spectrumnews.org Traduction de "Intranasal oxytocin ineffective for autism in large trial"
L'ocytocine intranasale est inefficace dans le traitement de l'autisme selon un essai de grande envergure
par Angie Voyles Askham / 13 octobre 2021

Agrandissement : Illustration 1

Une forme intranasale de l'hormone ocytocine n'est pas plus efficace qu'un placebo pour augmenter les comportements sociaux chez les enfants autistes, selon ce qui pourrait être le plus grand essai clinique du traitement à ce jour. Les résultats ont été publiés aujourd'hui [14 octobre] dans "The New England Journal of Medicine."
En raison du rôle de l'ocytocine dans le renforcement des liens sociaux, les chercheurs la considèrent comme un traitement potentiel de l'autisme depuis plus de dix ans. De petits essais ont laissé entendre que l'hormone pourrait améliorer les aptitudes sociales de certaines personnes autistes, comme celles qui ont un faible taux sanguin d'ocytocine ou les nourrissons atteints du syndrome de Prader-Willi, une pathologie liée à l'autisme.
Mais les nouveaux résultats, basés sur 250 enfants autistes, suggèrent que "l'ocytocine, du moins sous sa forme actuelle, n'est probablement pas utile pour la majorité des enfants autistes", déclare Evdokia Anagnostou, professeur de pédiatrie à l'université de Toronto au Canada, qui n'a pas participé aux nouveaux travaux.
Les résultats négatifs "changent la donne", déclare la chercheuse principale Linmarie Sikich, professeure associée de psychiatrie et de sciences du comportement au Duke Center for Autism and Brain Development à Durham, en Caroline du Nord. "La plupart des gens continuaient à penser qu'il y avait de bonnes chances que ce soit un traitement pour de nombreuses personnes autistes".
Ce type de recherche est sujet à un biais de publication, dans lequel les résultats non significatifs sont moins susceptibles d'être publiés que les résultats significatifs, explique Daniel Quintana, chercheur principal en psychiatrie biologique à l'Université d'Oslo en Norvège, qui n'a pas participé à l'étude. Pour cette raison, les nouveaux travaux constituent "une contribution importante au domaine", dit-il, mais "ils ne permettent pas à eux seuls d'écarter l'idée d'utiliser l'ocytocine intranasale comme traitement de l'autisme."
Mesurer les écarts
Les enfants autistes participant à l'essai, âgés de 3 à 17 ans, ont inhalé un spray nasal contenant soit de l'ocytocine soit un placebo pendant 24 semaines. Les participants ont commencé par une faible dose de l'hormone, administrée une fois par jour. Si cette dose était bien tolérée, elle était progressivement augmentée pour atteindre une dose plus élevée, deux fois par jour.
Les parents ou accompagnateurs des participants ont rempli une série de questionnaires pour évaluer les comportements sociaux de leur enfant au début de l'essai et à intervalles réguliers par la suite.
Quatre semaines après le début de l'essai, les participants des deux groupes ont montré une amélioration de leur retrait social, selon une partie modifiée de la Aberrant Behavior Checklist ( liste de contrôle des comportements aberrants), le principal critère d'évaluation de l'essai. Ces changements ont persisté pendant le reste de l'essai. Les deux groupes ont également montré des gains en matière de sociabilité et de motivation sociale, mesurés respectivement par le Pervasive Developmental Disorders Behavior Inventory et la Social Responsiveness Scale. Les résultats n'ont pas varié en fonction de l'âge des participants, de leurs capacités verbales ou de leur taux sanguin d'ocytocine.
"Le simple fait d'administrer le médicament n'est probablement pas suffisant pour faire quoi que ce soit", déclare Mme Anagnostou. Mais, ajoute-t-elle, il est possible que le traitement améliore d'autres aspects de la fonction sociale - tels que l'association, la cognition, l'affiliation et la récompense - qui pourraient ne pas être détectés par les questionnaires utilisés dans le nouvel essai.
En septembre, un petit essai sur l'ocytocine intranasale chez des enfants atteints du syndrome de Phelan-McDermid, un trouble du développement neurologique qui entraîne souvent l'autisme, n'a pas non plus révélé d'effet sur les comportements sociaux rapportés par les parents.
"La question de savoir comment nous mesurons le comportement social est une question à laquelle le domaine est confronté et qui n'est toujours pas résolue", déclare Adam Guastella, professeur de psychologie clinique à l'université de Sydney en Australie, qui n'a participé à aucune des deux études.
Signal de saillance
Au fur et à mesure que les chercheurs en ont appris davantage sur le rôle de l'ocytocine dans le cerveau, les idées sur la façon dont elle affecte le comportement social ont évolué, explique Larry Young, directeur du Translational Center for Neuroscience à l'université Emory d'Atlanta (Géorgie), qui n'a participé à aucune des deux nouvelles études. On sait maintenant que l'hormone n'améliore pas la sociabilité en général, mais qu'elle augmente la saillance des stimuli sociaux, ce qui aide les gens à mieux percevoir des éléments tels que les expressions faciales et les mouvements du corps et à en tirer des enseignements.
Compte tenu de cette nouvelle compréhension, le fait d'associer le traitement à l'ocytocine à un certain type d'entraînement comportemental pourrait s'avérer un moyen plus efficace d'exploiter l'effet de l'hormone en tant que traitement, selon Young.
Et compte tenu de l'hétérogénéité de l'autisme, il est possible qu'un sous-ensemble de personnes autistes réponde toujours à un traitement à base d'ocytocine, dit Anagnostou. Les enfants participant à l'essai auraient pu présenter différentes formes d'autisme qui ont affecté leurs réponses, mais l'étude n'a pas caractérisé les participants de cette manière, dit-elle.
Selon les chercheurs, des recherches supplémentaires sont également nécessaires pour déterminer si l'administration d'ocytocine par voie intranasale est le moyen le plus efficace d'acheminer le médicament vers le cerveau. D'une part, selon Guastella, il n'est pas certain que l'hormone soit absorbée par le cerveau sous cette forme.
Même si c'est le cas, en raison de la façon dont le corps régule les niveaux d'hormones, il peut être plus efficace d'utiliser un composé qui active les récepteurs de l'ocytocine, ou même un système parallèle dans le cerveau, plutôt que d'inonder le cerveau avec l'ocytocine elle-même, ajoute Anagnostou.
Il est important de se demander si "l'administration d'ocytocine est le meilleur moyen de manipuler le système, ou si nous devons envisager d'autres stratégies", ajoute-t-elle.
Selon Sikich, il est peu probable que le traitement à l'ocytocine intranasale ait un effet sur la sociabilité, mais elle admet que certains sous-types génétiques - par exemple, les personnes qui sont "particulièrement sensibles à l'ocytocine, ou [pour qui] l'ocytocine a complètement disparu" - pourraient tout de même en bénéficier.
Pour l'instant, cependant, l'étude devrait inciter les parents et les cliniciens à réfléchir avant d'envisager de traiter des enfants autistes avec de l'ocytocine intranasale non autorisée, affirment plusieurs chercheurs.
"[L'étude] atténuera l'enthousiasme de manière appropriée", dit Guastella.
Autisme : déception pour deux traitements pharmacologiques potentiels
Le diurétique bumétanide et l’hormone ocytocine ont échoué à améliorer les symptômes-clés d’enfants et d’adolescents souffrant de troubles du spectre autistique. Mais des chercheurs jugent prématuré l’abandon de ces pistes. Le Monde 19 octobre 2021
(...) « Il y a beaucoup de modèles précliniques – sur des souris, des rats, des primates non humains – qui montrent des effets très forts de l’ocytocine sur le comportement social », rappelle Angela Sirigu, directrice scientifique au Centre d’excellence autisme et troubles du neurodéveloppement et directrice de l’Institut des sciences cognitives de Lyon. Si elle n’a pas participé à cet essai, la chercheuse a conduit des travaux montrant l’influence de l’hormone sur la capacité des autistes à réagir positivement à des signaux sociaux.
« Je pense que l’on ne peut pas s’arrêter là », poursuit-elle, estimant que la façon dont l’essai a été conduit a pu limiter l’identification des potentiels bénéfices de l’ocytocine. Par exemple, relève-t-elle, les patients inclus présentaient des profils très variés et certains étaient sous traitement antipsychotique, antiépileptique ou stimulant. Or, comme « on ne sait pas comment interagit l’ocytocine avec ces molécules », il est possible que son effet ait ici été « annulé », relève-t-elle.
La chercheuse regrette également l’absence de preuve expérimentale permettant de vérifier que l’ocytocine était bien active dans l’essai – le test du Eye Tracking par exemple, « très sensible à l’ocytocine », permet d’observer une amélioration du contact visuel des patients traités, lors d’interactions sociales.
Optimiste, Angela Sirigu estime cependant que cet essai et les enseignements qu’il apporte permettent « d’avancer vers une nouvelle étude, avec un meilleur design », plutôt que de signer l’arrêt du développement de l’ocytocine.
Comment améliorer la recherche sur l'ocytocine pour l'autisme
11 mars 2021 - Deux chercheurs estiment que la recherche sur l'ocytocine a besoin de résultats reproductibles et d'un échafaudage théorique plus constant sur son fonctionnement dans plusieurs domaines, non seulement dans les interactions sociales.