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Billet de blog 4 août 2025

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Le beau Paris l’été s’achève : interview de sa codirection paritaire

L’édition 2025 du festival Paris l’été se termine ce 5 août après nous avoir ravi durant 25 jours. Le public a été très nombreux, les spectacles payants ont été vite complets et les spectacles gratuits ont réuni des centaines de spectateurs. Voici une interview - menée l’avant-dernier jour - de Marie Lenoir et Thomas Quillardet qui codirigent Paris l’été depuis septembre 2024.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

En préambule à cette interview, je me dois de rappeler qu’en avril dernier j'avais claqué la porte des salles de spectacles suite aux mois d’auditions et au rapport de la Commission d’enquête relative aux violences commises dans les secteurs du cinéma, de l’audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité.

J’étais rempli de colère et de chagrin suite à ce que j’avais appris au fil de ces longs mois.

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Création graphique de l’Atelier 25 (Capucine Merkenbrack et Chloé Tercé) pour l’édition 2025 de Paris l’été © Paris l’été / Atelier 25

Quelques temps plus tard, je reçois le programme de Paris l’été par courrier. Au premier contact visuel, je perçois immédiatement que ce festival a profondément évolué.

Mais je suis encore furax. Je me contente de le feuilleter et je le laisse de côté.

Des semaines passent, puis un jour je finis par lire ce programme que j’avais remisé sur une pile : "Si vous lisez ces lignes, c'est que vous tenez notre brochure entre vos mains et que cette 35e édition, après des mois de préparation, vous appartient."

Là je relève la tête et je me laisse embarquer par Paris l’été.

Je décide de faire un reportage sur ses spectacles gratuits (trois épisodes) car c’est une orientation totalement novatrice dans ce rendez-vous estival parisien.

Illustration 2
© DR / Paris l’été

Cette catégorie génère de l’action culturelle dans l’espace public en allant vers tous les publics. Elle a aussi la force et l’inventivité de cette filiation aux dispositifs ambulants que sont les tréteaux, les castelets et les chapiteaux.

En s’invitant là on ne les attend pas, ces artistes ont la faculté de transfigurer l’espace et de faire accéder leurs auditoires à de véritables voyages immobiles en plein air.

En 2025 à Paris l’été, cette catégorie regroupe cinq différents types de spectacles de rue ayant pour espaces d’expression : un jardin patrimonial, des rues, le parvis d’un lycée, des squares, une grande place centrale.

Cette catégorie est englobée dans l’offre gratuite, qui comporte également une exposition photographique, une performance et un débat en plein air, ainsi que deux œuvres chorégraphiques et une création théâtrale expérimentale dans des intérieurs.

Soit 10 propositions synonymes de 23 occasions gratuites sur 25 jours de programmation.

Mais Paris l’été c’est encore bien plus et ça va beaucoup plus loin.

C’est un programme pluridisciplinaire de 28 spectacles, français et étrangers, de styles variés et de différentes disciplines, avec un accent sur l'hybridité.

Soit 78 représentations à travers 17 lieux dont 16 pour la première fois, du palais au lycée en passant par la rue et la forêt, à Paris mais aussi pour trois dates à Pantin et à Chaussy, ainsi qu'à Romainville pour une résidence de création.

Enfin, il propose aussi des stages pour le public avec différents artistes de cette édition.

Paris l'été est subventionné par la Mairie de Paris et par la DRAC Île de France, mais il ne l’a finalement pas été par le Conseil régional d’Île-de-France.

L’interview qui suit porte sur l’ensemble du festival, au fil de cinq questions. Je retrouve Marie Lenoir et Thomas Quillardet le 4 août au jardin Rachmaninov (18e) peu avant la représentation de Rouge Merveille.

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Marie Lenoir et Thomas Quillardet, le 1er août au square Paul Paray (17e) à l’occasion de Rouge Merveille de Chloé Moglia © photographie Constant Regard

Pour cette édition, vous annonciez le souhait que le public puisse partager des moments festifs et joyeux de paix et de fraternité. Il reste encore deux jours de festival, mais qu’en a-t-il été depuis le 12 juillet ?

Marie Lenoir : J’ai l’impression que nous avons quand même réussi notre pari, qui a été de proposer un festival très éclectique pour des publics très différents, dans des lieux différents, avec une approche toujours assez accessible pour le public. Sur des sujets qui peuvent être sérieux, politiques ou même sociétaux, mais toujours avec une approche soit légère, soit drôle, soit festive. Nous l’avions senti avec Thomas dans notre sensibilité, dans ce que nous aimons et je trouve que ça s’est vérifié. Car il y a eu énormément de monde et j’ai l’impression que c’étaient toujours des endroits de bien être du public qui venait partager un moment d’art avec nous. Chaque fois c’est aussi un lieu et un moment de convivialité. C’était très important pour nous lorsque nous avons conçu le festival multisite, c’est qu’il y ait toujours un accueil et qu’on soit un lieu d’hospitalité.

Thomas Quillardet : C’était vraiment une première année de tests sur beaucoup de sujets, effectivement sur ces questions de fraternité et de joie ensemble. Mais ce qui est très réjouissant pour nous à la fin de cette première édition, c’est que le public a répondu présent. Nous allons pouvoir aller plus loin l’année prochaine, de manière plus sereine, plus affirmée et plus forte. Nous avons fait certaines choses de façon naïve ou un peu à l’instinct et nous avons perdu très peu de paris pour cette première édition. Nous sommes très heureux pour la deuxième, car nous aurions pu nous prendre un four géant.

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Espace de convivialité attenant au théâtre en plein air aménagé au Carré des Sangliers (jardin des Tuileries, domaine du Louvre) pour l’édition 2025 de Paris l’été, en partenariat avec Les étés du Louvre © Andrea Fernandez / Gestuelle

Cette édition 2025 a la singularité de regrouper des spectacles d’artistes français et étrangers aux esthétiques modernes, d’autres aux esthétiques artisanales et d’autres encore de formes hybrides, pourquoi tenez-vous à ce mélange des genres ?

Thomas Quillardet : Ce que nous testons vraiment c’est cette idée que le festival soit vraiment reconnu comme une force artistique invitante et d’hospitalité. Qui dit hospitalité dit plusieurs portes d’entrées, on peut entrer dans le festival par plusieurs endroits. Donc ça signifie des spectacles ayant plusieurs portes, qui mélangeraient dramaturgie, danse, musique. Je viens du théâtre pur et dur, du théâtre de dramaturgie textuelle. Pour moi la pluridisciplinarité est vraiment un acte politique à destination des publics. Je suis vraiment en train de me dire de manière plus radicale qu’il faut abandonner les labels danse, théâtre, arts de la marionnette, etc. Il faut que tous les théâtres de France deviennent des théâtres pluridisciplinaires. Car le public se fiche de ces labels qui ne lui parviennent absolument pas. J’ai l’impression que la force du festival (que je découvre cette année, Marie le connait depuis plus longtemps) c’est vraiment la pluridisciplinarité. Ce n’est pas anecdotique, comme une façon de dire que nous présentons tout le monde, non, non, c’est un vrai acte politique.

Marie Lenoir : Nous pouvons aller plus loin sur des formes qui ne sont pas soit disant des formes savantes. Nous pourrions très bien aller vers des formes comme du stand up par exemple. Là nous avons fait beaucoup de cabarets, c’est nouveau dans ce festival qui programmait surtout de la danse et du théâtre. Nous nous sommes un tout petit peu éloignés du texte cette année mais nous pourrons y revenir. Mais les spectacles où il y avait du texte étaient pluridisciplinaires : danse et théâtre ou musique et théâtre. Il y avait toujours une porte d’entrée qui nous a permis d’aller vers tout le monde. Donc nous irons encore plus loin l’année prochaine sur des formes qui ne sont pas forcément des formes accueillies dans des centres dramatiques nationaux ou dans des théâtres nationaux, mais qui ne sont pas pour autant des sous propositions artistiques, au contraire. Nous attachons beaucoup d’importance au fond et à la forme, donc il y a souvent des propos qui sont tenus, mais toujours dans une main tendue vers le public. Nous nous rendons compte que ce sont des thématiques qui parlent à tout le monde. Notre programmation est pluridisciplinaire mais elle est beaucoup axée  sur le mouvement. Notre angle est beaucoup sur les corps : les corps différents, les corps en mouvement, les identités des corps… Plus que la dramaturgie, plus que le texte, nous étions aussi sur des formes plus ouvertes pour pouvoir aussi nous adresser à des publics étrangers, à des publics touristiques, des personnes qui ne parlent pas la langue française. C’est aussi important.

Thomas Quillardet : Mais c’est un puits sans fond. Là nous sommes contents, mais il y a encore plein d’angles morts sur les quartiers populaires, sur la jeunesse, encore et encore.

Marie Lenoir : Oui, là nous en sommes au tout début.

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Encantado, de Lia Rodrigues, au théâtre en plein air aménagé au Carré des Sangliers (jardin des Tuileries, domaine du Louvre, Paris l’été, 2025) © Sammi Landweer

Durant le festival, on a pu assister à un débat passionnant en accès gratuit dans un cadre idéal où nous étions plus de trois cents spectatrices et spectateurs. Comment réagissez-vous à ce succès et est-ce qu’il y aura toujours une rencontre de cette nature durant Paris l’été ?

Thomas Quillardet : Oui j’aimais bien cette idée de « qu’est-ce qu’on fait pendant les vacances ? ». Alors on va à des spectacles et autres, mais moi quand j’étais petit je faisais aussi des cahiers de vacances, je n’arrêtais pas ma pensée. C’est bien de prendre aussi le temps de l’été pour penser à des sujets, réarmer la pensée pour la rentrée, en prendre le temps. Il y a également eu un second débat avec La Déferlante. Mais pour le débat sur l’exposition ça ne vient pas du festival, c’est vraiment Raya Martigny, une artiste, qui porte ces questions et qui amène ce débat avec son œuvre. J’aime bien que ça vienne des artistes et pas forcément d’une décision programmatique.

Marie Lenoir : L’idée c’est qu’il puisse il y avoir l’année prochaine d’autres débats sur d’autres questions liées à des programmations de l’année prochaine. Pour moi ça été une grande découverte et nous ne pensions pas que ça séduirait autant les gens. Ce mélange est très beau.

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Bach Nord [Sortez les guitares] de Marina Gomes au Palais de la Porte Dorée (Paris l’été, 2025) © Quentin Chevrier

A Paris plusieurs événements donnent accès à des expressions artistiques et culturelles en plein air, mais jamais aux arts du spectacle dans l’espace public. Paris l’été vient d’ouvrir une voie dans cette direction, que pouvez-vous nous en dire ?

Marie Lenoir : En fait nous sommes revenus au cœur de la création de Paris Quartier d’été qui était un festival créé pour les parisiennes et les parisiens qui ne partent pas en vacances l’été. Donc à partir du moment où nous nous adressons à des gens qui sont à Paris en été, il est évident que nous pensions avant tout au plein air, au gratuit, à l’espace public, aux quartiers, aux rues, aux squares. C’est le socle de notre projet. Mais évidemment il y a tout un équilibre à trouver car nous avons besoin de la billetterie. Donc nous avons aussi tout un axe fort de spectacles payants notamment sur la première partie du festival, dans des lieux patrimoniaux avec tous les tarifs pour que ce soit accessible. Nous avons aussi des lieux plus cachés, plus insolites, plus étonnants. Mais nous avons aussi tout ce volet de la gratuité pour toutes et tous dans tous les styles, car c’est très important pour nous. Dans ce volet il y aussi les stages et les ateliers comme pour Bach Nord [Sortez les guitares] ou Mistura. Et c’était important pour nous d’être visibles. Nous essayons « d’aller vers », au plus près, plutôt que ce soit l’inverse. Nous essayons d’aller vers les gens.

Thomas Quillardet : Il y a un double mouvement, des fois nous demandons au public d’aller vers le jardin des Tuileries ou vers le Palais de la Porte Dorée. Actuellement nous sommes dans la seconde partie du festival où les spectacles sont gratuits. Marie et moi sommes très connectés à nos envies de spectatrice et de spectateur. Nous sommes dans les théâtres de septembre à juin, nous y travaillons en compagnie et nous avions envie de ne pas faire la même chose. Nous voulions sortir des théâtres et proposer des choses innovantes. On nous disait qu’il n’y avait personne à Paris fin juillet et début août, mais en fait il y a beaucoup de monde et c’est un bonheur. Donc le festival a vraiment sa place.

Marie Lenoir : C’est aussi un grand travail de relations publiques. C’est assez nouveau cette année, mais nous travaillons encore plus avec les associations. Aussi avec des bailleurs sociaux qui nous soutiennent ou qui nous cofinancent, des associations de quartiers, des missions locales. Nous avons mené tout un travail de terrain pour toucher les gens qui ne vont pas vers les spectacles pendant l’année. Là par exemple nous sommes début août au jardin Rachmaninov, dans un quartier où il n’y a rien, où il n’y a pas de spectacle l’été, mais des gens sont là et nous allons voir ce que ça donne avec Rouge Merveille.

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Mistura, de Marina Guzzo au jardin des Tuileries (domaine du Louvre), Paris L'été, 2025 © photographie Constant Regard

Cette édition 2025 n’est pas encore terminée, mais on peut déjà dire qu’elle a été un succès et on a hâte d’être à l’année prochaine, quels sont les projets de Paris l’été et que pouvez-vous déjà nous en faire partager ?

Thomas Quillardet : Je crois que nous allons encore plus développer ce que nous avons développé cette année. Je pense, comme le disait Marie, que le corps et les corps différents vont encore être au cœur de nos préoccupations. Bien sûr il y aura aussi et encore de la danse. Mais nous allons essayer de creuser cette relation avec l’habitat et les habitants. Cette année nous avons beaucoup de projets autour de l’habitation : habiter dans une forêt, habiter dans une cabane, faire habitat. Cette notion d’habitat ce sont aussi les habitants et nous questionnerons ce que peut être une ville. Nous sommes très content de notre édition 2025, mais c’est un puits sans fond de travail : pour faire venir la jeunesse, faire venir les quartiers populaires, pour créer de la surprise. Travailler surtout notre bien-être, pour que notre public soit bien accueilli dans tous nos endroits. Nous devons retravailler toute notre signalétique et notre manière d’accueillir. Là nous venons de découvrir que nous avons un festival qui suscite beaucoup de curiosité, donc nous devons encore beaucoup malaxer et affirmer notre volonté d’hospitalité.

Marie Lenoir : Oui là nous sommes en année numéro un. Nous posons les bases, mais j’espère que nous sommes là pour plusieurs années, en tout cas nous en avons envie. Donc petit à petit nous allons creuser. Nous allons aussi garder cette dimension d’artistes de renommée internationale car c’est très important d’avoir de grands plateaux comme nous avons eu au jardin des Tuileries et au Grand Palais. C’est important durant l’été d’avoir ces grands spectacles fédérateurs. Et aussi, de l’autre côté, nous voulons petit à petit être présents sur des formes émergentes comme nous l’avons fait au Palais de la Porte Dorée. Nous avons vraiment ces deux axes : la jeune création et les artistes plus confirmés. Mais toujours dans notre idée de mélange des genres et de mélanges des publics. Nous nous questionnons encore sur plein de choses, car nous ne sommes pas encore sortis de l’édition 2025. Nous avons commencé notre petit bilan tous les deux mais nous sommes au tout début. Nous allons laisser passer l’été, à la rentrée je pense que nous aurons encore plein de nouvelles envies, plein de nouvelles idées. Mais là nous nous laissons aussi surprendre. Car nous avons aussi ce luxe en tant que festival de pouvoir nous accorder jusqu’en en mars pour écrire notre édition 2026.

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L’été à Paris, de Lovia (acrylique, collage, posca, feuille d'or, upcycling) © Lovia - Carré d'artistes

Voilà, c’est donc le 5 août au soir que s’achèvera la 35e édition du festival estival de Paris qui est devenu Paris l’été.

A cette occasion il ne procèdera à aucun baisser de rideau, simplement parce qu’il n’y en a pas, car Paris l’été est un festival émancipé.

Il vient de démontrer qu’il sait mobiliser le public dans de multiples lieux insolites et marquants, à travers un tourbillon de spectacles modernes d’une grande diversité, en pensant à tous les publics.

J’adresse mes chaleureux remerciements à toute son équipe, avec une mention spéciale aux lucioles en tee-shirts noirs ornés d’un soleil rose fuchsia, cette nuée bienveillante qu’on a pu retrouver dans chacun des lieux transfigurés par cette programmation.

Reportage sur les événements gratuits de Paris l'été

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