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Billet de blog 25 août 2025

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Complément d'AEEH : rétropédalage timide de la CNAF. Un début ?

La CNAF revient partiellement - seulement en ce qui concerne les indemnités journalières maladie et accidents du travail - sur une instruction de décembre 2024. Certains problèmes ne sont pas traités.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Dans une nouvelle instruction du 28 juillet 2025, la CNAF revient très partiellement sur la précédente, du 5 décembre 2024. Désormais, elle admet qu'il est possible de cumuler un complément d'AEEH avec des indemnités journalières maladie ou accidents du travail, si la personne était à temps partiel avant l'arrêt de travail. Mais elle continue de refuser le cumul en cas de chômage ou de maternité.

Le 5 décembre 2024, la CNAF (caisse nationale d'allocations familiales) diffusait une instruction aux CAF pour l'instruction des droits à un complément d'AEEH. Elle demandait aux CAF de vérifier les conditions d'activité des parents avant de verser le complément d'AEEH attribué par la CDAPH (commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées).

Procédure en début et en cours de droit

Travaillant dans un service de prestations familiales, j'avais connu les délais très longs pour verser l'allocation décidée par la commission (CDES à l'époque). Une nouvelle réglementation en 2002 a décidé que les organismes de prestations familiales (CAF et MSA) n'avaient pas à faire de vérification à l'ouverture du droit : en effet, cette vérification avait été faite par la commission au préalable. Par contre, il appartenait à ces organismes de vérifier en cours de droit si la condition de recours à une "tierce personne" (parents ou personne rémunérée) restait toujours respectée. Dans ce cas, la CAF réduisait provisoirement le complément versé, et demandait à la CDAPH (MDPH) de valider ou non sa décision.
Je sais très bien que cette vérification en cours de droit ne se faisait pas très bien : il ne suffit pas de s'intéresser au temps de travail de l'allocataire, mais aussi à celui de son "conjoint" et à la rémunération d'une autre personne. Je trouve compréhensible que la Cour des Comptes aie pointé ce contrôle d'activité peu efficace.
L'instruction de la CNAF était cependant typique de la propension des administrations à re-demander des pièces justificatives. Si la CAF a un doute, dans ce cas, elle n'a qu'à demander à la MDPH de lui communiquer des pièces : par exemple, l'attestation de travail à temps partiel de l'employeur d'un des parents ou la preuve d'une personne rémunérée. Ce sont des informations qui n'ont pas la plupart du temps de raison de figurer dans les fichiers informatiques de la CAF : je ne vois donc pas pourquoi la CAF prétend enregistrer des données au préalable à ce sujet .
Demander des pièces justificatives, c'est éreintant pour les familles. Et cela se traduit par un allongement des délais avant que les parents ne perçoivent l'allocation, après des délais excessifs de la part des MDPH. Les droits à l'AEEH ne font pas partie des priorités des CAF - leurs délais affichés ne concernent que le RSA et l'AAH.

J'étais donc révolté lorsque que j'ai eu connaissance de cette instruction de la CNAF : c'était un retour en arrière par rapport à la circulaire de 2002, et contraire aux objectifs actuels de simplification administrative.

Les notifications de droit à un complément de l'AEEH ne mentionnent pas les modalités de recours à une "tierce personne". Il peut s'agir du temps de travail de l'allocataire, mais aussi de son conjoint, comme du temps de travail d'une autre personne rémunérée. Ces notifications ne permettent en fait pas à la CAF de faire un contrôle, ni a priori, ni a posteriori. Il faudrait commencer par une transmission à la CAF - par la MDPH - des modalités du complément. Un contrôle a posteriori serait possible en conséquence.

Effets inattendus de l'instruction CNAF

Mais le pire n'était pas là. En effet, en prenant connaissance de cette instruction, les agents des CAF se sont mis à revoir les dossiers des compléments d'AEEH et à refuser (ou récupérer) un complément d'AEEH pour des raisons différentes de la réduction d'activité (ou de recours à une "tierce personne").

L'instruction disait en effet :

""Au préalable, il convient de rappeler que ce contrôle n’a pas à être réalisé en présence d’avantages, perçus par le bénéficiaire d’AEEH, non cumulables avec les compléments en raison de la réduction ou cessation d’activité, à savoir : (liste non exhaustive)
- Les avantages conventionnels ;
- Les IJ maladie, maternité, paternité ;
- Les rentes accident du travail ;
- Les IJ chômage ;
- L’allocation de remplacement pour maternité/paternité ;
- Les pensions de retraite (excepté retraite anticipée).
Dans cette situation, il convient d’enregistrer l’accord de l’AEEH de base uniquement. Il n’est pas nécessaire d’informer la Mdph du motif de non-versement du complément."

Cette question n'était pas nouvelle. Elle figurait en partie (par exemple sans la "rente Accidents du Travail") dans le suivi législatif AEEH de la CNAF. Ces éléments sont contraires à la jurisprudence et à une circulaire de 2003. Mais suite à cette instruction de 2024, les agents se sont intéressés logiquement aux dossiers de complément d'AEEH, notamment lors des renouvellements, d'où la multiplication des contentieux. Voir complément d'AEEH : indemnités journalières maladie et maternité.

La liste est indiquée comme "non exhaustive", d'où les contentieux concernant par exemple l'AAH ou des pensions d'invalidité.
Autre problème : la CNAF indiquait qu'il ne faut pas informer la MDPH, alors que jusqu'à présent, elle était informée et pouvait décider de maintenir le complément.
Compétences respectives de la CDAPH et de la CAF

En diffusant cette instruction, la CAF disait donc à la MDPH qu'elle ne devait pas se préoccuper du temps de travail des parents ou d'une embauche d'une "tierce personne" pour attribuer un complément d'AEEH puisque c'est elle (la CAF) qui ferait cette vérification.
Cela avait une conséquence dans quelques rares cas. En effet, le droit à la PCH (prestation de compensation du handicap) pour un enfant est subordonné au droit à un complément d'AEEH (allocation d'éducation de l'enfant handicapé). Une condition fixée en 2008 et qui est aberrante.
Après cette instruction de la CNAF, certaines MDPH ont conclu qu'elles n'avaient plus à vérifier le droit au complément d'AEEH en fonction du recours à une "tierce personne", puisque cela relèverait de la CAF. Le droit à la PCH était donc possible. Cependant, la CNSA leur a indiqué qu'elles devaient continuer à examiner le droit au complément avant d'attribuer la PCH... Double contrôle aberrant !

Dans une circulaire du 23 mai 2003, la CNAF écrivait qu'en cas de désaccord, la CAF devait appliquer la décision tout en la contestant devant la CDAPH (CDES à l'époque), et ensuite en justice. Je rappelle que la CAF est membre de la commission CDAPH. Aujourd'hui, la CAF se permet de ne pas appliquer la décision CDAPH, sans même l'informer (sauf dans quelques cas).
Un complément est attribué par la CDAPH en fonction du "recours à une tierce personne" et à des frais. Je ne sais pas comment la CAF pourrait savoir quel complément est justifié en fonction des frais. Même si le parent travaille plus. Seule la CDAPH peut valider un juste droit.

Le choix impossible entre complément d'AEEH et PCH

Les parents peuvent choisir, si les conditions sont réunies pour la PCH, entre un complément d'AEEH et cette PCH. Le Plan personnalisé de Compensation (PPC) qui leur est proposé leur demande de choisir entre les deux prestations.
Il y a cependant un vice énorme dans ce PPC. Si les parents choisissent le complément d'AEEH, ils n'ont aucune garantie que la CAF versera le complément qu'ils ont choisi. La liste des incompatibilités est "non exhaustive", et je vois donc surgir des situations non indiquées.
Certes, ils pourront contester la décision de ne pas verser le complément devant la commission de recours amiable de la CAF, puis devant le pôle social du Tribunal Judiciaire. En attendant, ils ne perçoivent ni le complément, ni la PCH. Choix impossible !
Nouvelle instruction pour les indemnités journalières maladie et accidents du travail

La nouvelle instruction - rectificative - de la CNAF accorde le versement du complément si les indemnités journalières maladie ou accidents du travail sont précédées par une activité à temps partiel.
Cela évite donc une possible double pénalisation : diminution éventuelle du revenu suite à l'arrêt de travail et suppression du complément.
Par contre, la CNAF maintient sa position en cas de perception d'indemnités journalières maternité ou chômage. J'ai beaucoup de mal à imaginer une raison objective pour cette différence de traitement - sinon qu'en cas de chômage, il y a une diminution certaine du revenu ! Donc encore moins de raison de supprimer le complément d'AEEH. La jurisprudence a déjà contesté cela (Tribunal Saint-Brieuc).
Je vois cependant une "raison" technique. La CAF a connaissance de la grossesse d'un enfant, et elle reçoit des échanges informatisés avec Pôle Emploi. Ces situations n'échapperont donc pas à la CAF. Cette explication technique ne justifie pas du tout sur le fond cette différence de traitement !
D'autre part, je rappelle que les règles de droit en prestations familiales conduisent à supprimer la prestation dès le mois de changement de situation, et à ne le rétablir que le mois qui suit la fin de la situation. Quelques jours d'indemnités journalières conduiraient à supprimer le droit au complément pour un ou deux mois.

La circulaire de 2003 indiquait clairement les conditions de cumul.

Illustration 1
extrait circulaire CNAF 2003

A suivre la procédure de TouPI

La procédure engagée par l'association TouPI devant le Conseil d’État contre l'instruction du 5 décembre 2024 se justifie donc toujours pleinement.

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