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Billet de blog 9 novembre 2021

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[COP26] Engagements climatiques : qu'en pensent les scientifiques présents ?

En cette période de COP26 (qui a débuté la semaine dernière à Glasgow), troisième article d'une petite série quant à ce sujet d'actualité. Au-delà des décideurs politiques et autre lobbyistes présents, il y a aussi des scientifiques ! Que pensent-ils des différents engagements annoncés jusque-là ? Comme précédemment, l'article original (en anglais) est à retrouver à la toute fin de ce billet.

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Les premiers jours COP26 ont été marqués par une avalanche d'annonces de la part de dirigeants mondiaux promettant de lutter contre le changement climatique, qu'il s'agisse de plans visant à supprimer progressivement le financement public des centrales au charbon ou d'un engagement à mettre fin à la déforestation. Cette année, de nombreux grands noms - dont le président américain Joe Biden et le Premier ministre indien Narendra Modi - ont assisté aux deux premiers jours de la conférence pour faire de grandes annonces.

Cette situation est différente de ce qui s'est passé lors de la plupart des précédents sommets de la COP, explique Beth Martin, spécialiste des négociations sur le climat et membre du réseau RINGO (Research and Independent Non-Governmental Organizations), autorisé à observer les négociations lors de la COP26. En général, les personnalités les plus en vue ne sont pas présentes pendant la première semaine, mais arrivent vers la fin de la réunion pour aider à aplanir les différences à temps pour une déclaration commune et pour l'obligatoire "photo de famille de l'ONU". Mais que pensent les chercheurs des engagements pris jusqu'à présent, alors que les négociateurs et lobbyistes de quelque 200 pays se préparent à entamer des discussions plus détaillées...

Émissions de méthane

L'une des principales avancées de la première semaine a été un accord visant à réduire les émissions de méthane, un puissant gaz à effet de serre dont l'impact sur le climat n'est surpassé que par celui du dioxyde de carbone. Mené par les États-Unis et l'Union européenne, l'accord mondial sur le méthane vise à réduire les émissions de méthane de 30 % d'ici à 2030 et a été signé par plus de 100 pays.

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Du méthane brûle dans une exploitation pétrolifère...Parmi les principaux engagements pris jusqu'à présent à la COP26 figure un accord visant à réduire les émissions de méthane de 30 % d'ici à 2030. © Orjan F. Ellingvag/Corbis via Getty

"Évidemment, en tant que scientifique, vous diriez : "Eh bien, une réduction de 50% des émissions de méthane d'ici 2030 serait encore mieux", mais c'est un bon début", déclare Tim Lenton, qui dirige le Global Systems Institute (Université d'Exeter, Royaume-Uni). "C'est un levier supplémentaire qui pourrait vraiment nous aider à limiter le réchauffement".

Des recherches ont montré1 que la réduction des émissions de méthane à l'aide des technologies existantes pourrait permettre de raser jusqu'à 0,5 °C des températures mondiales d'ici 2100. Comme pour le dioxyde de carbone, cependant, la limitation des émissions de méthane ne se fera pas toute seule.

Son programme climatique étant confronté à des difficultés au Congrès, Joe Biden a fait du méthane une pièce maîtresse de ses engagements à Glasgow en annonçant une nouvelle réglementation visant à réduire les émissions de méthane provenant de l'industrie pétrolière et gazière. Proposée cette semaine par l'Agence américaine pour la protection de l'environnement, cette réglementation obligerait les entreprises à réduire les émissions de méthane de leurs installations de 74 % au cours de la prochaine décennie, par rapport aux niveaux de 2005. Si elle est mise en œuvre telle qu'elle est proposée, elle pourrait empêcher le rejet de quelque 37 millions de tonnes de méthane d'ici à 2035, ce qui équivaut à plus que les émissions annuelles de carbone des flottes de véhicules particuliers et d'avions commerciaux du pays.

L'objectif zéro émission de l'Inde

Après avoir retardé de plus d'un an les mises à jour attendues des engagements climatiques de l'Inde, Narendra Modi a capté l'attention du monde entier au début du sommet en annonçant que son pays chercherait à atteindre des émissions nettes nulles d'ici 2070. Cette échéance est postérieure de plusieurs dizaines d'années à celle de nombreux autres pays qui ont pris des engagements en ce sens, et l'on ne sait toujours pas si l'Inde s'engage à réduire uniquement les émissions de dioxyde de carbone ou la catégorie plus large des émissions de gaz à effet de serre. Mais les scientifiques estiment que cette annonce pourrait constituer une avancée significative si l'Inde s'y tient.

"Nous sommes vraiment pris par surprise : c'est beaucoup plus que ce que nous nous attendions à entendre", déclare Ulka Kelkar, économiste dirigeant le programme climatique indien pour le World Resources Institute (groupe de réflexion sur l'environnement).

De nombreux scientifiques restent sceptiques quant aux engagements de réduction nette des émissions de gaz à effet de serre au milieu du siècle, en partie parce qu'il est facile de faire des promesses à long terme, mais difficile de prendre les décisions difficiles à court terme qui sont nécessaires pour tenir ces engagements. Mais l'engagement de l'Inde comprend des objectifs mesurables à court terme, tels que la promesse de fournir 50 % de l'électricité du pays grâce à des ressources renouvelables et de réduire les émissions de carbone prévues d'un milliard de tonnes de dioxyde de carbone d'ici 2030.

Des questions subsistent quant à la manière dont ces objectifs seront définis et mesurés, mais les modèles indiquent qu'il y a 50 % de chances que ces promesses de réduction nette zéro puissent limiter le réchauffement climatique à 2 °C ou moins, si elles sont pleinement mises en œuvre par tous les pays.

Quid de l'argent pour le climat ?

Cette semaine, parmi une cascade d'annonces relatives au financement de la lutte contre le changement climatique, plus de 450 organisations du secteur financier - dont des banques, des gestionnaires de fonds et des compagnies d'assurance - dans 45 pays se sont engagées à transférer 130 000 milliards de dollars de fonds sous leur contrôle dans des investissements où le bénéficiaire s'est engagé à ne produire aucune émission nette d'ici 2050.

Les institutions qui s'engagent, qui font partie de la Glasgow Financial Alliance for Net Zero, n'ont pas encore spécifié d'objectifs intermédiaires ou de calendriers pour atteindre cet objectif. Le 1er novembre, le secrétaire général de l'ONU, António Guterres, a annoncé qu'un groupe d'experts indépendants se réunirait pour proposer des normes pour ces engagements d'émissions nettes zéro.

Les gouvernements ont également annoncé de nouveaux investissements dans les technologies propres. Et plus de 40 pays, dont le Royaume-Uni, la Pologne, la Corée du Sud et le Vietnam, se sont engagés à éliminer progressivement l'énergie au charbon dans les années 2030 (pour les grandes économies) ou 2040 (à l'échelle mondiale), et à mettre fin au financement public de nouvelles centrales électriques au charbon.

"Tout cela est significatif", déclare Cristián Samper, écologue et président de la Wildlife Conservation Society à New York. "L'implication du secteur financier et des ministres des finances et de l'énergie" dans la réunion "change la donne".

Toutefois, les annonces ont été éclipsées par l'incapacité des gouvernements à respecter l'engagement pris en 2009 de fournir 100 milliards de dollars par an en financement climatique pour les pays à revenu faible et intermédiaire d'ici 2020. Les rapports suggèrent qu'il faudra encore deux ans pour atteindre cet objectif, et qu'environ 70 % du financement sera fourni sous forme de prêts.

"Nous avons tous supposé qu'il s'agirait de financements sous forme de subventions. Nous n'avons pas prêté attention aux petits caractères et ne nous attendions pas à ce que les pays développés se cachent derrière des prêts", déclare l'économiste spécialiste du climat Tariq Banuri, ancien directeur du développement durable aux Nations unies.

Mettre fin à la déforestation

Plus de 130 pays se sont engagés à stopper et à inverser la perte de forêts et la dégradation des sols d'ici à 2030. Les signataires, dont le Brésil, la République démocratique du Congo et l'Indonésie, abritent 90 % des forêts de la planète.

Ce n'est pas le premier engagement de ce type : la Déclaration de New York sur les forêts de 2014, signée par une large coalition de près de 200 pays, gouvernements régionaux, entreprises, groupes autochtones et autres, appelait à réduire de moitié la déforestation d'ici 2020 et à "s'efforcer" d'y mettre fin d'ici 2030.

Les Nations unies se sont également engagées depuis longtemps à ralentir et, à terme, à inverser la perte de biodiversité. Mais cet objectif n'est toujours pas atteint et il n'y a pas de suivi officiel. Selon les chercheurs, il est peu probable que le dernier objectif soit atteint sans mécanisme d'application.

Par ailleurs, un groupe de pays à haut revenu s'est engagé à consacrer 12 milliards de dollars de fonds publics à la protection des forêts entre 2021 et 2025, mais n'a pas précisé comment ces fonds seront fournis... Une déclaration du groupe, qui comprend le Canada, les États-Unis, le Royaume-Uni et les pays de l'UE, indique que les gouvernements "travailleront en étroite collaboration avec le secteur privé" afin de "mobiliser des fonds vitaux auprès de sources privées pour apporter des changements à grande échelle". Cela laisse entendre que le financement sera probablement dominé par les prêts.

 Cristián Samper estime toutefois qu'il y a des raisons d'être optimiste. Peu de COP précédentes sur le climat ont discuté de la nature et des forêts à l'échelle de ce qui se passe actuellement à Glasgow. Dans le passé, si la biodiversité était mentionnée lors d'une réunion sur le climat, "c'était comme si les Martiens avaient débarqué", dit-il, car la biodiversité et le climat sont traités comme des défis distincts par les Nations unies. "Nous n'avons jamais vu autant d'attention. Cela pourrait être un point de pivot".

La version originale de cet article est disponible en anglais ici.

Pour les autres articles concernant la COP26 :
[COP26] La promesse non-tenue des 100 milliards de dollars de financement du climat
[COP26] Pourquoi les aides aux énergies fossiles sont si difficiles à supprimer ?
[COP26] L'absence de justice climatique rend furieux les architectes de la COP26
 

Référence bibliographique :

  1. Ocko, I. B. et al. Environ. Res. Lett. 16, 054042 (2021).

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