Juste quelques mots pour soutenir la vive réaction des indépendantistes et singulièrement de la jeunesse kanak à la déplorable gestion par l’État depuis plus de deux ans de la crise qui endeuille la Kanaky Nouvelle-Calédonie. Certes, la résistance a pris, là comme ailleurs, des aspects que chacun peut condamner ; les leaders indépendantistes, vieux (et moins vieux) appellent d’un côté au calme depuis plus d’une dizaine de jours et condamnent les exactions commises, mais saluent d’un autre côté l’initiative et le courage de cette jeunesse. Je m’y associe.
La CCAT (Cellule de coordination des actions de terrain) est considérée par Darmanin comme une organisation « mafieuse », de « voyous », et certains de ses dirigeants sont poursuivis pénalement ; le mot terroriste n’a cependant pas encore été utilisé… Les termes du ministre de l’Intérieur et ses actions sont cependant moins vives envers les milices armés des loyalistes qui prétendent être des « Voisins vigilants » ; on peut les comprendre, mais on comprend moins l’attitude qu’eut le Haut-commissaire Louis Le Franc lors d’une conférence presse[1].
…
Tout le monde joue le même air de « je vous l’avais bien dit » après la reprise des « Événements » sur le Caillou depuis plus de dix jours donc (début d’une insurrection et d’une guerre civile en Kanaky Nouvelle-Calédonie : « On s’engage tout droit dans une guerre civile », disait le Haut-commissaire de la République ; ça se calme un peu mais les forces de l’ordre sont encore loin aujourd’hui, malgré les renforts, de contrôler tout le Territoire…). Les adeptes de Cassandres étaient moins nombreux et beaucoup moins directs il y a presque deux mois ; sauf l’historien Louis-José Barbançon qui eut du nez[2].
Macron se rend aujourd’hui en Calédonie[3] ; il avait le gros Caillou dans sa chaussure droite, après son infernale politique coloniale ; il a maintenant, avec son ancien Premier ministre qui joue gros pour 2027, un autre caillou dans sa chaussure gauche. Et çela mérite quelques mots…
Car Édouard Philippe a laissé ses commentaires sibyllins pour être plus direct lors de son meeting à Bayonne le 21 mai[4], en indiquant « D’abord, la conviction qu’il y avait une crise économique extrêmement forte qui n’était pas suffisamment comprise à Paris. Après les événements, aujourd’hui, elle est pire. Et aussi que la tension montait, elle a explosé. Et aussi qu’un accord était encore possible » ; on peut rêver… Il a surtout poussé le bouchon très loin en évoquant la partialité (il est vrai évidente aux yeux de tous) du gouvernement et de la Présidence en regrettant qu’après lui, les Premiers ministres qui depuis Rocard géraient le dossier et « … dans l’exercice de leurs fonctions, ils s’interdisaient de prendre parti, parce qu’au terme de l’accord de 1988-1998, l’État était parti au processus, mais devait se placer derrière un voile d’impartialité ». Enfin, il propose le dialogue (alors que Macron, pour le moment, a de fait lancé un ultimatum repoussant d’un mois le vote au Congrès à Versailles si aucun accord sérieux n’apparaît entre les parties prenantes) dans « un cadre qui sera plus difficile à trouver qu’il y a trois mois » (encore un coup de griffe qu’il livre en passant…) tout en assurant donc qu’il peut être trouvé.
Et il va encore plus loin en affirmant : « Ce qui compte le plus, c’est l’accord politique. Ce n’est pas le droit qui doit s’adapter à l’accord politique, ce n’est pas le rapport de force qui découlera ou ne découlera pas de l’accord politique. C’est toujours l’accord politique ». Est-ce encore une pierre dans le jardin de Macron et de ceux qui, comme lui, considèrent que le dernier référendum du 12 décembre 2021 était certes juridiquement dans les clous mais politiquement illégitime alors que lui-même avait proposé, encore aux affaires, qu’il ne devait pas se tenir avant le printemps 2022 marqué par les élections présidentielles et législatives de la République ?
Et il conclut : « Toutes celles et ceux qui voudront se placer en dehors de cette logique, à mon avis, se heurteront à des déconvenues cuisantes ». Puis : « J’espère que les annonces du président seront à la hauteur de la situation ».
…
Bien sûr, toutes les Cassandres qui annonçaient le retour de la guerre civile sur le Caillou, ne sont pas allés jusqu’à émettre l’hypothèse infernale que Macron, poussé par les loyalistes les plus radicaux après ce malheureux troisième référendum avait pris comme devise l’inverse de Si vis pacem, para bellum[5]. Sauf que, droit dans ses bottes (et, selon les rumeurs que Barbançon n’a pas niées, ce dernier lui aurait dit, après le mémorable discours de notre Président à Nouméa sur la place des Cocotiers en plein hiver austral : « Il ne vous manquait que le casque colonial ») avait oublié de préparer cette guerre.
En effet, il a fallu ajouter, avec couvre-feu et état d’urgence, un effectif de 1 000 de plus (dont RAID et GIGN) aux 1 700 forces de l’ordre (police et gendarmerie) présentes sur le Caillou, pour commencer à venir à bout de l’insurrection[6] ; sans compter quelques centaines de militaires supplémentaires (dont des parachutistes) qui sont chargés (provisoirement) de la garde des aéroports, du port et des bâtiment publics en attendant la relève…
Et nous n’aurons pas le culot de rapporter ce que raconte le Canard enchaîné dans son numéro du mercredi 22 mai sur La grande vadrouille du Haut-commissaire[7] du Caillou, Louis Le Franc donc. Sauf que ce dernier ne reprenait pas la litanie de Darmanin sur les ingérences étrangères, singulièrement de l’Azerbaïdjan pour expliquer le retour desdits « événements ». Quid de la cyberattaque contre le Caillou avant l'arrivée de Macron, la main de Moscou ?
« Si la situation s’améliore peu à peu, elle reste tendue et fragile » vient de résumer le Premier ministre Gabriel Attal.
Notes
[1] Voir l’article de Médiapart du 17 mai 2024 :
Le Franc a d’abord condamné ces milices après le premier mort kanak lors d’une fusillade sur un barrage indépendantiste : « Les auteurs de ces crimes sont des assassins car il n’appartient pas à des groupes d’autodéfense de se livrer à cela. […] Ces milices qui se sont constituées [l’ont fait] sans doute pour se protéger, mais on ne leur en demandait pas tant, et certainement pas d’être armées » [… :] Ce n’est pas leur métier. J’ai interdit le transport d’armes, j’ai pris un arrêté de couvre-feu [qui impose à chacun·e de rester chez soi de 18 heures à 6 heures du matin – ndlr de Médiapart]. Ça concerne tout le monde ». Mais lors de sa conférence de presse du lendemain, son discours a changé : « Il faut que les gens gardent confiance. Je sais que dans certains secteurs de l’agglomération de Nouméa des groupes de protection, des groupes voisins vigilants se sont mis en place. [...] Que ces voisins vigilants restent là où ils sont. Je sais que c’est un réflexe de protection qui correspond aux attentes de la population des différentes communes de l’agglomération. Au fur et à mesure que les renforts arrivent, ces relèves viendront prendre la place de ces voisins vigilants ».
Autrement dit, faute de forces de l’ordre suffisantes, les milices peuvent les remplacer !
[2] Voir l’un de mes derniers billets du 27 mars 2024 :
Et le dernier, du 1er mai :
Je terminais cependant sur une note plutôt optimiste, écrivant, mais avec des doutes : « Le climat politique et social, après l’orage, était fin avril à la détente, même Backès et Metzdorf feignaient de mettre de l’eau de rose dans leur fiel mais continuaient les provocations ; cependant, les braises étaient encore chaudes et la détente est aussi celle des fusils… ».
Je me suis tu depuis : avec l’arrivée de l’insurrection des jeunes Kanak, les nombreux morts et les très nombreux blessés, la presse se mettait à éclairer enfin le Caillou. Je ne commenterai donc pas cette dernière séquence ; je me suis exprimé depuis longtemps sur l’évolution de la situation politique et économique du Caillou sur Le Club de Médiapart, sur « L’histoire qui bégaie » selon Hegel puis Marx ; grâce à la couverture médiatique actuelle des « Événements », le lecteur pourra éventuellement être un peu mieux éclairé par ce travail.
[3] Il a atterri à Nouméa le mercredi 23 mai vers 23 H (heures française : jeudi matin 24 sur le Caillou ; voir :
[4] Voir par exemple, l’article du 22 mai publié par France et TV Info, "Un accord était possible" : entre diagnostic et avertissement, Édouard Philippe livre son analyse de la situation en Nouvelle-Calédonie :
[5] Voir mon billet du 26 septembre 2023, Macron en Calédonie : le retour en juillet 2023 et la persévérance dans l’erreur :
Son sous-titre est : Macron a persévéré dans l’erreur en niant que le troisième référendum était politiquement sans légitimité politique. Et ce fut, peut-être surtout, Macron en Indo-Pacifique… Guerre et paix extérieures, mais aussi intérieures. « Si tu veux la paix, dit-on, prépare la guerre » ; cependant Macron ne se dit-il pas en même temps et peut-être inconsciemment : « Si tu veux la guerre, prépare la paix ! »
L’article de Wikipédia évoque notamment cette inversion ; voir :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Si_vis_pacem,_para_bellum
Concernant Napoléon l’article note : « Tout le monde connaît l’adage [...] Si Napoléon avait été une autorité en latin, il l’aurait probablement inversé en Si vis bellum para pacem […], signifiant que si vous planifiez la guerre, vous devriez abaisser la garde des autres nations en promouvant la paix ».
[6] En gros, un flic pour 100 habitants du Caillou (1 pour 63 avant le choc : pas loin du double du ratio de la Métropole) soit environ 1 pour 50 kanak.
Contrairement aux idées reçues qui continuent à se distiller, depuis début 2024 selon lesquelles les Kanak seraient minoritaires, ils sont sans aucun doute en majorité relative depuis au moins plus d’un quart de siècle (44 % en 1996) ; ils comptaient, après la forte émigration nette de 2014 à 2019 des Européens (essentiellement des Métropolitains non natifs) qui semblait continuer avant 2024 (voir les données de l’ISEE.nc, l’Institut local de statistiques et études économiques) en 2019 pour environ à 41 % des habitants déclarés contre 24 % pour les Européens, 8 à 9 % pour les Wallisiens-Futuniens et 7 à 8 % pour les autres communautés ; mais si l’on répartit par ethnie - ce que l’ISEE refuse à faire - les Métis (11 %) et ceux refusant de se définir spécifiquement (refusant de répondre à la question de leur appartenance à une communauté précise ou se déclarant Calédoniens (7 à 8 %) - ces deux types de population en forte croissance relative depuis l’histoire des recensements sur le Caillou - les Kanak sont devenus majoritaires de façon absolue depuis au moins 5 ans !

Agrandissement : Illustration 1

[7] Titre d’un article en page 3.