Nous avons terminé, le 8 mars 2024[1], le feuilleton en 27 Saisons (Kanaky Nouvelle-Calédonie indépendante !) ; mais nos billets sur Le Club de Médiapart continuent pour l’actualiser.
Le présent billet ne traite que de la suite, au début du printemps de l’hémisphère nord (le début de l’automne là-bas) de la question de la remise en cause par l’État et les loyalistes radicaux de la « doctrine nickel » selon le Pacte nickel proposé fin 2023 par Bruno Le Maire ; doctrine certes, mais faite loi de pays. Le billet qui suivra traitera de la question beaucoup plus brûlante de l’avenir institutionnel du Caillou ; mais la question économique de la modification de la stratégie nickel est toujours un préalable à tout accord politique concernant l’avenir institutionnel du Caillou (en plus clair : indépendance ou non)[2]. Le Pacte nickel proposé par Le Maire est encore un « préalable minier » mais, selon nous, « un préalable minier à l’envers » : une sorte de revanche de celui des indépendantistes mais aussi de Calédonie ensemble de 1988)
Résumons l’objet de ce billet.
Le ministre des Finances (et de bien d’autres choses) Bruno Le Maire fait le forcing le 21 mars au matin en France[3] : le Pacte nickel doit être signé « tel quel » avant fin mars. Le même jour, en Calédonie, au Congrès (en l’absence des Loyalistes et du Rassemblement[4]) Louis Mapou, le président indépendantiste du gouvernement, rappelait que sans habilitation du Congrès, il ne signerait pas (la question est trop importante pour que le gouvernement agisse seul : beaucoup de sous en cause et, entre autres, changement de la loi de pays pour détricoter cette fameuse « doctrine nickel » devenue, répétons-le, code minier). En outre (et c’est nouveau), Mapou affirmait être en profond désaccord[5] avec la mise à l’écart de l’usine du Nord quand Le Maire a refusé le niveau de la demande de soutien de Glencore dans le plan de soutien financier proposé par l’État ; il précise : « Si KNS n’est pas dans le train, nous allons avoir une difficulté, j’ai dit les choses » et encore : ce pacte « est au-dessous des ambitions que nous avons recherchées ces dernières années. C’est un pacte par défaut, a minima ». Tout laissait à penser que Mapou ne signerait pas le pacte ; mais n'oublions pas que le gouvernement est collégial et que les loyaliste radicaux sont pour la signature. Le Congrès étant convoqué pour le 28 mars, la plupart des commentateurs pensent que, si signature il y a, ce ne sera pas avant courant avril.
Enfin, après des critiques allant crescendo, le parti loyaliste, mais centrise et progressiste, Calédonie ensemble, avec son leader incontesté Philippe Gomès, se dit maintenant opposé à ce pacte en l’état : il ne le signera pas. Fin mal barré donc pour l’État et les loyalistes radicaux, si Mapou maintenait son opposition ! On a déjà compris (par le sous-titre de ce billet) que le doute m’habite encore.
En ce printemps 2024, que de bouleversements donc. On propose d’abord l’évolution de la question avant l’arrivée de ce printemps, puis les bouleversements[6] autour du 21 mars.
…
1 - La fin de l’hiver (ou de l’été calédonien)
L’avant-dernière version connue au milieu du mois de mars[7] (dite V7) du Pacte nickel n’était pas un scoop mais mentionnait quelques précisions. Bruno Le Maire considérait, lors de sa visite sur le Caillou fin novembre 2023, que le sauvetage des usines métallurgiques était une question de semaines sinon de jours, et annonçait la signature de son Pacte nickel pour début janvier ; ce fut repoussé à fin février puis fin mars….
11 - Le point de vue du patron local de la SLN, Jérôme Fabre
Il s’exprime de plus en plus dans les médias et est souvent cité[8] dans l’article que nous nous proposons d’abord d’analyser.
* Fabre et Christel Bories…
Le premier réitère ce qu’il a déjà dit en nuançant (pour ne pas dire en en prenant le contre-pied…) les déclarations controversées du 25 février au Financial Times de la seconde, la PDG d’Eramet, selon laquelle, la Nouvelle-Calédonie pourrait devenir un territoire « purement minier », c’est-à-dire sans usine métallurgique, ajoutant : « Je ne suis pas sûr qu’autant de gouvernements décideront de subventionner les grandes productions avec beaucoup d’argent juste pour concurrencer la production indonésienne ». D’autant plus que le gouvernement français avait affirmé moult fois que le carnet de chèque pour subventionner à pertes, c’était fini !
Fabre répétait alors, concernant la première analyse de la PDG d’Eramet, que «… c’est en aucun cas ce qu’elle souhaite […]. C’est une alerte, un cri d’alarme. Le risque est réel, il n’a jamais été aussi élevé qu’aujourd’hui ». Pour ce qui est de la seconde analyse de Bories (en substance : quel est l’État fou qui subventionnerait un secteur en perdition ![9]) Fabre avait donc sa petite idée qu’il précise maintenant : « […] pour autant à Doniambo (le site de l’usine à Nouméa, PC)…], nous ne sommes pas dans une logique de recherche de repreneurs ». Christel Bories ne donne plus un sou, mais Eramet continue, grâce directement à l’État et l’exception française.
* Le gentil abandon de créance de l’État, malgré les déclarations de la PDG d’Eramet
L’interprétation du patron de la SLN est renforcée par l’abandon de créance de l’État qui a curieusement suivi le tsunami de Bories[10]. Le gouvernement français serait, selon l’interprétation de Bories par Fabre, une exception à cette règle : c’est le sens de notre dernier billet nuançant le précédent où la sortie de Bories nous semblait plutôt un tsunami emportant le Pacte nickel proposé par Le Maire qui aurait dû entraîner une vive réaction de l’État. Rien ! Nous indiquions bien, en conclusion de notre billet du 1er mars, mais presque comme une hypothèse farfelue, qu’au contraire, l’État en profiterait peut-être pour attaquer autrement les indépendantistes[11] : nickel foutu, indépendance foutue !
L’interprétation de Fabre est probablement la bonne, moins osée que notre hypothèse rappelée ci-dessus. Mais allez savoir !
12 - Les précisions apportées concernant les contraintes de la signature du document : inventaire dans un certain désordre, avec nos courts commentaires.
* Les industriels devraient prévoir des « investissements suffisants pour maintenir l’appareil productif à moyen terme ».
Christel Bories ne voulant plus donner un sou à la SLN, qui va payer ? Réponse avec la chanson bien connue sur le Caillou : « C’est la France qui paie… ». Pour les autres, on ne sait pas. Mais, a priori, les métallurgistes devraient continuer leur activité, même sans mettre la main à la poche ? Des investissements sans financement propre des actionnaires pourtant réclamé de moins en moins discrètement par l’État avec l’évolution du contenu du Pacte nickel ? (L’exception française…)
* Les industriels devraient déployer « leurs meilleurs efforts pour atteindre à l’horizon 2027 la production nominale »
Mais avec une maîtrise de leurs coûts en imposant notamment « une modération salariale ». Enfin est indiquée clairement la cause principale (selon nous) de la non-rentabilité structurelle des trois métallurgistes : la grave sous-utilisation des capacités nominales ; cause principale pour le moins peu développée sinon de fait ignorée par, à la fois, le Rapport de L’Inspection générale des finances (l’IGF) de juillet 2023, Macron et Le Maire. Ils vont être ravis de la mention de ce quasi-oubli ; les salariés vont sans doute se réjouir de la modération salariale ; les éventuels repreneur de KNS et de Prony Resources devront-ils financer ces efforts par de nouveaux investissements ou l’État fera-t-il comme pour la SLN ?
* La « feuille de route […] non chiffrée » de la V7
Cette feuille de route, selon l’article qui « détaille les engagements des uns et des autres » serait “non chiffrée”, selon le directeur général de la SLN Jérôme Fabre ».
Donc, toujours pas de réponses à nos nombreuses interrogations, Le Maire ayant au départ annoncé 184 GCFP (milliards de CFP ; 18 % d’un PIB calédonien actuel !) pour ne sauver immédiatement que la trésorerie des trois métallurgistes, sans compter l’aide ultérieure pour faire chuter les coûts de l’énergie, et d’une énergie décarbonée. L’article précise qu’il s’agit d’un plan d’investissement sur 10 ans dont les modalités de cofinancement avec les ressources du Caillou ne sont pas encore connues. Pendant la période de ce plan d’investissement, l’État et le Caillou subventionneront le coût de l’énergie avec un coût global annuel de 24 GCFP[12] ; le Caillou (par la voix du président indépendantiste du gouvernement Louis Mapou) a déjà annoncé pour 2024 un engagement de 8 GCFP[13]. Même si ce coût annuel décroit avec le temps sur les 10 ans programmés, ça va faire encore beaucoup de sous, et sans atteindre le très bas coût de la concurrence indonésienne[14].
* Les pyrométallurgistes doivent viser « l’objectif stratégique de produire de la matte de nickel ».
À quel coût ? Le Rapport de l’IGF mentionnait que cette substitution du ferronickel par de la matte n’était pas forcément rentable dans les conditions actuelles. Rappelons encore que la SLN avait abandonnée en 2016 la production de ces mattes, avec les conséquences que l’on connaît : les pertes cumulées de l’usine d’Eramet à Sandouville qui n’arrivait pas à traiter de façon rentable les mattes du Finlandais Boliden, puis la cession de cette usine pour limiter ces pertes. Cependant, Jérôme Fabre déclara que les conditions avaient changé et que tout devenait possible… Mais la SLN va-t-elle ne faire que des mattes à Domiambo ? Et avec quels sous pour les nouveaux investissements ?
Et si l’usine du Nord de KNS de Koniambo trouve un remplaçant à Glencore, va-t-elle aussi ne fabriquer que des mattes. Et Prony Resources qui produit en effet avec le NHC un semiproduit plus riche en Ni contenu que le Ferronickel (mais moins riche que le NiO, l’oxyde de nickel abandonné car trop couteux) va-t-il trouver un repreneur pour remplacer Trafigura dont on n’entend plus parler ?
* L’article indique en outre que « "en contrepartie des subventions reçues de l’État", est encouragée la mise en place d’"un mécanisme de priorisation du marché européen s’agissant des produits destinés au marché des batteries" »
Pourquoi pas, car subvention de l’État il y aura (si le Pacte est signé) mais à quel coût de transport en incluant les coûts carbone sachant que tout le minerai de nickel calédonien (si les usines survivent) ne sera pas transformé en mattes ! Rotterdam, ça fait loin et cher avec des bateaux chargé de minerais avec moins de 2 % de Ni contenu et 98 % de terre. Or, ces coûts carbone seront alors pris en compte à l’arrivée en France!
* La modification du code minier est de la responsabilité du Caillou, pas de la Métropole
On entre dans le dur. Dans la V7 du Pacte nickel, est précisé (ce qui allait sans dire, mais va mieux en le disant[15]) que le gouvernement calédonien doit proposer « une loi de pays, précise l’article, réformant le code minier[16] … ».
13 - La V8 : peu de changement[17]
Cette V8 du Pacte nickel (connue autour du 15 mars mais rapportée par la presse le 20) apporte quelques précisions à ce que l’on vient d’analyser.
D’abord sa signature serait repoussée en avril[18]. Ensuite est rappelé le niveau de production nominale des trois usines à atteindre en 2017 : « 60 000 tonnes par an pour la SLN, 50 000 tonnes par an pour Prony Resources, 45 000 tonnes par an pour KNS ». Ce ne sont pas les prévisions initiales de 2005, avec le Plan 75 000 T de la SLN et 60 KT pour les deux autres (soit 195 KT au total) mais celles de 2015 (155 KT). Est précisé en outre que « … les fonds publics du territoire financeront l’énergie des industriels à hauteur de 50 % » ; également, au sujet de la fiscalité, que le gouvernement local renonce « à toutes mesures susceptibles d’accroître les charges ou de diminuer les recettes des entreprises métallurgiques recevant des aides à l’énergie tant que les entreprises métallurgiques sont déficitaires »[19].
Le Pacte nickel, définitif donc selon Le Maire, proposé le 21 mars 2024 au Congrès par le gouvernement se trouve sur le site du Congrès calédonien[20].
14 - Deux limites à cet optimisme
* La procrastination de Mapou
« Le pacte nickel est prêt, il est important de le signer le plus rapidement possible », conclut Jérôme Fabre ; c’est en fait la conclusion de l’article. C’est oublier la position hésitante de Louis Mapou qui a annoncé, comme indiqué plus haut, demander au Congrès de Nouvelle-Calédonie de prendre position ; l’article le rappelle cependant : « À la demande du gouvernement, le pacte sur le nickel sera présenté jeudi 21 mars au Congrès ». Ce dernier votera Oui ou Non avant le 25 mars ? Peut-être, pensions nous avant le début du printemps…
Mais quand Mapou a annoncé[21] « Il faudra qu’on aille chercher le Congrès de la Nouvelle-Calédonie. Car quand vous avez un pacte qui demande de modifier le code minier et le schéma de mise en valeur des ressources minières, et que la Nouvelle-Calédonie s’engage sur plusieurs milliards sur la partie énergie à côté de l’État, je peux difficilement aller signer sur la base d’une simple décision du gouvernement », les commentateurs se sont inquiétés, l’article de La Voix du Caillou du 8 mars se termine par : « À ceux que cet exercice inquiète en ce qu’il pourrait être long et mouvementé, le président du gouvernement a assuré qu’ “il sera possible de consulter le Congrès dans les temps. On travaille pour cela” ».
À voir donc…
* Le président de la Province Nord (qui a son mot à dire) répète depuis belle lurette qu’il s’opposera de toutes ses forces au détricotage de la doctrine nickel faite loi !
La seconde limite est que cet article fait l’impasse sur les Niet réitérés de Néaoutyine qui semblent pourtant sérieux. Toute cette histoire de stratégie nickel, répétons-le, nous semble être, apparaissant comme un simple volet économique, le cache-sexe de la volonté politique de l’État sous la présidence de Macron, allié de fait aux loyalistes (du genre Sonia Backès et Nicolas Metzdorf) de faire plier politiquement les indépendantistes[22] en s’attaquant à leur « doctrine nickel » (également soutenue, radotons, par les centristes loyalistes du parti Calédonie ensemble) faite loi de pays. La guéguerre[23] sinon la guerre entre loyalistes radicaux (qui ont compris que la seule solution était le vote d’une loi de pays pour aboutir à leur projet[24]) et indépendantistes et leurs alliés, est bien sûr politique et renvoie à la question de l’indépendance, avec heureusement le centre Calédonie ensemble (peu efficace pour le moment). Mais n’allons pas trop vite…
Avec le Niet de Néaoutyine, pas de signature le 25 mars ; c’était déjà l’une de mes certitudes avant le début du printemps : je le vois mal revenir en arrière, quelle que soit la position de Mapou (du même parti indépendantiste, le Palika) ; je vois en outre mal l’État, face à ce possible unique[25] Niet, passer en force et dire que ce n’est qu’un détail de l’histoire en s’asseyant sur le rôle actuel des présidents de Province.
Le Congrès devrait donc éventuellement voter le détricotage du code minier, avec probables oppositions de Calédonie ensemble[26] et de l’Éveil océanien ; si cette stratégie Macron-Le Maire-loyalistes radicaux échoue, la France soutiendra encore (l’exception française) le nickel calédonien, au moins la SLN à coups de carnets de chèque pour sauver la Calédonie française… ou annoncera le chaos (retour de notre hypothèse très osée) en acceptant de fermer toutes les usines dans une ultime tentative de convaincre et vaincre les indépendantistes.
2 - De la fin de l’hiver (ou de l’été calédonien) au printemps (ou de l’automne là-bas) : le crescendo de l’analyse de Calédonie ensemble
21 - Les râleries de Gomès avant le printemps
Ce dernier s’est opposé tout de suite à Christel Bories et a également critiqué la position de l’État.
* Le 27 février, deux jours après le tsunami du 25
Il rappelait ses « premières alertes » de 2012-2013 quand il critiquait le versement des bénéfices de la SLN en dividendes (dont le Caillou avait bénéficié pour un tiers) en affirmant « le masque est tombé » quand la présidente d’Eramet déclare que « la Nouvelle-Calédonie pourrait devenir un territoire purement minier ». Il commence aussi à tacler l’État qui ne dit mot alors qu’il est « actionnaire à hauteur de 27 % » d’Eramet. Très en verve, il continuait, rappelant encore que le 1er décembre 2022 il notait qu’Eramet « se sépar[ait] de ses canards boiteux (l’usine de Sandouville et la société Aubert et Duval en 2022). Quelle est la place de la SLN dans ce nouveau chapitre : à la casse… sauf sur les exportations de minerais bruts parce que là, ça rapporte gros ». Il terminait par « Au moment où un “État stratège” devrait faire avec le nickel calédonien ce que la Chine a fait avec le nickel indonésien, nous avons un “État croupion” à la botte des intérêts privés du groupe minier dont il est actionnaire... Le cours de bourse avant la défense de la sécurité nationale et européenne, l’intérêt des actionnaires avant l’intérêt général de la France et de la Nouvelle-Calédonie. Un véritable désastre. Français et calédonien ».
Tout était déjà dit. Les interventions suivantes sont plus précises et documentées, peut-être plus pédagogiques ; on peut éviter les longs commentaires[27].
* La véritable sortie du bois de Calédonie ensemble : une alliance réitérée sur la stratégie nickel avec les indépendantistes
Ce n’est pas un scoop, car Calédonie ensemble a toujours été partie prenante de la « doctrine nickel » ; d’ailleurs on savait depuis la veille que Calédonie ensemble ne signerait pas[28], mais là, s’est répété avec fermeté, ferveur et pas mal d’humour : il avait la forme le Gomès ! Sa dernière intervention et les plus intéressants commentaires datent ainsi du 21 mars 2024 ; d’abord une animation PDF[29], mais surtout le discours au Congrès[30].
Il rappelle d’abord le « préalable minier » de l’accord de Bercy (qu’il nomme d’ailleurs Pacte nickel, ce qui est en effet le premier) et rappelle qu’il est à l’origine de la création de l’usine du Nord sur laquelle il insiste beaucoup.
Gomès avoue qu’au départ, il pensait que le Pacte nickel de Macron-Le Maires serait un boulevard pour le Caillou ; avec plusieurs arguments. Le premier est le discours place des Cocotiers déjà évoqué de Macron où ce dernier déclarait « Je vous dit avec force : le nickel est une richesse pour la Nouvelle-Calédonie… » et il complète, continue Gomès en le citant deux fois «… et un enjeu majeur stratégique pour la France et pour l’Europe ». Le deuxième est le Plan France 2030, doté de 54 G€ (plus de 6 PIB annuel du Caillou : Gomès eut tort de ne pas faire la conversion…) « dont l’objectif est la réindustrialisation de la France […] dont le premier levier est l’accès aux matières premières » ; le troisième est l’engagement de l’Union européenne (en décembre 2023) de considérer le nickel (et d’autres matériaux) comme stratégique pour éviter (traduction de Gomès) la concurrence dominante de la Chine. Le quatrième est une sortie de Le Maire selon lequel (cité par Gomès) « Les décisions de l’État actionnaire sont fondées sur des logiques de souveraineté économique [OK dit Gomès], et de consolidation de filières [Formidable] au-delà des seuls enjeux patrimoniaux et de rentabilité, contrairement aux investisseurs privés.
Après cet éventuel boulevard, Gomès considère pourtant le pacte nickel proposé comme « à la fois surréaliste et inique ». Surréaliste car on demande aux industriels d’atteindre leur production nominale (ce qu’ils n’ont jamais réussi à faire, tacle Gomès) et à investir « alors que des industriels et des actionnaires s’engagent à investir alors que les industriels veulent se barrer et les actionnaires ne veulent plus mettre un rond ! » ; il a évidemment rappelé auparavant ce qu’il nomme le « coming out » de Christel Bories.
Il finit par l’énorme responsabilité de l’État dans cette situation, au moins concernant la SLN qui investit en Indonésie, mais aussi avec l’Usine du Sud : « L’État est pleinement et entièrement et totalement responsable ». Enfin, il s’insurge contre la volonté de l’État de reprendre les responsabilités transférées au Pays (« libéralisation des exportations », cf. Bories) la « suspension » des taxes déjà votées, plus aucune taxe pour les métallurgistes, et la Calédonie paiera… en mettant en avant la casse sociale des suppressions d’emploi. En gros la même analyse que Paul Néaoutyine…
Mots de la fin : « Ce pacte nickel est inique ; il est hors de question que nous le validions ». Tout semble, lors de cette séance du Congrès, s’être passé entre amis, car en effet, les loyalistes radicaux s’étaient tirés avec un grand coup d’éclat sinon petit coup d’État. La droite va encore crier au loup, à l’alliance de Calédonie ensemble et des indépendantistes (et maintenant de l’ÉO) ; c’est peut-être pour cette raison que la veille de cette réunion et le jours même ils ont mis en place une nouvelle stratégie de sortie (provisoire ? ) des institutions. On va y venir avec notre prochain billet…
Au niveau institutionnel, Calédonie ensemble reste cependant loyaliste…
…
La procrastination de Mapou est terminée : le gouvernement signera le pacte nickel. On l’apprend le lundi 25 mars[31], après un début d’automne très chaud (au niveau politique et social). Mapou s’assoit ainsi sur la position de Néaoutyine et des indépendantistes de la Province Nord et rejoint ainsi celle des loyalistes radicaux et contre Calédonie ensemble ! Le monde à l’envers ; il surfe peut-être sur des divisions au sein du FLNKS dont le congrès se tenait le weekend du 23-24 mars et (déflorons en prenant des risques, car aucun communiqué officiel est encore publié à cette heure : il le serait le mardi 26... ) on aura probablement un joli coup de botte en touche.
Quelques nouvelles connues le 1er avril (mais ce n’est pas un poisson)
En effet pour le coup de botte en touche du FLNKS...
Pour le Pacte nickel, était annoncée la fin (peut-être !) du suspense le mercredi 3 avril[32] en séance publique au Congrès du Caillou ? On voit mal comment il serait signé en l’état, « tel quel », malgré l’affirmation péremptoire de Le Maire qui n’a néanmoins pas annoncé son déplacement pour y assister… Le président du gouvernement, Louis Mapou appelle donc la signature de ses vœux, avec les loyalistes radicaux (qui remplacent les manifestations contre la légitimité du gouvernement par des appels pressants et distributions de tracts) ; les autres sont soit résolument contre (Calédonie ensemble[33] et Néaoutyine de la Province Nord, oubliée dans l’article, de même que l’Éveil océanien…) soit hésitants tendance on verra plus tard. L’ÉO a déclaré ailleurs[34] qu’il était contre ce Pacte nickel ; son curieux argument étant que le Caillou devrait y contribuer pour 8 GCFP.
Quid du pacte nickel le 6 avril : toujours pas signé !
Le 3 avril, écrivait LNC[35] : L’examen du pacte nickel au Congrès de nouveau reporté. L’annonce du 1er avril était donc presque un poisson ; et l’art de la procrastination se hissait au sommet des beaux-arts du Caillou, un art en effet magistral devenu un curieux art martial.
Mais, beaucoup plus intéressant, ce report au Congrès (avec la présence des loyalistes radicaux qui ont donc changé leur fusil d’épaule[36]) a été proposé par l’alliance des indépendantistes (Groupes UNI et UC-FLNKS) et de l’Éveil océanien d’un côté, de Calédonie ensemble de l’autre ; ce n’est pas tous les jours… Le pacte doit être renégocier avec l’État et les trois industriels doivent mettre la main à la poche (retour à la case départ) et, encore plus intéressant : « … il doit être pleinement intégré à l’accord politique global » convenant l’avenir institutionnel du Pays ; exactement ce que ne voulait ni Le Maire, ni Darmanin, les deux chacun dans leur rôle qui faisaient de ce pacte (radotons encore) un préalable minier à l’envers, pour faire plier les indépendantistes en remettant en cause la doctrine-nickel-faite-loi. Ce qu’avaient sans doute bien compris les indépendantistes et, peut-être, Calédonie ensemble, mais sans remettre en cause de vive voix cette stratégie pourtant évidente de déconnexion des deux sujets. Maintenant, c’est fait.
En revanche, Mapou persiste et contresigne : il signera (ou signerait ?) le pacte au nom du gouvernement avec ou sans l’accord de la majorité du Congrès ; et il fut applaudi (encore un événement rare) par le groupe loyaliste des Républicains.
Notes
[1] Peu après notre retour d’encore plusieurs mois sur le Caillou ; voir :
[2] Le présent billet pourra paraître surréaliste, sinon dadaïste après lecture du second, pour ceux qui ne suivent pas l’actualité du Caillou comme la lait sur le feu ; mais même l’ambiance à la séance du Congrès du 21 mars était, pourtant après un incident d’importance qui peut paraître capital, très détendue, avec nombre de bonnes blagues.
[3] Voir, selon plusieurs sources, ses déclarations :
BRUNO LEMAIRE DÉCLARE QUE LE PACTE NICKEL DOIT ÊTRE SIGNÉ TEL QUEL, AVANT LA FIN MARS - NoumeaPost
Et :
Enfin, plus précis (mais il y en a plein d’autres) :
Le même jour, on apprenait (avant, avec le décalage horaire, ou en même temps ?) que la signature du pacte était reportée à l’initiative de Louis Mapou :
[4] Pourquoi ? Suspense ; voir le billet suivant…
[5] Il est, comme Paul Néaoutyine, du même parti, le Palika qui est à l’origine de la création de cette usine avec son gisement minier de Koniambo.
[6] Comme pour le billet suivant pour l’avenir institutionnel. Mais gardons encore le suspense.
[7] Voir l’article Que contient le pacte sur le nickel ? de l’hebdomadaire DEMAIN en Nouvelle-Calédonie (donc.nc) du14 mars 2024 ; toutes les citations qui suivent (sauf mention contraire) proviennent de cet article :
https://www.dnc.nc/que-contient-le-pacte-sur-le-nickel/
Voir nos nombreux billets précédents sur Le Club de Médiapart ; nous n’indiquons ici que les deux dernier ; du 1er mars :
et du 10 mars :
Pour les autres, s’ils le veulent bien, les lecteurs pourront les trouver…
[8] On a l’impression que c’est lui qui a soufflé l’article de dnc.nc ; mais nous n’irons pas jusqu’à penser que la fuite de la V7 ne lui est pas étrangère…
[9] La phrase de la PDG d’Eramet (« Je ne suis pas sûr qu’autant de gouvernements décideront de subventionner les grandes productions avec beaucoup d’argent juste pour concurrencer la production indonésienne ») est en effet sibylline : et l’interprétation de Fabre est possible : la France serait l’exception qui confirme la règle !
[10] Voir notre dernier billet.
[11] Je cite mon billet :« Soit, sans penser que Macron s’en frotte les mains, cela apporte de l’eau au moulin des loyalistes (que l’État, avec à sa tête notre Président, soutient sans aucun doute) : sans l’État et sans usine métallurgique, le Caillou serait économiquement foutu et ne pourrait évidemment pas accéder à l’indépendance, sauf en mendiant. La France continuerait cependant de subventionner à perte les usines survivantes (et tant pis pour tout ce que racontait auparavant Macron et Le Maire sur le carnet de chèques, c’est fini) ; au pire sans usine, les transferts de fric soutiendraient une vieille colonie retournée en arrière de plus de 20 ans (avant les deux nouvelles usines et le rééquilibrage) ou de plus de bien plus de 100 ans (avant l’usine de la SLN). La colonie de peuplement serait sauvée, quoique mise en veilleuse, mais le “porte-avion” anti-Chine serait encore disponible ».
[12] L’article cite les 24 milliards de francs CFP indiqués par Les Échos.
[13] Engagement financés des recettes supplémentaires de TGC (la TVA locale) « sous réserve d’une contribution de l’État au moins égale à ce montant ».
[14] L’article rappelle que le Rapport de l’IGF évoquait une cible moyenne à 80 € le mégawattheure dans 10 ans contre environ 180 € actuellement. Or, les concurrents en Indonésie se placent en moyenne à 55 € aujourd’hui : l’avantage de ce concurrent (probablement subventionné) ne va qu’un peu se réduire ; sans parler de sa réaction possible en revendiquant l’augmentation des subventions !
[15] Le gouvernement français et Darmanin y ont souvent insisté.
[16] L’article continue en citant encore la V7 « "… pour ouvrir temporairement l’exportation de minerai brut des réserves géographiques métallurgiques […]. Sur cette ligne d’un assouplissement des dispositions, les exportations de minerai brut des opérateurs métallurgiques seront soumises à simple déclaration dans la limite de deux fois les quantités fondues l’année précédente". En outre, l’exécutif, pour ne pas accroître la charge sur les métallurgistes bénéficiaires de l’aide à l’énergie mais déficitaires, est invité à suspendre "la mise en œuvre du régime spécial de l’amodiation" et à instaurer "un bouclier fiscal" […] pour toutes les nouvelles mesures fiscales adoptées depuis le 1er janvier 2023". Les provinces, elles, "faciliteront l’accès des entreprises à leur domaine minier", notamment par la pratique administrative ».
Tout est d’abord dans le temporairement : ce qui est sans doute une tentative d’amadouer Paul Néaoutyine qui va sans doute cependant enrager, surtout avec la fin de la phrase précédente où il perdrait en fait tout contrôle des mineurs.
[17] Voir l’article du 20 mars de NC la 1ère (dont une partie en vidéo) :
[18] « Échéance repoussée. Le "pacte nickel" dont on parle depuis quatre mois ne sera pas paraphé le 25 mars, à Paris. C’est ce qui était espéré, en présence des différents partenaires impliqués : État, président du gouvernement local, présidents de province, industriels. La signature a été reportée, ce sera peut-être courant avril. Il faut dire que Louis Mapou n'a pas encore reçu l’habilitation du Congrès en ce sens. Elle est envisagée… le 28 mars. En attendant, le document est présenté au Congrès ce jeudi. Est-ce que ce sera en séance publique ? Pas sûr, on s'attend à ce que l'examen soit demandé à huis clos ». Il s’agira bien de la fameuse séance du 21 mars, et qui sera publique ; le terme fameux sera explicité dans le second billet.
[19] L’article indique : « Cette partie fait référence à l’amodiation de concession. Pour faire simple, il s’agissait d’autoriser une collectivité calédonienne à posséder des titres miniers, par le biais d'une société d’économie mixte, et à les faire exploiter en échange d’un loyer. Le "pacte nickel" implique que le gouvernement suspende la mise en place de ce régime spécial ». Ce n’était en fait le cas, actuellement, que pour Prony ressources. « La Nouvelle-Calédonie est aussi censée instaurer un bouclier fiscal destiné aux entreprises métallurgiques, "pour toutes les nouvelles mesures fiscales adoptées depuis le 1er janvier 2023" ».
[20] Il se trouve en annexe (quatrième page) du PDF suivant :
[21] Voir notre précédent billet.
[22] Voir tous nos billets sur cette question ; il s’agit donc de ce nous avons défini comme « le préalable nickel à l’envers » répondant comme une revanche au « préalable nickel » (dont la construction de l’usine en Province Nord et la restriction des exportations de minerais) des accords de Bercy imposés et acceptés par l’État en 1998 ayant permis l’Accord de Nouméa et 25 ans de paix civile.
[23] Dans un communiqué de presse du 6 mars 2024 (Mise au point sur les raisons du départ de Glencore, sous-titré L’export de minerai n’est pas le sujet) Karl Therby, le patron de KNS s’insurge contre « le Député Metzdorf qui veut faire croire aux calédoniens, aux salariés et sous-traitants de KONIAMBO NICKEL que si l’ouverture des réserves métallurgiques avait été votée par le Congrès, cela aurait convaincu Glencore de rester actionnaire de Koniambo Nickel. […] Pour rappel, ajoute Therby, l’export du minerai contenu dans les réserves métallurgiques est aujourd’hui interdit. Certains souhaitent une modification de la loi sur ce point qui doit passer par un vote du Congrès ».
[24] Les loyalistes radicaux ont déposé le 14 mars une proposition de vœu au Congrès pour exiger que le gouvernement calédonien clarifie sa position, sachant, écrit l’article que « le flou demeure autour d’une éventuelle signature du gouvernement Mapou ». Voir :
Ils annoncent depuis longtemps qu’ils déposeront une proposition de loi de pays pour supprimer les dispositions du code minier qui régulent les exportations, interdisent celles des réserves des métallurgistes et donnent le pouvoir du contrôle des mineurs aux Provinces.
[25] La position de Glencore et KNS reste également floue.
[26] Calédonie ensemble n’avait donc pas arrêté de râler.
[27] Voir (1er mars 2024):
https://www.facebook.com/CaledonieEnsembleNC/videos/2136951216644455
Le 4 mars, « Qui dirige la France ? Le Président de la République ou Christel Bories ? » :
https://www.facebook.com/watch/?v=1439113736707013
[28] Voir les déclarations du 20 mars avec l’article des Nouvelles calédonienne, Calédonie ensemble s’oppose au pacte du nickel proposé par l’État, avec en gros les mêmes mots mais peut-être moins d’ardeur de Gomès accompagné de Philippe Michel :
Résumons le contenu des déclarations : un chantage, une forme de duplicité menant à une situation invraisemblable ; des engagements sans valeur des industriels, on leur demande de réaliser des investissements dans l’appareil productif et d’investir dans la modernisation des usines, mais ils veulent tous se barrer, comment ils pourraient s’engager à investir ? ; donc, c’est une vaste fumisterie, les industriels ne mettront rien ; le document proposé par l’État rate le coche de l’histoire…
[29] PACTE NICKEL - Les Calédoniens sacrifiés sur l’autel de la défaillance des industriels et de l Etat | PDF to Flipbook (heyzine.com)
[30] Cherchez à la page Facebook (NB : avec le temps, c’est sans doute beaucoup plus bas qu’aujourd’hui) :
https://www.facebook.com/philippegomesnc/?locale=fr_FR
Trouvez, à la date du 21 mars, FILIERE NICKEL, Un Pacte nickel au petit pied. On peut en lire le résumé écrit ; mais ça ne vaut pas la vision et l’écoute de la vidéo. C’est la réunion du Congrès où les élus loyalistes radicaux (mais donc pas Calédonie ensemble) sont partis (voir le billet suivant) ; pas un mot de Gomès sur cet important épisode dans son long discours…
[31] Voir :
La déclaration est courte et peu étayée :
« Il ne faut pas se tromper de débat. Nous demandons aux élus du Congrès de nous habiliter à le signer. Cet après-midi [lundi 25 mars, PC] il y a une commission plénière, et jeudi [28 mars, PC] la délibération doit être étudiée. Il y a deux sujets : l’urgence d’abord, par l’aide que l’État a décidé de donner. Et la période d’ici 2027 durant laquelle un certain nombre de mesures temporaires sont prévues, sur ce qui relève de la compétence de la NC, pour qu’on accompagne les besoins en matière de cash des opérateurs. C'est un entre deux, pour réaliser ce que nous n’avons pas réussi à faire depuis 2009, c’est à dire définir ce que pourrait être la politique industrielle de la Calédonie ».
[32] Voir l’article de NC 1ère du 1er avril :
[33] Philippe Gomès estime que « Les engagements de l’État, en ce qui concerne l’énergie, sont indispensables mais insuffisants. On a besoin d’un investissement structurel de 5 milliards d’euros (soit presque 600 milliards de francs) pour permettre à tous les métallurgistes d’accéder à une énergie compétitive ». On l’apprend : cela fait 60 % d’un PIB annuel du Caillou, vraiment beaucoup de sous…
[34] Dans son interview au JT du soir de NC 1ère , le 31 mars, Tukumuli commence cependant par rappeler l’actualité brûlante : « Notre pays est devenu une poudrière. Quand je regarde les images, je ne peux pas m’empêcher d’être triste, je pensais que ça appartenait au passé ». Et il rappelle la position de l’ÉO : « Une troisième voix qui dépasse les clivages, une troisième voix audible. […] On est favorable à l’indépendance plus tard mais avec la France ».
[35] C’est la conséquence d’une motion préjudicielle pour « ajourner ces débats » ; voir :
[36] Après la stratégie de la chaise vide lancée par Sonia Backès, puis les hésitations sur une opposition au sein des institutions, c’est le retour (d’ailleurs annoncé) car le sujet était trop important.