L'idiot¹
Le succès de l'émission repose sur la satisfaction d'un désir de cruauté vis à vis des personnes en situation de handicap, par l'exhibition de la maltraitance à leur encontre. Un spectacle rare puisque jusque là banni de l'espace publique dans la plupart des pays occidentaux. Mais pour certains, ce ne serait que le prolongement d'une société du spectacle décadente. Il s'inscrit effectivement dans une histoire particulièrement anecdotique et insignifiante de spectacles stigmatisants ou avilissants pour les personnes en situation de handicap.
Par exemple, jusque dans les années 1950, les freaks show étaient relativement communs aux États-Unis et en Angleterre. Popularisés dans les années 1860 par des hommes d'affaires comme P.T Barnum, les spectacles mettaient en scène des personnes en situation de handicap variés ou dont les caractéristiques physiques étaient considérés comme hors-norme. Et les spectateurs payaient pour avoir loisir de les observer et de s'en moquer.
Bien que les sévices corporels y étaient interdits, l'effet stigmatisant et avilissant était encouragé par la mise en scène des personnes en situation de handicap, présentées comme des "monstres" tant moqués que craints. À mi-chemin entre racisme et validisme. Les spectacles perdront peu à peu de leur popularité. Mais ils reposaient déjà sur la précarité de ces personnes, qui étaient alors souvent privées de ressources, réduits à la mendicité ou à l'internement en structure psychiatrique. Et qui se retrouvaient parfois "recrutées" très jeunes.
En France dans une moindre mesure on pourrait citer le fiasco de l'émission Fort-Boyard en 2017 qui a tenté d'introduire une nouvelle épreuve, dans laquelle les participants étaient mis en camisole de force et enfermés dans une chambre capitonnée, avec en fond sonore, des cris et des hurlements. Le format fut rapidement abandonné suite à 160 signalements au CSA, une plainte de l'Union nationale de familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques (UNAFAM) pour injures publiques et discriminations. Ainsi qu'un courrier adressé à Delphine Ernotte, présidente de France Télévision : « Oserait-on monter une attraction sur le thème d'une autre maladie (sida, cancer, sclérose en plaques…) ? ». Mais le phénomène reste excessivement marginal en France et plus largement en Europe, puisque l'idée y a été battue en brèche par les évolutions de la Tératologie aux alentours du XVIIe siècle.
Si aucun de ces "spectacles" ne mettait directement en scène des sévices physiques et des traitements dégradants, de nombreux films ou œuvres de propagande ont en revanche sans ambiguïté directement exhibé, incité et contribué à la maltraitance des personnes en situation de handicap. A ce titre, difficile de ne pas mentionner la campagne d'extermination systématique menée à leur encontre, en Allemagne, par le régime nazi entre 1939 et 1945, par la pratique de l'euthanasie ou la stérilisation. Voir leur utilisation en tant que cobayes. Qui était justifié idéologiquement par de très nombreuses œuvres de propagande basées sur le concept pseudo-scientifique d'hygiène raciale, lui même portée par le courant beaucoup plus large d'eugénisme, naît à la fin du XIXe siècle. Courant qui connaît aujourd'hui un regain d'intérêt notable dans le milieu libertarien (dans une forme présentée comme positive), soutenu par des personnalités aussi riches que controversés comme Elon Musk, Sam Altman, ou même Jeffrey Epstein.
Mais l'émission « Jean Pormanove » n'est pas qu'un spectacle validiste mettant en scène des sévices physiques et psychologiques interactifs. Il constitue aussi, en réalité, une sorte de matérialisation chimiquement pure de la psychophobie, dans sa forme extrême. Que dit Wikipedia sur le sujet ?
Mentalism²
« Selon Coni Kalinowski (psychiatre à l'université du Nevada à Las Vegas et directeur des Mojave Community Services) et Pat Risser (consultant en santé mentale qui se décrit lui-même comme ancien récipiendaire de services psychiatriques) [dans leur ouvrage co-écrit Identifitying and overcoming Mentalism (identifier et vaincre la psychophobie)] : Dans sa forme extrême, la psychophobie mène à une catégorisation sociale des personnes, entre un groupe autonomisé et supposé normal, en bonne santé, fiable et compétent, et un groupe sans pouvoir, considéré comme malade, handicapé, fou, imprévisible et violent. Cette catégorisation peut justifier des traitements inégalitaires appliqués au second groupe par comparaison au premier, avec peu de qualité de vie, et pour lesquels il est pourtant attendu qu'ils expriment de la gratitude. »
Ce sur quoi insistent les deux auteurs, dès les premières lignes de leur ouvrage, c'est que la psychophobie se matérialise souvent dans notre société par l'utilisation de qualificatifs péjoratifs voir d'insultes psy-validistes. Qui, comme pour le vocabulaire raciste, homophobe ou sexiste, constituent autant de micro-agressions omniprésentes dans la vie courante pour les personnes concernées.
Dans le même temps, elle participe à un mécanisme d'auto-défense psychologique par la déshumanisation des actes, utilisée afin de rendre plus abstraite l'idée de commettre des atrocités dans la société. S'empêcher de les penser. Des fois qu'elles nous "saliraient", endommagerait "notre innocence", ou nous "contaminerait". C'est un mécanisme humain, utiles à nos sociétés dites "humanistes". Mais qui fait l'objet d'une instrumentalisation intensive. Il est d'ailleurs particulièrement présent dans le langage courant, dans la bouche de certains de nos politiques ou même sous la plume de certains journalistes depuis les attentats de 2015. (source)
Ce vocabulaire contribue à nourrir un amalgame et une assignation des personnes neuro-atypiques à des criminels, et à ce titre, leur propre déshumanisation. Qui est ensuite utilisée pour justifier les actes et traitements inhumains commis à leur égard.
Ainsi après la mort de Raphaël Graven, de nombreux commentateurs et commentatrices n'ont pas hésité à reproduire ce schéma, en utilisant des termes comme "dégénérés", "malades" ou "psychopathes" pour qualifier les auteurs de ces actes, s'empilant par dessus les torrents d'insultes sanistes qu'utilisaient eux-mêmes les "auteurs" et les "spectateurs" pour qualifier les victimes.
Par là même, ils reproduisent méticuleusement le mécanisme de domination qui rend ce spectacle macabre possible, et l'utilisent précisément pour ne pas avoir à penser les motivation qui rendent cette cruauté attractive et rentable. En fait, ils font mine de se présenter comme totalement étrangers à ces crimes tout en regrettant une sorte de feu qui consumerait la société, non sans avoir eux-mêmes déversé quelques litres de kérosène.
Et le schéma même de cette pensée constitue un renversement de responsabilité pervers : les "auteurs" et les "spectateurs" sont présentés comme "des tarés"(la folie est une circonstance atténuante en droit), la société est présenté comme malade et inhumaine (ce qui, de façon maladroite, sert de circonstance atténuante pour les auteurs), et les victimes sont insultées, puis enterrées sous une couche supplémentaire de discrimination.
Stop !
Les deux "auteurs" seraient responsables d'actes "inhumains". Les "spectateurs" seraient responsable de les avoir encouragés et financés. Ce sont les deux victimes qui sont en situation de handicap. Et c'est "la société" qui est amenée à juger ces actes, par la voix de l'autorité judiciaire, « au nom du peuple français » (c'est à dire en votre nom aussi).
Mais même après avoir remis les choses à leur place, on sent que la pente est glissante, car cette problématique structure notre langue commune et par là même, structure notre pensée.
D'autant que si on la regarde en détail, la première énonciation de la situation tente de dire quelque chose d'extrêmement pertinent de notre société. Elle tente d'amorcer la réflexion sur un "mal" structurel qui l'affecterait, tout en le refoulant dans le même mouvement.
Nous sommes peut-être arrivés au point où -devant la perversité de la situation linguistique- la société devra choisir entre continuer à embrasser les logiques de discrimination psy-validistes, ou tenter de les déconstruire pour s'en libérer.
Le corps mort³
Car cet aspect de la psychophobie est lui omniprésent dans le cinéma contemporain. Une étude américaine de l'USCAnnenberg portant sur trois mille œuvres cinématographiques, montre que, en 2022, 72% des personnages de films neuro-atypiques (qui ne représentent que 2,1% des personnages de films) se rendaient coupables d'actes violents. Et ce alors qu'aux états-Unis, comme en Angleterre et en Ecosse (cette statistique n'existe pas en France), on estime entre 3% et 5% la part des actes violents liés à un trouble mental. (source, source)
Si le fait d'explorer les liens entre violence et troubles psychologiques, psychiques, neurologiques, ou même fonctionnels est une chose tout à fait louable. L'amalgame qui naît de cette représentation complètement biaisée empêche de comprendre que ces troubles sont le plus souvent associés à des handicaps, voir à des qualités tout à fait singulières et précieuses, plutôt qu'à une forte probabilité de commettre des actes violents. Et il empêche dans le même temps de comprendre tous les autres mécanismes de notre société produisant ou conduisant à des actes violents, sans que les auteurs de ces actes ne soient considérés comme neuro-atypiques.
Mais il faut rappeler que si ce genre de spectacle nous semble si familier en France, et transpire même dans notre vocabulaire, c'est surtout qu'il a tout à voir avec l'histoire terrible de la "prise en charge psychiatrique" dans notre pays, notamment des femmes : De l'époque de la peste noire où l'on brûlait les "sorcières" en place publique; au milieu des années 1980 où l'on pratiquait encore la lobotomie. En effet, selon une étude portant sur plus de 1300 actes, 48 publications et 3 thèses médicales, conduite par trois neurochirurgiens français et citée dans la revue Nature, les victimes de ces trépanations du cerveau étaient à 84% des femmes.
Comme le souligne l'article de Nathaniel Herzberg dans le journal Le Monde, c'était plutôt un impensé du féminisme -au moins jusqu'à Ana Rosa de Catalina Villar- alors qu'il structure les mécanismes d'une domination conduite sous des modalités effroyables, sous une forme institutionnalisée et systémique, aux racines anciennes, mais aux mobiles intemporels.
Toujours sur Wikipedia, beaucoup auraient déjà pu comprendre que c'est un mécanisme capable de s'auto-alimenter puisque comme le plaide très habilement l'activiste Andrew Phelps, dans Identifitying and overcoming Mentalism : « Les traumatismes causés dans une approche saniste et discriminatoire constituent la raison principale du handicap accru en santé mentale. Pour lui, les étiquettes péjoratives augmentent l'idée d'impuissance, la planification unilatérale des traitements empêche les relations de confiance, et les pronostics psychiatriques fondés sur la psychophobie éliminent l'idée d'espoir de guérison. Ces pratiques enclenchent un processus de re-traumatisation chronique. »
Pire encore, les approches médicamenteuses, même inefficaces ont tendance à être perpétuées par souci de crédibilité scientifique et de rentabilité pharmaceutique. Les effets négatifs sont affublés du terme "effets secondaires", même si ils sont beaucoup plus effectifs et facile à déceler que les effets positifs. Tandis qu'il est accordé une grande importance à la docilité du patient. Lors d'examens comportementalistes, les patients sont assignés a des exercices destinés aux enfants, et le moindre signe de stabilité ou d'atténuation des symptômes attribués aux pathologies supposées, est interprété comme un signe d'efficacité des traitements médicamenteux, quand bien même les "effets secondaires" seraient traumatisants ou invalidants. À cela il faut bien sûr ajouter l'usage de la contention, les hospitalisation, les opérations chirurgicales et les internements sans consentement du patient. Bien qu'il soit nécessaire de rappeler ici que le milieu psychiatrique au sens large, a évolué plutôt positivement ces deux dernières décennies, et souffre désormais plus d'un cruel manque de moyens (source), et de différents biais socio-culturels (source) que de la perpétuation à grande échelle de démarches sanistes ou de préjugés psy-validistes.
Enfin, la psychophobie possède un autre aspect excessivement pervers : Elle décrit la peur pour les personnes dites "saines d'esprit", que leur "moi intérieur" soit par nature ignorant, méchant, obsédé sexuel, ou égoïste. Et que si elles laissaient libre cours à leur nature humaine, elles se montreraient certainement grossières, manipulatrices et violentes. En ce sens, elle conduit à la fois à une peur du diagnostique psychologique, psychiatrique, ou neurologique, et à l'intériorisation de la discrimination pour les personnes diagnostiquées, qui s'auto-persuadent qu'elles méritent d'être enfermées, de subir des mauvais traitements, ou que leur liberté soit entravée. Sans oublier la croyance en une humanité fondamentalement mauvaise qui, sans les normes sociales et ses contraintes, serait immédiatement condamnée à la folie. (Reason & violence de Donald Laing et David Cooper)
Ethos, Pathos, et Meurtre entre amis
La question nous ramène aussi intimement à une imperfection de la notion d'humanisme, et de la conception qu'on s'en fait : En temps de paix, comme on l'a vu, la déshumanisation des comportements criminels, violents ou incohérents est un mécanisme psychologique courant. D'autant qu'il ne s'exprime pas nécessairement sur des modalités validistes. Et qu'il ne glisse pas nécessairement vers une déshumanisation des personnes. Il ne faut pas sous estimer ses effets positifs.
Mais qu'en est-il en temps de guerre ? Qu'en est-il au temps d'un génocide ? Qu'en est il lorsque ce mécanisme est instrumentalisé afin de déshumaniser les femmes et les enfants, dans le but de les bombarder, soit de les démembrer, brûler et/ou cribler de sharpnel ? Qu'en est-il lorsque la plupart des adultes sont exposés chaque jour à des images et des situations excessivement traumatisantes (dont certains pourraient se montrer invalidants) alors que la société ne se donne même pas les moyen d'offrir des soins appropriés aux personnes affectés par des troubles neurologiques, ou psychiques ?
Et surtout : Qu'en est-il dans une société fasciste ? Lorsque la déshumanisation du voisin devient une chose familière. Facile. Lorsque le personnel politique et les médias mainstream diffusent et popularisent régulièrement des concepts racistes telles que la « théorie du grand remplacement » ? Ou qu'une campagne de déportation de masse devient un projet politique, dont les médias font la chronique régulièrement ?
La déshumanisation des personnes est en soit un abyme de la pensée. Capable d'oblitérer toutes les règles sociales. De réduire en miettes tout ce qui peut faire société. A commencer par la liberté d'informer et l'idée même de justice. Et qui s'achève lorsque s'abattent en dernier rempart les lois de la guerre. Qui - elles seules - nous séparent du monde des anthropophages.
Que la déshumanisation découle de préjugés psy-validistes, ou d'humanisme à géométrie variable, elle empêche de comprendre que la cruauté et la violence sont des traditions tout à fait humaines. Soldats comme policiers sont régulièrement filmés ou interviewés jouissant ostensiblement de l'exercice de la violence. La violence est d'ailleurs omniprésente dans le domaine ludique (cinéma, jeux vidéos, sports). Continue de s'exprimer de manière paroxysmique à l'égard des animaux. Et reste intimement liée à l'exercice du pouvoir.
En ce sens, on comprend bien que la psychophobie et la déshumanisation, font office de cache sexe à nos sociétés. Qui refusent de réfléchir aux mécanismes qui engendrent, structurent et reproduisent les comportements violents. Puisqu'elles les manipule régulièrement. (source, source) Y compris pour légitimer la violence qu'elles exercent sur leurs propres citoyens, jusqu'à la mutilation ou aux meurtres (trop de sources). Ou pour décourager de penser ce qui, dans nos sociétés, ressemble furieusement à de la folie. Ce sont des mécanismes de refoulement et d'abstraction. A la fois vecteurs de discrimination et utiles à leur propre dissimulation. Ils se fondent et se confondent dans le langage. Structurent notre système de pensée. Et le limite.
C'est quand même dingue
Il est possible d'utiliser cette association rhétorique contre tout ce qui semble représenter un danger pour l'idée pré-supposée de rationalité :
Comment ne pas s'interroger sur la "santé mentale" du débat publique alors que l'apologie de la violence et des discriminations semble quelque chose de tout à fait commun ? Que les conditions d'habitabilité de la planète sont menacées depuis quelques décennies, mais que collectivement, plusieurs milliards d'être humains marchent chaque jour sciemment, vers un déni techno-obscurantiste suicidaire ? Que tous les repères politiques et historiques semblent obscurcis par le confusionnisme, au point que les mots même, perdent leur sens, voir que le vocabulaire se transforme en authentique champ de mine ? (loin de moi l'idée de vous en glisser une entre les pieds)
Il est bien sûr question de prendre de la distance. De dénoncer un mal profond aux symptômes terribles. Le déni. La double personnalité. L'altération du discernement. L'incapacité à distinguer le bien du mal. Qui peut donc aussi traduire l'incapacité à se retrouver sur des valeurs communes. En l’occurrence, humanistes. Le diagnostique est implaccable. Il appelle nécessairement à un traitement. Oui mais lequel ?
L'idée est d'autant plus séduisante qu'elle influe énormément sur la manière dont on conçoit la responsabilité. Et qu'elle exclue instantanément du champ de la pensée l'édifice qui produit ces actes. Mais c'est là que l'effet de refoulement, qui nous semblait salutaire pour ne pas "devenir fou" en faisant preuve d'empathie vis à vis de comportements violents, suicidaires ou incohérents, se retourne contre nous. Car l'édifice en question ne disparait pas de la réalité.
Une fois que vous décidez que Donald Trump et sa campagne de déportation de masse revendiquée était "un psychopathe". Vous arrêtez simplement d'y penser, lui laissant tout loisir de se réveiller un beau matin en écrivant sur son "réseau social" TruthSocial :
« J'adore l'odeur de la déportation au petit matin » (« I love the smell of deportations in the morning ») 06/09/2025
Mais tout cela n'a rien à voir avec les personnes neuro-atypiques. Qu'elles soient atteintes de troubles psychiques comme la schizophrénie ou la bi-polarité, de troubles neurologiques comme l'autisme ou la trisomie, de troubles fonctionnels comme l'hypocondrie ou la somatisation, ou même de troubles psychologiques comme les fameux syndromes post-traumatiques. On pourrait même dire -non sans malice- qu'à cet égard, dans leur grande diversité, ces personnes pourraient faire figure d'exemple en termes de santé mentale, ne serait-ce que par l'assiduité de leur accompagnement. Mais pas que.
Et il semble particulièrement difficile de se représenter l'impact de ce genre de vocabulaire sur les personnes neuro-atypiques : Si d'aventure il vous prenait d'envie "d'insulter" Emmanuel Macron en le qualifiant de termes sanistes, non seulement vous insultez les personnes en situation de handicap en les comparant à ce président, qui décide de dorloter ses "amis" ayant accumulé quelques centaines de milliers d'années de SMIC, plutôt que de cracher un minimum de moyens pour l'accompagnement des personnes neuro-atypiques (encore une soit disant « grande cause du quinquennat »). Mais vous dites à tout le monde que ce qui ne va pas chez E.Macron, c'est précisément qu'il leur ressemble. À eux. "Ces tarés".
Des questions de responsabilité sont aussi scabreusement dissimulées dans cette association d'idée : En occident, les effets de la propagande sont souvent comparés à une sorte de maladie mentale qui se propage. Les populations sont vues comme une sorte de bétail dénué de libre arbitre qu'on soumet à un traitement psychologique irrésistible, les conduisant irrémédiablement vers la commission d'actes violents. Mais là encore, l'association se révèle perverse. Elle masque la responsabilité des combattants, qui ne sont considérés que comme l'extrêmité d'un système érigé et conçu comme une arme mortelle. Et masque du même coup l'absence d'état de droit dans le champ de la guerre, si ce n'est dans un cadre périmétrique : les lois de la guerre. Soit un cadre où le meurtre n'est pas puni mais encouragé. Précisément par ceux qui sont censés se porter garant de l'état de droit dans la société civile. Cet aspect masque donc plusieurs niveaux de responsabilité collective, au sein d'un groupe d'adultes en pleine possession de leurs moyens (dans le cas contraire, ils seraient réformés, dans la plupart des groupes armés), qui participent ensemble à une entreprise meurtrière.
Surtout, cette métaphore se nourrit de l'efficacité des entreprises de conditionnement. Tout autant qu'elle même nourrit les entreprises de conditionnement. Ainsi les traumas collectifs et la propagande légitiment l'entreprise meurtrière institutionnalisée, elle même justifiée et galvanisée en des termes biologisants. Galvanisation, fanatisation, qui elle même dissimule les responsabilités de chacun, tandis que l'institution rejoue jusqu'à la nausée les traumatismes...
D'ailleurs, cette métaphore ne permet pas non plus d'éclairer sous un jour nouveau les troubles mentaux. Terme qui pourrait recouvrir un nombre astronomique de troubles et de handicaps. Dont pas un n'est contagieux.
La métamorphose⁴
Les personnes neuro-atypiques et plus largement, les personnes en situation de handicap, sont souvent exclues du monde du travail ou abonnés à des contrats courts et précaires. L'allocation adulte handicapé (AAH) reste d'ailleurs très symboliquement un tiers en dessous du seuil de pauvreté. Et conditionnée à des démarches bureaucratiques et médicales fastidieuses, malgré un accès aux soins en très nette dégradation. (le taux de non recours en 2022 atteignait 61%). Une situation qui favorise la précarité, les périodes d'internement psychiatriques, le délitement des liens sociaux, la vulnérabilité aux conduites addictives ou aux comportements suicidaires, comme autant de nouvelles occasions de traumatismes psychologiques. Et qui plus largement, perpétue une exclusion pouvant mener à toutes les extrémités.
Y compris donc, on le sait désormais :
À une émission interactive dans laquelle des personnes en situation de handicap sont moquées, battues, humiliées, soumises à des traitements inhumains et dégradants, parfois même des jours durant, parfois même jusqu'au décès de l'une d'entre elles. Pour satisfaire la cruauté malsaine de téléspectateurs qui encouragent et financent ces violences. Et l'avidité de plateformes numériques confisqués par des milliardaires au cynisme abyssal. Tandis que deux jeunes hommes s'improvisent tortionnaires de « leurs amis », en exploitant toute la perversité de ces mécanismes de domination, leur extorquant même au passage un semblant de consentement.
Au delà des questions légales. Au delà des questions techniques.
Ironiquement, les personnes neuro-atypiques ne cessent jamais de payer le manque d'introspection des "sains d'esprit". D'autant que c'est toujours à ces personnes, ainsi qu'à leurs rares alliés, qu'échoue la tâche de déconstruire ces mécanismes de domination et de discrimination. Voir de construire des rapports de force autour de ces question.
Malgré l'obscénité de la situation en termes tautologiques. Et malgré que cela constitue en soit un reversement de plus des questions de responsabilité.
(1) Du latin Idiota qui signifie « sans instruction ». Du grec Idiõtês qui signifie « sans spécialité ». C'est un terme qui prendra un lourd sens médical vers la fin du XIXè siècle. Il sera largement abandonné après la seconde guerre mondiale à cause de son instrumentalisation par les nazis pour justifier les atrocités commises à l'encontre des personnes en situation de handicap durant la campagne T4. Mais c'est surtout L'idiot de Dostoïevski.
(2) Ancêtre de la psychophobie. Terme inventé par Judi Chamberlain dans le livre Women look at psychiatry de Dorothy E. Smith et Sara J. David
(3) Technique d'alpinisme utilisée pour franchir un obstacle en rappel tel qu'une barre rocheuse ou une pente glissante
(4) La métamorphose de Franz Kafka
Un grand merci à Claire et Alexi pour la relecture.