Longtemps ce mot d’Armand Robin à propos de Rimbaud m’a fasciné et profondément intrigué : « Ô Rimbaud, il fallut tant payer pour le passage que rien ne te resta pour le but. » Car si l’on se soucie tant du but, c’est bien que plus rien n’assure du passage. Le voici pourtant ce passage, ici devenu fil ténu dans un poème « fragmentaire » d’Armand Robin qui, à force de dépersonnalisation (comme l’a bien vu Françoise Morvan), œuvre sans but de faire œuvre. Rarement poème y a revêtu semblable « livrée » :
Si je n’avais que moi, si je n’avais que ma vie,
Je saurais me taire, me terrer,
Je veux que chaque seconde
Soit habitée d’un million d’hommes.
Je tiens toute ma tête
Comme un fil d’araignée,
Comme une couronne de rêve et de rosée
Que rompt chaque tête rapide
D’homme allant à son travail.
L’avant-aube où je vis est affairée.
Extrait de Fragments, livre d’Armand Robin établi et présenté par Françoise Morvan, Gallimard, 1992.
Sur Armand Robin, voir également ici.
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Qu’il me soit permis de profiter de ce passage pour signaler une erreur dans un ancien billet sur Mayo intitulé précisément « Le passage, d’après Mayo ». J’y ai attribué fautivement à Jacques Abeille des propos revenant à Petr Král. Mon œil a chassé à la tourne d’un article disposé en colonne. J’ai porté les corrections nécessaires au billet (voir ici), renvoyant par ailleurs à ces deux textes de Král et Abeille, dont j’ai « échangé » les univers, également intéressants.