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Billet de blog 13 juillet 2022

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Nommons cette nouvelle vague de chaleur « canicule Total Energies n°2 »

Les vagues de chaleur à plus de 40°C ne sont pas une fatalité. Elles vont même devenir plus nombreuses, plus longues et plus intenses. Les nommer, c'est montrer que le réchauffement climatique se conjugue ici et maintenant. Choisir le nom de « TotalEnergies » c'est montrer que les responsabilités sont différenciées et qu'il faut que la multinationale arrête d'alimenter la catastrophe climatique.

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Lors de la canicule du mois de juin 2022, de nombreux chercheurs et militants du climat ont proposé de nommer les vagues de chaleur, en s'inspirant de ce qui est fait pour les cyclones. Objectif : mieux identifier les phénomènes climatiques extrêmes pour mieux s'en rappeler et faciliter la compréhension des enjeux. Au milieu de ces nombreuses propositions (voir ici ou ici par exemple), plusieurs, dont moi via ce post Médiapart et ce thread twitter, ont suggéré de les nommer du nom des responsables du réchauffement climatique, en commençant par TotalEnergies et en lui accolant l'occurrence du phénomène. Ainsi, le nom "canicule Total Energies n°1" a-t-il commencé à être utilisé pour la vague de chaleur du mois de juin 2022, ainsi que repris dans plusieurs articles de presse

Illustration 1
Nommons la vague de chaleur "Canicule TotalEnergies n°2" ! © @MaximCombes

Avant d'expliciter pourquoi il est proposé de conserver le nom TotalEnergies (cette suggestion est aussi celle de BonPote) , précisons que cette nouvelle vague de chaleur pourrait approcher l'intensité de "la canicule de 2003, voire peut-être la dépasser", selon le climatologue Christophe Cassou : vers dix jours au-dessus de 35-40 °C? Pour le dire trivialement, si vous avez eu chaud au mois de juin, vous allez suer avec la vague de chaleur qui vient. Pour tout comprendre à son origine et à sa dynamique (intensité, durée, etc), lisez donc ce long thread explicatif de Christophe. Les climatologues sont formels : le réchauffement climatique, généré principalement par la combustion des énergies fossiles, augmente la fréquence, l'intensité et la durée des vagues de chaleur. Ce résultat, comme le montre le dernier rapport du GIEC, est très robuste.

Cette canicule va nous frapper alors que la situation est déjà critique :

  • les sols sont secs, les rivières asséchées
  • les feux de forêts et de culture se multiplient
  • les rendements agricoles sont en baisse
  • les glaciers fondent et s'effondrent
  • l'eau potable commence à manquer en certaines régions
  • etc etc

A l'échelle de notre siècle, la situation ne fait que se dégrader : alors que 44 vagues de chaleur ont été observées depuis 1947, à peine 9 ont eu lieu avant 1989. Les 35 autres, soit 80%, ont eu lieu depuis 1989 : on compte "3 fois plus de vagues de chaleur ces 30 dernières années que durant les 42 années précédentes" selon MétéoFrance. Cela ne devrait qu'empirer : selon une étude publiée par la revue Science en septembre 2021, les enfants nés en 2020 subiront 7 fois plus de vagues de chaleur, 2 fois plus de sécheresses et incendies de forêts, 3 fois plus d'inondations et mauvaises récoltes qu'une personne née en 1960. 

Pourquoi conserver le nom TotalEnergies plutôt que choisir un autre nom parmi les innombrables candidats (#Engie #BNPParibas #Renault #Stellantis #AirFrance pour les français, ou #Chevron #Exxon #Gazprom #Shell #BP à l'international) ?

D'abord, parce qu'il faut installer l'idée : donner aux vagues de chaleur le nom des responsables du réchauffement climatique nécessite de pratiquer l'art de la répétition. Nommer les responsables est une exigence du temps présent. Pire entreprise française en matière d'émissions de gaz à effet de serre, TotalEnergies est donc le meilleur véhicule pour tenter d'imposer cette idée dans l'espace public selon laquelle il faut donner aux vagues de chaleur, et peut-être à chaque catastrophe climatique, le nom des responsables du réchauffement climatique. Le chaos climatique n'est ni un accident ni une fatalité : les responsabilités sont inégalement partagées. 

Puisque nous devons supporter de plus en plus de phénomènes climatiques extrêmes, utilisons leur survenue pour marquer les esprits et organiser le débat public autour de la réponse à apporter face à l'urgence climatique. Il est temps de faire grandir la pression à la fois sur les pouvoirs publics et sur les entreprises qui refusent de transformer de fond en comble leur appareil productif. Nous sommes en effet confrontés à ce que j'ai appelé les double ciseaux de la catastrophe climatique : d'un côté les politiques climatiques que les pouvoirs publics devraient mener d'urgence sont toujours édulcorées, rendues inoffensives ou remises à plus tard ; de l'autre, les entreprises du secteur des énergies fossiles continuent d'explorer de nouveaux gisements, d'en exploiter plus et de refuser d'arrêter d'investir.

Puisque ce débat commence à se nouer à l'échelle française, voici un court et non exhaustif florilèges des raisons qui peuvent justifier d'appeler cette vague de chaleur "TotalEnergies n°2" (#TotalEnergies2 sur les réseaux sociaux) : 

  1. Parce que depuis la canicule Total Energies n°1, le PDG de TotalEnergies s'est rendu en jet privé aux Rencontres économiques d'Aix pour un débat sur le mix énergétique où il nous a demandé des efforts en matière de sobriété énergétique. Cet aller-retour Paris-Marseille en jet privé est sans doute anecdotique du point de vue des émissions mondiales de gaz à effet de serre mais tellement révélateur de ces élites qui continuent comme si de rien n'était et n'envisagent de baisse de consommation que pour les autres. Il y a deux semaines à peine, les PDG de TotalEnergies d'ENGIEgroup & d'EDF publiaient une tribune nous demandant de limiter notre consommation, alors qu'ils continuent, notamment les deux premières, d'investir dans les énergies fossiles
  2. Parce que TotalEnergies bénéficie du projet de loi #Pouvoirdachat qui l'autorise à installer un terminal gazier au Havre pour importer du gaz de schiste sans respect des règles environnementales
  3. Parce que TotalEnergies fait partie des 20 entreprises qui ont le plus contribué au réchauffement climatique depuis 1965
  4. Parce que TotalEnergies était au courant de l’impact "potentiellement catastrophique" de ses activités sur le climat dès 1971, et n'a cessé depuis de nier, fabriquer du doute et freiner les politiques climatiques
  5. Parce que TotalEnergies s'apprête à ouvrir l'équivalent de 18 centrales à charbon rien qu'avec les projets pétro-gaziers qu'elle a dans les cartons d'ici 2025, alors que l'AIE a montré qu'il ne fallait plus investir dans de nouveaux projets gaziers ou pétroliers
  6. Parce que TotalEnergies et son PDG Patrick Pouyanné viennent ainsi d'annoncer « un jour historique » pour qualifier leur engagement dans le plus grand projet de gaz naturel liquéfié du monde, au Qatar.
  7. Parce que TotalEnergies continue de consacrer, selon ses propres données, plus de 70% de ses investissements au pétrole et au gaz, alimentant le réchauffement climatique et les vagues de chaleur ;
  8. Parce que TotalEnergies profite de milliards d'euros d'aides publiques (aides COVID19, aides BCE, plans de relance, plan France2030, aide inflation) mais refuse de s'engager dans la reconversion de son appareil productif
  9. Parce que TotalEnergies refuse d'envisager de fermer ses infrastructures dans les énergies fossiles alors qu'une étude récente montre qu'il faudrait en fermer la moitié pour conserver une chance raisonnable de ne pas dépasser 1,5°C.
  10. Parce que TotalEnergies profite de l'envolé des prix de l'énergie pour amasser des profits, augmenter la rémunération de ses actionnaires plutôt que d'investir massivement dans la transition énergétique
  11. Parce que TotalEnergies veut construire le plus grand oléoduc chauffé au monde (1 443 km), qui menace de nombreuses réserves et aires protégées et les deux plus grandes réserves d’eau douce d’Afrique de l’Est, les lacs Victoria et Albert (projets Tilenga et EACOP).
  12. Parce que TotalEnergies refuse d'enclencher une politique climatique digne de ce nom et continue de tergiverser et remettre à plus tard sa reconversion industrielle et technique, préférant faire voter à ses actionnaires des plans de greenwashing.

(cette liste est non exhaustive)

Cette proposition nous semble la plus opérationnelle à court-terme. Y compris parce que cette proposition a été reprise au sein de l'hémicycle de l'Assemblée nationale par Julie Laernoes, député écologiste-NUPES. 

Puisque cette vague de chaleur intense devrait durer plusieurs jours, nous avons le temps d'installer cette idée et de marquer les esprits. Si cela fonctionne, nul doute que nous trouverons l'énergie, le temps et les moyens, avec toutes les autres bonnes volontés pour installer un processus plus participatif pour nommer les prochains phénomènes climatiques extrêmes auxquels nous allons nécessairement devoir faire face. 

A nous toutes et tous de jouer. 

A vite

Maxime Combes, économiste et auteur de Sortons de l'âge des fossiles ! Manifeste pour la transition (Seuil, 2015) et co-auteur de « Un pognon de dingue mais pour qui ? L’argent magique de la pandémie » (Seuil, 2022). 

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