L'idée de ce billet m'est venue d'une proposition que je me voulais faire, mais sa formulation initiale,
J'accepte de croire les hypothèses de Pierre Clastres..
ne me satisfaisait pas. Ça m'ennuyait, car ce n'est pas le cas. J'ai reformulé ça en:
Je veux bien croire aux hypothèses de Pierre Clastres.
Toujours pas ça. J'ai réfléchi, réfléchi, réfléchi encore, tourné cette pensée en moi. Ça résulta en:
J'accepte de croire en les hypothèses de Pierre Clastres bien que je n'y croies pas.
ou quelque chose de ce genre. C'est que, m'appliquer l'imputation de croyance m'est difficile. Pourtant, je me sais dans la croyance, et tout en m'affirmant incrédule je ne manque pas, quelques fois, de préciser que je crois en certaines choses indémontrables, tout en sachant que plus qu'indémontrables ces choses sont irréalistes, qu'elles ne peuvent pas être. D'où le paradoxe apparent du titre: un croyant incrédule.
J'avais songé à la proposition sur les hypothèses de Pierre Clastres car ces temps-ci je j'en discute parce que je le relis ou le lis (quand je me prends à discuter d'un auteur que j'estime intéressant, souvent j'approfondis ma connaissance de son œuvre publiée. J'écris que je le relis ou lis mais ça peut aussi être des publications autres, audios ou vidéos notamment). Je le connais, plus ou moins directement, de longue date, mais n'ai qu'assez rarement fait référence à son travail: une seule fois directement dans mes sites personnels, et une fois indirectement dans un billet intitulé «La Société contre l'État» où je ne cite même pas Clastres.
Excursus 1: les excursus.
Tout d'abord, un remerciement à JPY Le Goff qui, dans cette page de commentaires, m'a fait quelques remarques judicieuses concernant le peu d'ordre du billet commenté, ce en quoi il a raison. Ce qui m'a conduit à reprendre un procédé, que j'explique ici, qui donne un peu d'ordre à mes discours décousus. Ça ne le ordonne pas plus mais ça les recoud. Fin des remerciements, début de l'excursus.
Il y a quelques temps (six ou sept années) j'avais inventé un truc pratique, les “excursus” ; les définitions en sont diverses, celle qui me convient presque est celle de l'Encyclopædia Universalis, «Digression, action de s'écarter du sujet». Je préfère celle du TLF sauf les tous derniers mots: «Dissertation en forme de digression à l'occasion d'un mot ou d'une pensée d'un auteur de l'Antiquité». D'accord, je suis vieux, mais un jeune vieux, pas une antiquité, et comme c'est à l'occasion d'un mot ou d'une pensée de Ma Pomme… Et bien sûr, “dissertation” en un sens très général, “je disserte sur” ou à propos de.
Le fait de marquer ces excursus par une séparation et l'indication initiale “Excursus [N]”, puis l'indication finale “Fin de l'excursus [N]” permet à mes lectrices et lecteurs potentiels qui n'apprécient pas les digression de se rebrancher sur “le thème du billet”. Perso j'aime les digressions, comme lecteur et comme auteur, j'invite donc mes lectrices et lecteurs à au moins y jeter un œil, à les voir comme des textes autonomes qui ont peut-être un intérêt propre aussi valable, possiblement plus valable que le discours censément principal.
En plus, ils donnent souvent un éclairage sur le “thème principal” qui est un éclaircissement.
Fin de l'excursus 1.
Je vous donne cette définition parce que ci-dessous figure un excursus assez long.
Excursus 2: la Société, l'État et les paradoxes.
Je me relis rarement, et quand je le fais pour des textes un peu anciens (plus d'un ou deux ans) et oubliés, je découvre un auteur inconnu, qui souvent m'apparaît d'un intérêt faible ou nul, parfois d'un intérêt moyen, rarement d'un grand intérêt. Ce «La Société contre l'État» est rare, et s'achève abruptement. La fin de l'article est prometteuse:
«Conditionnement social et conditionnement étatique.
Chaque Humanité, chaque sous-unité et chaque individu est à des degrés variés à la fois étatiste et, disons, socialiste, même si ces termes sont assez connotés. Si je pouvais contribuer à leur donner une acception plus intéressante et stable ça serait bien. En gros, l'État est la part des actes, objets et concepts qui sont communs à toute une Humanité, la société, tout le reste. De ce fait, plus on tend vers l'étatisme plus la part commune est importante, plus on tend vers le socialisme, plus elle est réduite».
Sauf un dernier alinéa sans grand intérêt ça se termine là. Beaucoup promettre, peu tenir… Non que ça me semble un problème, j'espère toujours même si (à raison le plus souvent) j'en doute, que mes possibles lectrices et lecteurs s'interrogent et me demandent ou me proposent – plutôt, me proposent – une poursuite du propos, ce qui conduirait à un échange. Selon moi, cette partie du billet, titre, introduction et premier alinéa, est suffisante pour développer sa propre réflexion:
«La Société contre l'État.
Au jeu de la Société contre l'État, la société gagne toujours et l'État est vainqueur, mais il sera dévoré vivant.
___________________________________
Ce texte décrira la lutte entre une organisation des humains que l'on peut nommer société, où chaque individu est autonome, vit de ce qui lui est nécessaire, travaille ce qui lui est nécessaire, et passe l'essentiel de son temps au loisir et à l'étude, et une autre que l'on peut nommer État, où chaque individu est assujetti, vit au-dessus de ses besoins, travaille au-delà de ses capacités et consacre un temps très restreint au loisir et à l'étude. Les humains qui vivent dans des États sont essentiellement malheureux et croient que ceux qui vivent en société sont encore plus malheureux qu'eux, ce en quoi ils se trompent, le bonheur se découvrant dans le loisir et l'étude, qui sont une joie, et non dans le travail, qui est une peine. Mais il y a un problème: les habitants des États veulent à toute force faire partager leur conception d'atteindre au bonheur aux habitants des sociétés, lesquels n'en veulent pas, d'où les conséquences que vous imaginez. Vous connaissez la chose, on l'appelle colonialisme ou impérialisme. Ce que disent les colonisateurs est vrai, ils veulent le bonheur des peuples, ce que disent les colonisés est vrai, ils font le malheur des peuples. Y compris de leur propre peuple, puisque dès le départ ils sont malheureux. On peut ergoter, philosopher, couper les cheveux en quatre et autres actes inutiles, il faut regarder plutôt que croire: un reportage chez “les pauvres”, c'est un voyage au pays des gens souriants et affables, un reportage chez “les riches” c'est un voyage au pays des gens tristes et grincheux. D'où l'on peut en conclure que les habitants des États n'arrivent pas à voir la réalité, qui leur montre clairement qu'il vaut mieux vivre “pauvre” que “riche” si l'on veut vivre heureux. Il y a une raison à cette erreur, le conditionnement».
Selon moi il y a deux sortes de paradoxes, les “vrais” et les “faux”. L'univers à une seule règle, une seule doxa, persévérer dans son être, et cela vaut dans son tout et dans ses parties. En toute hypothèse c'est impossible mais à des degrés divers: l'univers comme tout a un début et sans le certifier on peut supposer qu'il aura une fin, mais (tel qu'on le décrit actuellement) il a un début très ancien, environ quatorze milliards d'années, est en expansion, persévère dans son être (continue d'exister) tant qu'il est en expansion et dans le cas d'une hypothétique phase de régression, mettra au moins autant de temps à se contracter qu'il en aura mis à se dilater, autant dire que l'hypothétique impossibilité pour l'univers dans sa globalité de persévérer dans son être ne signifie rien pour des parties de l'univers telles que vous et moi, ou même telles que votre société ou la mienne, ou même telles que l'humanité dans sa totalité. Pour la vie terrestre dans sa globalité c'est peut-être plus significatif: elle débute il y a environ quatre milliards d'années, soit moins que le tiers de la durée nominale de l'univers connaissable, mais entre un tiers et un deux-millième (ancienneté maximum de la lignée qui aboutit à notre espèce, qu'on situe au moment où elle a divergé de celle qui a donné les chimpanzés, soit environ sept millions d'années) ça fait une différente significative: comparer à soi un objet triple en dimension et en durée, c'est possible, les écarts sont importants mais commensurables; comparer à soi une réalité deux mille fois plus important en durée et des milliards de milliards de fois en extension, c'est incommensurable. La vie terrestre débute donc il y a quatre milliards d'années et sauf accident persistera dans son être à-peu-près autant de temps à partir de maintenant (toutes choses égales par ailleurs le système solaire devrait persister encore cinq milliards et demi d'années mais il se trouve qu'une chose significative ne sera pas égale “par ailleurs”, et conséquemment, par ici, la fusion, dans environ quatre milliards d'années, entre notre galaxie et une galaxie voisine, et comme notre système solaire est en périphérie et du côté où débutera la fusion, il n'est pas certain qu'il persévère plus que quelques centaines de millions d'années après. C'est sûr, il y a le temps de se préparer mais en ce qui concerne notre espèce je suppose sans grand risque d'erreur qu'elle aura fait son testament et reçu l'extrême-onction bien avant).
L'univers dans son tout et ses partie a une seule règle, persister en son être. Mais plus une partie est infime, plus l'application de cette règle est difficile. Enfin, ça n'est pas si évident, il se peut (il semble assez vraisemblable) qu'en-deça d'une certaine dimension et selon les contextes, les parties les plus infimes de l'univers aient une persistance très grande, genre presque celle de l'univers. Vous et moi sommes d'une dimension intermédiaire, de même nos sociétés, notre espèce et la vie, et aussi la Terre, le système solaire, notre galaxie, le “groupe local” de galaxies où elle figure,le “groupe supra-local” (le “superamas”) de galaxies ou s'inscrit celui local. Selon toute vraisemblance, il y a environ 10 millions de superamas dans l'univers observable, lequel représente, semble-t-il, environ 2% de l'univers global, autant dire que le “superamas“ où figure notre galaxie, elle-même insignifiante dans ce cadre, est insignifiant dans le cadre de l'univers. Je sais que ça n'a pas grande signification quand on réfléchit à ces données en prenant sa propre situation comme référence, donc dire qu'un machin comme le système solaire à une persistance limitée et faible quand ça concerne une réalité d'une dimension supérieure une centaine de millions de fois en durée, des milliards de milliards de fois en volume, à celle d'un humain moyen, ça peut sembler exagéré mais par le fait, en dimension comme (là c'est hypothétique mais d'une part il n'est pas certain que l'univers global corresponde au modèle actuel, celui qui postule un certain début, d'autre part il ne semble pas devoir entrer en voie de régression avant beaucoup de temps, beaucoup plus que sa durée nominale actuelle) en durée le système solaire n'est rien. Non que ça soit si important, c'est juste pour inviter à relativiser les notions d'infini et d'incommensurable: le systèmes solaire, sa galaxie, son groupe local et son superamas sont commensurables et finis, l'univers est effectivement incommensurable (il dépasse nos possibilités d'observation) et hypothétiquement infini, d'où on peut dire que dans sa globalité il persévère pour une durée infinie (car incommensurable) dans son être, ce qui ne sera pas le cas du superamas, du groupe local, du système solaire, de la Terre et de la vie sur Terre. C'est une commensurabilité qui dépasse nos capacités immédiates de compréhension, voilà tout.
Vous et moi sommes des parties infimes de l'univers et notre capacité de persévérance est extrêmement limitée, donc toute proposition qui se base sur une hypothèse autre que le constat de la finitude des individus, des sociétés et de l'espèce est paradoxale, autant dire que toute autre proposition que “nous sommes finis et de persistance faible” est paradoxale, donc celle-ci:
«Au jeu de la Société contre l'État, la société gagne toujours et l'État est vainqueur, mais il sera dévoré vivant»,
est paradoxale, mais ni plus ni moins que n'importe quelle autre. Je distingue cependant, comme dit, les paradoxes vrais et les faux. Cette phrase est un paradoxe faux en ce sens qu'elle exprime une vérité concernant la réalité observable. Elle l'exprime d'une manière rhétorique, presque sophistique dans la forme, une forme qu'on peut dire fallacieuse ou artificieuse, elle “vise à tromper”, et à le faire “par des artifices”, elle a “l'apparence du faux”. Je n'avais pas proprement cette intention en l'écrivant, c'est juste que j'aime bien “donner du mystère” à ce qui n'en a pas. Le premier alinéa de l'article permet très vite d'en donner une interprétation beaucoup plus prosaïque: le “jeu” est une “lutte”, ce qui désigne à la fois une activité hostile (guerrière) et une activité ludique n'excluant pas la violence dans l'opposition, le terme “Société” est défini comme «organisation des humains où chaque individu est autonome, vit de ce qui lui est nécessaire, travaille ce qui lui est nécessaire, et passe l'essentiel de son temps au loisir et à l'étude»., le terme “État” comme «organisation des humains où chaque individu est assujetti, vit au-dessus de ses besoins, travaille au-delà de ses capacités et consacre un temps très restreint au loisir et à l'étude». On peut, provisoirement, “traduire” cette proposition ainsi:
«Dans la lutte entre partisans d'une organisation humaine privilégiant le moindre effort pour la satisfaction du nécessaire et vise à la liberté, au loisir et à l'étude et partisans d'une organisation humaine privilégiant l'effort majeur pour la satisfaction du superflu et vise à la contrainte, au travail, à l'occupation et à l'ignorance, les premiers gagnent toujours et les seconds triomphent, mais seront absorbés par les seconds».
Ou quelque chose d'approchant. Bien sûr, il faut d'abord accepter ces définitions des termes “État” et “Société” pour que cette traduction, cette explication qui est une sorte de commentaire, soit valable, et ensuite faire la démonstration de la validité de la proposition. Je n'affirme pas que le reste de l'alinéa qui, exception faite de la dernière phrase, est une tentative de démonstration de la proposition introductive, est vraie même si elle est assez vraisemblable, il s'agit d'une opinion, certes souvent confirmée par les faits (les colonisateurs non exclusivistes prétendent toujours vouloir “faire le bonheur” des colonisés, et ceux-ci affirment toujours que les colonisateurs “font leur malheur”; la simplification des “pauvres” et des “riches” ne rend pas compte des cas particuliers – il y a des heureux partout et des malheureux partout – mais d'une attitude moyenne: dans les lieux où la pauvreté est commune les gens se montrent plutôt affables et souriants, dans ceux où la richesse est commune c'est plutôt le cas inverse des personnes pas trop affables et pas trop souriantes. Ça ne concerne bien sûr pas les entités politiques contrastées avec des “poches de pauvreté” et de “poches de richesse” et un cas moyen “ni pauvre ni riche” qui veut “fuir la pauvreté” et “aller vers la richesse”), mais ça n'en reste pas moins une opinion. On peut en discuter et c'est ce que je comptais faire avant de finalement abandonner ce discours. Je fais assez souvent ça parce que le plus souvent mes discours écrits sont conçus comme des invitations à la discussion, passé quelques alinéas (ici, un seul) ce qui suit est une sorte de commentaire. Je considère qu'il est plus profitable pour mes potentiels lectrices et lecteurs, si ce début leur paraît d'un certain intérêt, de faire leurs propres commentaires, si possible à deux ou trois, que de lire les miens.
Je reviens brièvement sur cette question des paradoxes vrais et faux. Pour les faux, je propose un exemple simple, la proposition
«Le Soleil se lève à l'est et se couche à l'ouest».
Sans même considérer le fait qu'il repose sur une conception erronée du mouvement relatif de la Terre et du Soleil, cet astre étant relativement fixe par rapport à la Terre et cette planète ayant un mouvement propre de rotation qui génère l'illusion du mouvement du Soleil, la proposition est paradoxale en ce qu'elle implique une représentation du mouvement réel du Soleil contradictoire à l'observation. En gros, elle implique un mouvement diurne tel que le Soleil “sort de quelques chose” pour en fin de parcours “entrer dans quelque chose, la question de son mouvement nocturne étant implicitement un mouvement contraire (d'ouest en est) “dans quelque chose” dont au matin il émerge de nouveau. Ce n'est pas contenu dans la proposition mais la conception commune du mouvement diurne est un déplacement le long d'une “voûte céleste” à laquelle il est attaché et sur laquelle il se déplace. L'expérience ordinaire démontre que le mouvement réel du Soleil est autre, donc cette proposition “va contre la règle”, énonce une fausse évidence ne correspondant pas à la réalité observable, en tout cas pour le coucher et le lever, car quel que soit le point de la surface terrestre où l'on se trouve le mouvement apparent à une même latitude est le même, ce qui signifie que le soleil ni ne se lève, ni ne se couche. Cette fausseté est d'une telle évidence que ça fait très longtemps qu'on propose un mouvement réel tout aussi inexact mais beaucoup plus vraisemblable, non plus le long d'une “voûte céleste” mais le long d'une “sphère céleste”. C'est un paradoxe faux parce que malgré son évidente fausseté il rend compte du phénomène de manière “réaliste” pour un individu qui vit à la surface de la Terre, il lui suffit de savoir vers quelle heure il émerge de la ligne d'horizon à l'est et plonge sous la ligne d'horizon à l'ouest pour déterminer le temps disponible pour ses activités diurnes; affirmer que le 20 juin 2024 le Soleil “se lève à 5h47 et se couche à 21h58" est empiriquement faux, l'information utile, «Période diurne: 16h 11mn», empiriquement vraie, le 20 décembre 2024 le Soleil “se lève à 8h41 et se couche à 16h56" empiriquement faux, l'information utile, «Période diurne: 8h 15mn», tout aussi empiriquement vraie.
Un paradoxe vrai est une affirmation paradoxale empiriquement indémontrable. Pour exemple, l'affirmation
«La France est une démocratie» ou
«La France est un pays démocratique»..
Elle implique beaucoup trop de présupposés “abstraits”, c'est-à-dire sans rapport certain à une réalité observable, ou sans aucun rapport avec une réalité de cet ordre, pour qu'on puisse la dire “vraie” ou “fausse”. Un nom est toujours une convention et de ce fait ne désigne jamais une réalité observable certaine, mais certains noms peuvent être rattachés de manière univoque à certaines réalités observables: le nom “Soleil” désigne une réalité observable certaine, un certain astre, et d'autres réalités de pure convention, un “dieu”, une “puissance”, etc. Quand je dis par exemple que le Soleil se lève à l'est je me réfère assurément à la réalité observable “astre du jour”, donc le paradoxe mentionné, la discordance entre la réalité observable et l'affirmation “se lève”, ça réfère bien à une réalité observable, le mouvement apparent de l'astre. Dans le paradoxe vrai «la France est une démocratie» le premier nom, “la France”, désigne aussi plusieurs réalités conventionnelles mais aucune n'est attachée à une réalité observable certaine. Il y a, entre autres:
- une réalité géographique;
- une réalité historique;
- une réalité sociale;
- une réalité politique;
- une réalité idéologique.
Ces cinq suffiront pour mon explication. Les deux premières ont un rapport certain entre elles mais un rapport incertain à la réalité observable: entre les années de naissance de mes parents, 1933 et 1934, et aujourd'hui, le vendredi 22 novembre 2024, la réalité géographique a connu des variations énormes, et même entre mon année de naissance, 1959, et aujourd'hui, même si bien moindrement: quand mes parents son nés, la France était un territoire de 13,5 millions de km² (M/km²); à ma naissance, même si la partie africaine de ce territoire, qui en constituait la plus grande part, lui était encore politiquement rattachée, la plus grande partie, celle de l'Afrique occidentale, en était détachée territorialement, ce qui avait ramené sa superficie en-dessous de 4 M/km² ou à peine au-dessus; trois ans après sa superficie fut de nouveau réduite pour se situer en-dessous de 0,6 M/km², ce qui est toujours le cas depuis, avec de petites variations. Durant la même période sa réalité historique a connu des évolutions importantes, certaines en relation avec ces modifications d'extension géographique, certaines non, en tout premier, de la naissance de mes parents à aujourd'hui l'entité politique a connu au moins quatre, plus vraisemblablement sept ou huit changements, et durant une courte période, les années 1942-1944, on peut considérer qu'il n'y eut plus d'entité politique “la France”.
La réalité historique est incertaine pour d'autres raisons: malgré les changements d'autre nature (politiques et territoriaux en particulier) on peut tout de même considérer une certaine continuité historique assez ancienne, mais ancienne à quel point, à quelle distance d'aujourd'hui? Certains supposent une continuité très récente, au plus dans les deux siècles et demi; d'autres situent cette continuité à partir de la fin du XVI° siècle ou du début du XVII°; d'autres dont moi la situent après le début du XV° siècle; d'autres vers le XII°, d'autre vers le IX°, d'autres vers le VII°, d'autres plus anciennement encore, et certains la supposent “éternelle”, c'est-à-dire une continuité aussi ancienne que le début de l'occupation de certains territoires, ceux de la France métropolitaine actuelle, par des Homo sapiens, soit environ trente millénaires.
La réalité sociale est incertaine et variable elle aussi: en 1791, les membres du collectif humain considéré comme constitutif de la société étaient tous les humains y ayant leur résidence, avec cependant une modération pour ceux nés hors des limites du territoire déterminé alors en tant que “la France”, y résider depuis une certaine durée et y acquitter un impôt personnel; avant cela l'appartenance à ce collectif était discrétionnaire et le “quelqu'un” à qui était laissée cette “discrétion”, ce choix, était le monarque, à l'époque le roi (après 1789 la monarchie fut mixte, le choix à la discrétion de tous les monarques, et de 1791 à 1799 le seul monarque fut “le peuple”, et autres variations depuis cette époque); dès 1795 la réalité sociale fut autre, désormais seules les personnes nées sur le territoire “national” (y compris les navires, les avions et les ambassades) ou celles nées ailleurs mais de deux parents “nationaux” étaient considérées comme admissibles sans condition, les autres devaient en faire la demande expresse et n'étaient jamais assurées d'être admises; c'est presque toujours le cas actuellement mais là aussi – les réalités inobservables sont toujours un peu imbriquées – certaines circonstances historiques ont réduit ou étendu l'extension de la réalité sociale, tels (par exemple les Juifs natifs d'Algérie) furent admis en groupe dans le “corps social”, tels (par exemple les Juifs récemment “naturalisés” dès la fin des années 1930, puis tous les Juifs vivant sur le territoire français dans la première moitié des années 1940) en furent exclus en groupe. Bref, la réalité sociale “la France”. Il y eut même des situations curieuses, par exemple entre 1940 et 1944, de fait environ la moitié du territoire métropolitain de la France fut annexé à l'Empire allemand de l'époque, dont une partie (Alsace-Lorraine) de droit, mais sauf pour la partie annexée de droit les résidents qui étaient “Français” avant ce moment le sont restés nominalement bien qu'ils fussent régis directement par l'Empire allemand.
La réalité politique est peu décidable et, de même que pour celles géographique et historique, difficilement séparable de celle idéologique. De mon point de vue, l'affirmation «La France est un pays démocratique» est inexacte, et je ne suis pas le seul à l'affirmer, loin de là. En fait, il y a beaucoup de personnes, “françaises” ou non, qui postulent qu'elle est fausse. Ce n'est pas mon cas pour une raison que je discuterai juste après, l'indétermination de la réalité que désigne le mot “démocratie”: pour que je puisse dire que l'assertion est fausse il faudrait que je démontre que l'un des éléments significatifs, “France”, “est” ou “démocratie”, est assurément faux, ce qui n'est pas le cas – je veux dire, je ne peux pas le démontrer, même si d'une certaine façon je le suppose pour l'un des trois. Les personnes qui la supposent fausse supposent aussi que l'un des trois termes, ou deux d'entre eux, ou les trois sont “faux”, ne réfèrent à nulle réalité observable ou conventionnelle, par exemple que «la France n'est pas/plus la France» ou que «la France ça n'existe pas», ou bien que «la démocratie n'est pas/plus la démocratie», ou bien que «la France n'est pas/plus une démocratie», bref, que quelque chose dans cette affirmation “n'existe pas”. C'est possible mais je ne puis le certifier. D'où ma prudence: j'estime que la proposition est inexacte sans assurer qu'elle soit fausse.
D'évidence le nom “démocratie” a une composante idéologique importante, même si sur ce point également il est polysémique on peut à-peu-près s'entendre quand à sa signification politique en partant de la définition de base proposée par le TLF, le Trésor de la langue française:
«Régime politique, système de gouvernement dans lequel le pouvoir est exercé par le peuple, par l'ensemble des citoyens».
ou celle proposée par le Wiktionnaire:
«Régime politique dans lequel le peuple dispose du pouvoir souverain et l’applique en respectant des principes démocratiques (cadre constitutionnel stable, respect de l’opposition et des minorités, balance des pouvoirs, etc.».
Elle est “un peu” tautologique (“démocratique” se dit de ce qui est «relatif à la démocratie, à ses principes»; pour “principe” c'est plus compliqué, le Wiktionnaire propose neuf acceptions, plusieurs pouvant correspondre à ce que le rédacteur du Wiktionnaire qui a placé ce mot entendait retenir comme signification, par sa grande généralité la septième, donnée comme courante, «Règle de conduite d'une personne ou d'un groupe», me semble acceptable du fait même de sa grande généralité) mais a l'avantage de comporter plusieurs liens vers des mots qui peuvent réduire (ou au contraire augmenter, ce qui finalement se vaut) l'incertitude de signification, qui peuvent “éclairer notre lanterne”. Cela dit, la définition proposée par le TLF me convient mieux, ou celle du Wiktionnaire dans un état antérieur de l'article:
«Régime politique dans lequel l’ensemble du peuple dispose du pouvoir souverain».
Simple, sobre, propice au débat: dans la version actuelle il y a trop de mots, trop de concepts, ça réduit le champ des possibles et en plus ça oriente l'interprétation vers une forme particulière de gouvernement, celle qui précisément me paraît douteuse en tant que démocratie. Et je ne suis pas le seul loin de là, même si les raisons de la considérer douteuse sont assez diverses et pas toujours convergentes.
Point n'est besoin d'épuiser la question, par le fait le nom “la France” ne recouvre aucune réalité observable clairement déterminée mais réfère tout de même à des réalités conventionnelles qui sans faire consensus pointe des concepts assez partagés, le nom “la démocratie” en revanche est très équivoque et en outre a connu au cours des deux derniers siècles et surtout à partir du début du XX° un gauchissement de définition. En 1787 dans les tout nouveaux États-Unis, en 1789 dans la (plus ou moins) vieille France, les idéologues qui étaient en train d'élaborer l'idéologie en partie explicite, en partie implicite, qui allait définir le régime politique en cours de réalisation, avaient une définition plus consensuelle et beaucoup moins évanescente de ce que le nom “démocratie” signifiait que dans l'actuelle définition du Wiktionnaire. L'auteur que je cite souvent là-dessus est Emmanuel-Joseph Sieyès, parce qu'il est précis et sans équivoques. Je vais me contenter de vous indiquer un ou deux billets où j'en cite de longs passages, en premier «Entropie systémique, partie II» et… J'allais dire, en tout dernier le même, finalement je vous en indique un autre, publié un an après le précédent, «Démocraties totalitaires»; le premier cite un long passage, le second me semble d'une pertinence certaine pour le temps que nous vivons car le “démocratisme illibéral” qui semblait encore à certains (à beaucoup) l'exception il y a trois ans à peine est clairement (plus clairement qu'à cette époque pourtant récente) devenue la règle dans toutes les supposées démocraties.. Dans «Entropie systémique II» la citation est loin du début, la recherche de Sieyès dans votre navigateur vous fera tomber pile dessus.
Je cause de lui pour ce passage:
«L’autre manière d’exercer son Droit à la formation de la Loi, est de concourir soi-même immédiatement à la faire. Ce concours immédiat, est ce qui caractérise la véritable démocratie. Le concours médiat désigne le Gouvernement représentatif. La différence entre ces deux systèmes politiques est énorme.
Le choix entre ces deux méthodes de faire la Loi n’est pas douteux parmi nous».
Les mises en exergue sont de Sieyès. La démocratie est “l'autre manière” car la première, longuement décrite, est donc ce “Gouvernement représentatif”. On ne peut être plus clair: l'une exclut l'autre et la différence entre elles est énorme. En 1789, Sieyès s'adresse à une assemblée de notables dont beaucoup sont lecteurs du grec ou au moins du latin, et qui au minimum connaissent les classiques, entre autres Aristote et sa typologie des régimes, les gouvernements “de tous”, “de quelques-uns” et “d'un seul”, donc il ne fait qu'énoncer une évidence, en tout cas pour son public: le gouvernement d'un seul est exclu – non la royauté mais le gouvernement d'un seul – et la démocratie de même, reste la forme qu'il ne nomme pas car en cette période les noms qu la désignent sont problématiques mais que tous peuvent reconnaître, celle du gouvernement de quelques-uns, c'est-à-dire au mieux l'aristocratie, au pire l'oligarchie. Comme jute avant le groupe assez mal vu, celui des oligarques, se parait du nom d'aristocrates, si même Sieyès le souhaitait il ne peut nommer clairement ce “Gouvernement représentatif” par le nom positif, celui de “gouvernement des meilleurs”, et bien sûr le nommer oligarchie est exclu. En revanche il est clair sur l'autre point: pas de démocratie. Pas de monarchie non plus, reste ce qui reste… Mes amis, mes chers amis, «le choix entre ces deux méthodes de faire la Loi n’est pas douteux parmi nous». Il en fut de même sur l'autre rive de l'Atlantique, les Constituants étasuniens avaient les mêmes références, et firent le même choix en un peu plus radical puisque la monarchie constitutionnelle, déjà en place dans la métropole britannique et qui, instaurée par l'oligarchie ancienne, empêchait l'émergence de celle montante; en France le court moment de “monarchie absolue” permit l'alliance des oligarques anciens les plus progressistes et des oligarques nouveau les plus modérés, du moins au début, avec l'hypothèse d'une “transition douce” vers une forme un peu différente de monarchie constitutionnelle (celle qui advint entre 1815 et 1824 mais surtout à partir de 1830; entretemps et un peu forcés par le cours des choses, les oligarques britanniques avaient commencé de laisser un peu plus d'espace à l'oligarchie “sans noblesse”).
Je le mentionne dans un billet mis en lien, ou dans un autre, je ne sais plus – bon, je vérifie… Je le mentionne dans «Démocraties totalitaires», jusqu'à la décennie 1920 “démocratie” sert pour nommer autre chose que les régimes mis en place au cours du XIX° siècle. Ça commence un siècle plus tôt mais sauf aux États-Unis où l'évolution s'amorce plus clairement alentour de leur “Guerre Civile” (la Guerre de sécession), ce changement se développe surtout au tournant des XIX° et XX° siècles pour être à-peu-près achevé vers 1920. Pour les détails je renvoie à ce billet, pas trop mal fait sur ce sujet. En 1789, “gouvernement démocratique” est clairement antinomique de “gouvernement représentatif”, au XX° siècle les idéologues de l'oligarchie accouchent de ce monstre, la “démocratie représentative”.
Un paradoxe vrai c'est un truc de ce genre: nommer d'un nom qui désigne le blanc un objet noir, ou vert, ou jaune, bref, d'une tout autre couleur. Les noms des couleurs sont des conventions mais pour qu'elles se réfèrent à quelque chose de déterminé, l'association avec une certaine réalité doit rester constante, et un même nom de couleur ne peut désigner une autre couleur que celle conventionnellement désignée. C'est vrai pour les noms qui s'appliquent à des réalités observables, mais aussi pour ceux qui s'appliquent à ceux inobservables, purement conventionnels. Ce n'est pas un problème en soi de changer de convention, y compris pour les réalités observables, j'entendais sur France Culture Alain Corbin, un grand spécialiste de l'histoire culturelle des couleurs, entre autres choses, expliquer, allez, je vais dire une connerie parce que je ne me souviens pas des couleurs concernées mais le principe est exact, que jusqu'à je ne sais plus quel siècle (genre IX° ou XII° ou XIV°) le jaune n'était pas perçu comme une couleur en soi mais comme une nuance de vert – ma mémoire était plus fidèle qu'il ne me semblait, le mot “jaune” dérive du mot latin galbus qui signifiait “vert pâle”, de ce vert pâle un peu particulier qui pour nous est le jaune, donc n'est plus une nuance de vert. Ce n'est pas un problème à la condition que ce soit explicite, et que ça ne masque pas le sens premier pour des questions aussi délicates que le régime d'une entité politique. L'invention de la notion de “démocratie parlementaire” n'était qu'un prélude à l'évolution ultérieure: laisser tomber le second mot, l'épithète, pour transférer sa valeur de signification au premier: en 2024, “la démocratie” est “par nature” celle parlementaire et ce qui était antérieurement des traits distinctifs de la démocratie, la participation, la délibération, qui étaient contenus dans le mots, sont désormais des traits adjectifs, non nécessaires, tandis que le trait distinctif de l'oligarchie et de l'aristocratie, la représentation, fait désormais partie de la substance de la démocratie, on peut même dire qu'elle en est désormais la substance même.
Fin de l'excursus 2.
Ouais, comme je disais les excursus faut peut-être mieux ne pas les rater. Rapport au fait que je ne vais pas me coltiner ici de faire la distinction entre paradoxes vrais et faux, c'est expliqué dans l'excursus qui précède. Cela dit ça n'a pas tant d'importance. Ou peut-être que si, peut-être que ça en a, de l'importance. Je n'ai pas d'avis tranché sur la question. Ah ouais, et aussi j'y débroussaille un peu la question de la démocratie mais là je suis certain que ça n'a aucune importance, le taillis est trop dense pour y faire un débroussaillage efficace en quelques alinéas.
Donc, Pierre Clastres. Très intéressant auteur. Aussi imparfait que Ma Pomme mais beaucoup plus talentueux question écriture. Je n'arrive pas à déterminer son degré de sincérité ni son niveau d'honnêteté. Il me semble plutôt honnête mais pas toujours sincère. Disons: il semble avoir un projet d'ordre politique et pour l'appuyer il propose une anthropologie au sens classique, un discours sur l'humain, en s'appuyant sur des données d'anthropologie sociale. un discours plus ou moins valide Plus valide, ou moins valide? Je ne sais pas trop. Disons, séduisant pour quelqu'un de mon genre, repoussant pour quelqu'un d'un genre opposé. Un discours paradoxal, comme tous les discours. Une question reste en suspens: paradoxe faux ou paradoxe vrai?
Excursus 3: Croyant incrédule ou crédule incroyant?
J'avais commencé le second excursus dans l'intention d'élucider cette proposition paradoxale, je suis un croyant incrédule. Dans sa forme c'est un paradoxe explicite, un oxymore, l'association de deux mots censément contradictoires, “incrédule” étant, pour sa signification dénotative, le strict synonyme de “incroyant”, la proposition peut donc se lire dénotativement, je suis un croyant incroyant. D'un point de vue connotatif les deux mots ne sont que des quasi-synonymes, “incroyant” est la forme “populaire” ou “vulgaire” d'un mot latin hypothétique, incredens, qui existe mais qui est rare et apparemment tardif, non pas du latin classique (celui des lettrés de la Rome antique) mais du latin d'Église, du latin “chrétien”, précisément du latin “catholique” bien que le catholicisme stricto sensu (ça c'est du latin de cuistre) en tant que dogme séparé de celui “orthodoxe” et de toutes les autres variantes du “christianisme” soit plus tardif formellement que le moment (vers l'an 400) où le latin commence à remplacer le grec comme langue liturgique et de communication dans le cadre de la branche occidentale du “christianisme impérial” – c'est lié à un autre schisme que celui ecclésiastique, le schisme politique entre “Romains d'Orient” et “Romains d'Occident”, en 395, les dirigeants politiques d'Occident ayant comme langue d'échange plutôt le latin que le grec, l'Église officielle ce cette partie de l'Empire romain adopta cette langue par nécessité plus que par volonté propre. Le mot incredens, en usage substantif, signifie, dans les occurrences attestées, “incroyant” au sens de “ne croyant pas au dogme de l'Église universelle”, c'est-à-dire celui du christianisme officiel de l'Empire romain, formellement “ne croyant pas en Dieu”, factuellement ne croyant pas valide la dogmatique officielle, donc indifféremment les “non chrétiens” ou “gentils” ou “païens” et les “chrétiens” adeptes d'autres variantes du christianisme que celui officiel.
Dire de soi qu'on est un “incrédule” en précisant que c'est un strict synonyme dénotatif mais non connotatif de “incroyant” et qu'il dérive de la même racine latine, indique avant tout qu'on a du vocabulaire, une certaine connaissance de l'évolution du latin et du discernement. Quand j'ai écrit dans l'alinéa précédent «“incroyant” est la forme “populaire” ou “vulgaire” d'un mot latin hypothétique, incredens», je ne savais rien de certain là-dessus mais je sais beaucoup de choses sur l'histoire des langues européennes parce que la linguistique est un de mes domaines de compétence, je m'y suis formé un bon petit paquet d'années à l'université et ensuite, par moi-même, ce qui m'a fait comprendre que ce mot n'a aucune chance, ou presque aucune, d'exister en latin classique (donc d'avant de V° siècle). Ça sent son latin d'Église à plein nez. L'écart entre “incroyant” et “incrédule” au plan connotatif est moins marqué aujourd'hui mais en revanche ils se distinguent au plan dénotatif: dans un état de la langue un peu ancien “crédule” et “incrédule” sont des mots “savants”, c'est-à-dire en usage surtout dans les populations “de haut rang“, qui disposent d'un vocabulaire propre pour certaines significations qui sont ce qu'on appelle des “calques”, des formes “françaises” (ou d'autres langues latines) qui se calquent sur la forme d'un mot de latin classique ou d'Église ou diplomatique (le “latin médiéval”, celui en usage chez les dirigeants politiques et leurs subordonnés), leur pendant “vulgaire” (celui du vulgum pecus, du “troupeau massif”, du “peuple”) ayant connu ce qu'on appelle l'usure phonétique en linguistique, une transformation due au fait que les usagers du latin de rang inférieur avaient tendance à en modifier la syntaxe et la phonétique pour l'adapter à leur propre langue: “incroyant” est “vulgaire”, “incrédule” est “savant”; aujourd'hui la distinction est autre: “incroyant” sert le plus souvent à dénoter “ne croyant pas en Dieu selon le dogme reconnu par le locuteur” (un “chrétien” le dira pour un “non chrétien”, quelle que soit sa religion ou non-religion, de même un “musulman” pour un “non musulman”, etc. Pour les “croyants en Dieu” supposément “de la même religion” mais adepte d'un autre dogme que soi on dira autre chose, “hérétique” ou “apostat” par exemple), alors que “incrédule” est plus large et désigne les personnes qui ne croient pas en autre chose telle dogmatique religieuse, voire qui ne croit en rien. C'est d'ailleurs l'usage que j'en fais pour me qualifier.
Pourquoi “croyant” au lieu de “crédule” et “incrédule” plutôt que “incroyant”? C'est que, l'évolution des langues est complexe: en français de ce temps, en français de 2025 (on n'y est pas encore à l'heure ou je rédige ça mais comme 2025 débutera censément dans environ quarante jours on peut commencer à dater de cette année future dès maintenant, les années se terminant par "0", zéro, et "5", cinq, étant des “bornes”, ça donne toujours une apparence de plus grande signification de dater quelque chose par une année en cinq ou en zéro. Selon moi, le français de 2025 sera extrêmement similaire à celui de 2024 donc je peux sans grand risque d'erreur “donner du sens” en choisissant de parler du français futur, celui d'une année “significative” pas tout-à-fait advenue. C'est un risque minime en ce sens où si l'année 2025 n'advient pas dans mon coin ça signifiera qu'une catastrophe de grande ampleur se sera produite, donc mon petit artifice pour alourdir la signification de mon propos ne me sera pas reproché. Ah ouais, en indiquant mes ficelles je risque de l'alléger plutôt que l'alourdir. Ah ben non, bien sûr: ça ne change rien au fait que les années en cinq ou en zéro ont “plus de sens”! Mon vieux, tu n'as plus ta lucidité d'antan, tu le sais pourtant, qu'un prestidigitateur ne perd jamais sa crédibilité même quand il montre ses trucs, en fait ça aurait même tendance à lui en donner plus, genre, «Waouh! T'as vu ça! Le gars y fait des trucs in-croy-ables! La langue est un instrument merveilleux, dès qu'on dit quelque chose ça devient vrai: si je montre mes ficelles et qu'un lecteur se dit, «C'est incroyable!», instantanément il n'y croit pas – il croit vraisemblablement ce que je raconte, mais il ne croit pas que ce sont des ficelles, il se met à supposer, contre l'évidence, que c'est de la magie ou un truc du genre, alors que c'est juste le résultat d'un long et fastidieux entraînement. Évidemment, si moi je dis que ce que je raconte est “incroyable”, et que ma lectrice se dit que c'est incroyable, que ce en quoi elle ne peut croire est que c'est incroyable, elle y croira. Ouh! Je crains que ce soit un peu complexe. J'explique: si je dis quelque chose de crédible, genre, les années en “0” et en “5” sont ordinairement perçues comme “plus significatives” que les autres, là vous allez, disons, me croire parce que c'est assez évident. Si j'ajoute, en le faisant en outre sur un mode comique, que même en le disant ça ne changera rien à votre perception de la validité un poil plus grande d'une affirmation parce que je l'ai datée “2025”, vous allez vraisemblablement ne pas me croire tant ça semble grossier, grotesque, presque insultant; du coup vous n'allez pas croire à la validité de mon affirmation en ce qui vous concerne, vous personnellement, vous aurez un sentiment du genre “il me prend pour un gogo ce clown!”, ce qui vous incitera à supposer que le truc des années en zéro ou en cinq, sur vous personnellement, “ça ne marchera pas”, sauf que vous personnellement vous êtes comme moi personnellement, et comme tout le monde personnellement, un gogo qui donne plus de valeur aux années multiples de cinq, et plus encore à celle multiples de cinq et de dix, qu'aux autres; résultat, se supposer “non gogo” nous remet immédiatement dans un état de “gogoïtude” et même en sachant que dater mon propos de 2025 est une ficelle, vous lui donnerez effectivement plus de poids que si c'était 2024. Par contre si j'avais placé une balise du genre «Je vais vous dire une chose que vous n'allez pas croire» vous serez “en état d'incrédulité” donc prête ou prêt à “ne pas croire”: de ce fait quand vous direz ou penserez que mon développement sur les ficelles du métier de rhéteur est “incroyable” vous avez de bonnes chances de ne pas croire à l'incroyable, c'est-à-dire à ne pas croire que ce que vous décrétez incroyable est effectivement incroyable, et comme une négation de négation est une affirmation, vous croirez au croyable. Ça ne changera rien au fait que sentimentalement les années en cinq et en zéro ont “plus de poids”, cela dit. Mmm… J'aurais du baliser ce propos entre parenthèse en tant qu'excursus. Du coup je racontais quoi juste avant? Ah oui) en français de 2025 (ouh la grosse ficelle!) “incrédule” n'est pas l'opposé de “crédule”, contrairement à “incroyant” qui est l'opposé de “croyant”.
Disons, comme substantifs et pour une large part comme adjectifs, “croyant” et “incroyant” sont perçus comme “du vocabulaire de la religion”, de n'importe quelle religion; ce ce fait l'opposition simple “adepte de” et “non adepte de” fonctionne bien dans la plupart des cas, si on veut que l'imputation de “croyant” ou “incroyant“ soit perçue comme “non religieuse” il faut l'expliciter, genre, “je ne suis pas croyant en la science”, ce qui cela dit ne retire pas son caractère de “religiosité” aux termes, en ce cas “la science”, quoi que puisse être cette chose, est implicitement définie comme “une sorte de religion” (ce qui n'est pas entièrement faux, en fait ça ne l'est presque pas, “la science” sans précision n'est pas un objet du vocabulaire scientifique mais un objet de la dogmatique implicite des médiateurs – des professionnels des médias – qui contrairement aux scientifiques ont tendance dans leur majorité à simplifier le complexe et complexifier le simple), donc “ne pas croire en la science” ne signifie pas “ne pas croire en les résultats de la science”, même si parfois c'est le cas, mais “ne pas être un adepte du dogme de la Science”, ce qui peut être exact (ne pas adhérer à la dogmatique des médiateurs donc à ce concept indémontrable, “la Science”) ou inexact (nombre de personnes qui affirment “ne pas croire à la Science” adhèrent à la dogmatique des médiateurs donc acceptent comme valide le concept creux “la Science”, du coup, en affirmant ne pas y croire ils auront tendance, contre l'évidence, à douter des résultats théoriques et pratique obtenus en suivant une démarche scientifique. C'est le même principe que pour la prestidigitation: si on décide de “ne pas croire” un prestidigitateur en bloc, on se met dans la situation de ne las le croire quand il vous montre ses ficelles, raison pourquoi ils peuvent le faire, ils savent très bien que les “incroyants”, ce que sont souvent les gogos, ne les croiront pas, qu'ils se diront,«c'est trop simple, il doit y avoir un truc». C'est le cas, mais comme “c'est trop simple” ils en viennent à la conclusion que le truc qu'on vient de leur montrer “n'est pas le vrai truc”. Le plis fascinant dans tout ça est qu'un prestidigitateur qui vient tout juste de montrer le truc peut immédiatement refaire son tour et susciter le même ébahissement de la par du gogo qui vient tout juste de supposer que le truc “n'est pas le vrai truc”. Même en 2025 les gogos restent des gogos).
La paire “crédule” / “incrédule” fonctionne différemment. Tout mot est toujours à la fois dénoté et connoté, on lui attribue une valeur de sens, de signification, ou valeur dénotative, et ce que j'appelle une valeur sentimentale ou valeur connotative. Je mentionnais précédemment les connotations “vulgaire” et “savante”, le mot “impétrant” est du genre “savant” parce qu'il est rare et surtout en usage dans le jargon des professionnels du droit ou dans le vocabulaire des cuistres; le mot “bénéficiaire”, un de ses synonymes, d'usage assez courant, sans qu'on puisse le qualifier de vulgaire est au moins “non savant”, on en comprend assez aisément la signification ou au moins on reconnaît la forme si on a une certaine familiarité avec le français, spécialement celui administratif.
Parmi les connotations il y en a trois qui se complètent, positif, négatif, neutre. J'ai mentionné précédemment les connotations liées à la forme, il y a aussi celles liées à la signification.Pour reprendre la paire “croyant” / “incroyant”, on peut avoir un “ressenti” positif, négatif ou neutre quant à ce que désignent ces mots, ou quant à ce qu'on appelle leur “champ sémantique”, c'est-à-dire un ensemble de mots, apparentés ou non à eux par la forme et le sens, qui appartiennent à un même “univers de sens”; dans ce cas-ci, selon qu'on a un rapport positif, négatif ou neutre à l'univers de sens ou champ sémantique “religion”, on peut donner un valeur positive à la croyance (euh non, là c'est différent… J'y reviens juste après), négative à l'incroyance, ou l'inverse, ou neutre aux deux, et par translation avoir une opinion négative a priori envers une personne ou un discours réputé “croyant” ou “incroyant”, ou une opinion neutre. Pour “croyance” c'est un peu différent parce que la croyance est aussi associée à un autre champ sémantique, celui de la “voyance” ou de la “magie”, ou autres univers de sens parfois estimés négatifs comme la politique partisane (quand elle diffère de son propre partisianisme), l'alimentation (pareil que la politique, celle “pas comme la nôtre / la mienne”), bref, quand on estime qu'une adhésion concerne ce que l'on considère de l'ordre de l'idéologie ou de l'adhésion naïve, on appellera ça “croyance” avec une connotation négative; pour soi on se dira peut-être croyant mais non “dans la croyance”. Le langage est simple dans son principe et son usage, mais l'expliquer peut parfois être assez complexe…
Les connotations “positif”, “négatif”, “neutre”, mais cette fois liées à la forme. Les mots “crédule” et “croyant” et leurs opposés formels “incrédule” et “incroyant” sont, au point de vue de ce qu'on peut appeler leur signification nodal des synonymes, ce qui s'explique sur le long terme du fait que les quatre mots se rattachent à un mot latin, en l'occurrence un verbe, credere (ou credo) qui signifie “accorder du crédit”, “donner sa confiance”. Sous bien des aspects crédit, croyance, confiance, foi et fidélité ont une même valeur de sens, “avoir foi” c'est “donner du crédit” et pour “donner du crédit” il faut “avoir confiance”, “se fier” “avoir foi en”. Le croyant ou le crédule “donne sa confiance”, “se fie”, l'incroyant ou l'incrédule “ne donne pas sa confiance”, “se défie” ou “se méfie”. Pour “crédule” s'y ajoute une connotation négative concernant la forme: “crédule” c'est à la fois “croyant” et “personne de peu de discernement,”, en version brève “imbécile”, dans mon coin on dirait un “croyaud”, un “qui croit” mais qui croit à l'incroyable, un benêt, un «niais par excès de simplicité ou de bonté», un “simple” ou “simplet”, un gogo; “incrédule” est connoté différemment, aussi bien positivement que négativement ou neutrement, et tant pour le fond que pour la forme. Les deux mots forment une paire opposée par leur signification nodale, “croire”, non par leur forme: “crédule” est sur ce point toujours connoté négativement, associé à une manière imbécile de croire ou désignant une réalité (un individu) aux croyances imbéciles.
Fin de l'excursus 3.
Donc, je suis un croyant incrédule, ce qui est un paradoxe apparent, “croyant incroyant” ou “crédule incrédule” ou “crédule incroyant” ou donc “croyant incrédule”; quelque opinion qu'on aie des croyants (sens religieux, celui le plus spontanément convoqué) le mot lui-même ne se voit pas attacher spontanément une valeur de forme négative; quoi que l'on pense des incrédules (signification spontanée plutôt neutre) la forme est plutôt connotée positivement ou neutrement; choisir de se définir comme “croyant incrédule” vise à donner de soi l'image plutôt neutre d'une personne qui “peut croire” mais qui “ne croit pas n'importe quoi“, ce qui est mon but en me définissant ainsi. Est-ce vrai ou faux? Est-ce un paradoxe faux, référant donc à une réalité observable, ou un paradoxe vrai, une réalité inobservable? Je fais l'hypothèse que qui me lira supposera que ça se réfère à une réalité observable, donc que je suis effectivement une personne qui “peut croire mais seulement à ce qui est crédible”, à ce en quoi “on peut avoir confiance”. Il m'indiffère de savoir ce que vous considérez comme “ce à quoi on peut avoir confiance”, il m'importe seulement que vous supposiez que c'est mon cas, parce que c'est le cas le plus général en ce qui concerne soi-même; «je ne crois pas à n'importe quoi, je ne crois qu'à ce qui est crédible». J'ai un précepte, dont je ne me rappelle plus la formulation première, j'essaie de la retrouver et si je n'y arrive pas j'en proposerai une équivalente, peut-être la même.
Pas trouvé. Donc, une sentence: «tout mot dit le faux, toute parole dit le vrai». J'aime bien m'inventer des formules denses, elles ont le double intérêt, non, le triple intérêt, 1) de donner à réfléchir, 2) de donner lieu à des interprétations imprédictibles, 3) d'apparaître incompréhensibles. Cela conjointement ou non. Le point 1 est toujours exact, lire un truc, y compris incompréhensible, “donne à réfléchir”, cette réflexion pouvant se limiter à “c'est incompréhensible” ou plus vulgairement, “c'est de la foutaise”, ou grossièrement, “c'est de l'enculage de mouche”; si on ne passe pas immédiatement de 1 à 3 on peut en rester à 1 ou aller à 2; si on en reste à 1 la réflexion ne sera pas une interprétation mais quelque chose sans lien évident avec la sentence dans sa globalité. Je vais vous donner un exemple trivial.
Il y a environ cinq ans j'ai publié un billet intitulé… Il est bref, du coup je l'insère ici.
Être gros: une maladie de pauvre?
Publié le : 2019-11-23 10:59
Bien sûr que non, c'est même le contraire.
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J'aime les mots parce qu'ils n'ont pas de sens défini, ne pointent pas une réalité définie. Par exemple, la question du titre et la réponse qui suit peuvent s'interpréter d'au moins trois manières, gros est une maladie de riche, ou, la pauvreté est une maladie de gros, ou, et c'est celle visée ici, pauvre est une maladie. Le titre m'a été inspiré par celui du troisième épisode de la série documentaire «Place aux gros!», intitulée «Obésité: une maladie de pauvre». Or ça n'est pas le cas, on peut être riche et obèse.
Le sujet qui fait le fil de la série est celui de la “grossophobie” mais au fil des épisodes on s'aperçoit de ceci: en dehors des cas de troubles relationnels intrafamiliaux les seuls ”gros” qui font l'objet d'une “phobie” sont les pauvres. Même dans les cas familiaux il y a au moins un implicite, souvent un explicite, grossir est un “déclassement”, donc gros = pauvre. Bien sûr, on ne dira pas de Gérard Depardieu ou de je ne sais quel détenteur de fortune très volumineux qu'il est mince et svelte, par contre les vendeurs de n'importe quoi, entre autres d'éducation et de soins, ne les insulteront jamais comme ils peuvent insulter des gros pauvres.
C'est toujours le même principe, celui d'une sentence que mon défunt père aimait bien, un imbécile pauvre est un imbécile, un imbécile riche est un riche. Ce qu'on reproche aux gros qui sont pauvres n'est pas leur grosseur mais leur pauvreté. D'où, si être gros et pauvre est une maladie, l'élément déterminant est: pauvre. Donc, être pauvre est une maladie.
J'aime bien, de temps à autre, publier des billets dont le titre est, comme on dit en français contemporain, un teaser, un titre accrocheur et un peu ou beaucoup provoquant; récemment je l'ai fait (là le titre n'est pas provocant) avec le billet «Corps et Esprit». Dès l'introduction et le premier alinéa on peut comprendre que le billet ne traitera pas d'un sujet où “le Corps” et “l'Esprit” seront au centre, et assurément, que ledit billet n'a rien de, disons, philosophique. On peut lire à-peu-près à la fin de son premier cinquième ceci:
«Ah ouais d'accord, «Corps et Esprit»… Comme titre bateau on ne fait guère mieux, ça sent son philosophe ou son théologien à plein nez! Voire pire, son psy-quelque-chose! C'est pas mon truc pourtant, mes “domaines de compétence” (ou d'incompétence…)».
Et bien, le premier commentateur de ce billet fut très déçu de ma manière de traiter la question, de mon “manque de profondeur philosophique” ou un truc du genre, et aussi de l'absence de la question des Causes Premières, des Fins Dernières et de Dieu, outre sa déception concernant la manière très désordonnée dont il est rédigé. Sur le dernier point je suis entièrement d'accord, mais dès le passage cité, et même bien avant, il aurait du cesser sa lecture s'il s'attendait à un discours sur le sujet «Corps et Esprit». Cela dit, un lecteur admirable, et ce n'est pas de l'ironie, il partage mon opinion, lire sur écran une page Internet ce n'est pas lire, et il a imprimé le billet. 49 pages, excusez du peu! En le collant dans un traitement de texte il aurait pu descendre à une vingtaine de pages mais bon, ça fait encore assez long. Je dis admirable en ce sens qu'il a fait l'effort de disposer d'une forme plus satisfaisante pour lire et comprendre un texte aussi long. Une de ses remarques, dans un des commentaires de cette page, n'est pas fausse:
«Je pense qu'il faudrait le découper en partie, les mettre en ligne une à une et comme chacune sera encore un peu longue, faire un résumé de chacune. Déjà, sous la forme actuelle, vous auriez pu faire un découpage et mettre un sous-titre à chaque grande partie».
Elle n'est pas vraie non plus: la lecture sur un support linéaire comme les pages “électroniques”, même d'un texte bien organisé et découpé en plusieurs documents, est compliquée, linéaire justement. Le passage, au tout début de l'ère commune, d'une forme volumen à une forme codex a de multiples motifs dont ces deux-ci mentionnés dans l'article de Wikipédia, «sa maniabilité et la possibilité qu'il offre d'accéder directement à n'importe quelle partie du texte», ne sont pas les moindres.
Si j'avais procédé selon cette recommandation j'aurais organisé mon texte “à mon idée”, qui n'est pas nécessairement la sienne; dans le cas d'une œuvre de fiction ça n'a pas d'incidence, il est même préférable de respecter l'ordre de lecture souhaité par l'auteur, d'ailleurs jusqu'à date récente ces ouvrages étaient publiés en feuilletons (en volumes – en fait, en codex – courts, par chapitres plus ou moins longs dans des périodiques, en fragments d'une à trois pages dans des quotidiens) sans que ça nuise à la continuité de la lecture; dans un essai ou autre forme documentaire ou “de réflexion” c'est autre chose: ma manière de réfléchir a peu de chances de correspondre à la sienne, donc il doit pouvoir, en cours de lecture, réorganiser le texte, tout en conservant trace de l'endroit, dans la continuité de lecture, où il en est arrivé. Il doit même pouvoir, s'il compte en faire une analyse, mettre des annotations brèves, des commentaires plus ou moins longs, des repères (intertitres, résumés, etc.), et ça c'est assez compliqué en mode “électronique”.
Brève digression: le logiciel qui gère l'édition dans “le Club” de Mediapart vient de m'informer que mon billet était trop long, du coup je le scinde, et par circonstance dans la partie où je faisais part du constat d'un commentateur sur l'excessive longueur et l'excessive dispersion de mes billets! Pour la dispersion j'ai (sans trop y réussir) tenté d'y remédier, pour la longueur c'est plutôt raté…
Bon ben, en mode “feuilleton”: La suite au prochain numéro!