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Billet de blog 9 octobre 2022

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À propos de la grenouille humanité (rebelote).

Je suis une personne raisonnable, d'où mon refus habituel de la rationalité, le nom donné à un schéma de pensée qui mime la démarche raisonnable et raisonnée sans user de la raison. Les “effondrementologues” sont des rationalistes typiques, ils font précéder la théorie à l'étude empirique, et tendent à croire que leurs hypothèses sont des théories. Ce qui est très idiot.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le titre de ce billet renvoie à mon plus récent billet publié à cette date, «La grenouille humanité et le bœuf catastrophe» (le réellement plus récent à la création de ce billet est «Le blason» mais il s'agit simplement d'une recommandation de blog). J'y reviens non pour le compléter ni me gausser des effondrementologues une fois encore, ils n'ont pas besoin de mes lazzi pour apparaître ridicules, il leur suffit de discuter de leur obsession plus que vaguement revêtue des apparences de la science pour ce faire, il s'agit plutôt ici de discuter de la raison, de la rationalité, de ce qui les oppose, et surtout, de mettre en avant qu'on ne doit pas me lire au filtre de la rationalité mais bien à celui de la raison.

Une personne raisonnable vit dans un univers désordonné et imprévisible dans lequel, disait Descartes, on peut «conduire par ordre [s]es pensées, en [...] supposant même de l'ordre entre [les objets] qui ne se précèdent point naturellement les uns les autres». Mis en exergue par Ma Pomme. Comme bien d'autres penseurs avant et après lui, Descartes est souvent lu au filtre de l'analyse qu'en firent ses épigones (un terme que le Petit Larousse définit comme «disciples sans imagination», ce qui n'est pas tout-à-fait exact: ils ont de l'imagination, ici ils imaginent comprendre ce qu'ils ne parviennent pas à saisir...) et ses premiers détracteurs, tout aussi imaginatifs que ses épigones... Voici les quatre principes de sa méthode:

«Le premier était de ne recevoir jamais aucune chose pour vraie, que je ne la connusse évidemment être telle: c'est-à-dire, d'éviter soigneusement la précipitation et la prévention; et de ne comprendre rien de plus en mes jugements, que ce qui se présenterait si clairement et si distinctement à mon esprit, que je n'eusse aucune occasion de le mettre en doute.
Le second, de diviser chacune des difficultés que j'examinerais, en autant de parcelles qu'il se pourrait, et qu'il serait requis pour les mieux résoudre.
Le troisième, de conduire par ordre mes pensées, en commençant par les objets les plus simples et les plus aisés à connaître, pour monter peu à peu, comme par degrés, jusques à la connaissance des plus composés; et supposant même de l'ordre entre ceux qui ne se précèdent point naturellement les uns les autres.
Et le dernier, de faire partout des dénombrements si entiers, et des revues si générales, que je fusse assuré de ne rien omettre» (René Descartes, Discours de la méthode, seconde partie).

Ses disciples (ou non disciples) imaginatifs mettent en exergue le doute cartésien; ses épigones et autres commentateurs sans imagination en parlent parfois mais oublient très vite la chose et plaquent leurs certitudes sur ses propositions, que ce soit pour les approuver sans nuance ou pour les dénigrer sans modération. Deux cas notables, entre autres: son fameux propos sur l'homme (l'humain) «comme maître et possesseur de la nature», où ces non imaginatifs oublient immédiatement le «comme» et supposent – et affirment – qu'il postulait que les humains en sont les maîtres et possesseur, proposition qu'il se garde de faire; le tout aussi fameux “animal-machine“, concept qui certes découle de propos que tint Descartes, mais dans sa propre conception c'est presque l'inverse, non tant que les animaux seraient des sortes de machines mais qu'on peut envisager, dans des temps futur, des machines au comportement aussi complexe que celui des animaux, à quoi on peut ajouter que de cela il ne tire pas la conséquence d'une séparation nette entre les humains et les animaux. Pour citer l'article de Wikipédia:

«Selon lui, les animaux obéissent à leurs instincts et donc au principe de causalité : en effet, tel stimulus extérieur (par exemple l'odeur d'un prédateur) entraîne chez l'animal telle réponse comportementale prévisible (ici, la fuite). Descartes affirme donc que l'on pourra un jour créer une machine similaire à n'importe quel animal du point de vue du comportement. Cependant il précise qu'il restera toujours une différence au niveau de la vie et du sentiment. Les machines ne peuvent ni se reproduire ni souffrir. Il précise bien dans la Lettre à Morus du 5 février 1649: “je n’ôte la vie à aucun animal, ne la faisant consister que dans la seule chaleur de cœur. Je ne leur refuse pas même le sentiment autant qu’il dépend des organes du corps”».

Ce sont, assez vite après lui, ses adversaires bornés et simplificateurs et ses épigones pas moins simplificateurs qui en “rationalisant” (avec une grosse dose de moraline) et donc, en simplifiant ses propos, ont propagé l'idée d'un Descartes sans nuances sur ce sujet. Soit dit, il avait raison: on produit désormais des automates qui ont tous les aspects d'un comportement animal (ou humain), sentiments et sensations exceptés. Bref, des machines qui ne partagent avec les animaux et humains que l'apparence d'une similarité.

René Descartes n'est pas l'humain parfait qui comprit tout sur tout de la réalité effective, objective, observable, c'est un homme et un humain du XVII° siècle avec les capacités et les limites conceptuelles et empiriques de son époque, on ne peut donc pas évaluer son œuvre et sa pensée à l'aune des capacités et des limites d'un humain et spécialement d'un homme du XIX° siècle ou du XXI° siècle, au mieux peut-on lui demander de ne pas avoir les limites d'un humain du XV° ou du XI° ou du VII° siècle et, en tant qu'humain du XVII° siècle, d'avoir des capacités, en tout premier celles conceptuelles, qui transcendent celles de l'humain philosophe et naturaliste moyen de son époque. Ce fut le cas: son œuvre de naturaliste empirique a pris un coup de vieux, c'est certain, mais c'est le cas pour tous les naturalistes d'avant le lustre 1901-1905, d'avant les prémisses de la mécanique quantique et d'avant la relativité restreinte einsteinienne; son œuvre conceptuelle de théoricien et de philosophe n'a en revanche pas pris une ride, les quatre principes de sa méthode restent pertinents en ce début de troisième millénaire et constituent toujours, en ce XXI° siècle, le socle de la méthode scientifique. On ne les applique pas, si on est un chercheur, comme l'eut fait un chercheur du XVII° siècle? C'est certain. En revanche, un chercheur et penseur qui ne se guide pas sur ces principes est,en 2022 autant un faux savant que l'était un chercheur et penseur du XVII° siècle ne se guidant pas sur eux. Mes lectrices et lecteurs habituels le savent, une autre de mes références est le naturaliste et philosophe Gregory Bateson, et en lui je trouve le même type de pertinence qu'en Descartes, la pertinence conceptuelle: comme son prédécesseur il privilégie l'approche déductive sur celle inductive.

Passons, et venons-en à ce qui motiva l'écriture de ce discours, qui est: je ne voudrais pas, me gaussant ainsi des “savants de l'effondrement, que l'on me suppose détaché des réalités de ce mode, indifférent à ses remous et aux signes de son dérèglement, sinon je n'aurais pas publié près de neuf cent billets dans ce blog, et rédigé plus de mille textes dont beaucoup de ceux non publiés actuellement ont disparu, supprimés par moi ou par “la Rédaction”, le reste étant, parfois depuis longtemps, de la classe des brouillons parmi lesquels bon nombre le resteront je suppose: serais-je indifférent au monde, que je n'aurais pas idée d'écrire sur lui et sur ce qu'il m'en paraît. Vouloir atteindre à l'ataraxie, à l'absence de trouble, n'implique pas qu'on soit aveugle aux troubles du monde, aveugle à un monde troublé. Un encore plus récent billet que celui metionné, rédigé et publié depuis la création de celui-ci, «Réduire la consommation d'électricité: quel effet sur la production?», se conclut ainsi:

«Vous pensiez que la situation actuelle est catastrophique? Vous étiez dans l'erreur, elle est très légèrement problématique, pour l'heure...».

Un tel propos fait-il de moi un “catastrophiste”, un “effondrementiste”? Loin de là: anticiper la catastrophe ou l'effondrement je ne le puis, je ne suis pas devin, mais parfois je me fais prophète, je parle de l'état du monde ici et maintenant sous une forme que malheureusement on lit le plus souvent comme une “révélation”, sur le passé ou sur l'avenir. Je n'anticipe pas sur la catastrophe car elle est déjà là, sur l'effondrement car il est en cours, et depuis quelques lustres voire quelques décennies déjà. Le monde de 2022 n'est plus celui de 1992, celui-là commença de s'effondrer vers 1985 au plus tard, et cette phase est peut-être achevée, sinon ça ne devrait pas tarder. Et puis? Le monde, pour le dire mieux, le monde en soi,  a-t-il disparu, va-t-il bientôt disparaître? Non pour le passé ni pour le présent, et très vraisemblablement non pour le futur sinon dans un temps extrêmement lointain. Comme dit dans l'autre récent billet, «La grenouille humanité...», les humains sont très présomptueux y compris pour le pire et se croient en capacité de détruire ou de construire le monde alors qu'ils ne font que l'égratigner, et leur “triomphe” de ce jour sera comme tous ceux antérieurs, une faible trace que le monde effacera bien vite et dont on retrouvera quelques vestiges infimes dans les siècles à venir. Reste que ces égratignure sur la face du monde, elles nous touchent profondément car le peu que nous construisons ou détruisons est ce qui compte le plus pour notre espèce. L'effondrement est prévisible car il advient souvent, et l'effacement de sa trace tout aussi prévisible: en 1945 ont cru que cet effondrement-là marquerait à tout jamais la face du monde, que devant une telle catastrophe la réponse de l'humanité serait, «pour les siècles des siècles», plus jamais ça! Et “ça“ est revenu, très localement ou plus largement, car les humains n'apprennent jamais de leurs erreurs, ils les enterrent en les nommant “la der des ders” ou “plus jamais ça” et s'empressent de les oublier.

Que signifie exactement, selon moi, la conclusion de «Réduire la conso...»? D'abord ceci, le sentiment de la catastrophe est sans rapport aucun avec l'effectivité de la catastrophe, on peut vivre une catastrophe sans la ressentir ou la ressentir sans la vivre. Le monde de 2022 n'est pas, d'un point de vue objectif , “en situation de catastrophe”, pas plus qu'il ne l'était dans les années 1955-1975, les grandes années de la Fin du Monde sous le déluge du Feu Atomique, quand elle advient (et elle advient toujours) la catastrophe est plus insidieuse car bien plus ordinaire, bien pluq humble, que la Grande Catastrophe de l'imaginaire effondrementiste. On se croyait menacés par le feu nucléaire? On était menacés par les micro-particules de plastique et par les rejets de molécules qui constituent des «perturbateurs endocriniens» ou des cancérogènes. Désolé, chers humains, chers semblables, la catastrophe a souvent, à presque toujours le mauvais goût de naître et s'épanouir dans des petites choses d'une confondante et affligeante banalité, dans les sacs à provision de supermarchés ou les “médicaments” à usage de coupe-faim...

Ensuite, et bien, c'est une évidence, la situation actuelle n'est pas catastrophique. Un catastrophe est en cours mais comme toutes les autres elle sera transitoire et finalement, de peu de conséquences. Ce qui bien sûr, ce qui bien sûr, n'exclut pas l'effondrement, mais lequel? La fin du monde? Impossible! La fin de l'humanité? Invraisemblable. La fin d'un certain monde et d'une certaine humanité, ce monde qui inventa les Grandes Menaces des micro-particules de plastique et des perturbateurs endocriniens et la toute petite menace du changement climatique. C'est que, les grands changements sont les moins menaçants, on les voit venir de loin donc on peut s'y préparer, qu'on le fasse mal (sans grande efficacité) ou bien, peu importe, on peut les anticiper; les petits changements en revanche sont invisibles très longtemps et n'émergent que quand ils sont déjà bien installés.

Il est à comprendre ceci: dans cet univers il y a deux règles intangibles,

  1. plus c'est gros, plus c'est rare;
  2. plus c'est gros, plus c'est précaire.

Ce qui vaut pour l'univers vaut pour la biosphère. Pour l'univers, et bien, c'est simple: la matière et l'énergie perceptibles représentent moins de 5% de celles effectives, le «fond diffus cosmologique» est indicatif du fait que «l'univers est composé de 4,9 % de matière ordinaire, 26,8 % de matière noire et 68,3 % d'énergie noire», on sait mesurer les matière et énergie “noires” mais non les percevoir, et on sait donc qu'elles forment la plus grande part de l'univers. Et la biosphère? Vous avez déjà vu de vos yeux une bactérie, un virus? Pourtant, l'essentiel de la biomasse est formé de ces infimes entités. L'essentiel du reste de la biomasse est formé de créatures de peu de dimension – parmi les organismes complexes terrestres, pour les fourmis à elles seules, «leur masse cumulée était estimée en 1990 à environ quatre fois celle de l’ensemble des vertébrés terrestres»; depuis, «une nouvelle estimation en 2000 a établi que leur biomasse est comparable à celle de l'humanité, ce qui représente 15 % à 20 % de la biomasse animale terrestre»; probablement, la réalité doit être entre les deux, et plutôt du côté de l'estimation de de 1990 que celle de 2000, en tous les cas ces petits insectes dont «chaque individu ne pèse que de 1 à 10 milligrammes» sont nettement plus présents que toute autre espèce animale terrestre, et bien sûr l'ensemble des invertébrés bien plus présent que l'ensemble des vertébrés, les uns et les autres ne formant qu'une part minoritaire de la biomasse terrestre, loin derrière les espèces non animales et les micro-organismes.

Plus c'est gros, plus c'est rare, et donc plus c'est gros plus c'est précaire. Simple là encore: le récemment découvert virus SARS-COV-2 est très simple, très rudimentaire, et par ce fait même très adaptable, il peut muter aisément car une variation défavorable de son génome ne touchera qu'un seul individu, en revanche une variation favorable va très vite se répandre si elle se stabilise car une génération de virus apparaît à chaque minute ou guère plus. Soyons pessimiste, une génération toutes les cinq minutes: au bout d'une journée, on aura eu quelques trois cent générations, ce qui prendrai environ six mille ans pour notre espèce. En une année, un virus aura connu quelques cent mille générations, ce qui prendrait pour notre espèce, même en réduisant le temps d'une génération à quinze ans, environ 1,5 millions d'années, quatre ou cinq fois le temps écoulé depuis l'émergence de notre lignée actuelle, Homo sapiens. L'existence de tout individu, du plus humble virus au plus énorme vertébré, est précaire, en revanche la précarité des espèces est directement liée à la complexité et à la taille des individus: les “extinctions de masse” nous apparaissent telles parce qu'elles ont pour l'essentiel concerné les espèces animales les plus massives ou/et complexes mais la rapide émergence (quelques centaines de milliers à quelques millions d'années) d'un nouvelle ensemble d'espèces massives et complexes démontre que ce constitue la base de la biosphère, les espèces infimes, spécialement les bactéries, ne fut que modérément et brièvement affecté, et disponible pour permettre une rapide (au plan des temps géologiques) réapparition des rares et précaires lignées les plus complexes et massives – jusqu'à l'extinction dite massive suivante.

Les sociétés humaines sont des entités du vivant. Les sociétés humaines actuelles sont extrêmement massives et complexes, donc extrêmement rares et précaires. Les sociétés humaines s'effondrent souvent, rares sont celles qui, passé un certain niveau d'extension et de complexité, durent plus que cinq ou six générations. Elles sont alors très sensibles aux changements, et particulièrement à ceux infimes. Les “gros” changements sont à leur échelle donc perceptibles pour elles, ce qui leur permet, non sans heurts ni difficultés bien sûr, de s'y adapter; comme dit, les petits changements leurs sont imperceptibles tant qu'ils ne sont pas bien installés, “pérennes”, et à ce moment-là leur adaptabilité sera faible voire, en cas d'extinctions massives, à-peu-près nulle. Les petits changements ayant lieu en permanence et avec grandes rapidité, nécessairement les très massives et très complexes sociétés humaines sont toutes destinées à s'effondrer assez rapidement, après trois a cinq générations au plus. Ce qui le plus souvent n'est pas très perceptible. Je prends souvent l'exemple de ma société, celle de l'entité politique “la France”: selon le dogme le plus courant, elle existe continûment depuis, et bien, les avis sont partagés, depuis au moins deux siècles et demi à trois siècles, ou depuis sept à onze siècles, ou depuis quinze à vingt-cinq siècles, ou “depuis la nuit des temps”. Selon moi, elle existe depuis trois décennies environ, depuis l'adoption par la Communauté économique européenne (la CEE) du “traité de Maastricht” qui la transforma en Union européenne (en UE). Je suis né dans un empire colonial finissant mais avec de beaux restes; trois ans après ma naissance cet empire disparût et ma société devint, pour trois décennies, un “État-nation” essentiellement limité à son territoire métropolitain; durant ces trois décennies elle évolua lentement vers une nouvelle forme et un nouveau statut qui fut légalement acté en 1992: une province dans un nouvel empire, l'UE.

Avant 1962, avant la fin de l'Empire colonial français, ce territoire connut bien des changements, parfois s'étendant, parfois se réduisant, parfois première, parfois subalterne, et pourtant il y a bien une continuité historique au moins depuis le milieu du XV° siècle en ce sens que depuis cette époque son territoire métropolitain et sa superstructure formelle (son organisation politique) ont fort peu varié, et que les “effondrements” successifs des sociétés désignées comme “la France” ont essentiellement concerné l'organisation effective de sa superstructure sans modifier en profondeur son infrastructure, laquelle connut, comme c'est toujours le cas, des changements progressifs et constants. Clairement, la France de 1793 n'était plus, pour sa superstructure, son “régime politique“, celle de 1787, en revanche la population, les routes et autres voies de circulation, les villes et les villages, les systèmes de communication, bref, l'infrastructure, est très semblable en 1775, en 1800 et en 1825, et si elle fut très différente en 1925 ces changements furent très progressifs, certes non sans heurts mais non au plan global, systémique. Ceci pour expliquer en quoi et pourquoi un “effondrement” global au niveau de la superstructure apparaît rarement tel: il n'atteint pas sa structure la plus essentielle, qui la constitue profondément, son infrastructure, sinon marginalement.

Je vis dans un monde troublé sans en être guère troublé parce que c'est prévisible, très prévisible. Peu prédictible certes mais très prévisible. Il m'arrive assez souvent d'en être énervé, il m'arrive bien plus rarement d'en être inquiet, mais très rarement et le temps passant, de plus en plus rarement, jamais ou presque désormais, d'en être troublé. C'est que, «la sagesse venant», j'ai développé un goût affirmé pour deux attitudes face au monde, l'ataraxie et le wuwei. Je puis les nommer parce que ces noms existent mais je les ai recherchées et pratiquées bien avant de les nommer, je veux dire: je ne suis adepte d'aucun courant philosophique ou idéologique ayant promu ces attitudes sous ces noms, je suis d'abord allé vers ces modes d'être au monde, d'abord erratiquement et maladroitement puis plus adroitement et plus droitement, et au cours de ce long chemin j'ai rencontré d'abord le mot “ataraxie” puis, bien plus récemment, le mot “non-agir”. Il ne me plaisait pas parce qu'il nomme mal ce qu'il désigne, et en cherchant un terme plus exact j'ai découvert il y a peu, deux ou trois ans, le mot “wuwei”. Je ne sais pas s'il nomme mieux ce qu'il désigne, ni ne suis certain que “ataraxie” nomme bien ce qu'il désigne mais ces mots ont pour moi le même intérêt, n'être pas opaques, ne pas masquer ce qu'ils désignent. Est-ce que ces mots nomment bien ce qu'ils désignent? Possible que oui, possible que non, donc. Est certain en revanche qu'ils sont ininterprétables pour un locuteur français ne les connaissant pas, ou les connaissant vaguement sans pouvoir trop leur donner une définition donc une interprétation. Possible que l'ataraxie soit l'absence de trouble et le wuwei le non-agir, mais en disant d'abord “absence de trouble” je proposerais un terme interprétable, presque une définition, qui fera s'arrêter beaucoup de lecteurs ou auditeurs à cel en lui “donnant du sens” mais un sens que pour moi il n'a pas, quelque chose comme “indifférence” ou/et “impassibilité”, et pour non-agir, quelque chose comme “passivité” ou/et “inaction”. Dès lors que cette interprétation / définition émergera ces mots seront opaques, ils ne désigneront pas un pan de la réalité observable, effective, de la réalité vérifiable, mais un pan de la réalité symbolique, celle propre à la langue, d'une réalité inobservable sinon comme assemblage de signes, d'une réalité ineffective et finalement, invérifiable. Les mots opaques ont ce défaut de donner le sentiment du vrai, de la vérité, alors qu'il ne vérifient, ne “rendent vrai” qu'une chose très limitée, l'évident rapport relationnel entre tous les mots d'une langue.

Je discutais récemment, dans un texte non encore publié, du mot “euthanasie”. En français, ce mot signifie ce que chacun veut lui faire signifier mais désigne une pratique effective dont la description est valable pour tous quelque définition qu'on lui donne, et qu'en Suisse on a nommé très exactement, le “suicide assisté”, l'aide fournie par une personne à une autre personne dans l'incapacité fonctionnelle de le faire pour abréger sa vie selon sa volonté exprimée de le faire. À l'origine c'est un mot anglais car les Anglais ont plus que d'autres l'habitude de reprendre des mots latins ou grecs ou d'en forger (comme dans ce cas, me semble-t-il) à partir d'éléments tirés de ces langues pour inventer des euphémismes. Dans l'Europe du début du XVII° siècle, l'Europe “chrétienne”, le suicide est plus que réprouvé, il est exclu et vaut à qui le commet la damnation éternelle, mais dans le même temps les mœurs évoluent et un courant certes ancien mais jusque-là, jusqu'au XVI° siècle, très minoritaire dans le monde “chrétien”, nommé en ce XVII° siècle le “libertinage”, qui désigne à la fois la liberté de pensée et la liberté de mœurs. On peut donc penser in petto ou pour les plus hardis sotto voce que le suicide, libre décision de l'individu, est acceptable, et le “suicide assisté” une parmi les diverses formes possibles d'abréviation de sa propre vie mais, le dire tout haut et clairement? Difficile, impossible! Sinon au risque de sa propre vie, ce qui n'est pas souhaitable même pour un défenseur de la liberté de soi et de la liberté de choix mais n'a pas de tendance suicidaire. D'où la nécessité d'un euphémisme et d'une forme de mot déliée de tout rapport direct avec la langue de son inventeur. Certes mais, une fois le mot importé ou inventé, il faut, et bien, le définir, et une fois le mot entré dans la langue courante, lui donner une définition stable. La définition helvétique est récente, très longtemps les défenseurs du “principe euthanasique” réfutèrent l'assimilation stricte de l'euthanasie avec le suicide, dû le contexte général encore très marqué, en Europe, par l'idéologie “chrétienne”, jusqu'au milieu du XX° siècle. Le mouvement déjà ancien de sécularisation de la vie publique et des institutions politiques, entamé pour l'essentiel à la toute fin du XV° siècle et déjà assez avancé vers le milieu du XVIII° siècle parmi les groupes philosophiquement et politiquement les plus libertins et libéraux, ne devint prépondérant, “officiel”, que vers le milieu du XIX° siècle dans les entités politiques les plus avancées sur cette voie, bien plus tard et pour certaines entités politiques dont plusieurs États-membres de l'UE, précairement ou nullement advenu jusqu'ici, d'où la prudence des promoteurs de l'euthanasie. Du coup, on a tendu à proposer une définition euphémique basée sur la signification de ses composantes.

Assurément ça cause de la mort, “θάνατος” (“thánatos”) en grec ancien, une mort “eu”, “εὖ” dans la même langue. Dans la définition du mot par le Wiktionnaire, on a ceci: «Mot composé de εὖ, (“bien”) et de θάνατος, thánatos (“mort”)», et cette définition, «Belle mort». Ce qui interroge doublement. La définition renvoie vers une entrée “belle mort” qui n'a rien à voir avec l'euthanasie, «mourir de sa belle mort» exprime à la fois la circonstance, «mourir de mort naturelle», et les conditions, de manière «plutôt paisible»; à coup sûr la mort euthanasique est “non naturelle”, provoquée, et le plus souvent répond à une condition opposée, la fin de vie “non paisible”, dans la douleur ou/et l'impotence. Puis il y a cet “eu” initial, qui en grec ancien peut signifier selon les cas “bien”, “bon” ou “heureux”, alors, “belle mort”, “bonne mort” ou “mort heureuse”? Les définitions de termes purement symboliques, ce que sont tous les euphémismes, sont toujours idéologiques, souvent politiques. Choisir l'une de ces propositions est politique, comme le sont d'autres définitions “neutres” (comme “suicide assisté”) ou “défavorables” (un opposant à la pratique parlera de meurtre ou d'assassinat). Quel que soit le cas, on évite le plus souvent de clairement définir la pratique. Selon moi la version suisse est celle qui s'approche le plus d'une définition de la pratique mais dans le seul contexte suisse, en Belgique on la nomme “euthanasie” mais c'est une autre pratique, quelque chose comme «la mort médicalement assistée», elle ne peut être administrée que par un médecin et sur décision d'un collège de médecins; l'expression de la volonté des “euthanasiés” n'est pas strictement requise, ni même leur libre décision toujours nécessaire – on peut y “euthanasier” des mineurs assez jeunes dont on ne suppose pas que sur tous les autres domaines de la vie sociale ils disposent de leur libre arbitre. Bref, en Belgique on nomme “euthanasie” le meurtre légal sous autorisation et contrôle médicaux.

Les partisans d'une “légalisation de l'euthanasie” ne veulent pas nécessairement la même chose parce qu'ils ne comprennent pas tous la même chose. De mon point de vue, la mort n'est jamais bonne ni heureuse en soi, et si elle peut être belle c'est dans cette acception classique en France et en français d'une mort qui s'accomplit sans (trop de) souffrance et sans qu'on doive de quelque manière abréger sa vie, ou celle d'un tiers. En matière de “suicide assisté” j'ai une opinion proche de celle que j'ai envers l'avortement: ce n'est jamais une bonne solution, donc nommer ça “bonne mort” ou “mort heureuse” est à coup sûr inexact, et “belle mort” une captation de cette expression usuelle pour l'appliquer à autre chose, qui ne sera “belle” que par contraste, en ce sens qu'elle évite (ou prétend le faire) une mort plutôt moche, une agonie longue ou/et douloureuse. C'est aussi le cas pour la “belle mort” classique avec cette différence qu'elle advient, et bien, “bellement”, sans artifice d'embellissement. Ça ne signifie pas pour cela que je ne souhaite pas que la France décide de ne plus considérer le “suicide assisté” comme un crime ou un délit comme elle le fit il y a un demi-siècle avec l'avortement mais il y a un énorme écart entre la dépénalisation d'un acte et sa légalisation.

Le cas de l'avortement, qu'on le nomme ainsi ou qu'on le nomme “interruption volontaire de grossesse”, est indicatif de ce point de vue; ni en France ni dans aucune autre entité politique actuelle il n'existe un “droit à” pratiquer cet acte, sinon de manière restrictive et presque inverse de ce que suppose l'usage de l'expression «droit à l'avortement», car tans toutes ou presque toutes les entités politiques seule une part restreinte de ses membres a le droit d'autoriser et souvent, de réaliser ces interruptions de grossesse, en général des soignants, parfois des binômes soignant-magistrat (ou autres “agents assermentés de l'État”), le soignant (en général un médecin) réalisant l'acte, les deux devant donner un avis, médical pour le soignant (pas de risques pour la mère, délai légal non dépassé), proprement légal pour l'agent de l'État et parfois, pour le soignant. Ce que font ces entités politiques est de dépénaliser quand elle était condamnable, ou de ne pas pénaliser l'acte en soi, mais dans tous les cas il reste limité, très encadré, et condamnable s'il est pratiqué en dehors de ce cadre. Il s'agit donc moins tant d'un droit des personnes que d'un devoir de la société, celui de ne pas interdire absolument et aveuglément toute interruption provoquée de grossesse. Reste le point de la volonté: celle de qui, dans les cas “légalement admissibles”? Celle des mères? Celle des couples de parents? Celle des pères? Celle des soignants? Celle des agents de l'État? Celle des binômes soignant-agent? Et volonté de quoi, pour quoi?

Les naïfs, c'est-à-dire les promoteurs et défenseurs aveugles d'un impossible “droit à l'avortement” entendu comme un droit des personnes, font en général la supposition que dans l'euphémisme «interruption volontaire de grossesse» on parle de la volonté des parents et plus spécialement de celle des mères potentielles; pour le législateur ça varie selon les régimes politiques, selon l'époque et selon les mœurs locales mais dans tous les cas il s'agit en premier de parler de l'acte même, qui est volontaire, on provoque l'avortement, en second de la possibilité de “quelqu'un” (le plus souvent, quelques-uns) de vouloir et de pouvoir (légalement et techniquement) le réaliser. En France par exemple, la volonté des soignants, spécifiquement des médecins, prime sur celle des parents et des agents de l'État. Ailleurs il peut en aller autrement mais dans tous les cas une volonté prime sur toutes les autres, celle de la société, qu'elle soit dévolue (cas le plus rare) aux parents, ou aux soignants, aux agents de l'État, à un membre désigné de la société ou (cas le plus courant) à plusieurs individus ou groupes, qu'elle soit antérieure (autorisation de réaliser l'acte) ou postérieure (vérification de sa réalisation selon les conditions légalement acceptables), toujours il s'agit en premier de la volonté de la société d'accepter ou d'ordonner l'acte. Pour exemple d'une “IVG” où la volonté de la personne gestante et de ses proches n'intervient pas toujours, et seulement en second, certaines “IVG médicales”, c'est-à-dire certaines interruptions provoquées recommandées et parfois imposées par des soignants “pour raison médicale”, cette “raison” concernant non la mère potentielle, la gestante, mais l'enfant potentiel, l'embryon ou le fœtus. Un cas notable est celui des acrânies et des anencéphalies. Pour en savoir plus sur ces maladies congénitales, voir le blog intitulé «Acrânie & Anencéphalie», que j'avais anciennement recommandé, avant qu'il ne dérive plus nettement vers une démarche “pro-vie”. Il reste cependant recommandable en tant que témoignage de certaines pratiques “médicales” douteuses, celles où l'avis des personnes directement concernées, celui des parents, n'est pas tenu pour valide et prépondérant, et où la décision du “corps médical” prévaut sur toute autre décision, les cas où le “conseil médical” tend à devenir un ordre, et dans certains contextes un ordre impératif. Mais en France ça concerne aussi des cas où il n'y a aucun pronostic de létalité de la “défectuosité” dont est porteur l'embryon, comme très notablement les “trisomies 21”, sources d'une déficience cognitive plus ou moins prononcée mais rarement d'une déficience fonctionnelle létale à très court terme, quelques minutes à quelques jours. Pour ces cas, parler d'une “IVG médicale” est abusive puisqu'il n'y a aucun risque médical particulier concernant la gestante et aucun risque létal particulier pour le futur enfant, il s'agit donc d'une “IVG sociale sans cause médicale avérée” prise en charge par les médecins qui en ce cas agissent non comme médecins mais comme agents de l'État.

C'est toujours ce risque qu'on encourt en “légalisant” ce qui ne ressort pas très clairement de la loi. Pour citer l'article 5 et le début de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789,

«Article 5 - La loi n'a le droit de défendre que les actions nuisibles à la société. Tout ce qui n'est pas défendu par la loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu'elle n'ordonne pas.
Article 6 - La loi est l'expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont droit de concourir personnellement ou par leurs représentants à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse».

La naissance à terme d'un enfant anenchéphale ou trisomique n'est en rien “nuisible à la société” et pour le second, n'est même en rien nuisible à lui-même, en rien cause d'une mort certaine peu après sa naissance. Comme il m'arrive de l'écrire, aucune vie ne mérite d'être vécue, mais aucune ne mérite de ne pas l'être: dans mon jeune temps, ayant eu des parents éducateurs de profession et vivant souvent dans un logement de fonction au sein des établissements où ils travaillaient j'ai beaucoup fréquenté des “déficients mentaux”, dont des trisomiques, et n'en ai connu aucun qui se soit plaint de vivre, d'avoir eu l'opportunité de vivre, en fait, dans leur majorité ils étaient plutôt heureux de vivre et même, plutôt plus, dans l'ensemble, que les “non déficients mentaux”. Certes il n'avaient pas une “bonne vie” selon les critères sociaux courants mais selon les critères plus larges de, disons, le bonheur de vivre, de profiter de la vie, ils avaient et, je suppose, ils ont toujours une “bonne vie”, sinon bien sûr ceux qui vivent dans des contextes peu favorables à un “épanouissement personnel” mais bon, c'est le lot commun de tous et chacun, qu'on soit “normal” ou “anormal” on court le même risque de se trouver dans un environnement pas très épanouissant...

Ce qui vaut pour “l'interruption provoquée de début de vie” vaut pour “l'interruption provoquée de fin de vie”, avec cependant la différence que contrairement aux embryons et fœtus, les personnes en fin de vie extra-utérine, “autonomes”, ont, même à un assez jeune âge (quatre ou cinq ans), la capacité de décider et de réaliser par elles-mêmes cette “interruption provoquée”, de se suicider sans assistance. Je ne parle pas ici de la capacité proprement cognitive, quel que soit l'âge où on le décide, on n'a pas toujours la compréhension pleine et entière des conséquences pour soi et pour son entourage d'un tel acte, mais de la capacité effective: un individu autonome de cinq ans et plus est en capacité de décider par lui-même et pour lui-même d'anticiper sa fin de vie en se tuant. Ces deux modes d'“interruption de vie provoquée” ont en commun le risque d'une “légalisation”, c'est-à-dire d'une décision prise par la société indépendamment de la volonté expresse des personnes concernées, la gestante et les autres parents pour l'IVG, les personnes dont la vie sera abrégée et leur famille pour l'IVV, “l'interruption volontaire de vie”, le risque d'être dépossédées de leur libre choix, tant pour empêcher cette “IVV” que pour l'ordonner. Dans le billet en cours de rédaction axé sur cette question je mentionne une partie du roman Un cantique pour Leibowitz où l'entité politique dans laquelle vivent et agissent deux des personnages dudit roman édicte une loi autorisant (de manière très encadrée bien sûr) l'euthanasie “légale”, c'est-à-dire à la fois décidée et réalisée par les agents de l'État par délégation (les médecins) et par fonction (les juges). C'est un roman, en outre de science-fiction, et situé dans un futur lointain pour cette partie-là, au-delà de l'année 3850, mais comme tout bon roman de SF il représente et schématise des situations du passé et du présent: au moment de sa publication, en 1960, on est encore proche du moment terrible où l'Allemagne nazie décida “légalement” d'interrompre très brutalement la vie de beaucoup de personnes sans qu'il y ait eu quelques causes “réelles et sérieuses” de le faire et sans surtout qu'intervienne la question de la volonté des personnes “abrégées”; et bien sûr, en 1960 et encore assez longtemps après, bien des pays “libéraux”, des “gentilles entités politiques” (entre autres et notablement car légalement, le Canada et la Suède) pratiquèrent un eugénisme imposé, avec avortements provoqués et stérilisations forcées, et parfois même IVV non consenties. Remarquez, c'est toujours le cas en 2022 mais il ne faut pas le dire car «l'eugénisme c'est le mal» et comme vous le savez, les Gentilles Entités Politiques agissent toujours “pour le bien”...

Pourquoi je cause de ça dans ce billet, au fait? Ah oui! Le sens des mots. Pour désigner certaines réalités effectives, objectives, je préfère les mots “ataraxie” et “wuwei” aux mots “absence de trouble” et “non-agir” car ce sont aussi des définitions, des mots “opaques”, qui renvoient d'abord à la réalité symbolique et qu'on peut facilement s'arrêter à ce renvoi sans chercher vers quelle réalité effective ils pointent. Le mot de forme (et d'origine) grecque “ataraxie” est de prime abord transparent ou au moins translucide pour un locuteur du français qui en ignore la forme ou/et la définition, et de même “wuwei” a de prime abord une forme “non française” et, en ce cas, une origine chinoise. Je peux les dire transparents en ce sens que, d'une part on tend spontanément à supposer qu'un mot qu'on ne connaît pas par sa forme ou/et sa définition renvoie vers un fragment de réalité objective, d'autre part je puis dans le cadre d'un discours les définir selon l'usage que j'en aurai. Dans divers billets j'use de ces deux termes en leur donnant à chaque fois une définition différente, parfois même très divergente. Dans certains par exemple j'ai postulé que ce sont des quasi-synonymes, tantôt pour rabattre “ataraxie” vers la définition contextuelle de “wuwei” , tantôt l'inverse, tantôt sans les assimiler, parfois même les utilise sans les définir, renvoyant à un dictionnaire (le TLF, le Trésor de la langue française, ou le Wiktionnaire) ou à une encyclopédie, en général Wikipédia. Même ces mots sont équivoques et peuvent être opaques, le mot “ataraxie” parce qu'il a plusieurs acceptions en français, entre autres celui d'«absence (apparente) de réaction sensible», qui désigne l'état “catatonique” de certaine formes de syndromes “schizophréniques”, le mot “wuwei” car en usage dans certains courants “Nouvelle Ère” (en français contemporain, New Age) dans une stricte équivalence avec le terme “non-agir”, ce qui conduit souvent les occidentaux à confronte la notion de wuwei avec, soit la passivité, soit le pacifisme intégral, soit les deux, bref, ce qui les conduit à rendre le terme opaque.

J'ai un goût certain pour les approches “ataraxique” et “wuwei”, d'où ma tendance à prendre les choses avec distance et sans trop d'inquiétude, non parce que je considère que le monde est “sans trouble” et “tranquille” mais parce que ça ne sert à rien d'ajouter du trouble au trouble, de l'inquiétude à l'inquiétude, c'est la pire manière de tenter de résoudre des problèmes réels que d'aller encore plus loin dans le cheminement qui a conduit à cet état de trouble dans le monde et d'inquiétude chez les humains. Disons, quand on donne trop d'importance aux conséquences on se prépare à coup sûr à ne rien faire pour tenter d'agir sur les causes. Comme je le dis dans divers billets, la cause principale des troubles les plus notables en ce début de troisième millénaire est l'excès de dépense d'énergie, l'excès de mouvement, l'excès d'agir, donc une solution possible semble le non-agir, c'est-à-dire non pas l'inaction mais l'arrêt ou la forte réduction de l'action sans effet, de l'agitation, de l'excès de dépense d'énergie. Si on s'attache seulement aux effets on estimera, non pas que la cause est l'excès de dépense mais la mauvaise utilisation ou gestion de cette production et de cette dépense d'énergie. Raison pourquoi, au-delà du fait qu'il a des intérêts immédiats convergents avec les promoteurs de ces “solutions”, Emmanuel Macron veut à tout prix lancer un grand programme de construction de centrales “nucléaires” de production d'énergie électrique: dans son optique “conséquentielle” le problème est l'insuffisance de “grosses centrales de production”, donc la solution est la création de centrales du même type mais en encore plus gros, donc une accentuation de la cause réelle de la situation troublée.

Quand on croit (ou prétend croire) à l'effondrement par les Grosses Causes (en ces temps, par la cause magique du Réchauffement Climatique) on est amené à croire (ou prétendre croire) aux Grosses Solutions, donc à négliger les petites causes, et les petites solutions...

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