Si vous n’avez pas lu mes billets des 8, 14 et 24 août 2024, je vous invite à le faire pour prendre connaissance des paralogismes, des procès d’intention gratuits (en sexisme, racisme, transphobie et/ou intersexophobie) et des contre-vérités que j’y mettais en évidence, et de l’angle sous lequel j’envisage plus largement la question des catégories de sexe dans les compétitions sportives, exposé dans le 3e billet.
L’une des deux évolutions importantes intervenues depuis l’été dernier est la publication des règles décidées par World Boxing, l’instance provisoirement reconnue par le Comité international olympique (CIO), depuis février 2025, comme régissant la boxe au niveau mondial au sein du mouvement olympique. Elle vient combler un vide en remplaçant l’International Boxing Association (IBA), que le CIO ne reconnaissait plus depuis juin 2023. Cette évolution fait parler d’elle à l’occasion de sa première application [1], pour les championnats du monde de boxe de Liverpool du 4 au 14 septembre 2025.
L’autre évolution est une refonte du règlement de World Athletics (ex-IAAF), l’instance qui reste celle reconnue par le CIO comme régissant l’athlétisme au niveau mondial. La première application du nouveau règlement concerne les championnats du monde d’athlétisme organisés à Tokyo du 13 au 21 septembre 2025.
LES REGLES DE WORLD BOXING EN VIGUEUR EN SEPTEMBRE 2025
C’est le 30 mai 2025 que World Boxing a divulgué ses règles concernant l’éligibilité aux catégories de compétitions internationales féminines et masculines. Comme la première version du communiqué de presse de World Boxing le laissait voir, il s’agissait d’éviter de rejouer le psychodrame des JO de 2024, dû à l’admission de Yu-Ting Min et Imane Khelif dans les compétitions féminines malgré leur exclusion de celles-ci par l’IBA, que le CIO ne reconnaissait plus. Le communiqué soulignait en particulier que la participation aux prochains championnats féminins d’Imane Khelif, médaillée d’or des JO 2024 dans sa catégorie de poids comme Yu-Ting Min l’a été dans la sienne, serait soumise à la condition qu’elle passe avec succès un « test de sexe » [2].
Gène SRY et sexe chromosomique
Selon la version « finale » des sex eligibility rules en vigueur depuis le 20 août 2025 [3], toutes les personnes majeures souhaitant participer à des compétitions organisées sous l’autorité de World Boxing doivent désormais transmettre le résultat d’un test génétique de présence du gène SRY.
Ce document présente le test comme parfaitement équivalent d’une part à un test de présence du chromosome Y, si SRY est présent, et d’autre part à un test de présence de deux chromosomes X, si SRY est absent. C’est pourtant faux. Il peut en effet arriver (rarement) que le gène SRY soit porté par un autre chromosome que le Y, ou inversement qu’il soit absent du chromosome Y, mais aussi (beaucoup plus fréquemment) qu’un chromosome Y soit présent chez une personne ayant également deux X, sans compter qu’une personne sans chromosome Y peut n’avoir qu’un seul X (et non deux).
L’absence de prise en compte de ces exceptions à l’équivalence entre sexe chromosomique, caryotypes 46,XX vs 46,XY et présence/absence du gène SRY, n’est pas gênante au regard du but poursuivi par les règles de World Boxing, dans la mesure où c’est la présence du gène SRY qui, en l’absence de rare atypie, détermine la cascade biologique conférant à la personne des testicules, et par suite une production importante de testostérone produisant les effets considérés comme les principaux responsables de la nécessité de « protéger » les compétitions féminines de boxe. Pour autant, il est très regrettable que ces fausses équivalences figurent dans le document de World Boxing. Parfois reprises sans distance critique dans des articles de presse, elles maintiennent l’ignorance sur la non-binarité et la complexité de la notion de sexe des personnes déjà au niveau génétique, sans parler des autres niveaux de sexuation biologique.
Notion de sexe « masculin à la naissance » ou « féminin à la naissance »
World Boxing prétend en outre que ses règles équivalent à déterminer le sexe de naissance des personnes : « To be eligible for the men’s category, a competitor must be male at birth. To be eligible for the women’s category, a competitor must be female at birth ». Or, pas plus qu’aucune autre instance y compris scientifique, World Boxing ne saurait prétendre détenir LA définition de ce qu’est être « de sexe masculin » ou « de sexe féminin » à la naissance, biologiquement parlant (cf. mon 3e billet d’août 2024). World Boxing conforte encore une fois l’ignorance de la complexité de la notion de sexe biologique d’une personne, et l’incompréhension des défis posés par certaines formes d’intersexuation pour la bicatégorisation de sexe des personnes en sport.
Règles appliquées en fonction du résultat du test de présence du gène SRY
Si le gène SRY est présent, en cas de suspicion d' « anomalies chromosomiques » ou de « différence du développement sexuel (DSD) » selon les termes de World Boxing – autrement dit en cas de suspicion de constitution biologique atypique du point de vue des caractéristiques sexuées selon les miens –, la personne est invitée à se soumettre à des examens complémentaires visant à déterminer son « profil endocrinien ». Sur la base des résultats de ces examens, les experts médicaux de World Boxing estiment si oui ou non, une androgénisation de type masculin (male androgenization) est présente chez cette personne, et c'est cela qui déterminera l'éligibilité à la catégorie masculine (male) ou féminine (female).
La notion de male androgenization ne fait pas l’objet d’un paragraphe de définition dans le document de World Boxing. Seule une mention entre parenthèses au détour d'une phrase donne la précision suivante : « a difference of sex development where male androgenization does not occur (absolute androgen insensitivity) », et les DSD concernées impliquent la présence du gène SRY au vu de ce qui est écrit juste avant. Le Tableau 1 ci-dessous me semble donc pouvoir synthétiser les règles d’éligibilité exposées dans ce document.

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LES REGLES DE WORLD ATHLETICS EN VIGUEUR EN SEPTEMBRE 2025
De son côté, World Athletics avait créé fin 2023 un groupe de travail auquel un an avait été donné pour proposer une révision des règles d’éligibilité aux catégories de compétition féminines et masculines. Composé de dix membres dont une femme trans et trois hommes (dont un non-votant), il a rendu son rapport en décembre 2024. Aux dires de World Athletics, les règles recommandées par le groupe ont été soumises pour consultation à un vaste panel de parties prenantes (athlètes, fédérations, médecins…) afin d’évaluer leur impact sur les droits humains. Elles ont été validées en mars 2025 par le Conseil de World Athletics. Les nouvelles règles entrées en vigueur le 1er septembre 2025, dont un communiqué de presse de World Athletics a annoncé la publication le 30 juillet, sont décrites en détail dans les parties C3.3A et C3.5A du règlement [4].
World Athletics y pose pour commencer qu’elle entend par « hommes biologiques » les personnes possédant un chromosome Y, et par « femmes biologiques » celles n’en possédant pas. A l’instar de l’usage des notions de « sexe masculin » ou « sexe féminin » à la naissance par World Boxing, celui des expressions « homme biologique » et « femme biologique » par World Athletics est regrettable, d’autant plus qu’il s’accompagne d’une définition basée sur la présence vs absence du chromosome Y.
Outre que World Athletics ne saurait prétendre connaître LA définition, pertinente dans tous les contextes et par conséquent consensuelle, de ces notions (qui jamais n’existera), la définition par la présence/absence du chromosome Y est non seulement d’une grossièreté crasse, mais démentie par ses propres règles, un poil plus subtiles. Il n’est aucunement nécessaire d’utiliser ce vocable dans ces règles, et le bannir contribuerait à mon avis à clarifier et apaiser les débats, à éviter d’invisibiliser l’intersexuation et à s’abstenir d’alimenter l’ignorance trumpiste, conservatrice ou extrême-droitiste décomplexée et délétère.
Eligibilité aux compétitions masculines
Pour ce qui est des compétitions masculines, seuls sont éligibles les « hommes biologiques » ainsi définis, ainsi que les « femmes biologiques » si elles ont recouru à de la testostérone exogène dans le cadre d’un « traitement d’affirmation de genre masculin » respectant les règles antidopage adoptées par World Athletics, à savoir celles de l’Agence mondiale antidopage [5] (rappelons que les stéroïdes androgéniques restent le principal produit de dopage utilisé en en sport).
Aucun test systématique n’est prévu pour vérifier l’éligibilité des athlètes aux compétitions masculines, et la procédure pour les éventuels tests ad hoc n’est pas précisée.
Si d’aventure une « femme biologique » n’ayant pas suivi de traitement hormonal masculinisant atteignait le niveau international de compétition masculine, je me demande si elle serait exclue au motif qu’elle n’est pas assez masculine, et le cas échant ce qui justifie qu’une autre, même « peu masculinisée » par un traitement de ce type, puisse a contrario être acceptée. Par ailleurs, la mention de la présence du chromosome Y, et non du gène SRY, est assez étrange dans ce contexte car cela rend en théorie inéligible aux compétitions masculines une personne sans chromosome Y qui serait également inéligible aux compétitions féminines parce qu’elle possèderait néanmoins ledit gène (une configuration biologique certes très rare).
En l’état, les règles d’éligibilité aux compétitions masculines me paraissent donc mal pensées, voire incohérentes (à noter qu’elles l’étaient encore davantage avant que la règle C.3.3A ne soit corrigée d’une grosse coquille le 14 août 2025, seize jours après sa publication [6]). Mais je ne suggère pas qu’il faille les penser mieux : comme je le soutiens dans mon 3e billet déjà cité, je serais plutôt d’avis de remplacer les compétitions masculines par des compétitions ouvertes à toustes.
Eligibilité aux compétitions féminines
Pour être éligible aux compétitions féminines, il faut se soumettre obligatoirement à un test génétique de présence du gène SRY – et non de présence du chromosome Y, bien que World Athletics mette faussement en équivalence les deux.
Si le gène SRY est absent, la personne est éligible y compris si elle a pris de la testostérone exogène, mais le cas échéant à la double condition qu’elle l’ait fait dans le cadre d’un traitement d’affirmation de genre masculin conformément aux règles antidopage susmentionnées, et qu’elle ait stoppé ce traitement depuis une période déterminée par World Athletics au cas par cas (en tenant compte de l’ensemble des facteurs pertinents tels que la durée, les dosages et certains effets constatés du traitement), et ne pouvant être inférieure à quatre ans. Je trouve dommage que soit conservée ici une logique de « cas par cas », mobilisant des critères qui seront nécessairement opaques et subjectifs.
Si au contraire le gène SRY est présent, il incombe à la personne de démontrer qu’elle présente un « syndrome d’insensibilité complète aux androgènes » (ORPHA99429, est-il précisé). En effet, cela implique qu’elle n’a connu « aucun développement sexuel masculin, y compris toute forme de puberté masculine », ce qui est ce que World Athletics vise par ce critère.
Si la personne ne présente pas d’insensibilité complète aux androgènes mais avait été déclarée éligible aux compétitions féminines dans le cadre du « Règlement DSD » auparavant en vigueur, une disposition transitoire la laisse éligible à condition de maintenir en continu sa concentration de testostérone sérique sous le plafond de 2,5 nmol/L (depuis au moins 6 mois pour pouvoir participer aux épreuves qui n’étaient pas soumises à restriction par le règlement DSD avant mars 2023 [7], depuis au moins 2 ans pour les autres épreuves).
En synthèse, sous réserve de considérer que par « présence du chromosome Y », World Athletics entend en fait la présence du gène SRY, qui est ce qu’elle demande de tester, les règles d’éligibilité applicables sont celle présentées dans le Tableau 2 ci-dessous.

Agrandissement : Illustration 2

CINQ GRANDS CHANGEMENTS EN ATHLETISME
Les nouvelles règles de World Athletics, très semblables à celles de World Boxing hormis les dispositions transitoires et l’éligibilité aux compétitions masculines de certaines personnes de constitution féminine typique prenant de la testostérone, diffèrent de celles en vigueur au moment des JO de 2024 sur cinq grands points.
Exit l’identité de genre et le sexe/genre légal
Premièrement, elles ne mobilisent plus l’identité de genre ni le sexe/genre légal des personnes. Je m’en réjouis non seulement pour les raisons exposées dans mon 3e billet déjà cité, mais parce que je milite plus largement pour la suppression de la notion de sexe/genre légal, c’est-à-dire de la mention de sexe/genre à l’état civil et sur les documents d’identité. Tout abandon de son utilisation va donc pour moi dans le bon sens.
De plus, un mauvais argument souvent opposé à cette suppression est qu’elle reviendrait à rendre impossible la prise en compte de certaines caractéristiques biologiques sexuées, dans certains contextes où cela se justifierait, et le sport est alors souvent cité. Or, ces règles montrent qu’il n’en est rien.
Seule l’interdiction en vigueur en France de réaliser un test génétique à des fins autres que médicales, scientifiques ou judiciaires (via les articles 16-10 et 16-11 du Code civil) constitue un obstacle à leur mise en œuvre. Mais outre que cet obstacle peut aisément être contourné en faisant le test à l’étranger, il suffirait pour le supprimer d’élargir l’exception déjà prévue dans l’article 16-10, qui prévoit que « l'examen des caractéristiques génétiques constitutionnelles d'une personne peut également être entrepris à des fins de lutte contre le dopage, dans les conditions prévues à l'article L. 232-12-2 du code du sport ».
Un règlement unique pour tout ce qui concerne les catégories de sexe
Deuxièmement, il n’y a plus d’un côté le règlement applicable aux « athlètes transgenres », et de l’autre le « règlement DSD ». C’est une bonne chose à plus d’un titre, dont parce qu’on peut être à la fois porteur d’une « DSD » et « transgenre ». Cette refonte au sein d’un règlement unique relatif aux « catégories féminines et masculines » permet en outre d’éviter de stigmatiser deux catégories de personnes, mal nommées, hétéroclites et aux contours flous, comme posant problème.
Exit la valeur limite du taux de testostérone
Troisièmement, ces règles ne mobilisent plus de valeur limite du taux de testostérone dans le sang, hormis dans les dispositions transitoires susmentionnées reprenant le taux limite de l’ex-Règlement DSD. Cela a le mérite de couper court aux discussions sans fin au sujet de la pertinence de telle ou telle limite, nécessairement sans fin puisqu’aucune limite ne saurait être idéale ni appropriée à toutes les disciplines.
Accessoirement, on ne pourra plus accuser World Athletics d’obliger certaines personnes à abaisser artificiellement leur taux de testostérone naturel, même si cette obligation n’en était pas exactement une puisque les personnes concernées n’étaient obligées à rien dès lors qu’elles renonçaient à briguer une médaille féminine de niveau mondial ou un record mondial féminin.
Fin des contrôles ciblés et a posteriori
Quatrièmement, la vérification de l’éligibilité aux compétitions féminines n’est plus faite uniquement sur des athlètes suspectées par leurs concurrentes de ne pas respecter les critères biologiques d’éligibilité, mais de manière systématique pour toute personne souhaitant y participer, et ce avant l’inscription à ces compétitions. Je trouve ici encore que c’est une bonne chose, à deux titres : d’une part cela évite de procéder à des tests ciblés sur la base de l’apparence physique des personnes, d’autre part cela évite l’exclusion d’une personne après que son inscription à une compétition a été rendue publique, équivalant à la publicisation de données à caractère personnel.
Des règles plus strictes pour l’éligibilité aux compétitions féminines
Enfin cinquièmement, ces règles sont plus strictes que précédemment pour l’accès aux compétitions féminines. World Athletics ne s’embarrasse plus des cas « discutables » tels que celui des personnes de sexes chromosomique et gonadique masculins, mais porteuses d’une insensibilité partielle aux androgènes, ou celui des personnes nées avec une constitution biologique typiquement masculine mais ayant artificiellement plus ou moins contrecarré le processus d’androgénisation naturelle (y compris dès le début de leur puberté). Les nouvelles règles gagnent donc en simplicité et en clarté, mais augmentent ce faisant le périmètre des personnes qui seront interdites de compétitions dites féminines.
World Athletics a du moins évité que cette modification mette brutalement fin à la carrière de personnes d’ores et déjà engagées dans des compétitions féminines de niveau international – et de révéler indirectement ce faisant des données personnelles les concernant. En effet, les personnes déjà admises au titre de l’ex-Règlement DSD le restent à ce titre, et le problème ne se pose pas pour celles qui auraient déjà été admises au titre de l’ex-Règlement relatif aux athlètes transgenres, car il n’existait aucune personne concernée selon World Athletics.
AUTRES REMARQUES VALANT POUR CES DEUX RÈGLEMENTS
Ce ne sont pas des tests de genre
Il faut souligner que les règles émises par World Boxing et par World Athletics n’impliquent en aucun cas la réalisation de « tests de genre », ou visant à « déterminer le genre des athlètes », contrairement à ce qu’ont écrit de nombreux médias (voir par exemple un article de FranceInfo.fr publié le 30 juillet au sujet des nouvelles règles de World Athletics [8]). Elles définissent des catégories de compétition fondées sur des caractéristiques strictement biologiques (et objectives), exactement de la même façon qu’il en existe fondées sur l’âge ou sur le poids.
Ces règles ne constituent pas un contrôle du corps « des femmes »
Par ailleurs, ces règles ne constituent pas un « contrôle » du corps « des femmes » en général, et plus particulièrement ne limitent pas le taux de testostérone « des femmes ». Concrètement, les personnes de sexe gonadique féminin, c’est-à-dire pourvues d’ovaires et non pourvues de testicule(s) ni d’ovotestis, qui constituent l’ultra-majorité des personnes concernées par les règles d’éligibilité aux compétitions féminines, sont éligibles quel que soit le niveau de testostérone naturellement produit par leurs corps (et quel que soit leur degré de sensibilité aux androgènes). Et je tiens à le souligner encore une fois, c’était déjà le cas avec les règles précédemment en vigueur pour l’athlétisme [9]. Il est donc trompeur d’affirmer, comme cela est fait dans un article publié sur FranceInfo.fr le 1er septembre, qu’après avoir « encadré le taux de testostérone chez les femmes, les obligeant à le réduire pour concourir, l'instance [World Athletics] va donc plus loin » avec le test du gène SRY [10].
Aucun chercheur sérieux ne prétend que ces règles n’ont pas de fondement scientifique
Comme indiqué dans ce même article, il est exact que parfois, « le gène SRY mute et ne fonctionne pas » (les règles pourraient le prendre en compte en précisant que seule la présence d’un gène SRY ne présentant pas ce type de mutation est prise en considération), et que parfois « une mutation du gène du récepteur aux androgènes rend la testostérone inefficace » (c’est exactement ce qui est pris en compte à travers la notion d’insensibilité complète aux androgènes).
Il est également correct de dire que dans ces deux cas, la présence de SRY ne « confère pas d'avantage biologique par rapport aux femmes XX » (bien qu’il soit possible qu’un subtil avantage subsiste dans le second cas, mais ne chipotons pas), pour reprendre les propos du généticien Francis Poulat cités dans cet article, instrumentalisés ensuite dans une dépêche AFP reprise par Le Monde [11].
Il est en revanche parfaitement erroné d’en conclure que Francis Poulat « contredit ainsi l'argument phare de World Athletics, soit l'avantage physique ou biologique supposé des athlètes DSD (différence de développement sexuel) ou transgenre ». La journaliste n’a semble-t-il pas relevé que la remarque de Francis Poulat portait sur les seuls deux cas particuliers qu’il évoquait, et non sur toute personne « DSD » ou « transgenre ».
Francis Poulat ne soutiendrait certainement pas qu’en athlétisme, toutes choses égales par ailleurs, une constitution biologique typiquement masculine ne confère aucun avantage sur les personnes ayant une constitution biologique typiquement féminine, ni qu’aucune configuration de caractéristiques sexuées atypiques ne confère un tel avantage. De manière plus générale, aucun chercheur sérieux ne prétend que les règles dont il est question ici n’ont pas de fondement scientifique : sont discutés leur caractère optimal au regard du but poursuivi, le fait que certains cas particulier ne sont pas pris en compte, le risque de faux positifs ou de faux négatifs, les problèmes éthiques que ces règles soulèvent notamment du fait des discriminations qu’elles opèrent, mais pas l’existence même d’avantages physiques conférés toutes choses par ailleurs par le fait d’être né avec des testicules tout en étant sensible aux androgènes, par exemple, versus d’être né avec des ovaires quelle que soit sa sensibilité aux androgènes.
Des discriminations fondées sur des caractéristiques sexuées
Ces règles opèrent des discriminations. Personne ne le conteste, et pour cause : toute catégorisation en sport implique nécessairement une discrimination fondée sur les critères délimitant chaque catégorie. C’est pourquoi il est ridicule d’invoquer la science, comme le fait l’article de FranceInter.fr déjà cité, en titrant que les tests génétiques imposés « sont jugés "discriminants" par des scientifiques ».
Soulignons que ces discriminations sont fondées sur des caractéristiques sexuées des personnes, et non sur leur sexe légal ni sur leur identité de genre. Soit dit en passant, cela signale l’intérêt de l’idée d'introduire dans le droit de la non-discrimination le critère « caractéristiques sexuées vraies ou supposées », qui remplacerait avantageusement les critères « sexe », « identité de genre » et « orientation sexuelle » devenant alors inutiles [12], même si en l’espèce le critère de discrimination légal « caractéristiques génétiques » pourrait faire l’affaire.
Par ailleurs, ces discriminations sont dans une certaine mesure arbitraires et « injustes », mais là encore il en est de même pour les autres catégories en sport. Ainsi, dans les disciplines où les personnes plus lourdes sont en moyenne avantagées, les catégories de poids induisent des discriminations envers les personnes qui souhaiteraient concourir dans une catégorie de poids inférieure, et elles opèrent des injustices objectives. Il est par exemple injuste qu’une personne pesant quelques grammes de plus qu’une autre, ce qui ne lui confère aucun avantage substantiel, n’ait pas le droit de concourir contre elle et soit contrainte de le faire contre des personnes en revanche substantiellement avantagées. Il est de même injuste qu’une personne qui aurait une particularité biologique contrecarrant l’avantage en théorie apporté par son plus grand poids, soit néanmoins interdite de compétition dans la catégorie de poids inférieure. Ce n’est pas moins injuste que le fait qu’une personne ayant une particularité biologique ne l’avantageant pas autant que les hommes typiques par rapport aux femmes typiques, soit néanmoins interdite de compétition avec celles-ci.
Et si on allait jusqu’au bout de la logique adoptée ?
Du point de vue du droit, lorsqu’une discrimination est opérée, toute la question est de savoir si elle est adaptée, nécessaire et proportionnée au but poursuivi. En l’occurrence, le but explicitement poursuivi par les instances sportives est de protéger les femmes typiques de la compétition avec des personnes dont la constitution biologique est celle des hommes typiques, ou s’en rapproche sur le plan des caractéristiques dont ces instances jugent, conformément à ce qu’indiquent les données convergentes de la recherche scientifique, qu’elles constituent le principal avantage biologique justifiant l’organisation de compétitions dites féminines protégées.
De manière constante et cohérente avec ce que font d’autres instances sportives telles que la Fédération internationale de natation, les caractéristiques en question sont en rapport avec un certain degré d’androgénisation des personnes. En fait, le test de présence du gène SRY ne vise pas tant dans ce contexte à détecter la présence du chromosome Y, comme cela est fréquemment dit dans la présentation de règles décrites plus haut, qu’à détecter la présence probable de testicules, sachant que c’est ce qui détermine en premier lieu la différence d’androgénisation jugée justifier l’existence de compétitions féminines protégées.
Le test PCR de détection du gène SRY, peu coûteux et non invasif, est à ce jour le plus simple pour ce faire. Loin de constituer un « retour en arrière énorme » en athlétisme, comme il est affirmé dans l’article du 1er septembre déjà cité, il permet simplement de mettre en œuvre autrement un contrôle d’éligibilité aux compétitions dites féminines visant au fond toujours le même objectif concret, à quelques nuances près : permettre aux personnes non pourvues de testicules ou insensibles aux androgènes, qui constituent l’ultra-majorité de la population dite féminine, de briguer des titres et records mondiaux sans subir la concurrence de personnes pourvues de testicules et sensibles aux androgènes.
Dès lors, pourquoi ne pas aller jusqu’au bout de cette logique ? Ne pourrait-on pas adopter une catégorisation en sport explicitement basée sur ces critères, ou des critères similaires simplement légèrement affinés, en abandonnant toute prétention que la catégorie protégée ainsi construite recouvre la notion de « femme » ?
Quelle alternative sinon des discriminations fondées sur autre chose ?
Les personnes qui dénoncent l’existence de ces règles ne demandent pas en général la suppression pure et simple de toute catégorisation de sexe/genre en sport. Elles sont sans doute bien conscientes de l’inacceptabilité sociale actuelle d’une telle révolution, compte tenu des conséquences dévastatrices que cela aurait pour toutes les personnes de constitution biologique non typiquement masculine espérant briller aux plus haut niveau de compétition internationale dans un certain nombre de sports, notamment en boxe, en natation et dans les diverses disciplines de l’athlétisme.
Mais elles ne développent pas de proposition alternative hormis la suppression de tout ou partie des critères biologiques pour l’accès aux compétitions dites féminines, en prenant en revanche en compte le sexe/genre légal des personnes et/ou leur identité de genre. Cela revient concrètement à militer en faveur de discriminations fondées sur le sexe/genre légal et/ou sur l’identité de genre. Le cas échéant, le but exact poursuivi par ces discriminations resterait à expliciter, puis il conviendrait de montrer qu’elles lui sont adaptées, nécessaires et proportionnées, notamment eu égard aux conséquences pour l’ensemble des personnes de constitution biologique typiquement féminine.
Odile Fillod
Notes
[1] Ont particulièrement été médiatisés les faits et gestes d’Imane Khelif : initialement son recours auprès du TAS contre la nouvelle règle imposant de transmettre les résultats d’un test de présence du gène SRY, son refus de le faire et par conséquent son interdiction de participer aux championnats du monde 2025, puis finalement l’annonce de son abandon de la boxe. Quant à la Taïwanaise Yu-Ting Min, l’autre médaillée d’or de boxe aux derniers JO qui comme Imane Khelif, avait été bannie des championnats du monde de 2023 par l’IBA notamment au motif qu’elle avait un caryotype XY, les médias reprennent d’une seule voix la formulation censée permettre d’éviter de révéler le résultat de son test PCR : elle ne participera pas à ces championnats « bien qu’elle ait réalisé » le « test de féminité », et on est prié de croire que la Fédération taïwanaise de boxe se contente de s’en étonner. Il est certes problématique que des données à caractère personnel concernant les personnes concernées soient plus ou moins implicitement publicisées, mais il est en même temps impossible d'informer correctement sur des affaires d'intérêt public impliquant ces personnes sans le faire, et il me semble que c'est ce qui devrait être privilégié dès lors que lesdites données à caractère personnel sont précisément au cœur des affaires en question.
[2] Voir https://web.archive.org/web/20250530175325/https://worldboxing.org/world-boxing-to-introduce-mandatory-sex-testing-for-all-boxers/ pour le communiqué initial. Le 6 juin, World Boxing a réécrit son communiqué de presse en faisant disparaître toute mention d’Imane Khelif, s’excusant de l’avoir citée nommément. Voir https://worldboxing.org/world-boxing-to-introduce-mandatory-sex-testing-for-all-boxers/ pour le communiqué modifié.
[3] Voir https://worldboxing.org/wp-content/uploads/2025/08/World-Boxing-Sex-Eligibility-Policy_FINAL_20Aug25.pdf (document finalisé le 18 août 2025, règles applicables à partir du 20 août 2025).
[4] Voir la section C de https://worldathletics.org/about-iaaf/documents/book-of-rules, la page mise à jour en continu de sorte à contenir la dernière version des règles en vigueur.
[5] Disponibles sur https://www.wada-ama.org/en/resources/therapeutic-use-exemption/tue-physician-guidelines-transgender-athletes.
[6] Dans la version publiée le 28 juillet, le paragraphe 3.5 stipulait qu’un athlète est éligible aux compétitions masculines « s’il est soit né et a toujours été reconnu comme étant un homme tout au long de sa vie, soit s’il satisfait aux dispositions applicables aux Athlètes masculins transgenres », ce qui était contredit par le contenu des paragraphes suivants et m’avait donc laissée perplexe.
[7] En mars 2023, les restrictions qui auparavant ne s’appliquaient qu’à un très petit nombre de disciplines concernées (courses de 400 m à 1 mile) ont été étendues à toutes, entre autres changements.
[9] En mai 2011, pour la première règle établissant une limite en termes de taux de testostérone (s’appliquant d’ores-et-déjà uniquement aux personnes ne présentant pas une insensibilité complète aux androgènes), le niveau de cette limite était tel qu’aucun cas de personne non pourvue de testicules l’atteignant n’a jamais été documenté, et que la probabilité que le cas se présente un jour était extrêmement faible. Quand cette limite a été abaissée en 2018 (et l’application de la règle restreinte à une poignée de disciplines), elle n’était toujours pas concrètement à même d’exclure une personne de sexe gonadique féminin hormis en cas d’hyperplasie congénitale des surrénales (HCS) particulièrement sévère et non traitée, mais à ma connaissance aucune athlète n’a été concernée. Lorsque les règles ont à nouveau été modifiées en 2019 (et que l’HCS a été définitivement exclue de leur champ d’application), World Athletics a souligné qu’elles s’appliquaient exclusivement aux personnes pourvues « de chromosomes masculins (XY) » et « de testicules, pas d’ovaires ». Afin d’éviter que ces données sensibles soient indirectement rendues publiques lorsque des athlètes se trouvaient publiquement concernées par ces règles, World Athletics ne l’a plus explicité lors des révisions successives, mais la description « technique » des conditions biologiques visées continuait à rendre concrètement impossible qu’une personne de sexe gonadique féminin voie son accès aux compétitions féminines compromis par un niveau élevé de testostérone.
[12] Voir Marie-Xavière Catto, « En finir avec le sexe ? », Intersections. Revue semestrielle Genre & Droit, juin 2024, en ligne sur https://revue-intersections.parisnanterre.fr/index.php/accueil/article/view/49/86.