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Billet de blog 26 février 2019

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Possessions, ou «Tous les chemins».

Je me moque souvent des “psys” et presque aussi souvent des “religions”, ce en quoi je n'ai pas tort, mais je ferais aussi bien de me moquer des anti-“psys” et des anti-“religions”, ou de ne me moquer de rien ni personne, sinon moi – mais là ça va, je pratique assez l'auto-dérision.

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Mais là non, faut pas pousser! Ne pas me moquer? IM-POS-SIB'!!! Je me moque de tout et tous et en premier de moi. Se pose une question alors: suis-je un démon ou un possédé? Ou juste un plaisantin? Ou un ange? Ou un âne? Ou alors, je suis peut-être et simplement un humain...

M'arrive d'écrire ou de dire «blague à part», mais une fois j'ai ajouté, «ou plutôt blague en sus», manière de dire que je suis un blagueur, mais un blagueur sérieux. En ce moment même je tente d'élucider une question, celle de la prophétie, j'ai d'ailleurs quelques billets sur le grill – qu'il va me falloir conclure ou au moins enregistrer en supposant qu'ils ont une conclusion pour que celui-ci arrive en dernier donc en premier dans la liste – qui en parlent. Dans bien des billets de Mediapart je parle plus qu'à mon tour de, disons, spécialités “psy” et de “religion”, très souvent pour m'en moquer mais pas si rarement pour en dire qu'il y a quelque enseignement à en tirer. Même quand je m'en moque j'en tire quelque enseignement, cela dit, ne serait-ce que celui-ci: ne jamais croire sans savoir. Pour mon compte je suis assez, je suis très, je suis presque absolument incrédule. Mon principe en ces questions: ou je sais donc je ne crois pas, ou je ne sais pas et alors j'évite de croire sans savoir. En un point je sais que supposer savoir est affaire de croyance, en un autre point je sais que quoi que l'on croie, ça ne vaut que si l'on croit parce que l'on sait pouvoir croire parce qu'on a vérifié que ce que l'on croit a une validité assez élevé. Le point crucial est celui de la vérification ou falsification, deux termes désignant une même démarche: s'informer pour pouvoir déterminer en toute connaissance de cause si une certaine proposition ou perception a une haute validité, et en tout autre cas ne pas en tenir compte ou poursuivre ses investigations. Un auteur fort intéressant, mais d'accès pas toujours aisé, dont il vaut de s'essayer à bien le comprendre, Ludwig Wittgenstein, a émis une sentence très pertinente, «Ce dont on ne peut parler, il faut le taire». Je n'applique pas toujours ce précepte mais en ces cas j'avertis le plus souvent que je parle sans savoir. Comme l'auteur de cet avis ne le respecte pas non plus lui-même, je pense pouvoir en faire de même.

Pourquoi ce précepte émis sous une forme impérative? la locutrice ou le locuteur, ou rédacteur ou rédactrice qui «parle de ce dont on ne peut parler» sais peut-être elle-même, lui-même que on, en ce cas que elle ou lui, “parle sans savoir”, mais ses possibles auditrices ou auditeurs, lecteurs ou lectrices ne le savent peut-être pas, ne le savent probablement pas. Or, parler n'est pas sans risque, d'autant si, comme moi, on est “belle parleuse”, “beau parleur”, il est assez aisé de convaincre que l'incroyable est crédible, que le crédible est vraisemblable, que le vraisemblable est vrai, que le vrai est certain. Les noms les plus courants pour cette manière de procéder sont rhétorique, sophistique, propagande, publicité ou, plus récemment, “communication” quand il s'agit de cette forme spécieuse pratiquée par les “communicants”, vous savez, ceux qui préparent des “éléments de langage”. Les deux phrases qui précèdent illustrent assez bien je pense que savoir ne suffit pas pour se protéger de croire sans savoir. Tous ces praticiens de la parole qui rendre crédible l'incroyable, on peut les nommer bonimenteurs, bateleurs ou jongleurs de mots. La manière courante pour un bonimenteur de convaincre son auditoire de lui acheter ce qu'il veut lui vendre ne consiste pas à démontrer l'intérêt intrinsèque, la valeur, de sa marchandise, cette méthode n'a qu'une efficacité très limitée et si en outre on n'est pas beau parleur, aucune efficacité. Pour convaincre, le bonimenteur «met le public de son côté», «rend le public complice». Il est toutes sortes de méthodes mais les bonimenteurs au sens strict, les “bateleurs de foire”, usent le plus souvent du rire, la manière la plus rapide et la plus propice à lever tout esprit critique en instaurant une complicité immédiate et, au sens propre, viscérale: le rire, spécialement le “gros rire” ou “rire aux éclats”, mobilise tout le corps, cas par exemple de ce qu'on nomme “fou rire”, si vous avez connu un fou rire vous savez que s'il dure longtemps il devint source de douleurs parfois intenses parce que précisément il mobilise un bonne partie du corps, provoque des contractions des viscères abdominales, rend difficile la respiration, induit des crispations prolongées des muscles de la partie supérieure du corps, visage, cou, épaules, avant-bras. À l'issue d'un fou rire prolongé on est épuisé et on ressent des douleurs consécutives à cette mobilisation d'une grande partie des muscles qui exercent une pression forte et persistante sur les organes internes. Le rire n'est pas viscéral, au contraire il est périphérique puisque pour l'essentiel nos muscles sont en périphérie ou au moins (cas par exemple du diaphragme) ont leurs attaches en périphérie, mais il a un effet puissant sur les viscères et c'est sur cela que comptent les bonimenteurs, cette hypothèse intuitive de chacun, “si ça vient de l'intérieur c'est vrai”, et subjectivement “le rire vient de l'intérieur”.

Sans vouloir dire du mal des philosophes (ah oui! Encore une corporation dont je me gausse, les “philosophes”, parfois je me présente comme “une sorte de philosophe” pour juste après exprimer ma réticence quand à la philosophie et surtout quant aux philosophes) mais en en disant quand même, il y en a beaucoup qui ne font que la moitié du boulot, bonne analyse des prémisses, analyse défectueuse des conséquences. Je pense notamment à Bergson et à son ouvrage Le rire. Essai sur la signification du comique. Bergson est un philosophe “idéaliste”, avec cet avantage de cependant ne pas oublier qu'il n'est pas pur esprit, qu'il est vivant donc “corps” autant qu'il est “esprit“, mais il voit et décrit le plus souvent les choses “depuis l'esprit” et précisément, depuis le sien, en étendant sa propre compréhension des choses à “tout le monde” ce qui “en son esprit” équivaut à “tous les humains”, car les seules parties de ce monde “qui ont de l'esprit”. Un exemple tiré de son essai:

«Voici le premier point sur lequel nous appellerons l’attention. Il n’y a pas de comique en dehors de ce qui est proprement humain. Un paysage pourra être beau, gracieux, sublime, insignifiant ou laid; il ne sera jamais risible. On rira d’un animal, mais parce qu’on aura surpris chez lui une attitude d’homme ou une expression humaine».

Il part d'un point précis pour développer son discours, le point occupé par un philosophe parisien spiritualiste qui sépare corps et esprit, considère qu'un humain est avant tout esprit, qu'un animal ou un paysage n'a pas d'esprit, que l'univers connaît une division similaire entre nature et culture, qu'un humain est avant tout culture, qu'un “paysage” – et qu'un animal – n'a pas de culture, est “inculte”. Quand Bergson est “dans la nature”, soit elle lui est totalement étrangère, totalement extérieure, tel un paysage, et il peut avoir des rapports divers avec lui mais en tout cas pas un rapport de réciprocité, donc il ne rit pas devant un paysage, soit elle lui est en partie familière, partiellement intérieure, tel un animal – citadin, il a tout de même des rapports avec certains animaux, ceux “familiers” (chiens, chats) ou “domestiques avec familiarité” (chevaux, animaux de charge et de somme) –, et n'a de réciprocité avec lui que dans ce qu'il en reconnaît de familier, d'où son affirmation non critique et absolue «Un paysage [...] ne sera jamais risible». Or, un paysage peut être “risible” mais de cette forme de rire qu'on dit complice au sens strict, un rire dans la réciprocité, celui que dit cette fameuse phrase tirée du Faust de Gounod, la seule que prononce jamais la Castafiore dans les albums de Tintin comme preuve de sa qualité de cantatrice, «Ah! Je ris de me voir si belle en ce miroir!». Il m'est arrivé de rire d'un paysage par moquerie, parce que “laid”, mais tout autant par réciprocité, en me voyant si beau en ce miroir, en le miroir du monde. Cela dit, si j'en suis un, du moins je ne suis pas un philosophe “pur esprit” ou “pur corps” mais “impur être au monde”.

Je parle de Bergson pour illustrer ce point: quand on fait une analyse “pure” en supposant qu'un élément de cette paire esprit+corps est “le pur”, l'autre “le non pur”, que l'un est fondamental, l'autre accidentel, on ne peut pas produire une analyse consistante. Avec Bergson on a l'aspect “pur esprit” mais si on part d'une hypothèse “pur corps” ça revient au même sinon que la part manquante ou défectueuse de l'analyse sera du côté de “l'esprit” comme accident, comme conséquence du corps. Un philosophe de ce genre s'appuiera sur des sciences expérimentales massivement statistiques, comme, en notre époque actuelle, certaines approches très réductionnistes des “neurosciences”, pour tenter de déterminer un “organe du rire” ou un “siège du rire”. Ce que décrit en parlant des bonimenteurs est précisément la compréhension le plus souvent assez intuitive des bonimenteurs du fait que l'on obtient l'adhésion acritique de son public non par “l'esprit” ni par “le corps” mais par la relation entre le locuteur et son public, un bonimenteur mobilise tout son corps et tout son esprit, il varie le ton, les expressions faciales, gesticule ou se fige, se projette vers son public puis s'en distancie, tantôt s'adresse à tous, tantôt à personne, tantôt focalise sur telle ou tel. Il sait une chose certaine: ce qu'il dit ou fait n'a aucune importance, seule importe la relation. Certes il y a toujours un moment où sa parole aura de l'importance mais ça ne concerne pas ce qu'il vend, ça concerne la transaction, le “contrat”, le moment où il s'accorde avec certains membres du public pour procéder à un échange, lequel sera nécessairement en sa faveur, là il sera sérieux, plaisant mais sérieux, et la parole échangée engagera les deux parties, je te donne mon bien, tu me donnes ton bien, et c'est irrévocable. Le rire n'engage pas mais prépare à l'engagement en mettant les rieurs en position de faiblesse pour obtenir un consentement acritique.

Bien sûr on peut établir cette configuration par d'autres moyens mais tous ont la même caractéristiques, la partie qui se mettra en position dominante va susciter chez l'autre partie une émotion forte qui mobilise une grande partie de son corps, spécialement celle viscérale, “profonde”, “intérieure”, le rire, la peur, la joie, la tristesse, etc. Le but général est d'amener la partie faible à “se rapprocher” de la partie forte, soit pour obtenir une partie de sa force, soit pour être sous sa protection; ce faisant elle lui concède déjà quelque chose: la partie forte lui est supérieure, “domine la situation”. Et voilà, emballé c'est pesé! Une fois obtenu le consentement de la partie faible on peut lui raconter n'importe quoi, elle sera toujours “plutôt d'accord” ou entièrement d'accord. Elle peut ne pas prêter la moindre crédibilité factuelle au propos sans pour cela mettre en cause sa validité. Je suppose qu'il vous est arrivé d'entendre des soutiens de Donald Trump interrogés par des reporters, ils sont souvent assez critiques quant à la validité de ses affirmations sans que ça change leur haut niveau d'adhésion, parce que ce que dit un bateleur n'intervient pas relativement à sa crédibilité en tant que personne, ils ne sont pas intellectuellement ou sentimentalement en accord avec lui, ils le sont viscéralement, il est “le même” qu'eux et il l'est viscéralement, mettre en doute Trump revient alors à SE mettre en doute. Je ne sais pas pour vous, en ce qui me concerne je ne doute jamais de moi. Je peux douter de la validité de mes actes, de mes paroles, de mes pensées, en revanche je ne doute jamais de moi en tant que personne physique. La force de Donald Trump est là: ses partisans sont lui, il est eux, douter de lui c'est douter de soi en tant que personne physique et ça on ne peut pas, ça induirait de douter de soi en tant qu'être vivant.

Enfin si, on peut quand on se perçoit “pur corps” ou “pur esprit” mais ça n'est pas mon sujet ici.


Bien, il me semble temps maintenant d'en venir au sujet mentionné dans le titre, les possessions, ou «Tous les chemins». Tous les chemins mènent là où on veut aller, ou là où un tiers veut vous amener, ou là où on veut aller avec le soutien d'un tiers.

Je mentionnais les “psys” et les “religions” parce que ce sont, dans le contexte actuel, les deux moyens les plus courants pour “aller vers”. En d'autres temps pas si lointains ces deux voies étaient fortement en concurrence avec la “politique” et, cette fois sans guillemets, les sciences. Non que ce qui se présente sous les aspects de la science ne soit parfois assez douteux, par contre le fait d'utiliser les moyens et le discours des sciences implique de pouvoir être soumis à la critique interne que les sciences ont l'habitude de porter sur elles-mêmes. Pour exemple, un de ses moyens d'investigation du réel est la forme syllogistique. Un syllogisme ne certifie jamais que ce qu'exposé est “vrai”, en revanche il ne sera vérifiable – ou falsifiable – que si ses arguments ont une forme conséquentielle valide. Un exemple courant de syllogisme est par exemple

A égale B, B égale C, donc A égale C

Un faux syllogisme prendra par exemple la forme

A égale B, C égale D, donc A égale D

ou aussi

A égale C, B égale C, donc A égale B

Pour que le premier faux syllogisme soit recevable en première approche il doit y avoir une apparence de similarité entre B et C, une analyse précise de cette forme mettra en évidence que ce n'est qu'une similarité formelle, donc qu'on n'a pas trois arguments conséquentiels mais quatre arguments dont on ne peut tirer aucune conséquence. Ce qui n'invalide pas nécessairement l'égalité entre A et D, pour autant qu'on puisse établir une égalité entre B et C. Le second syllogisme est intrinsèquement invalide puisqu'il n'établit pas de conséquence entre B et C, par exemple

Socrate est un bipède sans plume,
un poulet sans plume est un bipède sans plume,
donc Socrate est un poulet sans plume

ou

le blanc est une couleur, le noir est une couleur,
donc le blanc est le noir

La forme syllogistique n'a pas de valeur en soi, le plus souvent elle expose des truismes, des “vérités d'évidence”, c'est avant tout un instrument permettant d'enseigner la démarche à suivre pour différencier la dialectique de la sophistique, décrite ainsi par Descartes dans l"énoncé de ses principes:

«Le premier était de ne recevoir jamais aucune chose pour vraie, que je ne la connusse évidemment être telle: c'est-à-dire, d'éviter soigneusement la précipitation et la prévention; et de ne comprendre rien de plus en mes jugements, que ce qui se présenterait si clairement et si distinctement à mon esprit, que je n'eusse aucune occasion de le mettre en doute».

Cela vaut pour l'observation expérimentale, mais aussi pour l'analyse de discours: dès que l'auteur présente une proposition comme conséquence d'une proposition antérieure, vérifier si c'est le cas et si ce ne l'est pas, vérifier alors si les précédentes conséquences qui, en première approche, apparaissaient conséquentielles, le sont effectivement. En tout cas, le fait que dans le discours apparaisse une faille de raisonnement, un sophisme, invalide toutes les conséquences ultérieures qui s'appuient sur cette faille, cette conséquence invalide ou invérifiable.

J'ai entendu dimanche 22 février 2019 à 23h, puis de nouveau ce 24 février 2019 à 4h, une émission de France Culture très intéressante dont le sujet est la possession et la manière de s'en protéger ou de la cure, L'exorcisme. On y entend beaucoup de propos qui sont des erreurs de ce type, des failles de raisonnement. Fondamentalement ça ne pose pas de problème, factuellement ça peut en poser. Pour citer un autre de mes auteurs de chevet, Gregory Bateson, il écrit dans un article très intéressant, «La cybernétique du “soi”: une théorie de l'alcoolisme», «d'un ensemble inconsistant d'axiomes, on ne peut pas déduire un corpus consistant de théorèmes». Je cite tout l'alinéa:

«On ne doit pas s'attendre à ce que l'alcoolique donne une image cohérente de lui-même. Lorsque l'épistémologie de base est pleine d'erreurs, ce qui en découle ne peut fatalement qu'être marqué par des contradictions internes ou avoir une portée très limitée. Autrement dit, d'un ensemble inconsistant d'axiomes, on ne peut pas déduire un corpus consistant de théorèmes. Dans ce cas, toute tentative de consistance ne peut aboutir qu'à la prolifération d'un certain type de complexité – qui caractérise, par exemple, certains développements psychanalytiques et la théologie chrétienne – ou, sinon, à la conception extrêmement bornée du behaviourisme contemporain».

J'apprécie spécialement l'association de «certains développements psychanalytiques et la théologie chrétienne». On comprendra pourquoi je pense. L'intéressant dans cette histoire est que l'article porte pour une part significative sur une association «anti-alcoolique», l'AAA, l'Association des alcooliques anonymes, dont la philosophie de base repose sur «certains développements psychanalytiques et la théologie chrétienne» intégrant des aspects de ces doctrines composant «un ensemble inconsistant d'axiomes». Il met aussi en évidence l'indéniable efficacité de cette association dans son projet, aider des alcooliques à être abstinents ET à ne pas reporter leur addiction vers un autre objet. La raison en est simple: comme j'en discute dans un autre billet pas encore publié mais ça ne saurait tarder, «Ultrasoviétisme», pour parvenir à convaincre il faut puiser ses arguments dans le fonds culturel commun à son environnement social, ce que fait entre autres le bonimenteur et ce que je fais aussi même quand je ne bonimente pas. Dans le contexte où s'est mise en place l'AAA, les États-Unis de l'entre-deux-guerres, la psychanalyse et le christianisme sont les deux fonds les mieux reçus, la première pour “le corps” et le second pour “l'esprit”, la première est “scientifique”, le second “religieux”. La psychanalyse donne une base matérialiste à la doctrine, la dogmatique chrétienne une base spiritualiste. Probablement, le fondateur de l'AAA n'avait pas une conception aussi élaborée de sa propre doctrine mais c'était un pragmatique qui recherchait avant tout l'efficacité, certains alcooliques ont une approche matérialiste des choses, d'autres une approches spiritualistes, d'autres une approche pragmatique, tous ont une certaine sensibilité aux deux autres approches, une doctrine pragmatique puisant dans les fonds culturels spiritualistes et matérialistes sera assez efficace parce que chacun en prendra la partie qui vaut pour lui et qui lui permettra à la fois de rester abstinent et de ne pas aller chercher ailleurs une autre addiction. En outre, le fait de réunir des personnes des trois tendances permettra à tous de constater que leurs propres présupposés ne valent pas en toute circonstance et que si on est “défaillant dans sa foi”, et bien, on peut aussi trouver un secours dans ce qui ne participe pas de cette foi mais qui dans certaines circonstances peut avoir une efficacité indéniable.

Pour parler brièvement de moi, j'ai donc beaucoup de réticences à l'encontre des “psys” et des “religieux” parce que je suis, plus que pragmatique réaliste. Et comme je suis réaliste je ne dénie pas l'efficacité des méthodes “psy” et “religieuses” dans certaines circonstances et pour certaines personnes, je dénie d'autant moins cette efficacité que tout en me moquant de ces doctrines je puise largement dans leurs fonds doctrinal puisque je sais que pour beaucoup de mes semblables ces doctrines constituent leur meilleur point d'accès à la compréhension du discours d'autrui. J'écris ici non pour les “psychotiques” et les “culs-bénits” (excusez, trop longtemps que je fais mon sérieux dans ce billet, faut bien que je revienne brièvement à mon propre fonds, la méchanceté gratuite et agressive envers les “psys” et les “religieux”) mais pour celles et ceux qui peuvent trouver des méthodes, des techniques et des arguments pour convaincre leurs semblables d'agir pour leur propre bien en cessant autant que possible de voir leurs semblables comme des “autres” au prétexte assez léger qu'ils n'ont pas la même manière de nommer le même objet, que ce que l'un nomme “possession” et l'autre “psychose” ne diffère que par le nom et par le type de manifestation, qui est assez tributaire de la propre dogmatique des “souffrants”.

J'explique: quelle que soit la cause du malaise à la source de ce qui, pour une personne, touche à ce qu'elle considère son “moi profond” ou son “âme”, elle attribuera à ce malaise ce qu'on peut nommer une “cause magique”, qu'elle associera à ce qui dans sa propre dogmatique correspond à «ce qui atteint le moi»: l'athée qui accepte la dogmatique psy l'attribuera à une cause psychotique, le croyant qui accepte celle chrétienne, au démon. Pour le premier ce sera “une maladie”, pour le second, “une possession”. Si le premier est poussé par son environnement à chercher une cure auprès d'un exorciste, ou si le second est amené dans le cabinet d'un psychanalyste, peut-être tombera-t-il sur un “soignant” assez pragmatique pour s'appuyer sur la propre dogmatique du “souffrant”, peut-être non, d'où l'importance de bien choisir le type de cure valide selon les cas et les personnes. Soit dit en passant, une raison non négligeable de la plus grande efficacité statistique des méthodes psychanalytiques “européenne” relativement à celle “étasunienne” (il s'agit de modèles dominants, on trouve des praticiens des deux courants un peu partout mais aux États-Unis domine l'une, en Europe domine l'autre) vient d'un élément méthodologique: dans la pratique “européenne” le psychanalyste a très peu d'interactions avec son patient, dans celle “étasunienne” il est au contraire très en interaction, du fait les patients étasuniens plutôt spiritualistes sont beaucoup plus fortement soumis à une dogmatique qui ne leur convient pas. Soit en outre précisé que ça n'a pas tant d'importance, rapport au fait qu'aux États-Unis même les psys sont assez spiritualistes...

Pour conclure, j'ai relevé quelque chose d'assez intrigant dans les “analyses” concernant la situation d'instabilité assez générale des sociétés ces temps-ci, relatif au fait que pour l'essentiel ces analyses sont faites dans un contexte français: l'idée assez invraisemblable et infirmée par les faits que le problème en France est avant tout structurel alors qu'il est supposément “autre”, “non structurel” ailleurs. Alors qu'à l'évidence la cause est partout structurelle. Cette erreur d'analyse vient de ce les analystes français peu familiers des organisations infrastructurelles locales se basent sur celles superstructurelles, très similaires d'une société l'autre. Or, toute crise profonde a sa cause première, et bien, dans l'infrastructure, puisqu'elle est profonde. c'est le même défaut d'analyse qui explique pourquoi tant les Gilets Jaunes que les Foulards Rouges (pour symboliser “la macronie”, un nom sans validité) se trompe sur les solutions: ils veulent corriger les problèmes de l'infrastructure en agissant sur la superstructure. M'est avis que ça ne réussira pas à résoudre la crise...

Bon ben je m'en vas conclure les billets en cours avant de publier celui-ci.


La série:

Possessions, ou «Tous les chemins»UltrasoviétismeDécroissance, mon cul! – Les gamètes sous les cheveux

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