Antigone de Sophocle... à Annaba
Le Festival de Troupes Départs d’Incendies au Théâtre du Soleil

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On sait que le Théâtre du Soleil est une bonne maison de troupe, où le public peut se sentir chez lui lorsqu’on y joue, car quel que soit ce qui surgit des cuisines ou des coulisses : tout est bon.
C’est aussi le cas de son Festival de Troupes Départs d'Incendies au Théâtre du Soleil qui est en train de faire monter la température de la scène théâtrale parisienne à mesure que s'approche le solstice d'été.
Elles sont six troupes donnant plus de soixante représentations en un mois, elles font ce festival tout en s’y produisant. Après avoir été conçus, mis en place et allumés, ces Départs d’Incendies entrent dans leur seconde semaine de flamboiements.
Pour faire fonctionner ce festival, ces jeunes artistes s'y répartissent toutes les tâches à tour de rôle : réservation, économat, réapprovisionnement, cuisine, billetterie, service au bar, vaisselle, nettoyage, balayage, évacuation des poubelles, maintenance des toilettes sèches, etc....
Ce sont les mêmes qui font toutes ces tâches, qui se produisent en spectacle et qui organisent également des bords plateaux. Et nonobstant cette charge, chacune de ces troupes prend le temps d'assister aux spectacles des autres troupes : une véritable école du théâtre.
Il en résulte une programmation très originale, digne d’une réminiscence du boulevard du Crime où dans ses arrière-cours on mène des actions culturelles en milieu scolaire, où dans ses rues adjacentes on anime des stages et des concerts, tandis que tout au long de son boulevard on donne six spectacles en alternance jusqu'au 2 juillet.
Sont ainsi à l'affiche : Platonov d’après Tchekhov par la troupe Immersion, Mephisto d’après Klaus Mann par Les Barbares, Antigone de Sophocle par La Tendre lenteur. Ce festival a aussi une programmation nommée Première étincelle avec à l'affiche : Les Aveugles de Maeterlinck par la Compagnie Populo, Macabre carnaval par le Théâtre de l’Hydre, Black Hole Sur la ligne de front par la troupe Dyki Dushi.
Enfin il faut préciser que la billetterie de ce festival est vraiment adaptée à tous les publics : 16 € plein tarif, 14 € tarif réduit, 12 € pour les étudiant(e)s, 8 € tarif solidaire, 4 € pour les moins de 15 ans, ainsi que de 17€ à l'infini pour celles et ceux qui voudront bien en être mécènes.

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Ce soir-là, peu avant la représentation d'Antigone, je fais par hasard la connaissance du comédien qui incarne le rôle-titre dans Platonov d'après Tchekhov par la troupe Immersion. Je lui demande des nouvelles du festival, il me répond avec un grand sourire : "Et bien disons que depuis le 2 juin c'est une même longue journée qui se poursuit tous les jours ". Puis en désignant le public attablé en plein air, il ajoute : "Ici c'est notre forum permanent !".
Ce festival est une véritable ruche, on perçoit bien qu'il y vrombit de nombreuses ailes tandis qu'on se régale de son miel. N'attendez pas pour vous y rendre car c'est aussi une aventure collective chaleureuse et pleine de surprises... ce dont on ne vous dira rien ici car c'est à vivre.
Cette fois je suis allé à la découverte de La Tendre Lenteur pour Antigone de Sophocle, que Sébastien Kheroufi - qui signe ici sa première mise en scène - pose à Annaba durant les premières années de l’indépendance de l’Algérie.
J'ai choisi ce spectacle car la présence de l'Algérie à la Cartoucherie est antérieure à la reconversion de ce lieu en ensemble théâtral, à travers le Centre d'Indentification de Vincennes organisé ici même durant la guerre d'indépendance de l'Algérie. Je me rends donc systématiquement dans cette ancienne usine lorsque ce pays y réapparaît grâce au théâtre.
D'ailleurs la dernière fois c'était aussi dans la salle de répétition du Théâtre du Soleil il y a cinq ans, pour Lilian 54-82 : un roman photo de Luc Boltanski, une création dont je garde un profond souvenir, mise en scène par Murielle Bechame.

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La présence de l'Algérie à la Cartoucherie date des années 50

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Durant la guerre d’indépendance de l’Algérie (1954-62), la France met en place dans l'hexagone des camps d’assignation à résidence surveillée (CARS) et des centres de triages pour les « Français Musulmans d’Algérie » (FMA) dont les activités sont ainsi contrôlées.
La Cartoucherie, propriété militaire édifiée en 1874 et désaffectée au début des années 50, est alors réquisitionnée par le préfet de police, Maurice Papon, pour devenir le Centre d’Identification de Vincennes (CIV), cette usine ayant été stratégiquement édifiée loin des regards. Le CIV est un centre de triage exclusivement destiné aux hommes et sa capacité est de 1.400 internés. Il en existe cinq autres : Paris 8e, Paris 19e, Versailles, Lyon, Mézières. La Cimade est la seule association obtenant le droit d’y faire des visites hebdomadaires.
Des personnes - identifiées visuellement comme étant algériennes - sont régulièrement appréhendées sur la voie publique par la police et transférées de nuit au CIV, où du fait de cette méthode se retrouvent aussi par erreur des tunisiens, des marocains, des italiens, des espagnols, des portugais, ... qui n'en sont libérés qu'après avoir été contrôlés.
L’internement - souvent prolongé plusieurs jours - se fait dans le bâtiment qui est aujourd’hui l’Atelier de Paris, les interrogatoires se font dans le bâtiment qui est aujourd’hui La Vie brève / Théâtre de l’Aquarium. Lorsque le 25 août 1958 le conflit avec le FLN s’accentue à travers une série d’attentats en métropole (opération Orage), une attaque à la dynamite et une tentative d’incendie sont menées contre le CIV.
Monique Hervo, dans ses Mémoires, relate le témoignage d’un interné décrivant la salle de tri du CIV : « Une saleté repoussante. On dort sur le ciment par-dessus de vieux journaux pourris. Dans certains coins, il y a un peu de paille. Un cabinet, pour trois cents bonshommes, est ouvert un quart d’heure toutes les heures. Tant pis si on est malade. Pour l’unique robinet d’eau même durée d’accès. »
Les internés sont fichés puis relâchés en plein bois de Vincennes ou expulsés en Algérie. En 1960 pas moins de 67.000 Algériens transitent par le CIV. Parmi ceux-ci, l’acteur et metteur en scène Salah Teskouk y est incarcéré quarante-huit heures après avoir été arrêté en sortant de la salle Wagram (Paris 17e).

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L’existence de ces centres provoque la constitution d’un groupe d’activistes non violents dénonçant l’usage de la torture et le recours à l’internement : l’Action Civique Non-Violente (ACNV) qui est soutenue par différentes personnalités de cette époque. Le 20 avril 1960, elle se rassemble aux abords du château de Vincennes pour manifester contre le CIV. Voici ce qu’en rapporte Traore Quemeneur en 2008 dans Matériaux pour l’histoire de notre temps : « Après l’ordre de dispersion, les manifestants s’assoient par terre et sont chargés dans des cars de police. Ce sera peut-être la première fois qu’on verra deux membres de l’Institut, un Père dominicain, de grands professeurs voltiger les quatre fers en l’air dans le panier à salade. Les personnalités sont enfermées dans les sous-sols de la mairie du 11è arrondissement, avant d’être conduites devant la tombe d’un gardien de la paix récemment tué par le FLN. »
Enfin, le CIV est actif lors de la répression des manifestations pacifiques du 17 octobre 1961 initiées par le FLN, suite au couvre-feu prononcé deux semaines plus tôt par le préfet de police à l’encontre des algérien(ne)s. Cette initiative prend la forme de cortèges nocturnes regroupant des hommes, des femmes et des adolescent(e)s dans différents endroits de Paris : pont de Neuilly, place de l’Étoile, gare Saint-Lazare, Châtelet, République, Bonne Nouvelle, Opéra, boulevard Poissonnière, Concorde, Assemblée nationale, quartier Latin, boulevard Saint-Germain, quartier Saint-Michel.
D'autres Francilien(ne)s en sont donc témoins ce soir-là, les représentants des forces de l'ordre leur ordonnant de se taire et de circuler. La répression est violente : à différents endroits des manifestant(e)s sont retenu(es) assis(e)s sur le sol avec les mains sur la tête, sur les quais de métro d'autres sont violemment réprimé(e)s dès leur arrivée, contre les murs du cinéma le Max Linder (Paris 9e) des cadavres sont entassés sur le trottoir maculé de sang, aux abords de la Seine - que soit à Paris ou en banlieue ouest - des manifestant(e)s sont jeté(e)s dans le fleuve vivant(e)s, gravement blessé(e)s ou mort(e)s.
Les rétentions qui s’en suivent sont prolongées durant des semaines dans différents lieux, dont au CIV. Ainsi, le 6 novembre 1961, une commission de trois députés s’y présente sans prévenir et découvre que 1.500 algériens y sont toujours détenus depuis trois semaines, parqués à même le sol, sans avoir reçu de soins. Les hommes détenus au CIV suite à cette manifestation sont tous expulsés en Algérie, où ils sont alors contraints au silence à ce sujet, notamment par le FLN.
A Paris et en banlieue, le diktat du silence collectif, ainsi que la censure de la presse et du cinéma sont imposés à ce sujet. Néanmoins dès le jour suivant : le matin à Paris la

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rambarde intérieure du pont Saint-Michel est découverte avec le message peint "ici on noie les algériens", en matinée un rassemblement à l'appel de personnalités a lieu place de la Sorbonne, en fin de journée à Gennevilliers une manifestation populaire envahit les rues de la ville sans y croiser les forces de l'ordre, tandis qu'au même moment à Paris une manifestation appelée par des étudiant(e)s au départ de la place Clichy est bloquée par les forces de l'ordre.
Le 8 février 1962, la manifestation organisée à Paris et qui est réprimée à Charonne (Paris 11e) est très différente, car elle se fait à l'appel d'un syndicat, d'un parti politique et de plusieurs organisations de jeunesse : elle regroupe donc des hommes, des femmes et des adolescent(e)s qui sont français(e)s, dont la future cinéaste Coline Serreau qui a alors quinze ans. Pour autant, cette manifestation prévue de la place de la République à la place de la Bastille n'est pas autorisée non plus.
Du fait de cette interdiction, le syndicat et le parti politique forment leur cortège au niveau de la gare de Lyon. Il sillonne alors les rues du 11e arrondissement pour rejoindre la place de la République. Arrivé à Charonne, le cortège est bloqué par les forces de l'ordre où - sans sommation préalable - il est réprimé avec une très grande violence. Nous sommes en hiver et il fait déjà nuit. Dans la panique générale, plusieurs manifestant(e)s meurent après avoir chuté dans les escaliers de la station de métro, car des agents des forces de l'ordre s'emparent alors des grilles en fonte habillant les pieds des arbres et les jettent sur ces personnes depuis le niveau de la rue. Dans le même temps, le cortège des organisations de jeunesse s'est constitué directement place de la République, où les forces de l'ordre bloquent la manifestation.
Le 18 mars 1962, la signature des accords d’Evian déclarant l'indépendance de l'Algérie fait disparaître le CIV. En septembre 1962 la Ville de Paris récupère l'enclave militaire du bois de Vincennes et prévoit de détruire cette usine pour les Jeux Olympiques de 1968 qui ont finalement lieu à Mexico. En août 1970, le Théâtre du Soleil s'engouffre à la Cartoucherie.

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Parmi les personnes ayant permis de faire resurgir le CIV, à des périodes où les archives de l’État relatives à ces faits n’étaient que partiellement et assez difficilement consultables, il convient de mentionner : Jean-Luc Enaudi en 1991, l’auteur de ces lignes en 2001, ainsi que Linda Amiri en 2004.
Par ailleurs sur le plan théâtral durant la guerre d’indépendance de l’Algérie, l’homme de théâtre Jean-Marie Serreau, également fondateur du Théâtre de la Tempête à la Cartoucherie, met en scène la première pièce du poète et dramaturge Kateb Yacine qui est alors interdite de représentation en France : Le Cadavre encerclé, une tragédie en trois actes d'abord éditée en deux partie par la revue Esprit en 1954 et 1955, puis publiée par les éditions du Seuil en 1956.
C’est en Tunisie, aux Thermes d’Antonin (Carthage) en 1958, que sur l’invitation de Kateb Yacine la pièce est créée par un groupe d’étudiant(e)s tunisien(ne)s dirigé par Jean-Marie Serreau. Puis la même année, il la met en scène au Théâtre Molière (Bruxelles) avec des comédien(ne)s professionnel(le)s de diverses nationalités.
Enfin en 1959 à Paris, il en donne une lecture clandestine organisée avec les éditions du Seuil au Théâtre de Lutèce (Paris, 5e) où 300 personnes se massent dans une salle de 200 places.
A ce jour, Le Cadavre encerclé de Kateb Yacine demeure une pièce n’ayant toujours pas été créée sur une scène française.
Dans les années faisant suite à l’indépendance de l’Algérie, Jean-Marie Serreau crée deux autres pièces de Kateb Yacine : La Femme sauvage au Théâtre Récamier (Ligue de l’enseignement, Paris 5e) en 1963, puis Les Ancêtres redoublent de férocité dans la salle Gémier du Théâtre National Populaire (Paris 16e) en 1967.

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Enfin, les trajectoires de ces deux créateurs se rejoignent à nouveau en juin 1972.
C'est ainsi que l’Algérie revient à la Cartoucherie, mais dans ce qui est alors, sur l'initiative du Théâtre du Soleil, un ensemble théâtral en devenir.
Ce retour a lieu au Théâtre de la Tempête - ouvert depuis tout juste un an par Jean-Marie Serreau - avec Mohamed prends ta valise, pièce écrite et mise en scène par Kateb Yacine (Théâtre de la Mer, Alger), une oeuvre donnée en arabe dialectal ou en français en fonction du lieu de la représentation.
Qui aurait pu imaginer que ce lieu au passé si sombre deviendrait un jour le théâtre d’une parole si éclairante ?
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Antigone de Sophocle rendue annabienne par La Tendre Lenteur
Sébastien Kheroufi, metteur en scène de La Tendre Lenteur, a été formé à l’École Supérieure d’Art Dramatique de Paris. Il s’est engagé dans la création d’une trilogie dont Antigone de Sophocle est le premier volet. Son parti pris dramaturgique en fait une œuvre en résonnance avec son histoire personnelle.
Dans les années soixante, son père s’est exilé de l’Algérie vers la France avec l’espoir d’une vie meilleure, mais il a connu la vie en foyer Emmaüs, où notre jeune artiste a alors grandi. Aujourd’hui Sébastien Kheroufi perçoit Antigone comme une de ses tantes demeurant en Algérie pour y lutter et Ismène lui rappelle son père s’exilant pour la France.
Devenu comédien et metteur en scène, il veut faire un théâtre élitaire pour toutes et tous avec la méthode suivante : « Renoncer à notre héritage social, celui même qui me prédestinait à d’autres aventures de vie, loin des plateaux de théâtre. Ma recherche s’oriente autour de la question des origines, de l’identité, de la construction sociale et de notre capital culturel. Mon désir est d’interroger notre histoire commune. Je souhaite travailler sur des textes exigeants afin de les rendre désirables de toutes et tous."
Annaba est une ville de la province d'El-Tarf, dans le nord-est de l'Algérie : une antique cité berbère fondée dans un vallon méditerranéen s'étendant des pentes de l'Edough au golfe d'Annaba. Il y a toujours quelque chose de magique et de très juste à faire surgir la tragédie grecque dans le contexte de l’Afrique. Je n’ai jamais oublié Tilaï d’Idrissa Ouedraogo, un film sorti en 1990, dont le récit à tant d’accointances avec celui de Phèdre.
La Tendre Lenteur interprète délicieusement Antigone de Sophocle car cette troupe a la force de nous captiver. Par ce talent on retrouve le grand art des tragédies antiques, ces oeuvres où durant quelques heures on oublie absolument tout du monde réel.
Cette pièce touche aux thèmes de la loyauté, de la justice, de la résistance et du divin. Alors - sans même s’en rendre compte - on ne s’inquiète plus que de la radicalité d’Antigone et de la réaction des dieux. On demeure suspendu à la détermination de cette héroïne et à la compassion de sa sœur. On se méfie de la colère du roi Créon et de la constance de ces soldats.
Une représentation très forte, très juste, où le chœur chante notre chagrin tandis qu’il nous est impossible de retenir Antigone : « Ô tombeau, chambre nuptiale ! Retraite souterraine, ma prison à jamais ! En m'en allant vers vous, je m'en vais vers les miens… ». Le public est captivé, ému, songeur, bouleversé.
Oui je sais que c’est du jeune théâtre, j’ai déjà suffisamment croisé le fer à ce sujet à l’occasion de Mephisto par Les Barbares. Et donc disais-je, c’est du bon théâtre, du beau théâtre, ce genre d’art dramatique que Dominique Sarrazin avait résumé un jour de 1987 par cette formule : « J'aime le théâtre, je crois bien n'aimer que le théâtre - hésitant, fragile, adolescent à voix et corps d'hommes et de femmes... urgent. »
La scénographie tient dans un équilibre onirique rendu tangible : un sol rendu quasi minéral sous les rayonnements permanents de Hélios, côté jardin un grand puits offert par la bonté de Hydros, côté cour un arbre plié en deux par la colère de Zeus, tout au fond un horizon clair tel un immense parchemin où le coryphée viendrait écrire cette histoire.
Dans ce spectacle l’Algérie est effectivement chevillée au corps, musicalement et esthétiquement : chansons et mélodies interprétées à l’oud, djellabas brodées blanches ou rouges cintrées à la taille par des foulards aux couleurs vives, uniformes de lin et cheichs couleur sable.
Sébastien Kheroufi aime travailler de façon artisanale : « Je place l’humain au cœur de mes créations. Je travaille aussi de manière obsessionnelle sur le détail des choses et j’essaie d’apporter un soin sur tous les aspects du théâtre. Je ne voulais aucune technique, aucun micro, aucun son enregistré. Nous avons aussi créé ce spectacle en fonction du lieu et de l’histoire du festival. Pour moi c’était important d’aller à l’essence même du théâtre et de l’héritage du Théâtre du Soleil. Je trouvais ça beau de ne pas aller à l’encontre de la salle, mais d’aller dans son sens, dans son histoire. C’était important pour moi. »
C’est aussi un spectacle musical et de forme chorale, un spectacle multilingue également grâce à son chœur fabuleux, qui est exclusivement composé de femmes. On entend ainsi par moments de l’arabe, de l’italien, du baoulé (Côte d’Ivoire), du wolof (Sénégal) et du bassá (Cameroun).
Du théâtre physique, dramatique et poétique, où les interprètes donnent une force tellurique à ces personnages dont on perçoit alors si fortement qu’ils existeront toujours, ce qui a aussi conduit le metteur en scène à choisir cette pièce : « La puissance de Sophocle est d’avoir une parole qui traverse les temps, qui sera encore là après nous et même au-delà des frontières que nous avons installées. »
Il en résulte des images théâtrales très fortes : chœur attentif et suspendu, mais aussi chantant et agissant ; Antigone superbe et résolue, se tenant sur scène telle une incarnation de la justice ; soldats disciplinés et stricts, que nul n'oserait défier ; Ismène fragile et jeune, à la sororité inconditionnelle ; Créon assuré et enjoué, puis plié en deux par la douleur du chagrin ; l'aveugle Tirésias entrant sur scène en fauteuil roulant poussé par une enfant.
A l’issue de la représentation, alors que je termine de m’entretenir avec Sébastien Kheroufi, il me dit encore : « On est allé au-delà de l’Algérie car on ne voulait pas enfermer ce spectacle dans une histoire essentiellement familiale en créant quelque chose d’autocentré. Le point de départ était algérien, mais ce qui m’intéressait c’était d’ouvrir. D’ailleurs mon histoire paternelle n’est pas unique, toutes les femmes qui sont dans le chœur ont quitté leur pays pour des raisons diverses et variées. Elles ont toutes l’exil en elles. »
Ce spectacle se joue encore six fois jusqu’au 1er juillet et vous auriez grand tort de vous en priver.
Joël Cramesnil
BILLETTERIE ICI ou par mail billetterie@festival-depart-d-incendies.com
Le Festival de Troupes, Départs d'Incendies au Théâtre du Soleil, se déroule à la Cartoucherie (Paris 12e) qui se trouve ici.
Le 3 juin j’étais donc allé à la découverte de Mephisto par Les Barbares une création inflammable qui se joue encore jusqu'au 14 juin.

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