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Mouloud Akkouche

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Billet de blog 27 novembre 2024

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Langue sans pesticides

Le vide bruyant est-il la fin de la langue ? La question doit se poser. Et trouver une réponse, avant qu'il ne soit - à nouveau - trop tard. Toutefois, on peut échapper à cette tyrannie du vide. Une échappée à son petit niveau. De quelle façon? À chacun et chacune sa recette unique .Pour essayer de choisir sa langue nourriture. La moins polluée possible. Et la plus nourrissante.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1

                Nos oreilles saturées de bruit. Avec ou sans écouteur. Toutes sortes de bruits (répétitifs, stridents, inquiétants, joyeux, beaux...) non-stop partout sur la planète. Nos yeux sont gavés d’images : des pires aux plus belles. Seuls les aveugles-sourds peuvent échapper à ce flux continu. Une sorte de course à toujours plus de sons et d’images. Avec une prime aux grandes gueules. Elles ont des boulevards numériques, sur toute la surface du globe. Et certaines, les plus puissantes, tiennent le crachoir aux heures de très grande écoute. Dégueulant leur bile péremptoire et ponctuée de coups de mentons suffisants. Sûr de leur supériorité mentale. Elles sont d’autant plus à l’aise dans une période propice à leur ascension. Celle du vide visible. Quels diplômes requis pour devenir grande gueule ?

           Aucun. Même si certaines sont fort diplômés et savent briller. Avec un grand sens de la répartie-cloue-bec. Des grandes gueules de plus en plus florissantes dans ce siècle avec un « gouverneur du monde ». Il a de nombreux représentants dans les médias. Quel est ce gouverneur ? Buzz. Indéniable que c’est lui qui dirige la planète. Sa puissance a atteint des sommets. Il œuvre avec force « Com » : l’ennemi de la parole et du sens ? Guère un scoop. D’autres évoquent ce sujet avec plus de profondeur et d’arguments qu’un billet d’humeur passagère. Un vide bruyant dans lequel pourrait s'engouffrer de nouveaux totalitarismes ? La question doit se poser. Et trouver une réponse, avant qu'il ne soit - à nouveau - trop tard. Toutefois, on peut échapper à cette tyrannie du vide. Au moins de temps en temps. Une échappée à son petit niveau. De quelle façon ? À chacun et chacune sa recette unique.

           Comme pour ma part : le regard aimanté par ces trois oiseaux. Suivre en silence  leur vol. Puis poser les yeux sur des arbres : les témoins impassibles des vanités de notre espèce. Me plongeant dans le silence, loin du bruit et des éructations se qualifiant d’idées. Et quand on ne peut échapper à la parole bruyante et pétrie de certitudes ? Se taire et laisser passer la caravane du vide. Privilégier le temps passé avec des proches aimés et aimant, en voie de disparition. Et aussi chercher la compagnie des poètes, des peintres, des musiciens… Ce que nous proposent les librairies, les bibliothèques, les théâtres, les cinémas, les théâtres. La radio (surtout publique) avec laquelle je passe beaucoup de temps. Des ondes compagnonnes depuis très jeune. Et aussi le numérique. Pas que de la boue et de la haine sur la toile.

           Le numérique est aussi un très bel outil de culture et d'ouverture sur le monde. J’en ai eu la preuve encore une fois en me plongeant (lu d’une traite) dans le très fort, poétique, et émouvant « Rue Ordonner Rue Labat » de  Sarah Kofman, prescrit par un blogueur. L’histoire de cette femme est intime et unique. Mais sa trajectoire n’éclaire pas que le passé. Des échos en notre ère où revient le bruit des bottes en Europe. Et partout sur la planète. Un texte avec une économie de mots qui laisse la pensée se frayer un chemin. S’interroger sur le passé et le présent. L'abominable et l'horreur peuvent changer de masque ; pas de finalité. Un nouvel holocauste en perspective ? Quelles seront les futures victimes d’une solution finale ? Des questions à se poser. Surtout en notre période de perte de mémoire. Des semblables ont toujours des plans pour renouveler l’abominable. Avec une technologie destructrice très performante.

         Revenons aux belles rencontres. Comme ce livre cité plus haut permettant de sortir de sa zone de certitudes. Se glisser sous d’autres peaux pour tenter de comprendre notre espèce humaine. À défaut de compréhension, au moins de s’interroger sur le monde et notre humanité. Je découvre souvent des pépites intéressantes, extraites ici et là de la masse numérique  grâce à tel ou telle internaute. Merci à ces passeurs virtuels pour de très belles rencontres sur la toile. J’aime me promener sur cet espace sans frontières visibles. Avec toujours cette possibilité d’inconnu au détour de la toile. Certes pas toujours que des poètes ou de grands penseurs et penseuses. Mais la même incertitude de la rencontre comme dans le métro, le bus, le TER, le bistrot, en BlaBlaCar, à la fac, à son boulot…. Se laver du vide que par la contemplation et la lecture de poètes ? Non. À chacun et chacune son produit de nettoyage du vide ambiant.

            Nul n’est imperméable à son époque. Même les plus vigilants. Une part de moi est imprégnée du vide ambiant. Et des névroses contemporaines. Celles qui nous poussent notamment à occuper à n’importe quel prix l’espace et engraisser toujours plus son ego. Comme d’autres, je participe à mon petit niveau à la propagation du vide. Nous sommes très nombreux dans ce cas. Avec parfois des conséquences (youtubeurs, influenceurs, et autres prédicateurs cathodiques) sur certains êtres fragilisés. Fort heureusement, les petits vides et bruit de mon genre ne génèrent pas de dégâts. Peut-être des pointes d’agacement de mes digressions et enfonçages de portes ouvertes, et un ricanement en coin face à mes irrépressibles naïvetés matinées d’espoir en l’humanité (même si son pire ennemi, c’est notre espèce). Mais aucun vidage de cerveau. Ce qui n’empêche pas que ce blog participe à sa manière au vide ambiant. Un de ses collaborateurs. Certes pas le plus dangereux. Un des milliards de petites mains du vide bouffeur de civilisation. Et de la mort de la langue nourricière ?

          Un sujet évoqué récemment avec un couple de copains. Avec qui je retrouve la joie de la polémique sans haine. Autour d’un bon repas et de bonnes bouteilles. Sans oublier non plus de se marrer, inviter dérision et autodérision à table. Mais pas que de l’humour. Des conversations sérieuses. Même si l’humour peut être très sérieux et alimenter la machine à gamberger. Revenons à notre frottement d’idées sans anathèmes. Quelles sont nos récentes divergences ? Plusieurs. Mais une  est revenue plusieurs fois ces temps-ci. Divergences de point de vue sur le terme racisé. Pour ma part, je pense et l’ai écrit que c’est une impasse sémantique et assignation à souffrance. Le verrouillage d’un individu dans son rôle de victime. Je ne vais pas radoter sur le sujet. Mais peut-être que ce sont mes copains et d’autres qui ont raison et que, avec le temps et la gamberge, je changerai d’avis sur le terme racisé. Ou eux, après réflexion, rejoindront ma vision. Affaire à suivre ou non… Pouvoir évoluer et changer d’avis, c’est ce qui nourrit une conversation. Et la rend enrichissante. Pour cette avancée du dialogue, il y a nécessité d’un moteur. Accessible à la majorité des passagers et passagères de la planète. Quel est ce moteur.

            La langue. Pas n'importe laquelle. Une langue ouverte sur l'autre et le monde. Et porteuse de sens. Jamais la langue du raccourci. Ni des éléments de langage. Pas non plus les mots de la com. Ni les petits pouces ou cœurs. Désolé pour les grands utilisateurs d’émoticône ; les petits joujoux numériques participent au raccourcissement de la langue. Réduire une émotion - de l’humour à la souffrance - n’est pas dangereux en soi. Comme tous les autres symboles ludiques pour gosses et adultes connectés. Nul danger s’il y a une autre langue. Mais ce n’est pas le cas pour tout le monde. Et de plus en plus optent pour la facilité d’un pouce levé ou un cœur pour s’exprimer. Émoji, pensée complexe, raccourci, amalgame, nuance ; cherchez l’intrus. En l’occurrence deux intruses. La pensée complexe et la subtilité ont du mal à résister. Difficile de se battre contre une armée de cœurs, fleurs, et soleils. En plus très souvent colorés et joyeux. Mais ces deux intruses résistent.

          Pour ne pas perdre le sens de la langue. Celle qui structure chaque pensée. Une espèce de cartographie sous chaque crâne. Capable de nous offrir la capacité de réflexion. Et de frotter nos idées à celles des autres. Un frottement avec de l’écoute. La langue de l’oreille. Celle qui permet d’entendre la parole de l’autre. Même si elle nous froisse et que nous sommes en total désaccord. Mais sans cette langue de l’oreille, aucune possibilité d’échange. Chacun et chacune avec ses mots de combat tels des sacs de sable pour protéger ses positions. Certes, rien de nouveau. De tout temps, le débat a été très compliqué. La plupart des conflits naissent d’un déficit de la parole. Et de la langue permettant le conflit. Car il est nécessaire. Voire vitale. La nature a besoin de l’orage. Et notre espèce du conflit. Comment vivre avec sans chercher à détruire l’autre ? Être en désaccord sans nier l’humanité de son adversaire ? Les mêmes interrogations depuis la nuit des temps.

          Retrouver une belle langue de combat. C’est peut-être une des solutions. Ne pas tout céder aux joyeux émojis, à la pensée courte et youtubée, à la com, etc. Et il me semble important de se libérer de la tyrannie du rire. La course permanente à l’humour et la drôlerie à n’importe quel prix. On peut rire de tout - avec qui on veut - mais ce n’est pas une obligation. En tout cas, pas en permanence. Le sérieux dit intello n’est pas une honte. Pour paraphraser une citation sur le rire : celui ou celle qui n’a pas pensé a raté sa journée. Certes difficile de ne pas se laisser à la facilité. Lui dire "je t’aime" en plusieurs mots ou envoyer un émoji? Argumenter ma colère ou envoyer une haie de pouces baissés ? Quitter un amour avec une bouche triste sur un visage numérique ? En fait, on a le choix. Comme d’éteindre sa télé ou se déconnecter. C’est un problème entre soi et soi. Plus son miroir.

            Choisir une langue bourrée de pesticides mentaux ? Celle qui vous bouffe peu à peu de l’intérieur. Elle est la plus simple à trouver. En vente libre dans de très nombreux endroits, avec force buzz. Choisir une langue qui pense et doute ? Elle est beaucoup plus difficile à trouver. Avec très peu de points de vente. Et jamais de vitrines tapageuses. Une langue beaucoup plus chère. Mais de grande valeur. Où peut-on trouver cette langue de plus en plus rare ? Aucun GPS pour la géolocaliser. Comment pouvoir alors l’utiliser ? À chacun et chacune a sa réponse. Toujours revenir à soi. Son désir et sa volonté. S’éloigner de la langue du vide qui nous empoisonne à petit mot polluant nos crânes ? C’est difficile. Encore plus de trouver la langue qui nourrit. Avec des mots sans pesticides. Vaste chantier.

              Nourrir la langue vivante.

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