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Billet de blog 8 juillet 2025

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Le « créole » de J.-L. Mélenchon – Echos de linguistes du blog Mediapart…

Avec les linguistes atterrées, j'apprends que J.-L. Mélenchon n'est pas un linguiste. Admettons. Qu'il instrumentalise une notion de linguistique pour sa communication. Admettons. Que son contresens plus ou moins conscient servirait aussi une réflexion de fond, constructive, sur des dimensions négligées de la langue française. Là, le ridicule tue... La gauche.

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Réaction au billet des linguistes atterrées : https://blogs.mediapart.fr/les-linguistes-atterrees/blog/260625/melenchon-et-le-francais-langue-creole-decryptage

Avant tout, de même que J.-L. Mélenchon n’est pas linguiste, les linguistes ne sont pas non plus historiens. Certes, au présent, le français est parlé par de nombreux peuples, avec de nombreuses variantes. Certes également, la langue a évolué ; m'étant penché la semaine dernière sur des manuscrits du XVe siècle, je ne saurais contredire cet argument. Mais peut-être m'expliquera-t-on ici que les chroniqueurs de Saint Denis étaient Togolais, que Jean Froissart écrivait pour le roi des Belges, que Martial d'Auvergne venait du Québec... Quant à Montaigne, c'était sans doute un Amazone et Rabelais... Rabelais... Un démon. Jean Calvin, dont la précision des argumentaires a tant fait pour façonner l'esprit français ; lui a sans doute commencé à prêcher dans le désert vers Bab-el-Oued. Ses principaux contradicteurs, les Jésuites, ont surtout délivré leur enseignement au Japon et à la cour de Chine, principaux fronts dans la lutte contre le protestantisme, comme chacun sait...

Bref, il existe un lien étroit entre le nom de la langue et celui du peuple qui la parle à l'origine. Le latin vient du Latium ; complètement déconnant, non ?! Le français vient d'Île de France, né du croisement entre le parler des Francs et le latin ecclésiastique. Si les Bretons, les Picards ou les Occitans avaient dominé la Francia Occidentalis après le IXe siècle, peut-être leur langue aurait-elle subjugué les autres dans nos frontières, avant de s'exporter. L'histoire en a voulu autrement. De nos jours, les africanistes ne rédigent presque pas une page sans évoquer les « groupes ethnolinguistiques », tant ces unités de base font sens au-delà des Etats ; lesquels commencent tout de même à susciter des sentiments d’appartenance…

Langue et peuple sont indissociables. Si un peuple ne supporte pas de pratiquer une langue d’importation, ça le regarde, libre à lui de la redéfinir ; surtout s’il juge que sa pratique a fortement divergé. En contrepartie, la France peut redéfinir les facilités qu’elle accorde aux naturalisations des immigrés de pays où le Français est langue maternelle ( https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F34717 ).

Quoi qu’il en soit, quand un responsable politique, longtemps élu des Français, rejette la dénomination de leur langue par leur peuple, il ne renie pas uniquement un foyer civilisationnel : il entreprend de fracasser ( achever ? ) une communauté linguistique et politique en flétrissant le nom de ceux qu’il prétend représenter un jour.

La langue fait partie de ces réalités sociales qui n’existent qu’en tension entre l’individu et la communauté. Deux personnes peuvent parler ensemble sans avoir une pratique identique de la langue. Chacun personnalise son expression dans un cadre commun qui permet l’entente. Réciproquement, à partir du moment où ils ne peuvent plus se comprendre, il s’agit de deux langues de facto différentes, quand bien même elles auraient une racine commune. D’autres réalités sociales peuvent être abordées sous cet angle ; par exemple la religion et, mieux encore ( car les moyens d’observation sont très performants ), la génétique avec la notion d’espèce. Oui, même si aucun individu ne correspond à un quelconque archétype de l’espèce, cette communauté de reproduction peut voir certaines branches de l’évolution diverger de manière à ce qu’elles sortent de l’espèce.

Souvent, en matière de sciences sociales, les personnes ne saisissent les enjeux que lorsqu'ils sont rapportés à leur échelle individuelle. Petite analogie fictive, toute ressemblance avec le débat actuel n'étant pas fortuite...

Imaginons que J.L. Mélenchon, ou toute autre personnalité briguant les pouvoirs d'Etat, se penche sur nos noms de famille. Après tout, durant l'antiquité romaine, les tria nomina désignaient tout un chacun. Elles se composaient du praenomen, ou prénom ( Caius ) ; du nomen, gentilice équivalent du nom de famille ( Iulius ) ; et du cognomen, ou surnom ( Caesar ). 

Ce politique averti pourrait ainsi donner un coup de pied dans la fourmilière en disant que nos noms de famille sont des outrances patriarcales, et que d'ailleurs l'absence de choix des parents pour leur descendance crée des noms à rallonges qui reflètent le foisonnement généalogique de leur porteur. Il deviendrait ainsi plus égalitaire et conforme à l'individualisme moderne de ne retenir que le praenomen et le cognomen ; un peu à la mode médiévale : "Guillaume le Conquérant", "Charles le Mauvais"... Dès lors, en vue de dévitaliser le nom de famille, cette abominable marque d'une domination insoutenable et injuste, il faudrait imposer un nom de famille unique, tellement plus adapté aux réalités de la copulation : "Bâtard".

Bref, "Bâtards de tous les pays, unissez-vous !". Beau slogan politique, n'est-ce pas ? Dès lors, toutes sortes de réactionnaires attachés à leur nom de famille monteraient au créneau. Ils seraient à juste titre, cela va de soi, dénoncés comme des néo-fascistes. 

Là, des généticiens atterrés se fendraient d'un billet pour clarifier le débat en deux temps. Premièrement, l'imbroglio génétique révélé par ce génie politique. Deuxièmement, le mésusage d'un terme emprunté au champ culturel plutôt que scientifique. 

En effet, toute personne ayant le même nom de famille que son arrière-grand-père n'est pas son clone. Incroyable. Qui plus est, parfois, ce vieux fourbe a semé sa petite graine à tous vents, de sorte qu'entre ceux qui ont été reconnus comme descendants effectifs et ceux qui ne l'ont pas été, certains porteraient ce patronyme, d'autres non. N'est-il pas terrible que tous ne portent pas le même nom ? Qu’ils ne puissent afficher une proximité identique au lignage légitimé par les institutions et par l'usage ? Bref, le nom de famille est une vision tronquée et injuste de l'effervescence de la génétique ; surtout en période de baby boum, parce que depuis... 

En revanche, le nom de substitution, "Bâtard", désignait initialement l'enfant né hors mariage, illégitime. Les théories racistes dix-neuviémistes et ultérieures ont également infléchi l'acception de ce terme pour insulter les métis. Bref, ce n'est pas un concept de génétique, et nos généticiens atterrés seraient affligés par cette approximation. Mais au fond, ne serait-ce pas une cause juste, de nommer tous les Français "Bâtards" ? 

Reprenons le fil, revenons au réel, aux choses sérieuses. J.-L. Mélenchon verse dans un négationnisme en niant de la sorte le lien historique entre les peuples de France et le français. Peut-être faut-il imputer cela à une forme de sénilité dévorée par l'ambition. Ne dit-on pas des carriéristes qu'ils vendraient leur propre mère ? La sienne était institutrice. N’a-t-elle jamais imaginé enseigner le "créole" au Maroc, puis dans les campagnes de métropole ? 

La dernière personnalité politique que je connaisse, qui ait de la sorte outragé les Français, c'était un certain P. Laval. Venu de la gauche anti-communiste, il a lancé : « Je souhaite la victoire de l’Allemagne, parce que, sans elle, le bolchevisme, demain, s’installerait partout. » ( «Allocution radiodiffusée du 22 juin 1942», Les Nouveaux Temps, 24 juin 1942 ).

Cet homme d'Etat a vendu la France à l'ennemi, et son châtiment a été exemplaire. Un J-L Mélenchon ne sert pas actuellement l’Etat, mais son égo. Lui et tant d'autres n'envisagent même pas de la vendre, cette France, car ils la démonétisent en la reléguant ouvertement dans l’innommable, au sens propre. Ils ne lui reconnaissent qu'avec peine le droit d'exister, à condition que tout ce qui puisse faire sa substance soit... Comment dit-on déjà ? Déconstruit ? Certains pourraient considérer que le pavé créole jeté dans la mare du français n’est qu’une énième entreprise de déconstruction de la nation française.

Un pas est cependant franchi. S’agissant de l’histoire nationale, le débat ne porte pas sur son existence, mais sur les manières de l’écrire et de l’enseigner ( Cf https://blogs.mediapart.fr/jrm-morel/blog/271024/deconstruire-le-roman-national-ou-refonder-une-histoire-de-france-populaire ). Ici, c’est la simple dénomination d’une langue par son peuple d’origine qui est récusée. A l’heure où on reconnaît aux Ukrainiens qu’ils se battent pour sauver leur identité, que leur culture est l’enjeu ultime de leur survie politique et collective ; voici qu’un chef de parti français envisage d’effacer le nom « français » de la langue née et pratiquée en France.

Pour conclure, J. Cagé et T. Piketti défendent l'idée ( dans leur monumentale Histoire du conflit politique, 2024 ) qu'un programme économique de gauche pourrait réconcilier les bourgs et les tours ; terminologie empruntée ici à F. Ruffin, au soir du second tour des législatives 2024. Cette focalisation sur l’économie est du macronisme bis. Leurs préconisations économiques sont sans doute différentes, mais la perspective est la même : ignorer totalement les questions culturelles. Comme si les citoyens votaient uniquement selon leur estomac…

Les saillies d'un J-L. Mélenchon rendent assurément toute conciliation impossible et ne peuvent satisfaire que des sectaires, y compris sur un objet ayant vocation de permettre l'échange et le partage : la langue française. Une impasse totale, intellectuelle, politique, mais surtout humaine.

  J. Morel

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