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Billet de blog 3 août 2025

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Paris l’été, un festival débordant de surprises… (épisode 3)

Le festival Paris l’été se poursuit avec éclats jusqu’au 5 août, à chacune des occasions de cette programmation on constate que le public est toujours très nombreux. Voici le troisième et dernier épisode du reportage consacré à ses spectacles gratuits : "Bach Nord [Sortez les guitares]", "Hune", "Rouge Merveille" et "Envol".

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Depuis le 12 juillet, Paris l’été ne cesse de ravir un public varié et nombreux.

S’il fallait choisir une rumeur parisienne pour qualifier ce festival, ce serait sans aucun doute : «  Tu me fais tourner la tête… Mon manège à moi c’est toi ! ... ».

Car alors qu’il se prolonge dans le temps et qu’il se démultiplie à travers de multiples lieux, Paris l’été continue à accueillir le public avec autant de disponibilité et d’amabilité qu’au premier jour.

C’est une qualité qui mérite d’être saluée, car elle fait honneur au service public de la culture.

On se disait que c’était une ruche, mais c’est en fait un essaim qui ne cesse de se déplacer dans Paris tout en se démultipliant, de palais en jardins, de rues en sous-bois... Un incroyable voyage sans cesse renouvelé pour le public.

Dans ce 3è et dernier épisode on découvre : une œuvre chorégraphique et tellurique incarnée par la jeunesse, un spectacle de mime et de théâtre gestuel joué sur un escalier, un poème circassien suspendu dans les airs, une sublime composition d’envols survoltés.

Toujours au rythme de 2.500 signes pour chacun.

Bach Nord [Sortez les guitares] de Marina Gomes

26 juillet, Palais de la Porte Dorée (12e). Nous sommes plus de trois cents dans ce qui fut la salle des fêtes du Palais des Colonies en 1931, ce qui ne peut échapper à personne du fait des immenses fresques murales de Ducos de la Haille vantant les colonies sur les quatre murs.

La chorégraphe Marina Gomes est installée à Marseille dans les quartiers populaires. Elle travaille sur la visibilisation et la formulation des problématiques des quartiers en donnant la parole à sa population.

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Bach Nord [Sortez les guitares] de Marina Gomes, au Palais de la Porte Dorée (Paris l’été, 2025) © Quentin Chevrier

Ce spectacle est né en réponse au film BAC Nord de Cédric Jimenes (2020) qui a beaucoup blessé la jeunesse des quartiers nord de Marseille, car elle y est quasiment animalisée. Cette création trouve alors son titre par un tag énonçant sur un mur la recommandation suivante : « Évitez la BAC. Écoutez Bach ».

Arsène Magnard, compositeur de la compagnie, crée un livret qui par séquences recompose la musique de Bach en y mêlant du drill et de la musique instrumentale.

Les premiers participants à cette création sont des jeunes qui vivent dans les quartiers nord de Marseille et dont on entend quelques témoignages en voix off à l’ouverture du spectacle.

Dès l’origine il s’agit d’un lien de création et de travail entre des amateurs et des professionnels. Ces jeunes sont cocréateurs de certains mouvements chorégraphiques en s’inspirant de gestes et d’attitudes de leur quotidien. Ils sont également initiés à la danse contemporaine car ce spectacle lie ces deux formes.

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Bach Nord [Sortez les guitares] de Marina Gomes, au Palais de la Porte Dorée (Paris l’été, 2025) © photographie Constant Regard

Il en résulte un spectacle d’une force incroyable et d’une beauté inhabituelle. Ils sont un peu plus d’une vingtaine constituant un groupe mixte, s’élançant des quatre coins de la salle en dessinant des volutes et des arabesques sur le plateau sans jamais se heurter.

La force et l’énergie physique de leur jeune âge n’ont d’égales que leur précision et leur maîtrise sur ce plateau. Le public est réparti sur trois bords où par endroits sont libérées des travées permettant à ces jeunes artistes de fendre l’espace, de peupler et de vider ce plateau avec autant de grâce et de vivacité que des oiseaux.

Il y a des figures et des ondulations collectives, des soutiens et des arrêts à deux, mais il y aussi et surtout cette formidable expression de joie qui les anime et qui se lit sur leurs visages.

A travers leurs représentations, ces jeunes interprètes - vivant respectivement à Marseille et à Paris - n’ont pas seulement fait la démonstration que la jeunesse des quartiers populaires n’est pas une branche animale.

Ils ont également fait face aux origines historiques de cette salle, en l’investissant et en se l’appropriant avec une force tellurique : à couper le souffle.

Hune de la compagnie Paon dans le ciment

30 juillet, parvis du lycée Henri Bergson (19e). Comme toujours lors des créations programmées dans l’espace public par Paris l’été, une demi-heure avant le début du spectacle nous sommes tranquillement une vingtaine et lorsqu’il commence nous sommes avidement plus de trois cents. Le public adore ce festival.

La compagnie Paon dans le ciment a été fondée en 2015 par des anciens élèves de l’ESAD. Ils ont fait partie d’une promotion en arts du mime et du geste. Ils ont aussi pratiqué de la danse et du cirque. Ils ont exploré toutes les pratiques d’écritures théâtrales passant en prérequis par le corps.

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Hune, de la compagnie Paen dans le ciment, au lycée Henri Bergson (Paris l’été, 2025) © photographie Constant Regard

Durant les premières minutes du spectacle, on se dit que Vladimir et Estragon sont de retour en tenues de sport, sauf qu’ils sont sur un escalier, qu’il n’y a pas d’arbre et qu’il n’y a aucun libérateur à attendre.

Deux amis inséparables tuent le temps sur un escalier pouvant se trouver n’importe où en milieu urbain. Nous les suivons depuis leurs dernières années au lycée jusqu’à leurs premières années dans la société du travail, via le chômage et aussi l’évocation de la fondation d’une famille.

Beaucoup d’engagements physiques entre les mots, des dialogues simples, de l’humour et de la poésie à travers l’expression corporelle.

Il y a dans Hune énormément de liens et de soutiens, que ce soit à travers l’humanité qui unit ces deux personnages, ou que ce soit à travers l’incarnation de ces situations reliant continuellement le mot au geste et la pensée au mouvement.

Il sont doués, drôles, précis, habiles, attachants. Les années passent tandis que les corps ne faiblissent pas.

Ils nous entraînent du farniente lycéen à la joie de l’obtention du baccalauréat, par des bonds, des roulades et des sauts.

Nous les suivons dans le monde salarial de l’intérim à travers la multiplicité des tâches afférentes aux emplois occupés, incarnées par le chassé-croisé de ce duo alternant les positions de soutien de l’un par l’autre et les personnifications du travail par le corps.

Nous explorons aussi avec eux le chômage conduisant alors à la dépersonnalisation informatique et administrative du corps mis à l’épreuve de sa propre contenance.

Avec, comme fil conducteur ponctuant ce récit, une séquence évolutive en trois temps où l’un des deux est un pompier portant secours à un homme inanimé.

Un spectacle de cadences imaginatives passant par les arts du geste et du mime, avec le soutien d’une musique venant parfaire cette façon incroyable qu’ils ont d’habiter l’espace nu de cet escalier en y faisant apparaître tout.

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Hune, de la compagnie Paen dans le ciment, au lycée Henri Bergson (Paris l’été, 2025) © photographie Constant Regard

Hune est une création très chaleureuse : « A travers ce spectacle nous essayons de partager cette ambition de rallier les corps pour se relever de certains moments de vie. On souhaite que ce spectacle puisse permettre de parler des aidants, de parler des amis, de parler des personnes qui nous sont chères et qui nous aident à nous relever de certains moments de vie difficiles. On aime que ce spectacle raconte aussi le besoin de l’autre. »

Déjà joué une centaine de fois, Hune est en tournée dans toute la France jusqu’au 4 octobre. Enfin on ne veut semer aucune zizanie au sein de cette merveilleuse équipe, mais en voyant ce spectacle il est flagrant que Mattia Maggi a pris la relève moderne du mime Marceau.

 Rouge Merveille de Chloé Moglia

1er août, square Paul Paray (17e). Cette fois Paris l’été vient se glisser dans un tout petit square de quartier non loin du périphérique. Un espace vert parisien comme les touristes n’en voient pas ou peu, investi par des familles, des enfants et des personnes seules. Une population humble, dont on perçoit tout de suite qu’elle est coutumière du lieu.

Quand un festival investit l’espace public par des spectacles, plus il se rapproche des espaces de vie des classes populaires et plus il entre dans un dialogue sensible avec le public en tant qu’ambassadeur de la culture.

Ici c’est vraiment : Paris l’été s’invite parmi vous et va vous épater. L’ensemble de l’équipe mène progressivement une médiation très fine conduisant le public à former un cercle autour de l’aire de jeu.

Certaines personnes étaient déjà présentes dans ce square, d’autres y sont apparues pour ce spectacle : ces deux groupes ne forment plus qu’un seul public.

Chloé Moglia pratique l’art circassien de la suspension et se concentre aujourd’hui sur des solos féminins. Rouge Merveille est ici interprété par Mélusine Lavinet-Drouet.

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Rouge Merveille, de Chloé Moglia, au square Paul Paray (Paris l’été, 2025)

L’acrobate déplie d’abord une notice qu’elle se met à lire, puis elle se met doucement et très méthodiquement à assembler et à donner forme à une haute structure en arabesque d’un ton rouge profond. Puis elle se lie rapidement avec le public, mais pas d’une façon habituelle.

Sans un mot, elle choisit d’abord une personne à qui elle confie le soin de l’épauler pour une étape de l’assemblage, un geste prenant la valeur d’un pacte avec le public.

Puis par la suite et toujours sans un mot, elle choisit une autre personne à qui elle confie sa notice. Cette personne doit alors lire cette notice au micro, à la façon d’une narration confiée directement au public.

L’assemblage de la structure se poursuit méthodiquement. Lorsque la structure est dressée la lecture de la notice est terminée. Ce spectacle s’ouvre donc par une démonstration de l’écoute dans l’espace public à la façon d’un tour de piste.

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Rouge Merveille, de Chloé Moglia, au square Paul Paray (Paris l’été, 2025) © photographie Constant Regard

Nous basculons ensuite dans l’éblouissement d’une suspension circassienne aux figures incroyables de par la légèreté et la souplesse avec laquelle ce personnage se met à exister à plusieurs mètres de hauteurs.

Des séquences dégageant une grande simplicité par la nature de ses actions - s’enduire les mains de crème, lire un livre, mastiquer une douceur, enclencher de la musique, marcher dans les airs - mais aussi par l’aisance naturelle de cette artiste au sourire permanent et au regard vif.

Cette simplicité partagée pourrait être trompeuse, car ce que fait cette artiste est tout simplement phénoménal. C’est d’ailleurs à travers cette singularité que nous nous sentons de plus en plus proches, alors que cette artiste s’adresse à nous depuis une véritable hauteur.

Au fil du spectacle, le public applaudit à plusieurs reprises, un enfant répète plusieurs fois avec admiration : "Bravooo…".

Rouge Merveille est aussi une très belle incarnation du chemin parcouru par les femmes dans l’histoire de l’art et dans l’histoire de notre société.

A l’issue de la représentation, Paris l’été offrait au public une collation à prix libre.

Envol de Damien Droin

2 août, Westfield Forum des Halles (2e), sous la canopée un samedi après-midi, jour de la semaine où ce lieu grouille de monde. Malgré mes trente minutes d’avance habituelle, il y a déjà des milliers de personnes.

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Une partie des milliers de personnes présentes pour le spectacle Envol, de Damien Droin, au Westfield Forum des Halles, sous la canopée (Paris l’été, 2025) © photographie Constant Regard

Je n’arrive pas à l’estimer avec précision, pour m’en assurer je demande à un agent de sûreté présent en renfort pour cet événement : nous serions entre 5.000 et 7.000 personnes.

Pour autant l’ambiance n’est pas électrique, mais curieuse et disciplinée. Nous sommes au coude-à-coude et tout se passe très bien.

Cette fois Paris l’été crée une brèche artistique dans un espace consumériste de masse. Se sont ainsi mêlées des personnes venant pour ce spectacle à des personnes découvrant cette opportunité sur place, qui ne forment plus qu’une seule et gigantesque assemblée.

Ce spectacle acrobatique est donné sur les lieux où la reconversion d’un marché couvert en lieu culturel au cœur de la capitale a été sabordée par le Conseil de Paris de cette époque.

C’était il y a déjà soixante-cinq ans, mais la droite parisienne demeure à jamais coupable de cet affront mortifère envers la population et les artistes. Le critique d’art André Fermigier a appelé ce combat La Bataille de Paris.

Le cœur de la capitale n’est jamais devenu le centre multiculturel qui aurait pu vivre dans la structure de cet immense marché immortalisé par Zola. L’architecture de Baltard a été sacrifiée, mais curieusement pas celle de Blondel, architecte de la Bourse du commerce.

Mais revenons au présent. Damien Droin découvre le cirque à l’âge de cinq ans car son père s’y consacre à plein temps. Il se spécialise dans l’acrobatie et le trampoline à l’âge de 13 ans.

Il se forme ensuite à l’École Nationale des Arts du Cirque, puis au Centre National des Arts du Cirque : à la corde tendue, au funambule, au jeu d’acteur, à la danse classique et contemporaine.

Il s’engage ensuite dans une longue recherche entre danse, voltige et suspension, trois domaines structurant cet Envol ayant captivé le public.

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Envol, de Damien Droin, au Westfield Forum des Halles, sous la canopée (Paris l’été, 2025) © photographie Constant Regard

L’aire de jeu aérodynamique est composée de plusieurs trampolines de différentes tailles, à la façon d’un damier à ressorts. Du fait de la dimension importante de ce dispositif, ce spectacle trouve parfaitement sa place dans cet endroit où le public s'est réparti sur différentes hauteurs tout en l’encerclant.

Envol c’est le bonheur et la légèreté des corps qui bondissent et qui rebondissent, c’est aussi la fascination pour ces acrobates jouant avec les lois de la gravité et du filet dynamique.

Des costumes prêts du corps, composés pour le buste d'un tee-shirt ou d'un cardigan imprimé de nuages blancs se détachant sur un fond bleu ciel, comment autant d'évocations du firmament.

Agilité, prouesse, souplesse, excellence, malice. Une succession de solos, de duos, de trios et de compositions collectives. Une œuvre acrobatique soutenue par une création musicale de Lacrimoboy : batterie, guitare basse et vocalises en direct.

Une magnifique percée acrobatique et spectaculaire au cœur de Paris.

*

Voilà, c’est la fin de ce petit reportage sur les spectacles gratuits de Paris l’été, mais ce n'est pas la fin de ce festival, car Rouge Merveille se joue encore ce lundi 4 et ce mardi 5 au square Rachmaninov (18e).

D’ailleurs aux halles à l’issue de la représentation de Envol, des spectatrices et des spectateurs échangeaient en s’informant au sujet de Rouge Merveille : Paris l’été a gagné la rumeur parisienne.

Démonstration est donc faite que l’expression des arts du spectacle dans l’espace public est également possible au sein de la capitale et on a déjà hâte d’être à l’année prochaine.

Enfin ce qui est très frappant à travers cette programmation, c’est que les thématiques de la chaleur humaine, de l’entraide, de la bienveillance et de la bonne humeur sont un fil conducteur entre ces différents spectacles.  

POUR POUSUIVRE ET CONCLURE : INTERVIEW DE LA CODIRECTION DU FESTIVAL

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