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Billet de blog 29 août 2025

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Bientôt dix ans de fuite en avant… Vers le mur ?

La perspective de chute du gouvernement plane sur cette rentrée politique. Comme une volée de moineaux ou de charognards, les acteurs et commentateurs de cette actualité piaillent et croassent leur amour et leur détestation du pouvoir en place. Comme d’habitude, cette vie de cour obscène fait étalage de postures superficielles, mais occulte les enjeux. Place au contexte.

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Les mieux placés dans l’éventualité d’élections anticipées versent dans la surenchère. Néanmoins, leurs appuis populaires restent étriqués. Si on les jauge par leurs électorats, ces partis sont des nains au pays des pygmées, des nuls qui surplombent des minables ( https://www.youtube.com/watch?v=r_hEvnBnh-s ). Des spécialistes ont vu une opportunité dans la crise ouverte depuis un an ( https://www.youtube.com/watch?v=FW88-N2A_5A ). Pour rappel, elle a été déclenchée au prétexte ridicule d’une élection ayant mobilisé à peine 50 % de l’électorat. Quoi qu'il en ait été, toutes les occasions ont été manquées. Cette fois, c’est la tâche annuelle d’adopter un budget, dans un contexte certes difficile, qui pourrait déstabiliser l’Etat. Pour retrouver un cap politique, voici se pavaner les mêmes chefs de meute, qui singent les mêmes affectations partisanes et braillent les mêmes slogans. Le contexte révèle à quel point ce personnel politico-médiatique peine à dominer la vague que tous voient poindre et qui s’apprête à déferler.

A propos de fuites en avant, on peut commodément débuter en 2017, même si elle reproduit le schéma antérieur et récurrent d'un pseudo état de grâce. Il provient du petit monde courtisan parisien qui s’exhibe dans les médias de masse, avec quelques fortes têtes alors assommées par la défaite, beaucoup de fous du roi, énormément de carriéristes. La fable qui était alors ressassée au peuple souverain, c’était le surgissement de Jupiter, si grandiose que de Gaulle devait être issu de sa cuisse.

Chaque début de mandat donne à voir un tel bal des courtisans, où la frénésie gesticulatoire des victorieux occupe le devant de la scène, tandis que les vaincus cuvent leur échec dans leur coin. Ces élites occupent alors l’espace médiatique que leur vanité revendique. Dans la foulée de cette première inflation communicationnelle est survenue une fièvre mégalomane ( presque ) inédite, ponctuée des plus fameuses macronades. Il n’est pas ici question de psychologie de comptoir. Tout au plus faut-il retenir de cette période que l’exécutif bénéficiait de conditions propices aux réformes, dont la plupart des effets peuvent désormais se mesurer en vue d’en dresser le bilan critique.

Fuites en avant successives.

Avec les commissions parlementaires sur l’affaire Benalla, nous entrons peu-à-peu dans le vif du sujet. C’est alors toute la Macronie qui se jette à plat ventre pour offrir une voie à son champion éponyme, lequel lance dans un accès de toute puissance saluée par les applaudissements de ses ministres ( sans doute lucides sur la portée de la bévue ) : « Qu’ils viennent me chercher ! ». S’ensuivent une série de crises explosives qui engagent désormais tout l’appareil d’Etat et la nation. La gestion des gilets jaunes inaugure la politique du chéquier et des promesses démocratiques non tenues. Avec le Coronavirus, la fuite en avant sécuritaire ramène opportunément l’ordre, et le chéquier sert à nouveau de remède miracle, ou plutôt d’opium du peuple. Le jeu de chaises musicales pour les municipales puis Matignon accentue le virage technocratique du macronisme, les énarques étant presque systématiquement préférés aux élus pour les postes stratégiques.

La réforme des retraites amène une autre série de violences de rue tandis que, progressivement, la majorité macroniste s’étiole ; et le gouvernement de s’engager tête baissée dans les expédients institutionnels qui préfigurent l’avalanche de 49.3 et d’instrumentalisations de la Constitution. Quand le monde agricole s’embrase, puis les banlieues, le chéquier flambe. La guerre en Ukraine a des répercussions plus profondes. Tandis que les médias s’emballent niaisement sur de prétendues psychopathologies de V. Poutine, l’Etat macroniste s’engouffre dans la course mondiale aux armements. S’ouvre alors l’ère des réformes au pas de charge, sans réel débat ni vote. L’hystérie politique s’accentue, et le président de la République semble avoir voulu la crever par la dissolution comme un affreux abcès.

La fermeture des horizons atteignables par la voie légale.

Des experts ont considéré que cette nouvelle assemblée, législature 2024, pouvait être la matrice d’un parlementarisme français réinventé. Echec. Celui-ci serait principalement imputable au présidentialisme des élus ; et à une mauvaise compréhension des causes structurelles du fait minoritaire. Pour ma part, j’ai avancé ( le plus tôt possible : https://www.youtube.com/watch?v=lx0bO6KLak0 ) que les conditions étaient réunies pour une refondation de nos institutions. Notre intelligentsia a jugé opportun d’offrir une loi constitutionnelle stérile à l’activisme féministe ( https://blogs.mediapart.fr/jrm-morel/blog/210125/constitutionnalisation-de-l-ivg-vers-un-feminisme-ideologie-d-etat ), mais ne voit pas la nécessité de rétablir un contrat social autour d'une citoyenneté à réinventer. Gouverner n’est plus prévoir, mais calculer des coupes budgétaires par-ci, des voix de députés par-là. Présider la France, c’est devenu l’affaire d’une sorte de super boutiquier à la tête d’une coopérative dysfonctionnelle.

Il faut le rappeler et répéter : quand un gouvernement tombe sur un budget, il n’est pas contrecarré dans ses ambitions pour la nation, mais désavoué sur le b.a.-ba de la vie de l’Etat. C’est le niveau 0 de l’administration d’un peuple. Seules des nullités ne trouvent rien d’autre pour faire leur miel. Le Premier ministre demande-t-il la confiance de l’Assemblée nationale ? Des commentateurs de la communication politique, plutôt que de l’action, voient dans cette démarche une manière de partir la tête haute. Quand toute une caste politico-médiatique se rabaisse au niveau de gibiers de potence, avoir le cou qui dépasse aide uniquement à enfiler le nœud coulant.

Or, tous les indicateurs alertent sur une mobilisation populaire le 10 septembre, et potentiellement un énième cycle de violences de rue. Ultime fuite en avant, que de programmer deux jours avant, le 8, un vote de défiance ? Le problème n’est pas la chute du gouvernement, mais le rebond de l’Etat et de la nation. Depuis un an, des ballons d’essai sont régulièrement lancés dans les médias au sujet du recours à l’article 16 de la Constitution. Cela présuppose non pas seulement le verrouillage budgétaire de l’Etat, joint à l’impuissance des plus hautes institutions, mais implique l’enlisement du pays dans le chaos. Obtenir un succès individuel sur l’échec collectif, c’est le péché originel du macronisme.

Et une nouvelle dissolution dans tout cela ? En renvoyant les Français aux urnes, nous verrions de nouveau des candidats demander les suffrages des électeurs, cela sans avoir engagé la moindre réflexion sérieuse sur la citoyenneté du XXIe siècle. En imaginant que les actuels députés soient inéligibles à leur succession, comme en 1791, un renouvellement serait certes contraint, mais le problème de fond subsisterait, intact. La légitimité de chaque élu repose sur une citoyenneté qui est devenue un néant existentiel et juridique. Peut-être déconnectés dans leur quotidien, nos représentants sont sans le moindre doute en apesanteur institutionnelle. Du point de vue du citoyen, voter pour des candidats inaptes à le définir, donc à le défendre et représenter, c’est scier la branche sur laquelle il est assis, dont les ramifications remontent à la Révolution.

Pourquoi parler citoyenneté ?

C’est durant cette période que le droit fondamental de résistance à l’oppression a été formulé dans la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen. A ceux qui ne voient pas pourquoi restaurer une définition constitutionnelle de la citoyenneté, on peut arguer sur les principes fondamentaux. Dans ce domaine, une telle refonte du droit limiterait les légitimations de la violence politique. Quand l’abstention gangrène toute la démocratie représentative, quand le débat politique s’enferme dans des termes, voire des postures, inaptes à traiter les priorités du moment ; quand enfin et surtout la loi peut de moins en moins prétendre exprimer la volonté générale, l’oppression commence à être juridiquement caractérisée.

Mais de manière plus prosaïque, il faut comprendre qu’en 1958, il n’apparaissait pas utile de définir le citoyen. Certes, les institutions tertio-républicaines qui avaient servi de matrice aux citoyens soldats d’antan donnaient des signes d’inadéquation à la nouvelle ère qui s’ouvrait. Cependant, les héritages subsistants permettaient l’implicite dans les mentions constitutionnelles des citoyens. La suspension de la loi Jourdan-Delbrel a attesté le vide conceptuel de la citoyenneté quinto-républicaine. Des bricolages ont été tentés, par exemple à travers la citoyenneté européenne, mais rien de très convaincant dans la gestion des masses. Cette citoyenneté transnationale fantasmée par les élites cosmopolites parisiennes reste engluée dans le slogan politique, le marché de dupes.

S’agissant de la tripolarisation qui s’enkyste dans notre pays, il est navrant de constater qu’à aucun moment nos éminences médiatiques n’ont vu qu’elle procède d’une lecture identitaire des phénomènes de société. A l’extrême droite identitaire de la majorité introuvable répond une extrême gauche identitaire de toutes les minorités possibles et imaginables. Dans ce bras de fer idéologique, le centre est moins l’arbitre que le ventre mou, identitaire de la carte nationale d’identité. Cette politisation des identités au détriment de l’action publique va totalement à l’encontre de notre culture républicaine ; elle pourrait d’ailleurs constituer un signe supplémentaire de la dégénérescence d’une nation devenue ignare de son histoire.

Il se trouve que tous les débats de société actuels peuvent se décliner en termes de citoyenneté, et laissent deviner un clivage gauche droite sur cette question de fond. Cette incapacité intellectuelle à le voir, ou l’absence de courage politique pour l’assumer, empêche de poser et résoudre les problèmes politiques dans un sens non seulement républicain, mais encore efficace. Par exemple, la Sécu ne rencontre guère d’objections dans ses principes, mais dans sa gestion au profit de « mauvais citoyens ». Il en va de même pour l’institution judiciaire et on pourrait en dire autant de la violence policière. Peu de personne remettent en cause le monopole par l’Etat de la violence légitime ; sans cela, il reviendrait aux criminels, ou alors il faudrait institutionnaliser l’autodéfense citoyenne. Néanmoins, l’usage de la force à l’encontre de « bons citoyens » apparaît inadmissible.

« Mauvais citoyen », « bon citoyen »… A l’heure actuelle, cela relève de la fantaisie de chacun, car le droit est inapte à définir le citoyen, dans un authentique contrat de droits et devoirs qui lui seraient spécifiques. Plus il se dédifférencie de l’administré, plus la sujétion de tous à l’administration centrale se renforce. Ce processus est tellement avancé que c’est probablement la raison ultime de l’absence de redéfinition constitutionnelle de la citoyenneté. Collectivement, nous sommes tant et si bien immergés dans un débat politico-médiatique vicié, comme les poissons d’un aquarium à l’eau croupie, que nous n’avons plus conscience de baigner dans nos miasmes. Quand bien même la révélation surviendrait, prendrions-nous collectivement le risque de changer cette atmosphère polluée à laquelle tient notre survie ?

Il faut bien mesurer qu’une telle réforme constitutionnelle n’aurait absolument pas l’absence de portée de la précédente. En effet, l’inscription de la liberté de recourir à l’IVG renvoie ses modalités d’application à une loi ordinaire, la loi Veil en l’occurrence, et elle concerne somme toute des situations limitées. A l’inverse, définir le citoyen dans la constitution engage une relecture totale de l’ensemble de notre droit civil, pénal, voire institutionnel. Il s’agirait authentiquement d’une refondation républicaine. Sans doute l’incapacité d’en mesurer l’impact économique limite-t-elle les investigations de nos administrateurs dans ce sens ; mais l’ampleur de la tâche serait d’une autre envergure que la dernière réunion opportuniste du Parlement en Congrès.

Qui pour piloter la sortie de crise ?

Lorsqu’il m’a été donné de porter dans l’espace public cette idée, c’était au moment des négociations ayant abouti à la nomination du gouvernement Barnier ; idée reprise et précisée par étapes : https://blogs.mediapart.fr/jrm-morel/blog/150325/singularisations-et-citoyennete-quelle-loi-expression-de-la-volonte-generale... La configuration institutionnelle était, sur le papier, idéale pour amorcer cette petite « opération Résurrection ». Un Premier ministre au faîte de sa carrière, un parti laminé électoralement mais tenant le Sénat tout en pouvant composer avec la présidence de la République et le Conseil constitutionnel. Miser sur l’audace pour survivre était le choix le plus rationnel… Mais le plus pusillanime l’a emporté et ce processus n’a pas été amorcé. M. Barnier a manié le bâton budgétaire sans la carotte institutionnelle. Il s’est effondré, cela sans que son successeur n’en ait retenu la leçon.

Bien sûr, s’agissant d’institutions, on peut se demander s’il vaut mieux une assemblée représentative, au risque de n’avancer que par des consensus mous, ou une assemblée majoritaire, au risque d’un relatif arbitraire. La solution ne se trouve pas en théorie, mais dans la qualité de nos représentants. Ce n’est pas tant leur noblesse et leur hauteur d’âme, ou de vue, qui a fait l’actualité ; plutôt leur vilenie. Même si de belles individualités peuvent occasionnellement percer et faire sourdre un peu d’espoir ; en tant que classe politique, l’échec programmé du 8 septembre est l'échec de tous, une sorte d’ascenseur vers l’échafaud.

En définitive, entre absence d’intelligence sociale, d’ambition nationale et de courage politique, de nombreuses raisons incitent nos politiciens à laisser dégénérer la situation, à fuir en avant, toujours plus vite, toujours de manière plus irrémédiable.

J. Morel.

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