Les traitements médicamenteux contre la maladie d’Alzheimer sont au nombre de quatre en France (rivastigmine, donépézil, galantamine et mémantine). Il s’agit de molécules ayant un effet symptomatique, c’est-à-dire que leur action s’exerce contre les signes de la maladie (déclin des fonctions supérieures et troubles du comportement) sans pouvoir guérir la maladie. A ce jour, il n’y a pas encore de traitement curable, de nombreux travaux de recherche sont en cours. Ces traitements symptomatiques sont prescrits au terme d’une démarche diagnostique rigoureuse avec une première prescription par le médecin spécialiste de la consultation mémoire, structure où l’on fait le diagnostic (Rôle des centres et consultations mémoire). Le renouvellement du traitement se fait par le médecin généraliste et la réévaluation de sa poursuite par le médecin traitant et le médecin de la consultation mémoire en étroite collaboration. Ces molécules ont des effets indésirables (comme tous les traitements) bien connus (troubles du rythme cardiaque, nausée, diarrhée…) que l’on prévient en ne prescrivant pas en cas de contre-indication cardiaque, en adaptant la posologie progressivement et surtout en expliquant au patient et à son entourage les effets attendus et les signes à surveiller. Le coût annuel de ces traitements et de l’ordre de 90 millions d’euros.
Des traitements jugés abusivement dangereux
La Commission de Transparence de la Haute Autorité de Santé (HAS) a rendu son verdict en 2016 concernant ces traitements : « service médical rendu insuffisant pour justifier leur remboursement » (1). Dans ce même communiqué de presse, il est mentionné « l’existence d’effets indésirables potentiellement graves » faisant même dire à l’ancien président de la Commission de la Transparence qu’ « Ils ont sûrement plus tué de patients qu’ils n’ont jamais aidé la mémoire d’autres ». Ce qui est une sentence brutale, définitive et grave. Toutefois, tout cela est contredit par les données de pharmacovigilance. En France, une fois les médicaments mis sur le marché, en cas d’effets indésirables graves repérés, ceux-ci doivent être communiqués aux Centres Régionaux de Pharmacovigilance par le professionnel de santé ayant détecté ces effets. Ces centres doivent faire remonter l’information à l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) qui a pour mission de prendre les mesures nécessaires en cas de dangerosité d’un médicament (2). Or, aucun signal de dangerosité n’émane de cette instance, les données de pharmacovigilance ne vont absolument pas dans le sens de la prise de position de la Commission de la Transparence. Si les traitements sont employés en tenant compte des précautions d’emploi, l’argument du péril grave ne tient pas.
Des arguments scientifiques balayés
La question de l’efficacité de ces thérapeutiques est ancienne et a fait l’objet de nombreux travaux. A l’heure actuelle, les différents résultats plaident pour un effet positif, certes modeste, de ces traitements à condition qu’ils soient intégrés à un plan de soins global médicamenteux et non médicamenteux et personnalisé. Celui-ci vient de faire l’objet d’un guide parcours édité par la HAS (3). Ces médicaments ne se conçoivent, et ne sont conçus en pratique médicale quotidienne, qu’en association avec toutes les autres mesures (thérapies non médicamenteuses, aides humaines et matérielles, suivi du patient et de son aidant, mise en lien avec des associations…). L’étude DOMINO, n’impliquant aucune firme pharmaceutique, avait montré l’efficacité sur le long terme du donépézil (évolution ralentie des patients traités) et à son arrêt une augmentation de mise en institution dans les 12 premiers mois suivant cet arrêt (4). Le NICE (équivalent anglais de la HAS) conclue dans son rapport de 2011 à une efficacité de ces molécules (5). Ces traitements ont aussi un effet et donc une utilité importante dans la démence de la maladie de Parkinson, la rivastigmine étant remboursée dans cette indication, et dans une maladie très proche, la maladie à corps de Lewy. Dans ces deux pathologies, l’utilisation de ces traitements permet, outre de ralentir la dégradation des fonctions cognitives, d’éviter des traitements beaucoup plus lourds en termes d’effets indésirables comme les médicaments neuroleptiques. Une méta-analyse récente, c’est-à-dire une analyse reprenant un nombre importants d’études, retrouve une efficacité des traitements symptomatiques dans les maladies d’Alzheimer et apparentées et surtout dans la maladie de Parkinson et la maladie à corps de Lewy (6). Visiblement, l’ensemble de ces arguments scientifiques, objectifs et fondés sur les preuves ne semblent pas avoir pesé dans la décision de la Commission de la Transparence et du ministère de la Santé.
Un discours obscurantiste plus audible
Le principal pourfendeur, en tout cas le plus médiatique et médiatisé, dont le titre de Professeur des Universités tient lieu de caution scientifique et d’autorité, le Pr Olivier Saint-Jean, mène une guerre depuis longtemps contre ces traitements. Désormais, il va jusqu’à nier l’existence même de la maladie d’Alzheimer dans son dernier ouvrage qui tient plus du pamphlet obscurantiste que d'un texte de vulgarisation scientifique (7). Faisant fi de tous les travaux de recherche, il avance cette idée rétrograde de l’inexistence de la maladie d’Alzheimer. Celle-ci serait un vieillissement physiologique du cerveau. Avec un tour de passe-passe aberrant, il renvoie les formes jeunes de ces maladies à un vieillissement accéléré et passe sous silence les formes génétiques pures, certes rares mais avec un gène connu. Ce livre ne comprend aucune citation scientifique rigoureuse. On y lit les idées personnelles d’un personnage guidé par la reconnaissance du public faute de celle de ses pairs, aux liens d’intérêts médiatiques et dont le discours obscurantiste simpliste, donc facilement audible, nous replonge dans les époques reculées de la « démence sénile » et de la médecine contemplative. Difficile de faire entendre une autre parole dans ce contexte comme en témoignent les différents communiqués de presse peu repris de la communauté scientifique comme l’Association Vaincre Alzheimer (8), les sociétés savantes impliquées (9) et de l’association de malades et d’aidants France Alzheimer (10).
Conséquences du déremboursement
Il est à craindre dans ce contexte une défiance quant à l’intérêt de faire un diagnostic de maladie d’Alzheimer ou apparentée. En effet, dans un pays dont l’imaginaire est encore colonisé par une vision pasteurienne de la médecine (un symptôme-une maladie-un traitement), inadaptée face à l’épidémie des maladies chroniques, l’absence annoncée, avant toute démarche diagnostique, de traitement médicamenteux risque d’entrainer une chute des consultations mémoire. Tous les enjeux bénéfiques du diagnostic décrits dans un précédent billet (Alzheimer : les enjeux du diagnostic) seront possiblement occultés par ce sentiment d’inutilité de se lancer dans un diagnostic : à quoi bon savoir s’il n’y a pas de médicament ?
Un nombre important de patients bénéficient à l’heure actuelle de ces thérapeutiques dont le coût mensuel, de l’ordre de 30 euros, ne sera pas couvert par l’Assurance Maladie. Devront-ils assumer seuls ce coût ? Ceux qui ne pourront pas et pour lesquels les troubles cognitifs se sont stabilisés ou alors pour lesquels les troubles du comportement ont régressé devront-ils arrêter ? Le risque est de remplacer dans ce dernier cas ces molécules par des traitements beaucoup plus lourds et avec des effets indésirables plus importants comme les neuroleptiques. L’état d’équilibre obtenu pour nombre de ces patients risque d’être rompu dès lors que le traitement sera arrêté. Il est vrai néanmoins qu’il est difficile de prévoir quel patient est susceptible de tirer le plus de bénéfices de ces traitements. C’est l’enjeu d’une vaste étude nationale qui devait démarrer dans les prochaines semaines. Du fait du déremboursement, celle-ci ne pourra vraisemblablement avoir lieu.
Dans ces conditions, une analyse scientifique rigoureuse, des travaux à mener et un débat plus équilibré seraient plus judicieux que l’interruption simple et définitive du remboursement des traitements symptomatiques de la maladie d’Alzheimer.
En outre, si l'injonction de limiter les dépenses de santé prime avant tout, pourquoi l'Assurance Maladie doit-elle continuer à prendre en charge l'homéopathie ou les cures thermales qui ne reposent sur aucun fondement scientifique ?
Références et liens :
- https://www.has-sante.fr/portail/jcms/c_2679466/fr/medicaments-de-la-maladie-d-alzheimer-un-interet-medical-insuffisant-pour-justifier-leur-prise-en-charge-par-la-solidarite-nationale
- http://ansm.sante.fr/Declarer-un-effet-indesirable/Pharmacovigilance/Organisation-de-la-pharmacovigilance-nationale/(offset)/0
- https://www.has-sante.fr/portail/jcms/c_2851144/fr/patients-presentant-un-trouble-neurocognitif-associe-a-la-maladie-d-alzheimer-ou-a-une-maladie-apparentee
- Howard R, et al. "Nursing home placement in the Donepezil and Memantine in Moderate to Severe Alzheimer's Disease (DOMINO-AD) trial: secondary and post-hoc analyses". Lancet Neurol. 2015 Dec;14(12):1171-81.
- https://www.nice.org.uk/guidance/ta217
- Knight R et al. A Systematic Review and Meta-Analysis of the Effectiveness of Acetylcholinesterase Inhibitors and Memantine in Treating the Cognitive Symptoms of Dementia.Dement Geriatr Cogn Disord 2018;45:131–151
- Olivier Saint-Jean et Eric Favereau. Alzheimer, le grand leurre. Michalon. 2018
- https://www.vaincrealzheimer.org/2018/05/31/deremboursement-medicaments-symptomatiques/
- https://sfgg.org/actualites/communique-de-presse-officiel-le-deremboursement-des-medicaments-contre-la-maladie-dazheimer-juin-2018/
- https://www.francealzheimer.org/deremboursement-des-medicaments-anti-alzheimer-et-apres/