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Billet de blog 19 avril 2022

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« Papa, il se passe quoi si l'on s'abstient dimanche prochain ? »

Mes enfants, ne vous y trompez pas. Le vote auquel notre famille se doit de participer n’est pas un vote sur un programme, une personne, ni même un vote sur un projet politique.

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Ah, mes chers enfants, vous doutez, alors que la dernière fois, la famille a voté Macron sans hésitation ! Seriez-vous pris du mal du pays profond, la tentation de la bombe à fragmentation ? Foutu pour foutu, tout dynamiter pour voir ce qu’il sortira des débris ?

Pour beaucoup de français, un nouveau quinquennat de Macron est promesse de plus de précarité pour mieux se faire exploiter, de chantage cynique à l’argent, parfois violent, comme celui exercé sur les petits salariés pour les forcer à se vacciner. Il y a également la façon brutale dont le Président a exercé le pouvoir. Il est pétrit de l’assurance du bon élève qui a nécessairement raison. Il ne dialogue jamais vraiment, puisque ce qu’il vise systématiquement, c’est avoir le dernier le mot pour poursuivre coûte que coûte sur la voie qu’il a tracé. Pour beaucoup d’entre nous, avoir la suffisance du président sortant dans son bulletin de vote, comme un lapin au bout du fusil, est jouissif.

Mes enfants, ne vous y trompez pas. Le vote auquel notre famille se doit de participer n’est pas un vote sur un programme, une personne, ni même un vote sur un projet politique. C’est un vote sur l’identité française. C’est cela qui est en jeu. À titre d’exemple pour que vous mesuriez la portée de ce que cela signifie, Marine Le Pen veut interdire les professions régaliennes aux binationaux. Cela fait un paquet d’emplois publics, et revient à instituer au sein de la République une distinction entre « vrais français » et « autres français ». De fait, deux conceptions de l’identité française s’affrontent. Dans la plupart des pays au monde, l’identité nationale se transmet par la filiation, donc par le biais du droit du sang. Les racines du pays, du moins en Europe, se confondent alors avec une langue, une religion et une couleur de peau. La France fait exception pour deux raisons. Elle est un carrefour traversé en tous sens à toutes époques par des visiteurs qui y ont fait souche, nonobstant qu’elle a généreusement exporté son patrimoine génétique aux quatre coins du globe avec le commerce, l’esclavage et la colonisation. À cela s’ajoute la Révolution française, qui a institué le droit du sol, qui veut que tout enfant né et grandi en France est français. Ce principe, adossé à la Déclaration universelle des droits de l’Homme (humains, dirait-on aujourd’hui), est un socle de la République. C’est lui qui fait qu’être français n’est pas une filiation, mais un concept. Remettre en cause le droit du sol est l’objectif numéro un de l’extrême-droite française, sa priorité absolue. 

Dans ce duel pour emporter la magistrature suprême, Emmanuel Macron incarne le camp républicain. L’ennui, c’est qu’en matière d’identité française, il n’est pas blanc-blanc, ou trop blanc-blanc, justement. Il a une tendance narcissique à se regarder dans le miroir de l’Histoire, mais pas n’importe laquelle, celle de la France éternelle. Il nous l’a étalé avec la scénographie de son investiture au Louvre, en 2017. L’homme seul marchant vers son destin dans une cour royale était plus proche de Louis XIV que de la Liberté guidant le peuple ! Plus grave, dans la pêche à l’électeur de droite qu’il mène quasiment depuis sa première élection, comment oublier sa volonté d’inscrire l’immigration comme thème de son grand débat national pour sortir de la crise des gilets jaunes, alors même que l’extrême-droite s’était cassée les dents dans sa tentative de faire déraper le mouvement en anti-migrant, malgré son activisme forcené sur les rond-points ? Il a fallu toute la fermeté du Premier ministre pour forcer le Président à rétropédaler. De façon plus subliminale et plus récente, son clip radiophonique de campagne pour le premier tour commence par une série de témoignages avec uniquement des prénoms « gaulois » et des accents « bien de chez nous ». Éric Zemmour aurait validé la bande-son. Quand on connaît le très haut niveau de professionnalisme des communicants qui s’occupent de « marketer » le produit «Macron", on sait que c’est un choix. Au soir du premier tour, toute la première partie de sa déclaration avant ses grandes envolées sur l’Europe, s’adresse en creux aux électeurs de Zemmour. Il n’y a pas d’incompatibilité à voter pour moi, leur fait-il comprendre.

Marine Le Pen a posé d’emblée le match comme une confrontation entre mondialistes et nationalistes, pour mieux décliner sur tous les tons le mot « protection », délivré avec des miaulements maternels. Elle a embrayé fort avec la démocratie, terrain sur lequel elle joue sur du velours. Elle rappelle avec délectation le peu de représentativité de l’Assemblée nationale, qui est pourtant le coeur du pouvoir en république, puisqu’en 2017, alors qu’elle a rassemblé prés d’un quart des français au premier tour et plus d’un tiers au second, le Rassemblement National n’a même pas eu assez de députés pour constituer un groupe parlementaire ! Concrètement, cela signifie que les députés RN ont été quasiment exclus du fonctionnement de l’Assemblée. Comment nier qu’il y a bien là un problème ? Quel comble que ce soit l’extrême-droite qui propose de faire sauter le verrou anti-démocratique du scrutin majoritaire qui a transformé toutes les assemblées de France et de Navarre en chambre d’enregistrement des décisions de l’exécutif, depuis les communes jusqu’à l’assemblée nationale, en passant par les Départements et les Régions ! On est un drôle de pays…

Marine nous pousse l’agréable chansonnette de la république sociale, tout en opérant un subtil glissement, puisque voter pour elle ne serait pas un vote raciste, mais xénophobe, rhabillé en patriote. La nuance est importante. Elle ouvre la porte du vote RN à tous les français colorés. Il y a évidemment les antillais qui ont voté massivement pour Mélenchon, chez qui Le Pen voit une belle réserve de voix. Et puis, elle doit parler à toute la France, si métissée que la publicité met en scène la famille française classique avec des grand-parents accompagnés de leurs petit-enfants blonds à la peau café au lait et aux cheveux crépus. Si le discours très anti-islamiste de la candidate d’extrême-droite peut rebuter des électrices et électeurs d’origine maghrébine et africaine, il peut aussi en séduire d’autres, y compris de confession musulmane, ou de catégories ainsi que de territoires réputées moins perméables aux thèses lepénistes, comme les enseignants et la Bretagne, par exemple.

Le Pen est toute en séduction, le président sortant peut mordre la poussière, le duel s’annonce serré, alors oui, nous devons voter Macron sans hésitation, ni aucune illusion, avec appréhension. Au soir de dimanche prochain, que l’oracle électorale désigne un président ou une présidente, nous ne serons pour autant qu’à la mi-temps du match. Les législatives suivront et il y a fort à parier qu’elle ne dégageront pas de majorité absolue, voire même l’impensable dans la 5ème République, de majorité tout court. La crainte, c’est qu’après cette campagne présidentielle tronquée, le centre de gravité de la vie politique ne parte encore plus à droite, avec ce que cela suppose de surenchère liberticide, de stigmatisation, de discrimination. Il en sera ainsi tant que le clivage sera celui qui fait prospérer Marine Le Pen, mondialistes contre nationalistes. À l’aune des deux grands défis que doit relever l’humanité, limiter le réchauffement climatique et stopper l’effondrement du vivant, Marine Le Pen et Emmanuel Macron partagent l’essentiel. Les deux sont des productivistes, croient au mythe de la croissance infinie qui repose sur des ressources finies, ne voient pas vraiment d’objection au gaspillage de la surconsommation, sont pour laisser des monceaux de déchets radioactifs aux générations futures. Les deux défendent une industrie agro-alimentaire qui nous empoisonne sous prétexte de nous nourrir, dont près de la moitié de la production finie à la poubelle, avec toutefois assez d’excédents pour que les invendus soient surgelés et revendus à bas prix dans les pays pauvres, ce qui met sur la paille les paysans locaux. L’envolée des cours du gaz et du pétrole révèle à quel point l’agro-alimentaire est surtout de l’agro-chimie, dont l’essentiel du prix repose sur les hydrocarbures dont il nous faut nous débarrasser. Macron comme Le Pen veulent encourager ce système qui produit de la sale bouffe à grande échelle. Bref, les deux sont à côté de la plaque sur l’enjeu du millénaire, l’écologie. Comment sortir de l’impasse ? En instituant un nouveau clivage, entre celles et ceux qui se moquent de détruire la planète et le vivant, et celles et ceux prêts à lutter pour les préserver. Avec les législatives, on aura l’occasion d’en reparler. 

Les épisodes précédents :

"Papa, va-t-on vers la guerre nucléaire ?"

"Papa, va-t-on se cailler les miches cet hivers ?"

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