Chung: Genetic sleuth is advocate for families Traduction lulamae