Le député LFI Louis Boyard a déroulé le jeudi 9 février 2023 la liste des député-es ayant voté contre une proposition de loi présentée par le groupe socialiste et défendue par la Nupes visant à garantir aux étudiant-es un repas à un euros. Le scrutin était public et les noms sont accessibles sur le site de l'Assemblée nationale.
La députée Renaissance Anne-Laurence Petel commente cette initiative, banale en démocratie, en qualifiant Louis Boyard de « Dénonciateur : digne d'un Collabo. De 1940. » Elle compare donc la reproduction d'une information publique visant la transparence démocratique à la délation de personnes juives, rroms, communistes, résistantes, sous l'Occupation. Que des député-es de la majorité aient à assumer un vote équivaudrait selon elle au sort des 76 000 personnes juives de France déportées et exterminées
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Anne-Laurence Petel a supprimé son tweet en révélant des messages d'insultes ou de menaces de viol qu'elle a reçues et qui sont aussi injustifiables que son tweet. Elle n'a présenté aucune excuse pour sa référence qui piétine la mémoire des victimes.
Aucun cadre de Renaissance, du groupe parlementaire ou de l'exécutif n'a recadré la députée. Il faut dire que la majorité témoigne d'une tolérance certaine aux manipulations historiques et mémorielles sur cette période. Le 7 novembre 2018, Emmanuel Macron avait affirmé que Pétain « a été, pendant la Première Guerre mondiale, un grand soldat ». Bien qu'aucun historien ne confirme un tel jugement, le polémiste Raphaël Enthoven avait soutenu ce jugement. En janvier 2018, on apprenait que Charles Maurras apparaissait dans le registre officiel des commémorations pour l'année. Parmi les innombrables raisons qui auraient dû empêcher la nomination de Gérald Darmanin à un gouvernement censé faire barrage à l'extrême-droite, on compte un tweet de juillet 2012 refusant de reconnaître la responsabilité de la France dans la rafle du Vel d'Hiv. En juillet 2022, l'hommage du ministre, ancien compagnon de route de l'Action française, attribue cette même rafle à la « barbarie nazie » et à la seule « police de Vichy ».

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Le tweet d'Anne-Laurence Petel s'inscrit donc dans le contexte politique d'une majorité favorable au confusionnisme historique et mémoriel. Il s'inscrit aussi dans un usage réactionnaire très fréquent de ce type de référence.
Déjà en 1989, comme nous le rappelions avec d'autres enseignant-es, « lors de la première "affaire du foulard islamique" à Creil, quand le ministre de l'Éducation Lionel Jospin demandait au Conseil d'État un avis juridique sur l'exclusion de collégiennes voilées, cinq polémistes réactionnaires hurlaient avec d'autres à la lâcheté politique en parlant de "Munich de la République". Ces personnalités insultent au passage la mémoire des victimes de deux crimes contre l'humanité et en relativisent la gravité. Par de telles outrances, prononcées publiquement, elles compliquent notre rôle quand nous abordons l'esclavage et le nazisme avec nos élèves, dans les cours d'histoire, de littérature, de philosophie, d'éducation civique, de langues, d'histoire des arts. Nous abordons ces questions dans leur complexité : la recherche des causes et le respect des victimes, la singularité de chaque événement et leur inscription dans une histoire longue, le regard souvent distancié qu'impose la recherche historique et le jugement moral, politique, que les témoins, ou la postérité, ont imposé. Parmi les questions les plus délicates, la question du sens à donner aujourd'hui à de tels crimes et des interprétations différentes est sans doute la plus complexe. Cette complexité vole en éclats sous le coup des outrances d'Élisabeth Badinter et de ses pair-es : le nazisme et l'esclavage ne sont plus que des prétextes à disqualifier la parole de personnes avec qui on est en désaccord. Doit-on indiquer ici que nous prévenons nos élèves contre la violence de tels procédés quand ils et elles en abusent en classe ? »
La référence peut s'inverser et viser les victimes des crimes nazis et de Vichy. On pense par exemple à l'extrême-droite anti-vaccins et ses relais, comme l'humoriste Jean-Marie Bigard, qui ont comparé le Pass sanitaire à l'étoile jaune. En juillet 2021, Joseph Szwarc, l'un des derniers rescapés de la rafle du Vel d'Hiv, déclarait : « Vous ne pouvez pas vous imaginer à quel point cela m’a ému, les larmes me sont venues. Cette comparaison est odieuse. (…) Je l’ai portée l’étoile, moi, je sais ce que c’est, je l’ai dans ma chair encore. »
Mais l'amalgame n'épargne pas non plus ceux qui se réclament de la raison et de l'esprit critique. Le mardi 23 août 2022, le présentateur Mac Lesggy commente des mesures écologistes contraignant les plus riches en ces termes : « Quand ils ont interdit les jets privés, je n’ai rien dit. Puis ils ont interdit les piscines privées, je n’ai rien dit. Puis les maisons à la campagne, je n’ai rien dit. Puis … » Mac Lesggy détourne un poème du pasteur Martin Niemöller, dont il existe plusieurs versions : « Quand ils sont venus chercher les communistes, je n'ai rien dit parce que je n'étais pas communiste […] Quand ils sont venus chercher les juifs, je n'ai rien dit parce que je n'étais pas juif. Puis ils sont venus me chercher, et il ne restait plus personne pour me défendre. » Ce texte se veut une dénonciation de la lâcheté des intellectuels et des religieux allemands face à la montée du nazisme et à la répression contre divers groupes de la population, dont les personnes juives. En le dévoyant, Mac Lesggy assimile donc les propriétaires de jets privés ou de piscines visés par des mesures restrictives défendues au nom de l'urgence climatique aux populations ciblées par les nazis au nom d'une politique raciale. Europe Écologie Les Verts, un parti de gauche et d'opposition, est assimilé aux nazis quand ils sont au pouvoir. Le génocide des juifs d'Europe devient l'interdiction d'avions privés ou de piscine.