En introduisant le coût contrat, la loi Pénicaud du 5 septembre 2018 « Pour la liberté de choisir son avenir professionnel » a libéralisé la formation par apprentissage.
Dès lors, le nombre des Centres de Formation d’Apprentis (CFA) a plus que triplé et le nombre d'apprentis a été multiplié par 2,2 : 448 000 fin 2018, 1 042 000 fin 2024. Personne n'a pu échapper au déferlement de propagande qui a accompagné l'ouverture de ce marché privé :"L'apprentissage, voie royale vers l'emploi)" (BFM)); "La France, nouvel eldorado de l'apprentissage. Cette formation est le meilleur raccourci vers l'emploi." (La Nouvelle République); "Véritable passerelle vers l'emploi, l'apprentissage est un tremplin d'excellence pour l'avenir des jeunes" (Ministère du Travail) ! Grâce à Emmanuel Macron et Muriel Pénicaud, la France avait enfin trouvé la solution au chômage endémique des jeunes. Un véritable miracle. Cela méritait bien de dépenser des dizaines de milliards d'argent public pour encourager le patronat à recruter des apprentis. Le fameux quoi qu'il en coûte...Mais à y regarder de plus près, la réalité n'est pas aussi belle que le storytelling !
Les étudiants deviennent des salariés mais le chômage des jeunes ne diminue pas
En permettant à des jeunes autrefois étudiants de devenir des salariés, l'apprentissage a gonflé artificiellement l'emploi des jeunes : "Si la politique volontariste en matière d’apprentissage a permis d’augmenter le taux d'emploi des jeunes de 15 à 24 ans et donc de diminuer leur taux de chômage, une étude de Bruno Coquet (OFCE) montre que la hausse de l’apprentissage repose essentiellement sur une bascule du statut d’étudiant vers celui de salarié et que le nombre de jeunes chômeurs a, lui, très peu diminué (- 26 000 entre 2018 et 2023)." (La Vie Ouvrière) Pour être encore plus précis, il y avait 692 500 chômeurs de moins de 25 ans - catégorie ABC- en mai 2017, 751 300 en juillet 2020 (instauration de la prime exceptionnelle) et 708 000 en décembre 2024 (Dares) !
En résumé, l'apprentissage a augmenté le taux d'emploi en France mais n'a eu que très peu d'effet sur le taux de chômage des jeunes ! Autrement dit, les employeurs ont largement profité de l'effet d'aubaine des primes publiques à l'embauche d'apprentis mais n'ont que peu converti le statut des jeunes salariés apprentis en emploi pérenne : "Seuls 35 % des apprentis se voient proposer une embauche en CDI" ! (Alternatives économiques)
On peut donc légitimement se poser la question : quel est l'intérêt de dépenser des milliards d'euros d'argent public pour un système qui n'insère pas davantage qu'avant le système de primes exceptionnelles ?
Les employeurs profitent au maximum des primes apprentissage pour recruter sous statut précaire
Aujourd'hui, tout le monde s'accorde à dire que des employeurs ont profité au maximum de "l'effet d'aubaine" pour recruter pas cher et temporairement. Il n'est pas surprenant de constater que c'est le nombre d'apprentis du supérieur qui a explosé : 152 400 apprentis post Bac en 2017 (37 % des apprentis), 574 000 en 2023 (59 %). C'est quand même plus intéressant de recruter quasi gratuitement des jeunes déjà formés et employables immédiatement que des gamins de 16 ans à qui il faut tout apprendre...
Depuis 5 ans, des centaines de milliers de jeunes ont été recrutés en tant qu'apprentis, des centaines de milliers de jeunes ont terminé leur cursus de formation et le chômage ne diminue plus, bien au contraire ! C'est aberrant. Cette situation ubuesque est parfaitement résumée dans Frustration Magazine : "L’apprentissage explose pour les jeunes qui se forment à bac+2 et plus : de très nombreuses formations proposent du temps passé en entreprise. Cela arrange fortement ces dernières, qui disposent ainsi d’une main d’œuvre de plus en plus qualifiée gratuitement mais cela fait aussi le beurre des organismes de formation qui n’ont pas à assurer beaucoup de dépense d’enseignement, puisque ce sont les entreprises qui s’en chargent (ou prétendent s’en charger). Concrètement, de nombreux jeunes en apprentissage assurent des postes qui devraient être occupés par des salariés en CDI." !
Un autre aspect insupportable de ce développement forcené de l'apprentissage, ce sont les pleurs récurrents du patronat sur le manque de main d'œuvre qualifiée alors qu'il a la main sur la formation professionnelle des jeunes : "De l'hôtellerie-restauration à la construction, du BTP aux PME, les difficultés de recrutement persistent. 87 % des entreprises qui cherchent à recruter rencontrent des difficultés à trouver le bon profil." (La Dépêche 30/05/2023); "Malgré la hausse du chômage, les pénuries de main d'œuvre fragilisent toujours les entreprises." (Le Figaro 02/02/2025) !
Il est donc indispensable une fois encore de se poser des questions : pour quelles raisons a-t-on donné les clés de la formation professionnelle au patronat en 2018 au détriment de l'enseignement professionnel sous statut scolaire ? A quoi bon dépenser des milliards d'argent public pour un système de formation qui ne répond pas aux attentes de la société ? Combien de jeunes ont-ils cru aux miracles de l'apprentissage et se retrouvent aujourd'hui en souffrance et le bec dans l'eau ?
Le tour de passe-passe de l'insertion
Mais comment expliquer que le gouvernement, le patronat et la quasi-totalité des médias font état de chiffres absolument mirifiques en ce qui concerne le taux d'insertion des apprentis :"67 % des sortants diplômés du CAP au BTS sont en emploi 7 mois après leur sortie du CFA" (education.gouv); "2/3 des apprentis sont en emploi 6 mois après la fin de leur contrat" (Medef); "73 % des jeunes ayant fini leurs études en 2020 étaient en emploi au bout de deux ans." (Le Figaro). Ressassée à longueur d'années, cette assertion devient une vérité incontournable. Sauf que c'est un tour d'illusionnistes...
Pour commencer, ces chiffres prennent en compte les sortants d'apprentissage. Sans aucune allusion aux entrants. Or la formation par apprentissage se distingue par de forts taux de ruptures de contrats : 32 % en 2021, tous niveaux confondus (Dares). Quand un tiers des apprentis ne finissent pas leurs études, le taux d'insertion des restants devient tout de suite bien meilleur ! Ensuite, les formidables chiffres cités ci-dessus et répétés à l'envi ne sont calculés qu'en tenant compte des sortants définitifs. Or, du CAP au BTS, 38 % des jeunes diplômés en fin de contrat repartent en...apprentissage ! Conclusion : ce ne sont que 67 % des 62 % de sortants définitifs qui sont en réellement en emploi 7 mois après leur sortie du CFA. Nettement moins vendeur sur le marché de l'apprentissage mais bien camouflé derrière la magie du tour de passe-passe et des éléments de langage ! Et tout le monde gobe...
Avec des milliards d'argent public investis depuis la mise en place de la loi du 5 septembre 2018, l'apprentissage en France est devenu "l'emploi le plus aidé de l'histoire du monde", dixit l'économiste Bruno Coquet de l'OFCE, sans pour autant faire baisser le chômage des jeunes. L'eldorado n'est donc pas pour les apprentis mais pour le patronat. Il est grand temps de mettre fin à cette mascarade !
Nasr Lakhsassi et Christian Sauce