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Économiste, sociologue et HEC à la retraite (maître de conférence à l’Université Dauphine et membre du Cabinet Syndex, expert-comptable spécialisé dans le conseil aux Comités d'entreprise et aux syndicats de salariés), il s’occupe, depuis une dizaine d’années, de promouvoir l’Indépendance de la Kanaky Nouvelle-Calédonie. Il s’est mis en outre à écrire autre chose que de savants traités...

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Billet de blog 11 décembre 2025

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Finances publiques du "Caillou "et ses "Prélèvements obligatoires", les "PO", en 2024

La dernière analyse de la CTC, la Chambre territoriale des comptes locale, mérite mieux que les commentaires souvent apocalyptiques donnés par la presse locale. La crise actuelle (qui rampe depuis au moins 2012, après un boom qui cachait tout) n’est pas que la conséquence de l’insurrection de 2024, elle est "structurelle" : l’absence de redistribution suffisante pour lutter contre les inégalités !

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La CTC de Nouvelle-Calédonie vient en effet de publier, le 9 décembre son Rapport d’observations définitives et sa réponse. La situation des finances publiques locales (Nouvelle-Calédonie) exercice 2024.

https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2025-12/NCR2025_0018_FIPULO_2024.pdf

Réactions de la presse locale : un tissu de contre-vérités ou d’informations alarmantes, conté, par exemple, par La Dépêche.nc (feuille plutôt très à droite et fort loyalistes radicale) le 10 décembre 2025.

https://ladepeche.nc/2025/12/10/la-dette-caledonienne-explose-le-chiffre-qui-fait-trembler/

« Deux chiffres claquent comme un uppercut : un PIB en chute de 15 % et une dette locale qui frôle les 200 milliards de francs. En Nouvelle-Calédonie, l’année 2024 n’a pas seulement été difficile : elle a révélé les limites d’un système public devenu dépendant de l’État ».

Rappelons que le PIB n’a diminué en volume que de 13,5 % et de 11,5 % en valeur, selon la dernière publication de l’ISEE.nc. Voir notre billet du 29 novembre 2025 titré Évolution de l’économie du "Caillou" avec l’impact de l’insurrection de mai 2024 et sous-titré Avec des copains (c’est toujours mieux à plusieurs que tout seul…) on s’est penché sur elle, et avec une mise en perspective ; et donc pas seulement (mais surtout…) sur la conjoncture 2024 et début 2025. Mission impossible sans, essentiellement, les publications de l’ISEE.nc et du CEROM (Comptes Économiques Rapides pour l’Outre-mer). Mais je suis le seul responsable des commentaires qui suivent.

2024 fut bien une catastrophe mais pas l’apocalypse !

https://blogs.mediapart.fr/patrick-castex/blog/291125/evolution-de-l-economie-du-caillou-avec-l-impact-de-l-insurrection-de-mai-2024

Les 15 % de chute du PIB sont astucieusement tirés du PIB de 916 GCFP (milliards de CFP en francs courants) en 2024 contre 1078 en 2023 ; sauf que par ailleurs la CTC l’évalue à seulement 13 % : elle ne connaissait pas encore les données (certes provisoires) de l’ISEE publiées peu de jour après la publication de son rapport ! Quant à la dette de 197 GCFP elle a bien sûr explosé à 21,5 % (avec les 916 GCFP de PIB : et c’est le ratio donné par la CTC qui ne donne aucun tableau et se contente du graphique suivant où l’on constate qu’elle est passée d’environ 120 GCFP en 2018 à plus de 150 en 2022, année cependant de boom… Et rappelons que le Caillou fait petit joueur comparé à la dette publique française aujourd’hui à 116 % du PIB.

Avec cet article, on pouvait penser que cette dette abyssale était la conséquence directe de l’insurrection de la CCAT de Christian Téin ! Juste un petit coup de pousse !

Illustration 1

L’article continue sur sa lancée : « Les ménages serrent les dents, les entreprises suffoquent et les pouvoirs publics tendent la main. Pourtant, rien n’y fait : l’économie cale. Et quand l’économie cale, la dépendance augmente. Celle envers l’État devient massive : 260 milliards de francs injectés en 2024, soit 28 % du PIB, entre sécurité, aides d’urgence, subventions et avances. Sans Paris, le territoire entrait en arrêt cardiaque budgétaire ». On y reviendra sur ces 260 GCFP…

Le reste de l’article est à l’avenant, et il en est bien d’autres du même acabit (Medef local, etc.).

L’article de LNC du 9 décembre était plus mesuré.

https://www.lnc.nc/article/nouvelle-caledonie/economie/societe/une-degradation-significative-la-chambre-territoriale-des-comptes-alerte-sur-l-etat-des-finances-publiques

Revenons sur cette analyse de la CTC locale. Ce qui va surtout nous intéresser c’est notre vieille marotte concernant les Prélèvements obligatoires (impôts et cotisations sociales) les PO bien inférieurs, ramenés au PIB, à ceux de la Métropole ; ce qui explique structurellement bien des choses : cette faiblesse est compensée par les transferts de fric de la Métropole vers sa dépendance.

Vieille marotte en effet depuis que je m’intéresse à l’économie du Caillou, sur laquelle n’insistent évidemment pas la presse locale et peu les syndicats de salariés, sauf La Fédé (regroupant surtout des fonctionnaires) ! Voir par exemple, pour les plus récents, d’abord le billet du 15 juin 2021 titré Les prélèvements obligatoires : les « PO » et sous-titré Les PO sont beaucoup plus faibles sur le Caillou qu’en Métropole... d’où la nécessité des « transferts » financiers de la Métropole vers le Caillou !

https://blogs.mediapart.fr/patrick-castex/blog/150621/les-prelevements-obligatoires-les-po

Puis le dernier du 2 avril 2025 où je radotais (mais avec des autocritiques concernant les mesures des impôts et des cotisations sociales) titré « En attendant Godot », le retour de Valls en Calédonie : les inégalités économiques ! et sous-titré Surtout mes marottes : « prélèvements obligatoires » bien moins élevés sur le « Caillou » qu’en Métropole, dont les impôts et les cotisations sociales quasiment plafonnées pour les hauts salaires, compensés par le « bouche trou » des « transferts métro » offerts par la maison-mère. Rien que ça ; mais c’est fort important, tout autant que le changement institutionnel que va peut-être offrir Valls.

https://blogs.mediapart.fr/patrick-castex/blog/020425/en-attendant-godot-le-retour-de-valls-en-caledonie-les-inegalites-economiques

L’avantage de ce qui suit est que l’on connaît maintenant la situation après l’insurrection de mai 2024 et, grâce à la CTC, l’évolution récente très détaillée ; avec toujours plus de dessins (graphiques tous tirés de la dernière publication de la CTC, sauf les corrections du PIB de 2024) que de mots.

1 – Les petits PO du Caillou

Illustration 2

La différence saute aux yeux : autour de 44 % de PO / PIB en France ; autour de 30 % (sauf un peu plus, déjà en 2023 mais aussi en 2024) en Calédonie ; bref un écart tournant autour de 14 à 15 %, presque la moitié des PO du Caillou !

Illustration 3

Ce qui est remarquable, c’est que : 1/ Bien que championne, la France n’est pas si éloignée des taux de la Zone Euro, alors que sa dépendance, la Calédonie, fait bande à part ; 2/ Le niveau du poids des impôts est toujours plus élevé que celui des CS, et surtout ici sur le Caillou.  

Il est vrai que les impôts incluent maintenant des anciennes CS (CSG, Contribution Sociale Généralisée – qui porte ici le nom de CCS, Contribution Calédonienne de Solidarité – etc.). Ce fut le débat entre nos deux derniers billets sur le sujet.

Le graphique suivant donne ainsi quelques comparaisons utiles avec l’Europe sur les Impôts et CS.

Illustration 4

Un certain détail des impôts du Caillou

Les impôts indirects, plus injustes socialement car non progressifs avec les revenus, sont dominants (ce qui est aussi le cas en Métropole) sauf que les taxes à l’importation y sont ici plus importantes.

Illustration 5

Un certain détail des CS et Prestations sociales, les PS, du Caillou

Illustration 6
Illustration 7

2 – Les transferts de fric de la Métropole vers le Caillou

Illustration 8
Illustration 9

On notera que ces transferts (qui sont bien des subventions) sont censés couvrir les coûts des compétences régaliennes « pures » ; mais ils couvrent bien d’autres choses ! Dont en particulier une bonne partie de l’enseignement pourtant transféré à la Calédonie depuis des lustres (sauf l’enseignement supérieur et la recherche dont celle de l’UNC, l’Université de Nouvelle-Calédonie)…

Et les loyalistes calédoniens et bien d’autres hurlent quand l’État vient de préciser, avec, en plus des « Transferts Métros », son plan quinquennal exceptionnel de prêts (essentiellement, sauf quelques exceptions) à 50 GCFP courants annuels (5 % du PIB en régime de croisière) que ces Transferts Métros ne concerneraient plus en 2030 (si la Kanaky Nouvelle-calédonie n’était pas encore indépendante…) que le régalien.

Illustration 10

3 – Enfin, marotte de nos marottes…

Illustration 11

Conclusion

La grave crise que le Caillou subit après la conjoncture de l’insurrection de mai 2024 n’est pas la seule cause du marasme économique depuis des décennies (après le boom qui s’est transformé en ralentissement en 2012 puis en récession de 2019 à 2021) : elle est structurelle. Des inégalités considérables (et surtout entre les Kanak et les autres, même si une classe moyenne et même une belle bourgeoisie apparaissent discrètement depuis des années) ; et ces inégalités sont renforcées par des prélèvements obligatoires maigrichons qui n’assurent que peu la redistribution des richesses.

Et ce n’est pas avec les réformes libérales de l’économie de l’Offre, demandées par les classes aisées et exigées par l’État comme un chantage à son aide, que cela va s’arranger...

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