Adeline Lacroix a publié en 2023 "Autisme au féminin : approches historique et scientifique, regards cliniques". Voir :
Adeline Lacroix : "Autisme au féminin"
Adeline Lacroix : "Autisme au féminin" - Bonnes feuilles : L'empathie
Elle a bien voulu répondre à mes questions.
- Peux-tu présenter ton parcours ?
Je suis originaire de Haute Savoie. Je n'ai pas rencontré de difficultés particulières à l'école et au collège, j'étais plutôt bonne scolairement. Toutefois, je peinais à me faire des amis, même si j'avais plusieurs copines à l'école et dans mon voisinage. Mais souvent je pouvais me sentir en décalage parce que je peinais à comprendre certaines choses, notamment les blagues ou les relations entre les gens etc. Au collège, j'avais essentiellement une seule amie qui faisait le pont entre moi et les autres, d'autant que mes centres d'intérêts divergeaient de ceux des adolescents de mon âge. Au lycée, en revanche, j'ai eu un réel désir de plus m'intégrer et je me suis davantage intéressée aux gens, d’abord parce que mon amie s’y intéressait, puis parce que nous avons été dans des classes différentes et que si je ne voulais pas rester seule, il fallait que je fasse quelque chose. J’ai réussi à me faire de nouveaux amis. Néanmoins, j'avais l'impression que je ne parvenais pas à être aussi proches que les autres pouvaient l’être entre eux. C'était un peu pareil pendant mes études, et parfois on me donnait certains surnoms, je me souviens notamment d’un pour signifier que j'étais à côté de la plaque, car j’étais souvent en décalage avec les difficultés à comprendre. Mais ce n'était pas fait méchamment. J'ai fait des études variées : école d'ingénieur, études dans l'art et la culture, puis j'ai passé le concours de professeur des écoles. J’ai d'abord été professeur des écoles, puis enseignante spécialisée en IME, puis en SEGPA. L'enseignement spécialisé me convenait mieux car je me sentais plus proche des élèves et les groupes étaient plus réduits. Malgré tout, dès le départ, l’enseignement me fatiguait énormément et je pensais que ça allait s'arranger avec le temps mais ça s’est plutôt empiré.
- C'est donc ton diagnostic qui t'a conduit à réorienter ton activité professionnelle ?
Ce n'est pas directement mon diagnostic qui m'a conduit à me réorienter, mais plutôt mes difficultés. À un moment donné, l'enseignement n'était vraiment plus possible pour moi. Je pense que j'étais en burnout et c'est l'obtention de la RQTH qui m'a permis d'obtenir un temps partiel de droit, ce qui m'a facilité la reprise d'études par correspondance. J'ai ainsi fait ma licence tout en travaillant, puis j'ai obtenu un congé formation et un poste adapté pour faire mon Master et enfin, une bourse pour faire ma thèse. J'ai eu beaucoup de chance dans ce parcours professionnel. J'ai aussi eu la chance d'avoir un soutien familial. Ma vie a alors changé du tout au tout.
- Peut-on dire que l'autisme était devenu ton intérêt spécifique ?
Peut-être qu'après mon diagnostic, on peut dire que l'autisme est devenu mon intérêt spécifique, ou en tout cas la recherche sur les femmes autistes et la question de l’hétérogénéité de l’autisme, car au final il y a tout plein d'autres domaines que je connais moins.
- Est-ce fréquent chez les personnes autistes ?
Je ne sais pas si cela est fréquent. Il y a beaucoup de personnes autistes qui s'intéressent à l'autisme mais pas forcément de manière extrêmement approfondie donc je ne sais pas si on peut parler d’IS dans ce genre de cas. Toutefois, je ne suis pas la seule personne autiste qui a l’autisme pour un de ses IS, c’est certain !
- Le fait de travailler sur le fonctionnement des personnes autistes te donne-t-il des clefs pour ton fonctionnement ?
Je ne sais pas tout d’abord parce que j’étudie des aspects très neurophysiologiques. En revanche, il est vrai qu’en lisant certains articles scientifiques parfois cela me fait écho. C’est aussi pour cette raison que certaines approches m’intéressent particulièrement comme le cerveau prédictif qui a constitué mon travail de thèse et qui me parle quant à mon fonctionnement.
- Plus généralement, penses-tu que ton livre peut être utilisé avec profit par des femmes autistes ?
J’espère que mon livre permet à la fois a des professionnels et à des femmes autistes de mieux comprendre l’autisme chez les femmes. J’espère aussi que ce livre aide à prendre du recul sur ce qu’on nomme autisme féminin.
- La recherche participative était promue dans le cadre du 4ème plan autisme (stratégie nationale). Officiellement, tout le monde fait de la recherche participative dans l'autisme. J'ai du mal cependant à identifier des recherches qui en font vraiment. Est-ce que , selon toi, il y a eu un progrès en la matière ?
Pour moi, il y a un réel progrès, mais bien sûr, nous ne sommes qu’au début de tout cela. Du coup, avant de voir concrètement les retombées des initiatives qui ont débuté, il faudra attendre plusieurs années. Toutefois, grâce à la volonté de nombreux chercheurs, de champs différents, que ce soit en psychologie et neurosciences, ou même en génétique, et aussi grâce a l’implication de certaines associations d’auto-représentants, de réels projets, de recherche participative, intégrant donc les personnes autistes tout au long du processus de recherche, sont en train de voir le jour. Le défi désormais va être de parvenir à intégrer des personnes autistes de tout le spectre, c’est-à-dire en incluant les moins verbales également.
- Un premier élément est l'acceptation de chercheurs autistes sur l'autisme. En 2006, l'embauche de ma fille comme documentaliste de CRA ne s'est pas faite sans mal. Aujourd'hui, c'est devenu plus commun. Mais dans la recherche, est-ce accepté ?
Je ne sais pas si je pourrais parler en général mais personnellement, je me sens bien acceptée dans la recherche. Je pense qu’il y a quand même eu une évolution en matière d’intégration des personnes autistes ces dernières années. Après, dans le domaine de la psycho/neurosciences, c’est peut être plus facile aussi. Et puis peut être que ça dépend des personnes aussi. Il est vrai que je demande pas vraiment d’aménagements, mais le milieu dans lequel je travaille est très adapté à mes besoins : pas de bruit, je peux gérer mes horaires, télétravailler quand je veux. On me fait confiance.
- Un deuxième élément est la participation de personnes autistes à la définition de l'objectif de la recherche, à ses modalités, à l'analyse des résultats. Pouvez-vous citer des recherches actuelles – en France – qui ont fait des progrès en la matière ?
Je pense qu’il y a quelques recherches qui ont bien développé cela. Je pense par exemple à une des recherches que je mène avec iMind. Je pense aussi au groupe Lapefa qui est un groupe de recherche sur la fatigue cognitive dans l’autisme et qui est, je crois, un des exemples le plus abouti de recherche participative en France. Il y a aussi la recherche plus fondamentale qui s’y met, comme le projet r2d2 coordonné par Thomas Bourgeron.
- La cohorte Marianne a fait l'objet de critiques vives de personnes autistes, celles-ci traduisant l'objectif de « prévention » en objectif d'avortement thérapeutique. Comment expliquez-vous cette réaction ?
Il me semble fréquent qu’il y ait des réactions vives sur ce genre de sujet, traduisant souvent des présupposés et une méconnaissance. Il me semble que les chercheurs doivent mieux communiquer avec les personnes concernées pour qu’elles puissent mieux comprendre les objets de recherches et que les personnes concernées puissent davantage donner leur point de vue (et que celui-ci soit entendu). Il y a des personnes autistes impliquées dans les travaux de la cohorte Marianne mais il faut vraiment davantage améliorer la communication au plus grand nombre et le dialogue.
- La recherche Spectrum 10K a été suspendue un certain temps l'année dernière. Pensez-vous que les leçons en aient été tirées en France ?
Je ne saurais dire mais il y a certainement une inspiration de cela.
- Est-ce qu'il faut définir un phénotype féminin de l'autisme ?
Je pense qu’il faut avant tout prendre en compte le fait qu’il puisse y avoir des différences entre les hommes et les femmes autistes. Les caractéristiques de l’autisme à la base sont les mêmes pour les hommes et pour les femmes.
- Les diagnostics actuels d'autisme – ou de diagnostic différentiel – sont-ils actuellement fiables en France ?
Ce n’est pas à moi de le dire, d’autant que je ne suis pas médecin ! Et je pense que même parmi les médecins, les avis ne s’accorderont pas. Ce que l’on peut dire, c’est qu’il y a des médecins qui diagnostiquent plus facilement que d’autres, et à l’inverse d’autres diagnostiquent difficilement. Maintenant, pour dire que les diagnostics sont fiables ou non, il faudrait pouvoir trouver précisément ce que recouvre l’autisme, qui correspond pour l’instant à une définition large avec une grande hétérogénéité. C’est donc complexe.
- Comment accompagner les personnes avec un diagnostic différentiel ou une comorbidité ?
Je crois que l’accompagnement des personnes autistes qu’elles aient ou non des comorbidités, doit se faire au cas par cas. Il faut adapter chaque accompagnement à chaque personne en fonction de ses demandes et de ses besoins.
- Les équipes de diagnostic adultes doivent-elles être capables de faire un diagnostic différentiel et d'évaluer les comorbidités ?
Adeline Lacroix au congrès d'Autisme Europe Agrandissement : Illustration 2
Je pense que c’est absolument nécessaire. Il faut peut-être aussi savoir être humble parfois et reconnaître nos limites dans l’évaluation de certains troubles dont nous sommes pas les experts. Dans ce cas, il faut se référer à des collègues qui eux, peuvent avoir un autre domaine d’expertise.
- A ton avis, ton livre est une étape sur l'analyse de l'autisme au féminin dans le milieu francophone. Vers quoi mènes-tu tes recherches actuelles et vers quoi tu veux les mener ?
Mes recherches actuelles portent sur beaucoup de choses différentes puisque je travaille toujours en partie en recherche fondamentale et je fais également des recherches un peu plus appliquées par exemple sur l’inclusion scolaire des enfants autistes. À l’avenir, je souhaite travailler, notamment sur l’hétérogénéité de l’autisme et la place des femmes dans cette hétérogénéité. J’aimerais également pouvoir développer davantage la recherche participative en France.