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Billet de blog 17 novembre 2024

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Spécistes et antispécistes.

Il m'arrive de parler des antispécistes pour dire tout le mal que je pense de leurs postulats. Je dis notamment qu'ils sont aussi spécistes que les spécistes. Mais ils le sont différemment. La question au cœur de tout ça est celle du bien et du mal.

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En ce qui me concerne je ne me classe ni dans l'un ni dans l'autre camp. D'autant que selon moi ces camps n'existent pas. Enfin si, celui de l'antispécisme par choix, celui du spécisme par contraste et opposition. Le spécisme est une invention du courant antispéciste, comme expliqué dans l'article de Wikipédia sur Richard D. Ryder, créateur du mot et initiateur du courant antispéciste formel (il se place dans la continuité d'un courant plus ancien mais contribue notablement à sa constitution en idéologie structurée puis assez vite partisane). L'antispécisme précède le spécisme et – j'en parlais dans un autre billet sans le savoir de manière précise mais ça me semblait tellement évident que je n'ai pas tenté de “trouver des preuves” – l'invente par nécessité: quand on se pose “contre” on doit affirmer qu'il existe un ensemble constitué de “pour”, en ce cas, se poser comme “contre la notion d'espèce” nécessite de postuler un groupe antagoniste “pour la notion d'espèce”. Entendons-nous: non pas des promoteurs de la notion en tant qu'outil descriptif mais en tant qu'idéologie. Tiens ben, j'en disais quoi? Ceci d'abord:

«Si l'on se pose comme “anti” il faut bien s'inventer un opposé, donc les “spécistes” et le “spécisme”: ce n'est pas le tout de vouloir se battre contre les moulins à vent, s'ils n'existent pas on doit d'abord les construire…».

Et plus loin:

«Je ne parlerai pas plus des “antispécistes”, ce sont des gens aussi peu intéressants que les “végans”, ils ne veulent en rien rompre avec l'état des choses, au contraire leurs projets nécessitent la persistance de cet état des choses […]. Ces gens sont à la fois “terroristes” (ils n'hésitent pas, pour les plus radicaux d'entre eux, à mener des actions destructrices, y compris destructrices de la vie) et “légalistes” au pire sens, chicaniers mais ne mettant surtout pas en cause un système de lois qui favorise les projets spécieux de ce genre, des projets fondamentalement antisociaux».

Ça vient du diptyque «Une fiction: les “Digital Natives”», partie I pour le premier extrait, partie II pour le second. Il est facile de comprendre le processus de constitution d'une idéologie “antispéciste”. Au départ il y a une idéologie explicite ou non, qu'on peut qualifier d'antisociale, ou différentialiste et hiérarchisante, qui postule que la société est une pyramide où “les meilleurs” sont au sommet, sont un petit nombre, dominent “naturellement”: au second rang, un groupe de “méritants” de moindre mérite que “les meilleurs” et dont le principal mérite est d'accepter, de soutenir et de défendre cette “nature des choses” qu'est la hiérarchie sociale; au dernier rang un vaste ensemble de “non méritants”, divisé en “sans mérite” et en “déméritants”, les “sans mérite” divisés eux-mêmes en sans mérite “de rang supérieur” et “de rang inférieur”. Dans le cadre d'une telle idéologie l'antispécisme a un rôle fonctionnel, il permet de distinguer parmi les “méritants” ceux fiables, douteux et non fiables. Accepter une notion aussi spécieuse que l'antispécisme est une preuve de fiabilité, la refuser une preuve de non fiabilité, ne pas se positionner l'indice d'un positionnement douteux car il n'est jamais bon de ne pas avoir de position tranchée à propos d'une idéologie discriminante basée sur un présupposé indémontrable. Cas actuel par exemple: ne pas accepter pleinement l'équation simple «antisionisme = antisémitisme», c'est démontrer, si on la refuse, son adhésion à l'antisémitisme, si on la discute pour proposer que les choses ne sont pas si simples, qu'on est douteux, donc possiblement antisémite ou au moins non prosémite, ce qui est en soi disqualifiant car la seule position acceptable est l'acceptation entière et indiscutée du postulat. L'antispécisme est une idéologie discriminante de ce genre.

L'antispécisme est un spécisme, mais d'autre sorte que celui défini par les antispécistes, un “spécisme social”, fondamentalement assez similaire au “darwinisme social”, c'est-à-dire une “théorie” indémontrable permettant à la fois de légitimer la hiérarchie pyramidale décrite plus haut et de discriminer les “méritants de second rang“ en fiables, non fiables et douteux. Cette idéologie ne prétend pas, concernant l'espèce humaine, que ses membres sont “naturellement” spécistes, antispécistes et médians, elle procède plutôt comme la simplification «antisionisme = antisémitisme»: refuser l'antispécisme c'est se classer immédiatement comme “spéciste”, ce qui est moralement et si possible (ça devient depuis quelque temps possible) judiciairement condamnable; ne pas se déclarer antispéciste est moralement condamnable mais ne l'est pas encore judiciairement, ce qui pourrait cependant advenir – on voit ces temps-ci un glissement de cet ordre avec l'antisionisme: jusqu'à récemment ne pas se poser comme “anti-antisioniste” était déjà moralement condamnable mais l'antisionisme étant désormais légalement assimilé en France à l'antisémitisme, l'incrimination de “non anti-antisionisme” peut être, pour un habile sophiste, aisément transformé en “antisionisme” donc en “antisémitisme”, ou plus exactement en “anti-judaïsme”, les autres Sémites n'étant pas concernés. Je vous conseille de lire cette proposition de résolution, surtout son «exposé des motifs», pour comprendre comment on peut “légalement” transformer une opinion politique ou un simple propos constatant certains comportements condamnables d'une entité politique en délit “de droit commun” voire en crime.

Les théoriciens et propagandistes d'un idéologie comme l'antispécisme n'ont pas nécessité d'y adhérer, en fait il ont intérêt à ne pas mais de toute manière ça n'a ps d'importance: les membres du groupe des “meilleurs” sont “au-dessus des lois”, c'est-à-dire qu'ils ont une position sociale qui les met le plus souvent à l'abri du risque d'être incriminés, s'ils le sont ont de grande chances d'être disculpés (non-lieu, acquittement) et s'ils ne le sont pas, d'encourir une peine symbolique (amende ou/et peine privative de liberté avec sursis simple). Et si finalement ils sont condamnés à une peine privative de liberté sans sursis, rares sont ceux qui l'accomplissent réellement et intégralement. Pour les méritants subalternes c'est un peu plus risqué mais guère, sinon (mais pas toujours) pour les non fiables. Pour les non méritants et spécialement les déméritants la “rigueur de la loi” est beaucoup plus courante. Sauf quand ces “non méritants” enfreignent la loi en s'attaquant à des méritants non fiables, là on constate souvent une indulgence peu courante envers eux. Eh! Ils agissent mal mais “pour le bien”, ce qui est méritoire même pour un non méritant…

Ils sont au-dessus des lois et au-dessus de la morale. La préservation de la position des “meilleurs” nécessite un “spécisme” du type condamné par l'antispécisme puisqu'elle repose sur la préservation de l'état des choses, donc sur un traitement dégradant des animaux, domestiques comme sauvages. Accepter cet état des choses c'est nécessairement accepter ses conséquences. Le principe énoncé précédemment, les “meilleurs” sont au-dessus des lois, les “méritants” en subissent rarement les conséquences les plus graves, seuls les “non méritants” et les “déméritants” courant un grand risque d'en subir toute la rigueur. De ce fait, l'inscription dans la loi de crimes et délits “spécistes” n'atteindra prévisiblement que les “lampistes”, ceux qui n'ont pas d'intérêt propre à ce que l'état des choses actuel (celui qui leur est défavorable) perdure mais qui par nécessité doivent agir en “spécistes condamnables”, notamment en se coltinant le sale boulot dans l'élevage et l'abattage des animaux domestiques, dans la manipulation des animaux de laboratoire, etc. On a donc cette situation d'un groupe idéologique qui souhaite que perdure un état des choses “spéciste”, un groupe secondaire qui souhaite préserver sa situation médiane et se fait propagandiste et législateur de l'antispécisme, un groupe tertiaire qui subit les conséquences de l'idéologie de base “naturalisant” la hiérarchie pyramidale dans sa vie et devant la justice.

Perso je m'en bats les flancs de l'antispécisme mais si un antispéciste “méritant” me le reprochait, en bon spéciste social que je ne suis pas je le traiterai d'espèce de con, si c'est un “meilleur”, d'espèce de salaud – quant à moi j'appartiens à l'espèce humaine, celle qui préfère les sociétés planes aux sociétés pyramidales.


Ah oui! La question du bien et du mal! Ben, je m'en bats les flancs aussi, mais au cas où ce ne serait pas le vôtre, posez-vous la question du bien et du mal en rapport au supposé spécisme et l'avéré antispécisme. On dit que le mieux et l'ennemi du bien et les meilleurs veulent le mieux.

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