Dubitatif mais curieux du résultat, j'ai eu l'opportunité de visionner l'émission intitulée « 7 milliards sur terre, quelles solutions pour vivre sans pétrole ? » du magazine Capital Terre de M6 qui sera diffusé le mercredi 7 septembre à 20h45. Mes attentes étaient limitées : comment M6, et une émission dérivée de son magazine phare Capital, peuvent-ils traiter de façon équilibrée une question aussi sensible et fondamentale pour l'avenir de nos sociétés qu'imaginer un avenir « sans-pétrole » ?
Pourtant la curiosité l'a emportée : après l'annonce du dépassement du pic pétrolier par l'Agence Internationale de l'Energie, alors qu'un formidable mouvement citoyen contre l'exploration et l'extraction des gaz et huiles de schiste a permis de mettre en débat cette nécessaire transition énergétique, ou encore après Fukushima, chacun sent sent bien que les lignes bougent et que les grands enjeux énergétiques ne sont plus la chasse gardée exclusive de quelques technocrates et ingénieurs des mines.
« Toujours plus loin et toujours plus profondément »
Le visionnage m'a plutôt surpris. Partant d'un constat de « disparition prochaine du pétrole » alors que 14 milliards de litres sont consommés chaque jour, le film rend compte des conséquences environnementales désastreuses que constituent les projets d'extraction de pétrole issu de schiste en Dakota du Nord, de sables bitumineux en Alberta ou de puits off-shore en grande profondeur. Le « toujours plus loin et toujours plus profondément » et cette quête effrénée de l'or noir, jusque dans les sous-sols de Seine-et-Marne, produisent de gigantesques marées noires, des émissions de polluants, des menaces pour l'environnement et la survie des populations. Sans oublier les conséquences climatiques d'une « consommation sans modération comme si le pétrole était une ressource inépuisable ».
L'exemple du Dakota du Nord est longuement analysé. Historiquement état pauvre des Etats-Unis, il est aujourd'hui un nouvel eldorado pétrolier. Avec 2600 puits déjà forés, et une multiplication par dix prévue en dix ans, cet état supporte une nouvelle ruée vers l'or noir. Pour certains propriétaires terriens, c'est « un véritable billet de loto gagnant ». Le chômage a disparu, les hôtels sont complets et les mobile-home s'entassent par centaines.
Le Dakota du Nord pollué par le pétrole de schiste
Mais le constat ne s'arrête pas là. Se rendant sur les lieux de forage, l'équipe de M6 filme une file interminable de camions citerne : 8 millions de litres d'eau, soit 3 piscines olympiques, et des dizaines de milliers de litres de produits toxiques, sont nécessaires à la fracturation hydraulique de chaque puits. Bien expliquée, cette fracturation est présentée comme une menace grave pour l'environnement et la santé - images de Gasland à l'appui - et son interdiction en France n'est pas raillée comme peuvent le faire d'autres médias proches des foreurs et entreprises gazières et pétrolières.
Interpellés, les foreurs, assénant qu'il « faut creuser jusqu'à ce qu'on trouve de quoi remplacer le pétrole », minimisent les conséquences sur l'environnement. Pas l'équipe de tournage qui précise que 80 % du liquide injecté remonte du puits et 6 nouveaux bassins de rétention d'eau pollués sont ouverts chaque jour dans la région, polluant par infiltration les terres avoisinantes. Les riverains sont victimes de problèmes de santé tandis que les relevés d'échantillons d'eau analysées indiquent la présence de nombreux produits toxiques : mercure, barium, chrome, etc. Réponse des industriels : réinjecter ces eaux à 1000 ou 1500 mètres de profondeur sans que personne ne sache ce que cette eau polluée va devenir dans le sous-sol.
Imaginer l'après-pétrole, une évidence pour M6
Interrogeant Toréador, des foreurs américains, des experts scientifiques et médicaux ou de simples habitants, le journaliste Guy Lagache - dont on peut reprocher la mise en scène personnelle tout au long du film - pointe les contradictions des uns et met en lumière les analyses scientifiques et/ou critiques des autres.
Bien sûr, on pourra regretter que certaines des critiques formulées par les opposants aux gaz et pétrole de schiste ne soient pas présentes. Mais le bilan est sans appel : la course effrénée à l'extraction de pétrole « toujours plus loin, toujours plus profond » est une voie sans issue, rendant absolument nécessaire une alternative. Et là, surprise, point de nucléaire ou d'agrocarburants pour venir résoudre le dilemme de l'après-pétrole.
Décevant sur les alternatives, M6 cherche le Graal technologique
Si la partie sur les solutions alternatives est (beaucoup ?) plus décevante, le développement des transports publics, les projets d'énergies renouvelables et l'amélioration de l'efficacité énergétique des logements occupe une place justifiée. Qui aurait méritée d'être présentée de manière plus critique. Les digesteurs d'eaux usées ou les incinérateurs de déchets de la ville de Stockholm, produisant respectivement du méthane pour les bus et de la chaleur pour le chauffage des bâtiments, ne sont pas sans conséquences néfastes sur l'environnement et les populations. Elles ne sont pourtant pas énoncées. L'exemple de la Suède et de la réduction de 25 % des émissions de gaz à effets de serre de Stockholm en 20 ans sont en effet utilisés pour marquer en contrepoint l'inaction française.
Plus largement, toutes les conséquences des constats établis sur la « fin de la société du pétrole » n'ont pas été tirées. Alors que « vivre sans pétrole » supposerait une réduction drastique de nos consommations énergétiques, cette évidence, récemment établie par un rapport du GIECi, n'est pas posée. Les scénarios de descente énergétique et de répartition égalitaire, dans le temps et l'espace, du peu d'énergies fossiles que nous pouvons nous permettre de consommer au regard des exigences climatiques et environnementales, ne sont pas mentionnés. Pas plus que les nécessaires prises en compte des exigences de justice sociale pour une transition énergétique faite de sobriété et d'efficacité qui nécessitera de transformer profondément les rapports sociaux actuels. Dès lors, l'enquête se transforme un peu en quête éperdue de la solution technologique miracle, notamment dans l'optique de faire rouler autant de bagnoles
Le lithium pour sauver l'industrie automobile ?
Ainsi en est-il de la fin du documentaire, portant sur l'extraction du lithium et de cette solution miracle supposée que serait la voiture électrique. Se rendant au Chili, en Argentine et en Bolivie, l'équipe de M6 est convaincue que le lithium est une matière première « vitale pour nos voitures du futur ». Que c'est « l'avenir ». Bon point, elle prend le temps de pointer les quantités importantes d'eau nécessaire à l'extraction de lithium des salars d'Atacama, de Salinas Grande ou d'Uyuni, dans des régions qui n'en disposent guère. Est également évoquée la volonté du gouvernement bolivien de ne pas laisser les multinationales et des industriels comme Bolloré s'accaparer une ressource au détriment de sa population, à l'inverse des innombrables exemples d'extraction actuels et passés de minéraux et matières premières en Amérique Latine.
Pourtant, convaincue d'avoir trouvé une partie du Graal énergétique, l'équipe de M6 ne s'interroge absolument pas sur l'origine de l'électricité nécessaire pour la recharge de ces batteries. Ni-même si notre planète dispose de suffisamment de lithium pour envisager cette substitution rapide entre le pétrole et l'électricité pour un parc automobile mondial comportant désormais plus d'un milliard de véhicules. A l'aune de la production actuelle de lithium et des réserves exploitables, les calculs montrent que cette substitution complète est techniquement impossible à court et moyen terme. C'est pourtant à court terme que les exigences climatiques nous imposent de réduire drastiquement notre consommation de pétrole et autres énergies fossiles.
« Vivre sans pétrole » nécessite de changer de paradigme
Conclure sur le fait que « l'ère de l'après-pétrole a commencé » mais sans être allé au bout des conséquences qu'imposent ces nouveaux défis nous laisse au milieu du gué. C'est mieux que se voiler la face. Mais insuffisant. Cette émission de M6, qui n'apporte que peu d'éléments pour penser et construire l'alternativeii, est néanmoins la preuve que des lignes bougent. Des sujets tabous comme notre avenir énergétique sont aujourd'hui sur la place publique. Débattons-en. Refusons que ce débat nous soit confisqué. Des pistes pour une véritable transition énergétique sont disponibles. La déclaration de Lézan fixe une feuille de route. Servons-nous en pour débattre et imposer de véritables solutions aux défis auxquels nous sommes confrontés.
Maxime Combes, membre d'Attac France et de l'Aitec, et engagé dans le projet Echo des Alternatives (www.alter-echos.org).
------
i http://www.ipcc.ch/news_and_events/docs/ipcc33/SRREN%20Press%20release%209%20May%202011%20-%20French.pdf
iiEt ce d'autant plus que l'émission a été « compensée carbone » comme si des émissions évitées dans un pays du Sud pouvaient compenser des émissions réelles, source de dérèglements climatiques réels.