Mérôme Jardin (avatar)

Mérôme Jardin

Abonné·e de Mediapart

220 Billets

2 Éditions

Billet de blog 14 octobre 2017

Mérôme Jardin (avatar)

Mérôme Jardin

Abonné·e de Mediapart

Charlie Hebdo sécularise la lesbophobie (3/3) : les dessins

Dernière partie de l'analyse du dossier sur la PMA publié par Charlie Hebdo le septembre dernier : un oubli sur Testart, deux brefs textes et les dessins sont décryptés.

Mérôme Jardin (avatar)

Mérôme Jardin

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

La première partie de l'analyse s'intéressait à une vue d'ensemble du magazine et à la tribune de Gérard Biard. La deuxième décryptait l'entretien avec Jacques Testart.

Un oubli sur Testart

L'entretien de Testart est si riche en inepties que j'ai oublié d'en analyser une, pourtant conséquente.

Interrogé sur ce qu'il pense du « droit à l'enfant » par Biard, qui ne prend aucun recul avec le concept forgé par la Manif pour tous, Testart répond : « Déjà, sur le désir d'enfant, qui est quelque chose de communément accepté, je m'interroge. On peut admettre que, depuis la généralisation de la contraception et la légalisation de l'IVG, s'il y a un enfant mis à part dans des cas relativement rares, c'est qu'il était voulu, qu'il y a bien ce qu'on peut appeler un désir. Mais en ce qui nous concerne, vous comme moi, qui sommes nés avant tout ça, nous sommes pour la plupart d'entre nous, le fruit d'un accident. Donc, le désir d'enfant... »

Ainsi donc, le désir d'enfant ne serait pas un concept totalement légitime, suscite des interrogations, du fait même des progrès de l'accès à la contraception et à l'avortement. C'est bien sûr nier qu'il y ait eu des pratiques contraceptives et des avortements avant leur légalisation : c'est donc une falsification de l'histoire des femmes. C'est aussi nier qu'un enfant peut arriver par « accident » et être ensuite désiré.

C'est, à l'inverse, une falsifications des données actuelles que de dire que les grossesses non désirées sont « des cas particulièrement rares ». Selon un rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) de 2009, un tiers des grossesses survenant en France n'était pas prévue. Manque de fiabilité des méthodes contraceptives, erreur d'utilisation, problème d'accès : les explications ne manquent pas.

L' « expertise » de Testart est un étalage de préjugés sans rigueur, un déversement grossier d'opinions mal dégrossies – comme si la vie, la sexualité, les projets familiaux des femmes ne méritaient pas mieux que cette paresse intellectuelle en acte.

Le courrier d'un lecteur

Passons maintenant aux autres textes du magazine consacré à la PMA.

Un courrier représente la ligne éditoriale de la rédaction par le processus indirect de la sélection qu'elle fait dans les messages qui lui parviennent, et dans l'extrait qu'elle sélectionne. Page 10, la lettre retenue par Charlie Hebdo à propos de la PMA ne se positionne pas sur la réforme elle-même, l'auteurRICE insistant sur son ignorance du sujet. Le courrier s'étonne que le ministre de l'intétieur Gérard Collomb ait hiérarchisé, voire opposé, PMA et lutte contre le chômage : « Donc tant qu'il y aura des chômeurs, il n'y aura pas de PMA. Un procédé déclinable à l'infini. L'euthanasie ? On s'y intéressera quand la France ne sera plus endettée. (...) Pourquoi faire croire que l'État n'est pas capable de faire deux choses – deux réformes – en même temps ? »

Le courrier est bienvenu car il offre une réponse à un argument entendu assez couramment, y compris par des allié-es des droits des LGBTI+ : la hiérarchie des causes. Cela dit, ce n'est pas suffisant pour compenser la lesbophobie du dossier de Charlie Hebdo puisque le courrier ne se positionne pas pour, et que l'argument qu'il démonte n'est pas utilisé par Biard1 ou Testart.

La brève

Une brève de la dernière page complète le rédactionnel. Elle se veut comique. Citons-la pour en goûter l'humour : « La PMA pour toutes les femmes en 2018. Elles pourront avoir un enfant toutes seules et le torcher jusqu'à ses 18 ans, toutes seules aussi. »

L'humour semble ici reposer sur l'annonce d'une réforme annoncée comme progressiste, l'ouverture de la PMA, et la conséquence présentée comme une régression : une femme devant s'occuper seule de ses enfants. Autre forme d'humour, « élever ses enfants » est réduit à « torcher », ce qui permet de rigoler à s'en éclater la panse quand on écrit « torcher jusqu'à ses 18 ans ».

Comme l'indique une étude de l'INSEE en 2013, déjà citée dans le deuxième volet de mon analyse, les femmes n'ont pas attendu la PMA pour élever leurs enfants seule :

Illustration 1

La différence, c'est que les femmes ayant recours à la PMA auront choisi cette situation, et que les hommes ne la leur auront pas imposée. De quoi susciter l'ironie machiste de Charlie Hebdo, en effet.

Les illustrations de l'interview

Les dessins sont une part importante du contenu de Charlie Hebdo. Huit d'entre eux, tous de Coco, illustrent les trois pages de l'entretien avec Testart et occupent un peu plus de la moitié des pages.

Comme je l'ai déjà indiqué dans la première partie de cette analyse, seul un d'entre eux (et de toutes les caricatures consacrées à la PMA) représente un couple de femmes. Aucun ne montre de famille homoparentale. Aucun ne valorise les revendications lesbiennes sur le sujet.

Si on enlève le portrait du biologiste, ce sont donc sept dessins que l'on peut difficilement interpréter séparément, tant ils semblent se répondre les uns aux autres, et surtout au catastrophisme lesbophobe de l'entretien. Même les dessins qui feraient gentiment sourire peuvent difficilement être séparés de leur contexte, tant la mise en page favorise les dessins les plus violents à l'égard des revendications LGBT+.

Il en est ainsi d'une première illustration, parmi les plus petites, qui représente une cigogne portant dans son bac un sac avec un bébé et sous sa plume un dossier marqué CV sous son ail. L'air dépité, elle affirme « Et me voilà à pointer à Pôle Emploi ». Sur un carton, on peut lire : « FIV, GPA, PMA ». Si on met de côté l'amalgame PMA-GPA (qui traverse autant les illustrations que l'entretien), le dessin peut faire sourire. Mais en lien avec le texte et l'autre dessin (voir ci-dessous), celui d'une femme-usine, il peut aussi participer au discours anxiogène de Testart : auparavant, la cigogne servait à expliquer l'origine des enfants et éviter la sexualité. Maintenant qu'on « fabrique les enfants comme des objets » que va-t-on leur dire ?

Illustration 2
Un dessin de Coco

Deux autres dessins des pages 8 et 9 pourraient aussi faire sourire. Sur l'un, une immense éprouvette, dont le bas se termine en fesse d'hommes, pénètre une femme nue allongée sur un lit et qui demande, l'air ennuyé : « Alors ? Ça vient? ». Sur l'autre, deux femmes faisant l'amour sont surpris par un homme dont la visage est barré. L'une d'elle s'écrie « Ciel !! Mon donneur de sperme ! ». On peut s'amuser de ces remises au goût de l'actualité de clichés de vaudeville (un homme qui ennuie sa femme au lit, un couple surpris par le mari). Mais on peut aussi noter que ces dessins participent pleinement à nourrir les inquiétudes dont témoignent Testart et la Manif pour tous sur « la PMA sans père ».

La multiplicité des interprétations des ces deux dessins tend donc à se réduire, à la fois à cause du texte qu'ils illustrent, mais aussi à cause des autres caricatures, qui dominent les pages. Ainsi en est-il des deux dessins qui s'imposent lorsqu'on pose les yeux sur l'entretien. Le début de l'interview est dominé par une caricature immense s'étalant sur la moitié de la page. Une femme allongée, comme si elle allait accoucher, souffre comme l'indique la couleur de son visage. Le bas de son ventre se prolonge en usine, d'où s'échappe une fumée et d'où partent des drones fururistes portant des caisses marquées bébés. Au cas où son lectorat ne comprenne pas, Coco a pris soin de tracer une flèche entre la sortie de l'usine et les hélicoptères : les bébés sortent en masse de cette femme-usine.

Au milieu de la double page centrale où se finit l'entretien, un autre grand dessin représente le PDG de « Mères porteuses & compagnie entreprises » (Un panneau sur le mur nous l'apprend), allongé dans un immense fauteuil, les pieds sur une table basse. A l'autre bout de ce meuble sont entassés des billets. A l'arrière-plan, une immense baie vitrée s'ouvre vers un décor de gratte-ciels tandis qu'un coffre-fort nous apprend que ce PDG est très riche. Au téléphone, l'homme à la mâchoire immense et aux dents de carnassier dit « Alors ?... ces dividendes ».

Avec ces deux caricatures qui dominent le texte et les autres dessins, Coco s'aligne sur l'agenda de la Manif pour tous. Alors que la GPA n'est pas à l'ordre du jour du gouvernement, elle amalgame PMA et GPA – conformément à ce que le collectif homophone planifie depuis cinq ans. La femme-usine relaie par ailleurs le scientisme catastrophiste de Testart. Et la femme-usine témoigne du même discours que la Manif pour tous dans sa dernière campagne : là où Coco évoquait l'industrie, LMPT parle de l'agriculture.

Même alignement, à la fois sur Testart et sur LMPT, avec les deux derniers dessins : l'un, déjà décrit dans le deuxième volet de cette analyse, fait trépigner quatre adultes (des homos) qui crient « Je veux mon enfant » alors qu'un bébé pleure son doudou. On est en pleine dénonciation du désir d'enfant comme caprice puéril. L'autre montre un couple hétéro contemplant, leur bébé posé au-dessus d'une cheminée en regrettant ; « Tout ça pour finir un bibelot qui prend la poussière. On aurait peut-être dû réfléchir avant de l'acheter ». Là encore, Coco relaie la critique du « droit à l'enfant » et de l'enfant-objet, concepts propres à la Manif pour tous.

 Les autres dessins

Les autres dessins témoignent souvent des mêmes obsessions sous couvert de comique. La question de la pénurie de sperme – qui est aussi un argument agité par Jacques Testart dans ses interventions médiatiques, ainsi que par d'autres opposantEs aux droits des lesbiennes – traverse bon nombre d'entre eux. Page 5, une femme toute petite, court deux bidons à la main, en dessous d'un testicule géant où une trappe a été ouverte et d'où s'écoule une goutte de sperme. La légende « PMA : attention aux siphonneuses » est éloquente. En dessous, sous le titre « PMA : les cours du sperme s'envole », qui réinscrit, comme dans la tribune de Biard, cette ouverture de droit dans une logique marchande, un homme se tenant l'entrejambe s'enfuit devant un groupe de femmes qui le poursuit. Le dessin de Riss, l'auteur de la Une.

Dans une logique d'auto-dérision, mais qui témoigne toujours de cette angoisse face à la pénurie de sperme, un caricaturiste reproduit, sans les embellir, les visages de sept dessinateurs de l'hebdomadaire en affirmant qu'ils proposerait leur sperme. Il y joint un coupon-réponse.

L'identité du géniteur est d'ailleurs une autre obsession, liée à la précédente, qui fait écho au discours anxiogène de la Manif pour tous et de Testart sur la « PMA sans père ». A la même page que la proposition de sperme par les caricaturistes, un dessin nous alerte sur le danger de la PMA. Une femme enceinte nous indique que c'est « ne pas savoir qui a donné son sperme ». On voit à l'intérieur de son ventre. Le bébé qu'elle porte est le chef de la Corée du Nord, son cordon ombilical est relié à une ogive nucléaire. En dernière page, une couverture très peu flatteuse de l'actuel ministre de l'Intérieur illustre la question « Pour ou contre les PMA avec du sperme de Gérard Collomb ».

Si l'on tient compte de la couverture et des dessins illustrant l'entretien, ce sont en tout sept dessins qui relaient la question de l'identité du père, dans des dessins dont on peut trouver  dessins amusants, mais dont la logique reste monocorde. Comment croire que la Manif pour tous détournerait leur contenu en relayant sur les réseaux sociaux de tels dessins ? Comment ne pas voir le fonds de commerce commun aux deux discours ?

Illustration 3
La Manif pour tous vise le secteur primaire
Illustration 4
Charlie Hebdo vise le secteur secondaire

Dès lors, il devient plus difficile de sourire quand on voit en dernière page une caricature montrant un couple hétéro âgé à l'annonce d'une PMA ouverte à toutes en 2008. « On tient notre revanche sur la ménopause, chérie ! » affirme l'homme. L'ironique tendresse et les petits cœurs ont cependant du mal à rappeler la violence sexiste du discours de Testart sur la ménopause (voir deuxième volet de l'analyse).

De même, on ne s'offusquera pas que page 5, dans un dessin intitulé « La PMA expliquée aux Français », un Macron explique au ventre d'une femme enceinte : « 9 mois d'APL... et après tu te démerdes ! » Que la PMA soit un prétexte pour dénoncer le démantèlement des droits par En Marche, pourquoi pas ? Mais pourquoi ne pas avoir parlé de la PMA pour ce qu'elle était, une revendication de lesbiennes ? On pourrait rire d'un dessin intitulé « La PMA fait débat » montrant une femme nue, utilisant une éprouvette comme un gode, orifice à l'extérieur, se plaindre que les éprouvette, cela ne marche pas. Présenter une femme trop bête pour recourir à la PMA, pourquoi pas ? Mais une fois encore, pourquoi aucun dessin valorisant les revendications des lesbiennes, les mères célibataires et les familles homoparentales ? Il n'y en a aucune.

Des alibis non recevables

Après cette analyse de tout le dossier que Charlie Hebdo a consacré à la PMA, il faut en revenir aux arguments que ressassent ses défenseurs : l'ouverture d'un débat et la liberté d'expression (déclinée notamment sous la forme du droit à l'humour et à la satire).

On a déjà vu dans le début de cette analyse une première raison pour laquelle l'argument du débat ne tient pas la route : pour qu'il y ait débat, il faut qu'il y ait plusieurs points de vue. Ici un seul est présenté. On peut au terme de ce décryptage opposer une autre objection : on ne débat avec des falsficateur-rices, on corrige leurs erreurs et on dénonce les procédés. Or, Gérard Biard falsifie la réalité quand il amalgame PMA et GPA, quand il invisibilise les revendications des associations LGBT+. Jacques Testart falsifie la réalité quand il affirme que la plupart des enfants sont aujourd'hui voulus alors qu'une grossesse sur trois est non désiré (voir ci-dessus) : et on a vu dans le décorticage de son entretien tous les écarts qu'il prend avec la réalité, qu'une simple visite du site de l'INSEE suffit à corriger. Quand on remodèle le réel pour faire passer des préjugés sexistes et lesbophobes pour des arguments, on se discrédite comme acteur d'un débat.

L'agitation de la liberté d'expression n'est pas plus pertinente. Tout simplement parce que la liberté d'expression n'autorise pas les erreurs, approximations et falsifications systématiques. La paresse et/ou la malhonnêteté intellectuelle ne sont pas de l'ordre de la liberté d'expression. Au reste, la liberté d'expression est souvent brandie comme argument, et comma argument unique, contre les critiques faites à la ligne éditoriale et au contenu de l'hebdomadaire. C'est paradoxal. D'un côté le magazine lancerait des débats et pourrait le faire dans les termes qu'il veut. De l'autre, les critiques qu'on porterait seraient impossibles à faire : là, le débat n'existe plus, et la liberté d'expression ne s'applique pas.

Personne ne remet en cause la « liberté » de Gérard Biard ou de Jacques Testart de relayer l'argumentaire de la Manif pour tous. Pourquoi les militantEs LGBT+ et féministes, ne seraient-ils/elles pas libre de dénoncer cette collusion de fait et d'alerter sur les contre-vérités que ces deux hommes véhiculent ? Étrange principe de liberté et de débat qui ne vaut que pour les mêmes.

La déclinaison de l'argument de la liberté sous la forme du droit à l'humour n'est pas plus pertinente. Quand Michel Leeb faisait un sketch raciste, quand Cyril Hanouna tend un traquenard homophobe et biphobe pour faire rire, le problème n'est pas l'humour. Le problème est le racisme ou la biphobie de l'humour. Quand Charlie Hebdo publie des caricatures lesbophobes, reprises par la Manif pour tous, rendant presque inutiles leur récente campagne tant les caricatures de l'hebdomadaire l'annonçait déjà, le problème n'est pas que ce soient des caricatures. Le problème est qu'elles sont sexistes et lesbophobes.

Avec un surtaux de suicide indéniable, agiter la liberté d'expression, le droit à l'humour et le débat, alors qu'on ne fait que rabaisser la discussion publique et humilier des minorités en falsifiant le réel, est d'une incroyable irresponsabilité.

La dernière abjection

Celles et ceux qui ont suivi cette longue analyse auront remarqué que je n'ai pas commenté un des dix-huit dessins. C'est la dernière caricature de la dernière page. L'auteur s'appelle Félix. Intitulée « Procréation Militairement Assistée pour toutes les rohingyas », il représente une femme, par ailleurs souriante, se faisant violer par deux militaires.

1On peut cependant trouver un écho de cet argument dans l'emploi par Biard du mot « sociétal ». Avec la réforme, la PMA va « entrer dans le champ sociétal ». Le mot « sociétal » a été forgé pour s'opposer à social dans une perspective de hiérarchisation des causes. Le mariage pour tous serait une réforme sociétale alors que la revalorisation du SMIC serait sociale. De telles oppositions sont des outils rhétoriques sinon de disqualification, du moins d'euphémisation des inégalités que vivent les personnes LGBTI+, les femmes, les personnes racisées, toutes incluses dans le « sociétal » et pas le « social ».

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.