Patrick Castex (avatar)

Patrick Castex

Économiste, sociologue et HEC à la retraite (maître de conférence à l’Université Dauphine et membre du Cabinet Syndex, expert-comptable spécialisé dans le conseil aux Comités d'entreprise et aux syndicats de salariés), il s’occupe, depuis une dizaine d’années, de promouvoir l’Indépendance de la Kanaky Nouvelle-Calédonie. Il s’est mis en outre à écrire autre chose que de savants traités...

Abonné·e de Mediapart

151 Billets

0 Édition

Billet de blog 8 mars 2024

Patrick Castex (avatar)

Patrick Castex

Économiste, sociologue et HEC à la retraite (maître de conférence à l’Université Dauphine et membre du Cabinet Syndex, expert-comptable spécialisé dans le conseil aux Comités d'entreprise et aux syndicats de salariés), il s’occupe, depuis une dizaine d’années, de promouvoir l’Indépendance de la Kanaky Nouvelle-Calédonie. Il s’est mis en outre à écrire autre chose que de savants traités...

Abonné·e de Mediapart

Dernière Saison du feuilleton, mais pas la fin du polar de ce sacré « Caillou » !

Si l’on attend la fin de ce « roman noir » (avenir des institutions et de la « doctrine nickel » faite loi) on y est encore fin 2024 ou 2025 ; le lecteur va donc rester sur sa faim. On continuera cependant ce polar, grâce à nos « billets » à venir. Ici, il s’agit donc d’ « états d’âme » plutôt que de conclusions provisoires. Fin mal barré le Caillou ? Peut-être, mais ça peut changer, en rêvant…

Patrick Castex (avatar)

Patrick Castex

Économiste, sociologue et HEC à la retraite (maître de conférence à l’Université Dauphine et membre du Cabinet Syndex, expert-comptable spécialisé dans le conseil aux Comités d'entreprise et aux syndicats de salariés), il s’occupe, depuis une dizaine d’années, de promouvoir l’Indépendance de la Kanaky Nouvelle-Calédonie. Il s’est mis en outre à écrire autre chose que de savants traités...

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Les Calédoniens de tout poil et de toutes les couleurs paraissent effectivement « Fin mal barrés ! ». Du nom d’une géniale et hilarante pièce de théâtre[1] présentée là-bas (ou ici) et dont nous recommandons chaudement la lecture ici (ou là-bas) bien qu’elle ait, à mon avis, ses défauts « idéologiques » : cependant, l’analyse économique et les statistiques de l’ISEE ne sont pas évoquées, mais sur le reste, c’est nettement plus court et digeste que ce présent feuilleton… Dans ces « états d’âme » remplaçant une conclusion impossible aujourd’hui, c’est une somme d’interrogations, un patchwork non structuré[2] sous forme d’un inventaire à la Prévert. La conclusion de ce roman noir-polar, je n’en sais fichtre rien, bien que tenté par le pessimisme ambiant[3] : celui du retour à la guerre civile. Certes, la peur n’évite pas le danger, mais l’optimisme béat non plus. En mettant le point final à ce feuilleton, on peut penser que rien n’est encore définitivement joué et que tout est possible, tout ! Le meilleur ou le pire. Malgré nos multiples équations, l’inconnue de ce qui va advenir n’est pas encore trouvée. Chacun espère évidemment le meilleur : son meilleur.

« Souvent, l’histoire bégaie » écrivait donc quelqu’un[4]… En Calédonie, la première fois (tragédie) c’était au début de la quasi-guerre civile ; aujourd’hui ça recommence et peut apparaître comme une farce (dont celle du troisième référendum de décembre 2021 et la situation d’incertitude qui a suivi) ; espérons que cette farce, n’en déplaise à Marx, n’annonce pas une autre tragédie.

La pièce de Briffa et Siwene ne prend pas parti pour ou contre l’indépendance, mais soulève en conclusion[5] quelques « vérités » qui interrogent cependant : « Un pays qui créerait un nouveau modèle de société qui prendrait le meilleurs de nos univers océanien traditionnels et occidentaux. Car ne nous y trompons pas, ces deux mondes-là souffrent de maux terribles : l’individualisme en Occident et la course au profit qui détruit la planète, la santé et le lien social ; et dans le monde traditionnel, les excès de la vie communautaire avec, parfois, des règles d’un autre temps qui pèsent notamment sur la condition des femmes, des mamans[6] de ce pays, et qui freinent l’entreprenariat ». Quelques vérités, certes, mais qui laissent transparaître le centrisme, plus exactement la « calédonitude » du nationalisme calédonien (souvent décrit, de façon très critique, dans ce feuilleton) anti-indépendantiste amoureux de l’entreprenariat et, peut-être du ruissellement qui va avec. Beaucoup, sur le Caillou, espèrent de meilleur...

* Le suspense d’un roman noir

Toujours le suspense (au sens d’Alfred Hitchcock) sinon celui d’un roman policier, en fait donc d’un roman noir : qui est capable de dire (je sais, je radote !) comment va évoluer la situation politique en ce début (déjà bien avancé) de 2024 ?

Selon Macron et les loyalistes partisans les plus radicaux de la Calédonie française, le troisième référendum a définitivement clos le débat ouvert avec les Accords de Matignon de 1988 : son résultat est juridiquement légitime. Beaucoup pensent, avec les indépendantistes, qu’il ne l’est pas politiquement, et j’en suis donc. La situation politique depuis le dernier référendum(-farce) de fin décembre 2021 (et ça fait maintenant plus de deux ans) n’a jamais été aussi tendue : dialogues difficiles et même impossibles, avec inversion des rôles chez les indépendantistes[7]. Auparavant donc, le mauvais garçon, c’était l’UNI-Palika et le bon garçon l’UC ; c’est, depuis fin 2021, le contraire. Et les accords encore possibles (d’abord le Pacte nickel, ensuite celui sur l’avenir des institutions) attendus en début d’année 2024, se font attendre.

Faisons du Mélin-Soucramanien ; mais plus direct. D’un côté, un statu quo Calédonie française avec différents contours possibles : pire qu’avant (ce dont rêvent les loyalistes radicaux et leur cheftaine Backès) avec fin des maigres avantages obtenus par les Kanak dont la doctrine nickel faite loi, avec fin des discriminations positives, économiques et politiques et surtout la possibilité de l’autodétermination rejetée à quelques générations… ; mieux qu’avant (encore plus d’autonomie, calédonisation des fonctionnaires de l’État, poursuite et accentuations du rééquilibrage et des discriminations positives (bref du Gomès…). De l’autre une Kanaky Nouvelle-Calédonie déclarée indépendante avec également différents contours possibles : pleine souveraineté sans partenariat avec la France ; indépendance-association véritable, avec la France, véritable pleine souveraineté avec partenariat avec la France (notre préférence ; le lecteur le sait) ; pseudo-indépendance formelle (avec drapeau, strapontin à l’ONU mais avec encore contrôle de l’ex-Métropole (genre Nouvelle Zélande et ses petits Cailloux).

On rajoutera un scenario non envisagé par tous les Mélin-Soucramanien qui ont planché sur la question ; insistons sur notre nouvelle fixette : le retour de la guerre civile sur le Caillou. Car, c’est notre hypothèse peut-être un peu exagérée : sous couvert de préparer la paix, Macron prépare en fait la guerre en poussant toujours plus loin le bouchon ! Là aussi, plusieurs scénarii possibles : arrêt rapide avec un nouveau Rocard (Gabriel Attal ?) et ses menaces ; massacres réciproques et scenario de tout le pouvoir au maintien de l’ordre genre la Commune de Shanghai de 1927 ou, plus cool, genre la reprise en main de Hong Kong par le pouvoir central chinois ; idem mais scenario comme à la fin de la guerre d’Algérie.

Restons dans le roman noir et introduisons les statistiques. Rappelons que la quasi-guerre civile de 1984 à 1988, en environ 5 ans donc, a fait quelque 70 morts (civils, militants et gendarmes) sans compter les blessés et les populations déplacées. Osons quelques ratios macabres. Le nombre de tués accidentés sur les routes du Caillou étaient du même ordre par an au début des années 2000, six fois plus relativement qu’en France (« seulement » 3,5 fois plus en 2017, avec 55 tués et 3 500 en Métropole : la sécurité routière ose ces ratios…). À l’échelle de la France, avec une population du Caillou autour de 150 000 habitants il y a plus de 30 ans[8] ne représentant que 0,25 % de la population française (0,5 % aujourd’hui), cela ferait donc autour de 30 000 morts victimes d’une « quasi-guerre civile ». Roman très noir…

Revenons au roman policier et toujours avec nos macabres ratios statistiques. Du côté forces de l’ordre, il y eut en 1985 6 300 militaires français sur le Caillou, soit 1 pour 12 Kanak ou pour 24 habitants, enfants compris. Soit en Métropole aujourd'hui, quelques 2,7 millions de militaires pour faire régner l’ordre… L’armée française, toutes armes comprises, compte actuellement un peu plus de 200 000 hommes ; il faut certes rajouter gendarmes et policiers. Roman très policier…

* La Kanaky Nouvelle-Calédonie peut être (sans tiret) économiquement indépendante…

Cette affirmation peut étonner alors que nous avons passé notre temps à analyser le ralentissement depuis le milieu des années 2010 et la récession en 2019-2021 : c’est oublier les cycles économiques et les reprises miraculeuses, comme en 2022. Ceci dit, il est vrai que la dernière crise grave du nickel, fin 2023 et début 2024 où la fermeture des trois usines était (est ?) en jeu, n’arrange pas la possibilité économique de l’indépendance ; elle n’arrange pas non plus la perspective d’une Calédonie française : parfaire égalité à cet égard. Le nickel du Caillou risque de se retrouver à poil si les catastrophe annoncées ne trouvent pas de solutions : Glencore qui met les voiles à l’Usine du Nord de KNS ; Eramet, patronne de l’usine de la SLN à Doniambo (presque au centre de Nouméa) qui commençait à les monter, Christel Bories ayant maintenant lancé le spinnaker avec vent arrière toute ; enfin la recherche (qui continue et n’est pas non encore réglée) d’un repreneur remplaçant Trafigura[9] à Prony Resources de l’usine du Sud de Goro.

Résumons avant ce dernier épisode.

La demande chinoise de nickel (la moitié de celle du monde, pour la production d’aciers inoxydables) a fait à la fois grimper les cours au LME et les productions mondiales, et pas seulement jusqu’au pic du prix du nickel en 2007 (doublement de la production en volume de 2009 à aujourd’hui). Le Caillou a suivi cet engouement : ce fut la période dite de l’industrialisation qui aura dopé l’économie par effet d’entraînement et singulièrement le secteur du BTP, mais seulement jusqu’au début des années 2010 à la fin des grands travaux pour les deux nouvelles usines. Ce fut (Acte I) le début du ralentissement : quand le bâtiment va, tout va ; et le bâtiment n’allait plus très bien. Mais un acte II a suivi, conforme à la théorie du cycle du porc : le monde entier, dont le Caillou, s’est évidemment précipité pour produire du nickel, et quand les capacités furent en place, les cours du nickel ne pouvaient que baisser. La crise des subprimes de 2007 induisant[10] en outre la crise boursière de 2008 puis la crise mondiale qui suivit, a dopé la chute : quand la Chine, industrie du monde, s’est enrhumée et a réduit la croissance de sa demande de nickel quelques années après le début de la crise mondiale, singulièrement en 2015 avec sa propre crise boursière, les cours du nickel se sont effondrés jusqu’en 2016 : la crise.

Mais, toujours les cycles : après la pluie le beau temps ! Cependant, le retour du très beau temps en 2022 n’a pas empêché l’épisode de 2023 et début 2024 !

Nous écrivions en 2018 que la situation économique ne pouvait pas être pire à partir de 2018-2019 qu’elle ne le fut en 2016, avec une relative amélioration en 2017 : les cours du nickel (comme en général celui des matières premières et du pétrole) allaient bien remonter (et les stocks continueraient leur dégringolade) avec l’enthousiasme concernant les voitures électriques. On prenait le pari que les cours du nickel reprendraient de la vigueur en 2018 et après, Bingo ! L’optimisme était nettement plus mesuré chez Eramet selon l’opinion de sa PDG Christel Bories qui voyait les prix stagner à moyen terme pour les ferronickels. Ce qui était certain, affirmions-nous, c’était que les volumes allaient continuer à augmenter en production et à l’exportation quand les deux nouvelles usines utiliseraient à plein leur capacité et que la SLN atteindra son vieil objectif de 75 000 T, avec les effets d’entraînement sur la sous-traitance et les emplois induits. Là, plantage complet, on l’a vu… La prévision, c’est difficile… surtout pour ce qui concerne l’avenir. Pourtant, Le Rapport sur les Marchés mondiaux des matières premières (Cyclope 2018[11]) était aussi aux anges et citait sur sa première page le titre de la cantate BWV 31 de Jean-Sébastien Bach :  Der Himmel lacht ! Die Erde jubilieret (Le ciel rayonne ! La terre jubile !). Rien que ça pour la résurrection du nickel !

La variable cours du nickel était en effet importante pour l’avenir du Caillou : si les cours du nickel regrimpaient, les profits de la SLN retrouveraient des jours meilleurs et les impôts sur les bénéfices IS 35 avec ; quant aux dividendes, il faudrait encore attendre un peu. Les impôts des autres usines, il faudrait également attendre, car elles n’en paieraient pas, même avec de bons profits, avant longtemps compte tenu du montage fiscal. Plus généralement, le partage de la valeur ajoutée ne pouvait pas ne pas redevenir favorable aux profits bruts d’exploitation, à l’EBE. Certes, les taux de marge de l’économie locale avaient fortement baissé pendant la crise ; mais ils allaient sans aucun doute retrouver des niveaux élevés, supérieurs à ceux de la Métropole, si la théorie du cycle du porc était au rendez-vous. Autrement dit, une politique économique plus redistributive (avec ou sans indépendance) par l’impôt pourrait être mise en œuvre, de même que l’augmentation des taux de cotisation sociale.

* … malgré l’importance des transferts de fric de la Métropole…

Quant à la fameuse question de ces transferts, on avait déjà montré en 2018, et on persiste aujourd’hui, qu’elle n’était pas rédhibitoire, pour au moins deux raisons. La première était que si les transferts bruts restaient importants, ceux-ci avaient diminué, relativement au PIB, jusqu’à la crise ; et une bonne partie de ces transferts concernait (et concerne encore…) l’enseignement secondaire transféré mais que la France continue de financer : avec ou sans indépendance. Les Calédoniens devraient donc assumer leur responsabilité. La seconde, et que l’on oublie trop souvent, est qu’il existe des contre-transferts dans l’autre sens : les transferts nets sont alors plus faciles à compenser en cas d’indépendance (ou non).

Évidemment, les loyalistes furent feu de tout bois en 2018, et surtout ensuite (après la com, assez efficace de l’État sur ces fameux transferts). Jamais la presse ne fut aussi pédagogique pour traiter de la question, avec des tas de graphiques télévisés de source ISEE. La parole était donnée à tous, mais, avec ce matraquage, on retenait surtout qu’avec la disparition de ces transferts, c’était presque le retour à l’âge de pierre ! Seul un graphique de l’UC était donné montrant (en exagérant un peu) que les transferts dans l’autre sens avaient presque de même poids. En fait cette question taraudait même certains indépendantistes qui considéraient que la Calédonie n’était pas encore prête économiquement. Fin 2022, des copains caldoches, ouverts et de gauche, poursuivaient le même discours ; malgré nos efforts, il y a de quoi désespérer. Il est vrai que la com’ de l’État n’y était pas allée de main morte avec Le document sur les conséquences du "oui" et du "non" de juillet 2021 commis pour insister surtout sur les grands dangers du « Oui »...

Restons en 2018, avant le premier référendum. Un débat[12] avait opposé en 2018 Nina Julié, jeune représentante pleine d’avenir de CE (elle s’en est tiré peu après, avec Nicolas Metzdorf, également jeune CE plein d’avenir…) à Jean-Raymond Postic, l’un des responsables du projet économique de l’UC. La première affirmait que le pays ne pourrait pas vivre sans cette manne ; et elle l’illustrait astucieusement : 560 000 CFP par habitant : entre 3 et 4 SMG mensuels[13]. Répondant à une question de l’animatrice du débat évoquant le beurre et l’argent du beurre concernant l’enseignement secondaire ; elle réaffirmait : ce « n’est pas possible ». Elle admettait cependant que la question des transferts, n’était pas le seul argument de CE pour le référendum car « il évoque la peur » ; elle le développait cependant avec conviction. Le second, Postic, n’évoquait curieusement pas les contre-transferts vers la Métropole sur lesquels l’UC insistait pourtant souvent. Il n’évoqua que du bout des lèvres, et de façon très alambiquée, une hausse des impôts et insistait surtout sur la création d’une banque publique : s’agit-il d’une banque centrale qui ferait marcher la planche à billets pour financer l’économie ? Seul Didier Guénant (en retraite de sa direction de l’USOENC pendant 17 ans) en tant qu’invité de la société civile, resta fidèle à lui-même : il nota la discrétion de nos deux politiques quant aux impôts, même chez le représentant de l’UC : « Bien sûr qu’il faut des impôts pour remplacer ça » (les transferts). Il rappelait que ce sont surtout les « petits et les moyens » qui les payent : « il y a de l’argent dans ce pays, allez le chercher sans étrangler personne ! ». En une petite phrase, il résumait parfaitement la situation ; fin décembre 2022 il avait sans doute oublié et nous refaisait le coup de l’impossibilité économique de l’indépendance. À pleurer ; il admit cependant qu’il y avait matière à débat, mais avait oublié sa géniale sortie de 2018. À pleurer, on vous dit…

* … Transferts qui devront être remplacés progressivement par des prélèvements obligatoires (PO) locaux payés par les plus aisés

Guénant tomba bien en 2018 ; il avait dû un peu vieillir en 2022. On a montré que les prélèvements obligatoires sont bien plus faibles en Calédonie qu’en France et que les transferts bruts de la Métropole (on préfère toujours cette appellation à Hexagone ; on s’en est expliqué) compensent largement cette différence. Rappelons que ces PO n’y sont qu’aux environs de 36 % du PIB contre 45 % en France soit une différence de 9 % à 10 % ; avec les 15 % de transferts bruts (un peu plus si l’on inclut la défense et autres : Le document du Oui et du Non va jusqu’à 18 ou 19 %) la différence est largement surcompensée, ce qui permet au déficit public d’être bien en-dessous des fameux « 3 % de déficit public de Maastricht » (ce qui ne contraint que la France, pas ses territoires). Bref, les contribuables français subventionnent ceux du Caillou. Réécoutez la chanson bien connue sur l’Archipel : « C’est la France qui paie »[14].

Et la lutte syndicale, un peu endormie depuis 2016, reprendrait de la vigueur. Les syndicats sont conscients que leurs cotisations sociales (surtout les parts patronales) sont beaucoup plus faibles qu’en France ; ils ont également compris que l’existence des plafonds (en particulier du RUAMM) fait que les moyens et hauts salaires (autour d’un peu moins du tiers des actifs) cotisent en fait très peu. Ces syndicats ont évidemment, marchant sur des œufs, du mal à faire passer l’idée auprès de leurs adhérents d’une augmentation des cotisations salariales ; ils proposeraient une baisse de ces cotisations accompagnée d’une forte hausse des plafonds. Notre position est différente (car nous n’avons pas les contraintes des syndicalistes…) : les taux de cotisations sociales doivent être augmentés ; aux syndicats de lutter pour obtenir une constance sinon une hausse du salaire net, quitte à ce que le patronat accepte une baisse de ses profits. On ne doute pas un instant qu’il ne l’accepterait pas… (humour encore…).

Il a fallu attendre décembre 2022 pour retrouver une véritable unité syndicale pour réclamer (sauf la CGC) des hausses de salaires compensant, en gros, l’inflation ! La défense du projet de réforme de la Sécu du Caillou (proposée par l’Éveil océanien des Wallisiens-Futuniens et, officiellement, tous les syndicats de salariés) nous est apparue plus discrète.

* La lutte contre la vie chère et les inégalités, développée par les gouvernement Germain, doit continuer et se radicaliser, avec ou sans indépendance

Bref, nous pensons, au risque de radoter encore, que l’économie du Caillou est viable sans la Métropole ; pas la peine de rappeler que son PIB par habitant est comparable à celui de la Nouvelle-Zélande, même s’il stagne ou même baisse depuis la crise (mais aura rebondit en 2022…) même si c’est moins vrai en parité de pouvoir d’achat compte tenu de la vie chère et surtout compte tenu des redoutables inégalités. Une nouvelle étude sur la vie chère qui venait de sortir[15], au moment du bouclage de la première édition du livre en 2018, confirmait nos analyses. Et pas d’amélioration de 2010 à 2015, ou alors insignifiante : 34 % d’écart de l’indice synthétique en 2010 avec la Métropole, 33 % en 2015 ; mais respectivement 48,6 % contre 44,1 % pour l’écart Caillou / Métropole pour un panier métropolitain[16]. La lutte contre la vie chère n’eut donc qu’un succès très relatif, malgré quelques blocages de prix éphémères…

Les pressions syndicales furent fortes, les réponses non négligeables des politiques économiques promues par Calédonie ensemble (mais dans un gouvernement collégial et avec un congrès élu à la proportionnel) ont suivi en partie. L’indépendance pourra seule réduire ces inégalités, essentiellement ethniques, car elle seule pourra lutter contre l’oligarchie économique d’un comptoir colonial qui est objectivement protégée par la République.

* Les contradictions de la société kanak

L’une des principales contraintes sociales de l’indépendance nous semblent être l’existence de fortes contradictions au sein du peuple kanak. Et, malgré Mao, les « contradictions au sein du peuple » peuvent se transformer en lutte des classes…

La société kanak des tribus et son droit coutumier sont solubles dans l’argent, sans aucun doute ; elles sont également solubles par les possessions familiales, claniques ou des GDPL de moins en moins d’autosubsistance et de plus en plus liées au marché, dans le cadre d’une propriété collective certes ; mais la dissolution est et sera évidemment lente et diverse, par deux transformations de ce que l’on peut appeler les rapports de production kanak que la plupart des analystes continuent de qualifier de primitifs ou traditionnels alors qu’il s'agit d’une transition de la société kanak d’avant la colonisation à une société capitaliste, dite moderne.

La naissance d’une bourgeoisie capitaliste privée, petite et moyenne, ne fait aucun doute, même si elle est quelquefois (ou souvent : on ne sait pas) liée aux chefferies traditionnelles et/ou au syndicalisme, voire à la politique. D’un autre côté, existe également une bourgeoisie bureaucratique des Provinces kanak (Nord et Îles) liée au pouvoir politique, essentiellement de la Province Nord. La politique du rééquilibrage fut un succès pour le nickel avec l’usine du Nord (grâce notamment à André Dang) mais aussi avec l’usine off-shore en Corée. Elle le fut moins pour la diversification : la SOFINOR aura mené une foule d’investissements financiers au mieux volontaristes, souvent hasardeux et sans aucun contrôle de gestion. Tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles tant que les dividendes de la SLN alimentaient le trésor qui alimentait le financement des participations. Mais plus rien après 2013 ; la reprise en main date de 2014 et fut une décision politique de Néaoutyine[17] qui créa la société Nord Avenir en la séparant de la SOFINOR. L’action de la direction de cette nouvelle entité se heurta à des contraintes financières : le remboursement d’emprunts avec des résultats nets négatifs et surtout un cash flow réduit comme peau de chagrin rendant nécessaires des cessions. Nord Avenir est maintenant en déconfiture…

En outre, la lutte de classes, bien qu’encore fort discrète, existent entre les patrons capitalistes (privés et publics) kanak et les salariés de la même ethnie ; on a noté des comportements aussi durs de ces patrons vis-à-vis des syndicats, avec souvent un mépris de ceux de la grande Terre pour ceux des Îles Loyauté.

De toute manière, le développement ne se décrète pas, et on oublie de préciser qu’il s’agit bien d’un développement marchand avec monétarisation : d’une transition capitaliste. Il est vrai que la formation de cadres kanak, malgré toute l’aide de la Métropole (400 cadres et Cadres avenir) n’a pas inversé de façon très visible le différentiel de formation entre Caldoches et Zoreils d’un côté, Kanak de l’autre. Ce qui fait de plus en plus dire à certains Kanak, même indépendantistes, que le Pays n’est pas encore prêt, pas seulement économiquement mais en termes de formation de cadres, pour l’indépendance. Après 30 ans…

En outre, l’utilisation des structures collectives de la société des tribus comme axe de développement n’empruntant pas la voie de cette transition capitaliste est théoriquement possible mais certainement utopique. Elle apparaît discrètement dans le programme politique du Palika[18] et fut tentée en quelques endroits, mais les échecs furent également au rendez-vous. Ernesto Che Guevara rêvait aussi en 1965 d’un homme nouveau dans son livre Le socialisme et l’homme à Cuba. Mais la résilience des vieux hommes est aussi forte que celle du capitalisme.

* La Kanaky Nouvelle-Calédonie peut-être indépendante ? Luttes économiques de classes et indépendance : l’impossible analyse

La politique, sinon la politicaillerie sur le Caillou peut-elle s’analyser en termes de luttes économiques de classes au sens marxiste du terme ? Oui, c’est vrai : cela fait vieux soixante-huitard et a déjà été abordé dans les Saisons précédentes ; résumons donc.

Ce n’est pas aisé (c’est une litote) d’éclairer tous les retournements politiques par l’histoire de la lutte économique de classes. Il est assez facile (et encore) de préciser les différenciations de revenu des CSP du Caillou : les inégalités. Il est malaisé de tenter de percevoir les différentes stratégies économiques des patrons capitalistes locaux[19]. Cependant, tous les patrons sont plutôt alliés avec les propriétaires fonciers ou du moins des colons moyens (là aussi les couches sociales ne sont pas homogènes) : Gomès (qui connut bien l’ADRAF) réitère sans arrêt la perspective de la fin du processus de retour des terres privées aux terres coutumières - l’équilibre serait atteint, ce qui n’est pas totalement faux - mais sans différencier les différents propriétaires privés. Il n’y a pas d’unité de « la » paysannerie, c’est le moins que l’on puisse dire : les propriétaires privés qui, malgré les contradictions des différentes couches sociales[20], sont unis contre les revendications des Kanak voulant récupérer leur terres coutumières.

Il est en outre difficile de percevoir une unité des classes laborieuses, des salariés exploités, malgré le caractère pluriethnique (à marquer d’une pierre blanche) de la plupart des syndicats (à l’exception de l’USTKE et du petit syndicat wallisien STOP. Les cadres et professions intermédiaires en font-elles partie ? Quid des habitants des tribus kanak, des chômeurs et autres jeunes à la dérive ? Le tout est donc surdéterminé par l’aspect ethnique et politique et par la question centrale du nationalisme (maintenant double : celui, « nouveau » mais remake du nationalisme calédonien à la Aïfa et Barbançon, de Calédonie ensemble de Gomès ; celui, ancien, des indépendantistes).

Enfin, on n’a toujours pas compris les différences en termes de classes ou couches sociales entre l’UC et le Palika ; les égos et les luttes pour le pouvoir des vieilles histoires électoralistes mais aussi les positions dans les rouages des institutions y sont pour beaucoup. Le Palika dirige la Province Nord ; la bureaucratie kanak (d’idéologie « socialiste ») en est un soutien et est cohérente quant à sa volonté de calédonisation du nickel ; l’UC n’a que des pouvoirs locaux (surtout coutumiers) en Province Sud et semble moins encline au collectivisme.

C’est donc bien compliqué… De là donc à plaquer la vieille analyse maoïste anti-impérialiste (celle d’un « Front uni du prolétariat, de la paysannerie et de la bourgeoisie nationale contre les propriétaires fonciers et la bourgeoise compradore » ; ouf !) sur les luttes économiques de classes pour éclairer la politique du Caillou, le pas est rude à franchir. Les temps ont changé, les situations sont différentes (le Caillou n’est pas le Vietnam des années 1960-1970 ni la Chine de l’Entre-deux-guerres) et l’arme théorique elle-même était plus un opportunisme politique pour permettre ladite « révolution en deux étapes » qu’une théorie marxiste robuste[21] !

* Les syndicalistes et l’indépendance

La position des principaux syndicats de salariés quant à l’indépendance (sauf l’USTKE résolument indépendantiste) est actuellement la neutralité la plus parfaite, singulièrement à l’USOENC et à la Fédé. Il est vrai qu’ils sont, répétons-le, pluriethniques et, malgré leur unité de lutte économique, donc divisés sur cette question ; ils déclarent se refuser à intervenir en politique hors du champ de leurs revendications. Mais cette explication (genre Charte d’Amiens de 1906) est insuffisante : ils voient surtout dans le développement économique la seule solution à la décolonisation, avec ou sans indépendance. N’y allons pas par quatre chemins ! Certains militants de l’USOENC et de la Fédé sont caldoches, d’origine européenne et surtout loyalistes, d’autres sont kanak et surtout indépendantistes[22] bien que certains affirment donc que le pays n’est pas encore prêt économiquement. Certains sont de droite, d’autres de gauche. Bref, ils ne savent pas où ils sont et leur syndicalisme leur permet de ne pas prendre parti ; sauf dans l’isoloir, et encore[23]. Quant à leur rôle pour l’amélioration des conditions de vie, il fut prépondérant, tant pour l’augmentation des bas salaires que pour la lutte contre la vie chère. Leur lutte fut longue, de 2011 à 2016 contre cette vie chère, la plupart des partis politiques traînant des pieds, sauf, répétons-le, Calédonie Ensemble. La fameuse autorité de la concurrence, arme de lutte contre la vie chère, ne venait que très récemment d’être mise en place en décembre 2017.  

* La violence des Jeunes : délinquants ou révolutionnaires ?

Il est une variable lourde qu’il est impossible de ne pas évoquer : celle de l’insécurité grandissante depuis des lustres mais qui connut une fulgurance en février-mars 2018, du fait de jeunes (Kanak selon la presse et les politiques) cambriolant des magasins à la recherche d’alcool et de tabac ; pour le cannabis, inutile de cambrioler. Phénomène avéré ou com’ orchestrée avant le premier référendum ?  Je n’ai pas de réponse ; mais on en parla sans doute moins avec les deux référendums suivants.

La droite en fit évidemment ses choux gras accusant, comme toujours, l’État de laxisme. Backès, toujours dans la dentelle, avait estimé que « le Haut-commissaire était disqualifié pour assurer la sécurité des Calédoniens », affirmant qu’une « culture des gangs s’était installée ». Le Haussaire Thierry Lataste s’était senti obligé de répliquer en 2018, et assez sèchement : « Je ne sais pas quel est le but poursuivi par ceux qui jouent avec la peur, mais en tout cas leurs spéculations, interprétations et approximations ne sont pas dignes d’un pays qui a besoin de sérénité à la veille d’une échéance majeure ». D’autant plus que des renforts de police et de gendarmerie étaient déjà arrivés  sur le Caillou et que c’était depuis peu un général et non plus un colonel qui dirigeait les pandores. Combien de brigades sur le Caillou ? Même Gomès, beaucoup plus pondéré que la droite dure, s’était senti obligé, au journal de Calédonie 1ère du dimanche 4 mars 2018, de rappeler (ce qu’il avait fait maintes fois, on l’a indiqué) les partis kanak indépendantistes à leur responsabilité.

Qui a intérêt à développer le sentiment d’insécurité ? Certainement pas les indépendantistes kanak qui ont peut-être néanmoins du mal à contenir les jeunes délinquants. Mais au risque de ne pas apparaître politiquement correct, on peut penser qu’une partie, grande ou moyenne, de ces jeunes délinquants, habitués à se colleter aux forces de l’ordre, ont probablement, pourquoi pas, des sentiments anticolonialistes radicaux, dans les cambriolages comme à la tribu de Saint-Louis et ailleurs. Gomès ne pourra que difficilement nous contredire quand il indiquait (voir plus haut) que « cela renvoie à l’image du gendarme représentant de l’ordre colonial et à la séquence des événements passés, qui a laissé quelques traces dans l’histoire du pays » : quand tout le monde ne parle que de délinquance, Gomès va plus loin. Et ce phénomène n’est pas une première : ne constate-t-on pas qu’une partie des islamistes radicaux passant actuellement à l’acte sont souvent des anciens délinquants ; Ali la Pointe (de son vrai nom Ali Ammar) de la Bataille d’Alger de 1957 (dans la réalité comme dans le film de Pontecorvo) fut d’abord un délinquant avant d’être un terroriste pour les forces françaises de répression puis un héros martyr de la lutte algérienne pour l’indépendance. Les enquêtes policières éclaireront peut-être l’origine de ces regains de tension sur le Caillou.

* Notre conclusion politique provisoire en 2018 était « Kanaky Nouvelle-Calédonie : ce n’est qu’un début et la lutte continue… »

Tout semblait donc plié pour 2018, sauf miracle. Mais après ? Ou les oppositions continuaient de s’exacerber, ou les compromis réapparaîtraient. Entre les deux, pas grand-chose, sauf peut-être une position comme celle d’Élie Poigoune, ancien indépendantiste gauchiste puis assagi et devenu le président de la Ligue des droits de l’Homme de Nouvelle-Calédonie ; il fut choisi pour faire partie du Comité des sages prôné par notre Premier ministre à l’époque, Édouard Philippe. Il affirmait en 2018 qu’il voterait pour l’indépendance par conviction : « Oui, je voterai pour ma revendication. Je voterai pour ce que j’ai suivi comme chemin jusque-là. Mais je pense que cette position-là ne sera pas majoritaire. Je suis de moins en moins convaincu que l’on va aller vers ça, vers la pleine souveraineté. Je suis de moins en moins convaincu. Je vais me prononcer pour ça pour être fidèle avec mon parcours, mais je sais que c’est une position qui n’est pas tenable[24] ». L’une de ses phrases a bien sûr fait l’unanimité sur le site de Calédonie ensemble citant ces « paroles d’un sage » : « Notre pays a besoin d’un grand frère et ce grand frère c’est la France ». Elle a aussi choqué les indépendantistes. Pourtant, si on l’écoute bien[25], ce grand frère pourrait être celui d’une indépendance-association ; mais l’expression ne fut pas employée (encore un non-dit) et le dit le fut avec beaucoup d’hésitation : il semblait s’être retenu. Le principal message semble pourtant être « Je sais que c’est une position qui n’est pas tenable » ; et, répétons-le, on l’entend de plus en plus dans la bouche de certains indépendantistes qui vont plus loin que « Nous ne sommes pas encore prêts ». Réalisme, lassitude ou sorte de syndrome de Stockholm où le pris en otage prend presque le parti de l’autre ?

Beaucoup de choses ont changé depuis 2018 ; mais peut-être pas tant que ça…

* Le royaume des Non-dits de Barbançon, sans doute des mal-dits ; nous étions presque prêts à écrire… des faux-culs

Ce royaume fut bien peuplé pour la résolution de la revendication indépendantiste depuis au moins le début de l’ère Mitterrand du début des années 1980. Résumons rapidement. Nainville-les-Roches, le refus de l’Indépendance-Association de Pisani. Les deux jeux : appel à la radicalité, puis sa remise en cause par Jean-Marie Tjibaou. D’abord en 1985 : boycott des élections territoriales avec le coup de tamiok de Machoro, puis appel à la levée des barrages pour négocier avec Pisani, laissant à poil Machoro qui y laissa sa vie. Puis, en 1988 : appel à la prise des gendarmeries qui entraina la tuerie d’Ouvéa avec quasi-absence du FLNKS pour aider Legorgus à négocier avec Alphonse Dianou, le preneur d’otage. L’ordre d’intervention militaire donné par Mitterrand, peut-être trompé par Pons et Chirac. Les deux drapeaux de Frogier. La tentation du guépard de Philipe Gomès et sa réception positive par Néaoutyine, avant qu’il ne se rende compte du pipeau. J’en passe, mais pas des meilleurs…   

On propose ce qui aurait pu être collé en introduction de ce feuilleton[26], sur les difficultés de Tjibaou.

* En 2023-début 2024, on peut proposer : « Quelle incertitude ! »

Un coup de théâtre (très improbable) peut-il se produire après la longue période de silence assourdissant qui a suivi le 12 décembre 2021 ? L’acceptation par tous de l’Indépendance-Association (avec majuscules !) ? C’est pourtant la seule solution qui ferait donc que tout change mais que rien ne change, car le pouvoir économique resterait en partie dans les mains, et pour longtemps, des Caldoches et de leurs alliés, les Zoreils et autres minorités, de même que le pouvoir politique. Certes, la fuite de nombre d’Européens (surtout des Zoreils, la plupart sans droit de vote) peut à terme changer la donne, mais sans plus : selon nos calculs, les Kanak, Métis kanak et assimilés sont d’ores et déjà majoritaires dans la population et les Européens minoritaires ; heureusement pour les loyalistes, les autres communautés sont plutôt loyalistes. Mais avec l’Éveil Océanien wallisien-futunien, cela peut changer en faveur des indépendantistes.

Ne jouons plus les Cassandre, mais… Pisani n’a pas été suivi en 1985, même par un gouvernement de gauche bien avant la première cohabitation : les loyalistes et les indépendantistes restaient accrochés à la solution binaire. D’où lesdits Événements et leurs statistiques macabres. Plus de trente ans plus tard, le début de l’histoire semblait bégayer en 2018 ; il bégaie toujours en 2023, et de plus en plus fort. 

Les indépendantistes les plus radicaux (on pense au parti travailliste de feu LKU, Louis Kotra Uregeï, et au RIN) étaient bien minoritaires en 2018 et servaient même de repoussoirs face aux FLNKS, à l’UC et au Palika, singulièrement son principal porte-parole LKU mélangeant politique, syndicalisme et affairisme. S’offrait à eux, il y a cinq ans, un véritable boulevard : les références à la trahison du FLNKS devenaient de plus en plus précises. Le titre de l’éditorial d’une publication[27] de cette mouvance du parti travailliste (signé par LKU) était on ne peut plus clair : FLNKS : De Front de Libération contre l’État colonial à Front de collaboration avec l’État colonial ; son contenu était à l’avenant. Sa conclusion aura dû faire mal aux tenants d’un compromis ; mais elle pouvait se comprendre : « En 1988, ajoutait LKU, en apposant ma signature au bas de l’Accord Oudinot pour soutenir la démarche de Jean-Marie (Tjibaou), je croyais agir pour le bien de mon Peuple. J’ai tellement mal aujourd’hui ».

Reprenons donc quand même Cassandre. Le parti travailliste précisa en juillet 2018 qu’il boycotterait le vote au référendum ; il n’évoqua plus l’hypothèse d’une partition entre le Nord (et les Îles) indépendantistes et le Sud loyaliste en cas de Non à l’indépendance ; il l’évoquait il n’y avait pas si longtemps. La structure politique fédérale (ou confédérale…) du Caillou le permettrait comme pour les États-Unis d’Amérique avant 1861, sauf que la France est une République une et indivisible. Sans évoquer une Guerre de sécession à l’Américaine, il n’était pas impossible, en 2018 qu’une déclaration d’indépendance unilatérale se face jour après le 4 novembre, avec les mêmes phénomènes que ce qui se passait en Catalogne : encore une fois, tout était possible. Maintenant certains loyalistes qui, sans aller jusqu’au bout (voir les déclarations de Pierre Frogier au Sénat français) flirtent avec cette idée. Elle est, après 2023, peu probable ; mais tout est possible…

Rangeons Cassandre et continuons cependant, en revenant sur terre, notre politique-fiction des années d’après le référendum de 2018 avec un Caillou restant dans la République.

Le second scénario, celui dont la probabilité d’occurrence nous semblait déjà la plus élevée en 2018, suite au processus de dialogue, n’avait rien de radical (c’était la dernière proposition implicite de Gomès d’une autonomie la plus élargie possible) mais c’eût été un moindre mal. Il était alors hors du champ des possibles, les loyaliste étant persuadés (ils le clamaient depuis des lustres : 30 à 40 % maximum de Oui à l’indépendance) que, quelle que soit la question, le Non à l’indépendance l’emporterait. Il était donc devenu inutile de trouver le moindre compromis pour endormir les indépendantistes. Ce fut raté avec le premier référendum de 2018 (43 % de Oui), encore plus avec celui de 2020 (46 %, le Parti travailliste ne boycottait plus) ; on pouvait s’attendre à 49 ou 51% en 2021, ce qui n’aurait rien arrangé. Quant au résultat de celui de décembre 2021 avec le boycott de fait, il n’a rien arrangé non plus…

Si le pire n’est pas certain, les indépendantistes se sont durcis, continuant cependant à se chamailler. Ils considèrent de plus en plus s’être fait balader pendant 30 ans ; et ça risque de continuer (toujours le retour de Cassandre…). Quant à l’aspect roman noir de ce livre, son dénouement n’est pas très éloigné de celui du roman d’Agatha Christie (dont nous nous permettons de dévoiler la fin du suspense) : Le Crime de l’Orient-Express. Il n’y a pas un coupable, tous les acteurs du Caillou sont coupables ; les principaux héros de la saga étant toutefois plus coupables que les autres. Et contrairement à Hercule Poirot, je ne les absous pas.

Ma conclusion est plus triste, même amère, mais renforce paradoxalement mon soutien à l’indépendance. Cependant, il n’y a pas que les loyalistes et l’État qui mettent des bâtons dans les roues de cet avenir : les dirigeants kanak y mettent aussi du leur, on l’a vu maintes fois.

* « Nous sommes dans la même bagnole, on veut simplement prendre le volant !… » (Emmanuel Tjibaou)

Après 2018, je continuais à travailler (toujours avec quelques mois par an sur le Caillou) sur l’économie et la politique de la future Kanaky Nouvelle-Calédonie ; et j’envoyais souvent quelques bonnes feuilles aux syndicats et à quelques amis indépendantistes. Je tentais même de contacter Paul Néaoutyine qui me paraissait l’indépendantiste le plus éclairé ; et au passé marxisme encore avoué : c’est ballot, mais ça compte encore pour moi… Une connaissance qui devint un grand copain, un Zoreil breton bien têtu mais en or, qui travailla des dizaines d’années avec « Paul » Néaoutyine, en particulier comme patron de Nord Avenir (avant de se faire salement virer comme une vieille chaussette) fit parvenir à ce dernier le bouquin ; aucun accusé de réception. Je fournissais également, aux indépendantistes de la Province Nord, nombre d’analyses détaillées de la situation économique et sociale ; ses synthèses doivent caler quelques armoires. Quoique… En 2018, après la parution du bouquin, je pris contact, toujours grâce au même Breton, avec un autre Zoreil, fort marxiste également qui était aussi proche de « Paul ». En 2020 et 2021, je continuais à lui envoyer quelques analyses économiques (qui furent bien sûr transmises au même « Paul ») et lui demanda s’il pouvait organiser un entretien avec Néaoutyine ; j’envoyai même un CV aguichant accompagné d’un questionnaire détaillé. Il est vrai que je m’interrogeais sur la ligne politique sous-jacente : une certaine alliance avec la Bourgeoisie nationale[28]. Ce n’était qu’une question de jours pour le rendez-vous car « Paul » était très pris. Il doit encore l’être.

J’eus le fin mot (probable) de l’histoire, grâce à Emmanuel Tjibaou[29], l’un des fils de son père. Je l’ai rencontré fin 2021, il est vrai après avoir beaucoup insisté ; il est linguiste en langues kanak et (à l’époque ; il ne l’est plus) directeur du Centre culturel Tjibaou (en fait directeur de l’ADCK, l’Agence de développement de la culture kanak). Je fus reçu très aimablement, avec une bonne demi-heure de retard, mais ce doit être la coutume. Je m’excusai de ne pas avoir préparé de coutume, n’ayant pu me procurer un manou[30] ; j’avais cependant préparé un paquet de cigarettes (chinoises bien sûr, pour lui rappeler mon passé mao) et lui offrit en guise d’ersatz de coutume. Je dus me présenter à sa demande[31]. La conversation fut agréable et intéressante à plus d’un titre, on ne les reprend pas tous ici et seul le dernier est important.

Il n’y a pas moins de 32 langues et dialectes kanak ; selon tout linguiste un peu éclairé, cela prouve qu’aucune tribu n’a réussi à dominer[32] les autres (malgré les guerres) et pendant 3 500 ans ! Emmanuel Tjibaou ne fut pas d’accord avec cette hypothèse politique qui lui parut même bien saugrenue : la diversité des langues ne serait qu’une loi naturelle ; et le Caillou en était une parfaite illustration[33].

Ensuite, j’abordai, en marchant sur des œufs, la tribune[34] (datée du 16 septembre 2020) du journal Le Monde signée par quatre personnalités du Caillou, dont Emmanuel Tjibaou, et critiquant un article d’Edwy Plenel. Cette tribune m’avait enragé : je ne pouvais pas ne pas lui en parler. Je fus en effet choqué par la saillie qui résumait la profonde pensée[35] de cette tribune et tous ses développements. Profonde pensée peut-être marquée par le fameux nationalisme calédonien, mais surtout par le point de vue des loyalistes selon lequel la décolonisation a eu lieu ; et circulez, il n’y a plus rien à dire[36] !  Edwy Plenel avait simplement écrit une postface au livre de Joseph Confavreux et Mediapart, Une décolonisation au présent, avec pour sous-titre Kanaky Nouvelle-Calédonie : notre passé, notre avenir[37] ; peut-être avec une vision trop universaliste et donc européocentriste. Edwy Plenel, président de Mediapart, ne laissa pas passer, comme à son habitude : il rétorqua[38] par une tribune du même journal (du 1er octobre). Emmanuel Tjibaou m’avoua alors qu’il s’était en effet fait rouler ; en fait il n’avait que survolé l’article. Et il pesta contre son ancienne amie Jenny Briffa qui d’ailleurs allait se « barrer » en Métropole[39]. Et c’était en effet « … des compagnons d’âmes », pas des compagnons d’armes. Pas sérieux ces Indépendantistes ! Je le dis autrement au fils Tjibaou.

On aborda ensuite la question de la société kanak en tribus versus en ville, en référence à de vieux écrits fondamentaux[40] : La société kanak est-elle soluble dans l’argent ? L’analyse d’Emmanuel Tjibaou n’était pas bien claire : la modernité ne pouvait toucher des racines aussi profondes de la société kanak, même en ville, les rituels de la coutume (dons et contre-dons) n’étant pas que des restes folkloriques. Je précisai ma question (mais n’évoquai pas une bourgeoisie nationale kanak) par : « Il y a-t-il une bourgeoisie kanak, et quelle rôle joue-t-elle dans la lutte pour l’Indépendance ? ». Tjibaou en rit encore : « Ah, ces marxistes maos ! Bourgeoisie, ça ne veut rien dire ici ! ». Je précisai : « Certains Kanak emploient-ils [je ne dis pas « exploitent-ils »] des salariés ? ». « Bien sûr, répondit-il, mais là n’est pas le problème : nous sommes embarqués dans la même bagnole que les Caldoches et Zoreils : on veut tout simplement prendre le volant ! ».

Tout était dit en une phrase. Je lui fis remarquer que dans FLNKS, il y avait un S mais je venais de tout comprendre : dans mon bouquin, il y avait sans doute trop de S. Et, sans doute, ça va continuer avec ce feuilleton… Ce n’est pas une raison pour jeter l’indépendance avec l’eau trouble des dirigeants indépendantistes : nous sommes beaucoup, ayant perdu la naïveté que nous n’avons en fait jamais eue, qui persistons et signons : Kanaky Nouvelle-Calédonie indépendante !

* On peut néanmoins rêver ; en espérant que cette conclusion donne des idées à notre Président Macron : imiter de Gaulle, ce n’est pas rien…

On rêvait déjà en 2018, avant le premier référendum, en évoquant quelques scenarii possibles.

Le premier scénario aurait été avant novembre et serait après 2018 celle de la tentation du Guépard évoquée de nombreuses fois dans ce livre et un accord sur une indépendance-association. Nous rêvions donc mais avions cessé de rêver : cet accord n’a donc pas eu lieu en 2018 et l’on voit mal ce qui le rendrait incontournable dans l’avenir, sauf miracle qui pourrait apparaitre fin 2023 et début 2024, grâce à la question du nickel où les affrontement entre les loyalistes radicaux et Calédonie ensemble se font de plus en plus violents. Sauf, à Dieu ne plaise, la répétition de la quasi-guerre civile de 1984 à 1988 et un nouvel Edgard Pisani.

Un premier rêve de 26 janvier 2024 (déjà évoqué plus haut ; mais la répétition est la base de la pédagogie…) était la reprise de la possibilité pour Philippe Gomès et Calédonie ensemble de choisir la solution (toujours écartée) de l’indépendance-association[41]. Le second, du 25 janvier, était encore beaucoup plus rêveur[42] : c’est celui de Macron revenant à Nouméa début mai 2024, alors que tout est encore bloqué (Pacte nickel, Accord sur l’avenir des institutions et autres calamités) prononçant le discours suivant place des Cocotiers, juste devant les statuts de Lafleur et Tjibaou, avec à sa droite son nouveau dircab Patrice Faure (qui géra moult problèmes, en tant que Haussaire, sur le Caillou, et à sa gauche Louis Mapou tout sourire. Ce rêve d’un discours possible… nous le reproduisons ci-dessous.

« Je vous ai compris ! Je sais ce qui s’est passé sur ce Caillou depuis des décennies. Je vois que la route que vous avez ouverte, c’est celle du Destin commun et du Vivre ensemble. Je dis le Vivre ensemble à tous égards. Mais très justement vous avez voulu que celle-ci commence par le commencement, c’est-à-dire par nos institutions, et c’est pourquoi me voilà. Et je dis le Destin commun parce que vous offrez ce spectacle magnifique d’hommes qui, d’un bout à l’autre du Caillou, quelles que soient leurs communautés, communient dans la même ardeur et se tiennent par la main. Eh bien ! de tout cela, je prends acte au nom de la France et je déclare, qu’à partir d’aujourd’hui, la France considère qu’il n’y a qu’une seule catégorie d’habitants : il n’y a que des Calédoniens à part entière, des Caldoches, des Kanak, des Wallisiens-futuniens et autres Communautés à part entière, avec les mêmes droits et les mêmes devoirs. Cela signifie qu’il faut ouvrir des voies qui, jusqu’à présent, étaient fermées devant beaucoup. Cela signifie qu’il faut donner les moyens de vivre à ceux qui ne les avaient pas. Cela signifie qu’il faut reconnaître la dignité de ceux à qui on la contestait. Cela veut dire qu’il faut assurer une patrie à ceux qui pouvaient douter d’en avoir une. Calédoniens à part entière, Kanak et Victimes de l’histoire, dans un seul et même collège ! Nous allons le montrer, pas plus tard que dans trois mois, dans l’occasion solennelle où tous les Calédoniens, y compris la moitié des 270 000 habitants de ce Caillou auront à décider de leur propre destin dans un dernier référendum d’autodétermination. Et là, pas de boycott. Pour cette moitié, leurs suffrages compteront autant que les suffrages de tous les autres. Ils auront à se prononcer sur la pleine souveraineté en partenariat avec la France et à désigner, à élire, je le répète, en un seul collège leurs représentants pour les pouvoirs publics, comme le feront tous les autres. Avec ces représentants élus, nous verrons comment faire le reste ; mais je vous appelle, sortant pour une fois de la neutralité) à voter Oui : je vous ai enfin compris ! Ah ! Puissent-ils participer en masse à cette immense démonstration, tous ceux de vos villes, de vos tribus, de vos brousses, de vos montagnes ! Puissent-ils même y participer, ceux-là qui, par désespoir, ont cru devoir mener sur ce sol un combat dont je reconnais, moi, qu’il est courageux, car le courage ne manque pas sur la terre de Kanaky Nouvelle-Calédonie, qu’il est courageux mais qu’il n’en est pas moins cruel et fratricide ! Moi, Macron, à ceux-là, j’ouvre les portes de la réconciliation. Jamais plus qu’ici et jamais plus que ce soir, je n’ai compris combien c’est beau, combien c’est grand, combien c’est généreux, la France ! Vive la Kanaky Nouvelle-Calédonie ! Vive la République ! Vive la France ! ».

La foule en liesse, brandissant des drapeaux bleu blanc rouge, des drapeaux Kanaky et des drapeaux communs, se mit à chanter, en ce début d’automne austral « Un printemps sans amour, c’est pas l’printemps ! ».

Toute analogie avec le discours de de Gaulle à Alger en 1958 serait évidemment fortuite.

Il y eut, en mai 1958, en Algérie en proie à la guerre d’indépendance, une sorte de drame d’Ouvéa à l’envers : l’exécution de trois militaires français par le FLN ; elle allait mettre le feu aux poudres chez les Français d’Algérie et dans l’armée. C’est ainsi que le général de Gaulle (coup d’État, légaliste ou non) reprit le pouvoir. Les « petits » assassinats ont souvent de grandes conséquences politiques…

Le discours de de Gaulle fut, à Alger, en juin 1958, le suivant (du moins ses principaux extraits). Ce discours est cependant bien ambigu.

« Je vous ai compris ! … Je sais ce qui s’est passé ici. … Je vois que la route que vous avez ouverte …, c’est celle de la rénovation et de la fraternité. Je dis la rénovation à tous égards. Mais très justement vous avez voulu que celle-ci commence par le commencement, c’est-à-dire par nos institutions, et c’est pourquoi me voilà. Et je dis la fraternité parce que vous offrez ce spectacle magnifique d’hommes qui, d’un bout à l’autre, quelles que soient leurs communautés, communient dans la même ardeur et se tiennent par la main. Eh bien ! de tout cela, je prends acte au nom de la France et je déclare, qu’à partir d’aujourd'hui, la France considère qu’ […] il n’y a qu’une seule catégorie d’habitants : il n’y a que des Français à part entière, des Français à part entière, avec les mêmes droits et les mêmes devoirs. Cela signifie qu’il faut ouvrir des voies qui, jusqu’à présent, étaient fermées devant beaucoup. Cela signifie qu’il faut donner les moyens de vivre à ceux qui ne les avaient pas. Cela signifie qu’il faut reconnaître la dignité de ceux à qui on la contestait. Cela veut dire qu’il faut assurer une patrie à ceux qui pouvaient douter d’en avoir une ». Suivait cependant un vibrant hommage à l’Armée française. De Gaulle continuait, après cet hommage marqué : « Français à part entière, dans un seul et même collège ! Nous allons le montrer, pas plus tard que dans trois mois, dans l’occasion solennelle où tous les Français, y compris les 10 millions de Français d’Algérie, auront à décider de leur propre destin. Pour ces 10 millions de Français, leurs suffrages compteront autant que les suffrages de tous les autres. Ils auront à désigner, à élire, je le répète, en un seul collège leurs représentants pour les pouvoirs publics, comme le feront tous les autres Français. Avec ces représentants élus, nous verrons comment faire le reste. Ah ! Puissent-ils participer en masse à cette immense démonstration, tous ceux de vos villes, de vos douars, de vos plaines, de vos djebels ! Puissent-ils même y participer, ceux-là qui, par désespoir, ont cru devoir mener sur ce sol un combat dont je reconnais, moi, qu’il est courageux… car le courage ne manque pas sur la terre d’Algérie, qu’il est courageux mais qu’il n’en est pas moins cruel et fratricide ! Moi, de Gaulle, à ceux-là, j’ouvre les portes de la réconciliation. Jamais plus qu’ici et jamais plus que ce soir, je n’ai compris combien c’est beau, combien c’est grand, combien c’est généreux, la France ! Vive la République ! Vive la France ! ».

Liesse également de la foule ; de Gaulle était rassuré car il était loin d’être sûr d’être bien accueilli. Il ne rajouta cependant pas : « La France serait moins belle sans l’Algérie », et les Pieds-noirs (largement majoritaires comme l’étaient les Européens loyalistes de la place des cocotiers de juillet 2023) l’applaudirent à tout rompre, ne se rendant compte que plus tard que, selon de Gaulle, l’Algérie française, c’était finie, après avoir négocié avec le FLN (Accords d’Évian).

Pour éviter que l’histoire ne bégaie encore, et avec une seconde tragédie et non pas une farce (selon Marx, donc) on peut rêver que Macron comprenne, enfin.

Revenons, pour terminer, à la première image qui ouvrit ce feuilleton en indiquant un documentaire d’Éric Bauducel présenté au FIFO[43] de Tahiti en février 2024 : Éloi Machoro, itinéraire d’un combattant[44]. On peut visionner la bande annonce ainsi que le film[45].

Le montage qui clôt ce feuilleton reprend celle d’un autre[46] commis sur Le Club de Médiapart, Cocos et anars jouent Éros plutôt que Thanatos : uchronie et Histoire, avec pour sous-titre : Précisons : il s’agit d’une uchronie très ensoleillée, du moins on l’espère, et d’une fort sombre Histoire ; très sombre. Il s’agit de celles des Rouges et des Noirs : Charlot (Karl Marx), Freddy (Friedrich Engels), Pierrot-Joé (Pierre-Joseph Proudhon), Mickey (Michel Bakounine), Lou (Louise Michel) et les autres... 

Cette BD avec Charlot, Freddy, Pierrot-Joé, Mickey, Lou… et Éloi, ça une autre gueule que celle que brandissaient les maos autour de Mai 68 avec : Marx, Engels, Lénine, Staline, Mao !

Illustration 1

Notes

[1] Fin mal barrés ! de Jenny Briffa, éditions Madrépores, 2018 ; la pièce (un one-woman-show) était jouée sur le Caillou par Maïté Siwene. En caldoche, rappelons-le, Fin ne veut pas dire End et n’est pas que le masculin de Fine, il veut dire très : vachement mal barré, le Caillou

[2] J’aurais pu mieux faire, mais la fatigue et surtout le ras le bol devant, en particulier, les divisions des indépendantistes, m’ont fait renoncer…

[3] Voir en particulier mon dernier billet du 1er mars, au milieu de la clôture de ce feuilleton :

La PDG d’Eramet introduit un gros caillou dans la chaussure du nickel calédonien

précisé par le sous-titre : « La métallurgie du nickel, c’est foutu ; et pas seulement en Calédonie… À part en Indonésie où son groupe investit et investira avec de gros bénéfices ! Plus un sou confirmé pour la SLN (même dans la mine ?) et annonce qui ne va pas aider à attirer les repreneurs des deux autres usines. Christel Bories aurait pu mieux faire pour sauver le Caillou et son Pacte nickel… Le Maire, il en pense quoi ? ».

[4] Le premier paragraphe d’un livre de Marx (Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte de 1851-1852) est le suivant : « Hegel fait quelque part cette remarque que tous les grands événements et personnages historiques se répètent pour ainsi dire deux fois. Il a oublié d’ajouter : la première fois comme tragédie, la seconde fois comme farce ».

[5] Conclusion intitulée : Yes we can ! Op. cit. p. 53.

[6] Il y a (entre autres…) des expressions-réflexes qui m’agacent chez les Kanak ou ceux qui veulent les imiter : souvent, Femme est réduite à Maman

[7] Avant, c’était surtout le Palika dit marxiste-léniniste qui jouait les gauchos ; maintenant, c’est l’Union calédonienne. Le Palika est maintenant loué par les loyalistes radicaux (pas loin de l’extrême-droite du Caillou ; pas FN ou RN mais presque, quoique macroniste) ; l’Union calédonienne (peu sont marxistes révolutionnaires) servant de repoussoir.

[8] Oui, la population a presque doublé en 30 ans !

[9] Et Trafigura ne va sans doute pas se laisser faire, voulant garder son juteux contrat de commercialisation qui lui permet de jolis bénéfices alors que Prony Resources affiche des pertes !

[10] On donne ici la liaison de cause à effet généralement retenue par tous les économistes : crise financière induisant la crise économique. Nous pensons qu’il n’en est rien : la crise financière de 2007-2008 n’est qu’une conséquence de la crise économique latente depuis 20 ans avec une baisse tendancielle du taux de profit à la Marx ; voir Castex P. (2008) La Chute : théorie de la crise actuelle du capitalisme Taux d’intérêt et taux de profit, 2000-2008 : crise financière ou crise réelle ? Collection Écrit-Tic, L’Harmattan, Paris, et (2010) Trente Glorieuses, trente années de plomb, Grande crise Macrocomptabilité de la France, 1948-2008, Édition 2009, Collection Écrit-Tic, L’Harmattan, Paris. Voir aussi différents billets sur Le Club de Médiapart… Mais tout ceci est un détail pour le Caillou.

[11] Sous la direction de Philippe Chalmin et Yves Jégourel, Editions Economica ; nous ne l’avons pas lu car il coûte très cher, mais le journaliste spécialiste du nickel, Alain Jeannin, nous en avait donné le contenu (voir Calédonie 1ére, Actualité, le 17 mai 2018).

[12] Calédonie 1ère, émission Questions Avenir…, 10 avril 2018. Débat rapidement évoqué plus haut dans le feuilleton.

[13] Le dernier chiffre de début des années 2020 serait de 155 GCFP (soit 14 % du PIB), dont 45 GCFP seulement pour l’enseignement secondaire ; l’État donnait un niveau plus élevé, autour de 17 % du PIB. On apprenait également que la défisc ne comptait que pour 5 GCFP, confirmant l’erreur d’Olivier Sudrie débusquée plus haut.

[14] Chanson bien connue sur le Caillou du Groupe Gurejele (musique traditionnelle devenue « Kaneka ».

[15] CEROM Les synthèses de (2018, avril) La comparaison spatiale des prix en Nouvelle-Calédonie en 2015, Les prix un tiers plus élevés qu’en France métropolitaine. Les auteurs en sont Roubio Collet N. et Desmazures E. (tous deux de l’ISEE).

[16] Un détail peu important mais significatif (indiqué par cette étude) au temps de la révolution numérique tant prônée sur le Caillou : les prix des communications y étaient plus chers qu’en Métropole de 36 % en 2010… et 64 % en 2015. Cependant, la baisse est effective depuis.

[17] Après néanmoins quelques rapports de la Chambre territoriale des comptes du Caillou dont le dernier en 2011.

[18] Revoir Néaoutyine (2005), op. cit.

[19] Certes, Germain, le président du gouvernement dominé par le parti de Gomès pendant les heures de gloire de Calédonie ensemble, venait du secteur des (grosses) PME et de l’industrie locale de la FINC (Fédération des industries de Nouvelle Calédonie) dont les intérêts sont différents sinon contradictoires avec ceux des importateurs et commerçants et même des grands groupes industriels implantés sur le Caillou (singulièrement français) mais maintenant avec deux géants multinationaux dans le nickel (cependant en déconfiture…). Et, avant que Louis Mapou ne soit élu président du gouvernement (après des mois d’hésitation, mais un peu comme d’habitude) son challenger kanak de l’UC était… le président du Medef nc !

Ce n’est sans doute pas un hasard ; d’où une politique sociale progressiste interventionniste et assez protectionniste vilipendée par le couple Backès-Martin des Républicains calédoniens qui n’y voyait que du socialisme. On trouvait déjà, au début des années 2000, avec l’Alliance de Leroux puis l’Avenir ensemble de Martin-Gomès le même type de démarche avec des oppositions au sein du patronat et des Broussards ; mais l’aspect politique anti-Lafleur dominait la question des rapports économiques de classes.

[20] Il existe bien des propriétaires (très grands, moyens ou petits) et des non-propriétaires, il existe bien aussi de grandes propriétés mal mises en valeur ; mais rien à voir avec les situations avant les réformes agraires en Amérique latine.

[21] Marx n’en avait dit mot, à part sa vision tardive que la Révolution aurait lieu en Russie arriérée (au niveau de son développement capitaliste) et non pas en Angleterre. Cette stratégie (en fait une tactique) fut l’œuvre de Lénine, justement en Russie, après l’échec de la première révolution de 1905, pour rallier les paysans en leur promettant la terre : ce qui assura (mais surtout « grâce » à la guerre et aux soldats…) le succès de la Révolution d’octobre 1917. Elle fut reprise par le maoïsme en Chine, après de désastre de Shangaï de 1927, puis au Vietnam.

[22]  C’est plus compliqué avec les Wallisiens et autres Océaniens ; moins avec les Asiatiques.

[23] Pour beaucoup de nos amis, c’est le non-dit …

[24] Divers entretiens : avec Les Nouvelles calédoniennes ; avec France Culture ; dans l’émission Cash du 16 février 2018.

[25] Si surtout dans l’émission Cash, op. cit.

[26] Voir cette vidéo, presque finale :

https://www.bing.com/videos/riverview/relatedvideo?&q=boycott+par+Tjibaou+du+r%c3%a9ferendum+de+1985&qpvt=boycott+par+Tjibaou+du+r%c3%a9ferendum+de+1985&mid=69D93405484410C7830969D93405484410C78309&&FORM=VRDGAR

[27] La Voix de Kanaky, Mars-avril 2018, n°6.

[28] Voir plus haut… La vision socialiste du Palika est compatible avec l’indépendance sans socialisme, au moins dans un premier temps, comme dans la Révolution en deux étapes du marxisme-léninisme (M-L disait-on autour de 1968). Mais rien à voir avec les luttes nationales anti-impérialistes et socialistes de la belle époque M-L où (singulièrement au Viêt-Nam, après l’exemple de la révolution chinoise) une alliance de classe était censée se développer, en tant que première étape de la révolution prolétarienne, entre le prolétariat et ladite bourgeoisie nationale contre les propriétaires fonciers et la bourgeoisie compradore. La bourgeoisie compradore existe bien sur le Caillou et y est dominante dans cette économie qui reste une économie de comptoir ; la bourgeoisie nationale, surtout européenne, mais peut-être avec une bourgeoisie kanak naissante à côté des Wallisiens et autre Océaniens et Asiatique) a en effet quelques oppositions économiques avec la première. 

[29] Il est attachant ; avant de le critiquer (car c’est de cela qu’il va surtout s’agir) j’aimerais que le lecteur le connaisse une peu mieux. Par exemple par le film documentaire dont il est l’âme : Au nom du père, du fils et des esprits, (réalisé par Emmanuel Desbouiges, Dorothée Tromparent, Nouvelle-Calédonie, 2017). On le trouve difficilement sur la Toile, sauf quelques extraits :

https://www.youtube.com/watch?v=Lfj_wFSoOcw

On trouve aussi des analyses de ce film :

https://la1ere.francetvinfo.fr/polynesie/au-nom-du-pere-du-fils-esprits-rencontre-jean-marie-tjibaou-677769.html

Ou encore, entre autres, ce fils racontant la mort de son père ; avec surtout des développement sur le rôle de la parole, raisonnant avec la question du Non-Dit de Barbançon :

https://www.ted.com/talks/emmanuel_tjibaou_boutures_de_paroles_une_pensee_kanak_pour_le_monde

[30] Un coupon d’étoffe qui cache (mal) les dons et contre-dons du rituel de la coutume (billets de banque, paquets de cigarettes) ; ces manous sont made in China. Pas un président ou ministre français n’échappe à cette coutume lors de leurs visites sur le Caillou.

[31] Le fils Tjibaou n’avait pas lu un mot de ma demande d’entretien, ignorait aussi ma demande proposée de conférence en 2018 et apprit, étonné que j’avais écrit un bouquin sur son pays. Et pour une fois, j’avais pourtant fait de la retape !

[32] « Une langue est un dialecte avec une armée et une marine » ; c’est un aphorisme du linguiste yiddish du XXe siècle, Max Weinreich, pour montrer qu’un dialecte devient une langue seulement avec un État puissant.

[33] On peut rajouter des tas d’exemples, surtout en Océanie et singulièrement en Papouasie-Nouvelle-Guinée. Ces Papouans-Néo-Guinéens, ou Papouasiens, ou Papous parlent 800 langues (et dialectes…) dont 600 langues papoues et 200 langues mélanésiennes, aucune n’étant parlée nativement par plus de 5 % de la population du pays. C’est le pays le plus multilingue du monde : pour une population de 7,3 millions d’habitants, cela fait une moyenne (qui a évidemment peu de sens) de 9 100 locuteurs par langue. Toute cette érudition grâce à la Toile

[34] Je connaissais un peu l’une de ces quatre personnalités : Jenny Briffa, journaliste et auteure (le lecteur le sait maintenant…) de la pièce Fin mal barrés ! mentionnée plus haut.

[35] « Nous sommes des intellectuels calédoniens – kanak et européens. Nous étions enfants pendant les “événements“ [1984-1988], chacun retranché dans son “camp“. Trente-cinq ans plus tard, nous nous apprêtons à voter au référendum. Dans des sens différents. Jolie revanche sur notre histoire : quand nos anciens ont pu prendre les armes les uns contre les autres, aujourd’hui nous prenons la plume ensemble et sortons du silence pour dire notre exaspération face à une pensée simplificatrice venue de métropole. Comme celle d’Edwy Plenel ». C’était l’existence même du phénomène colonial ou néocolonial qui était remis en cause ; la tribune continuait : « [Edwy Plenel…] comme tant d’autres, continue d’observer notre archipel avec une grille de lecture datant des années 1980. Quarante ans ont passé ! Nous devons sortir de l’imposture intellectuelle réduisant l’analyse de la situation calédonienne à l’existence d’un système colonial institutionnalisé, où le peuple kanak serait aujourd’hui encore opprimé ». La tribune en rajoutait et j’étouffais de rage en la lisant : « Qu’on le veuille ou non, notre créolisation se tisse en silence. […] Au moment où nous cherchons une solution inédite de vivre-ensemble, les analyses simplificatrices nous indignent parce qu’elles nous déresponsabilisent. Nourrir un discours de victimisation des Calédoniens d’origine kanak, qui, en 2020, seraient les délaissés de l’Etat colonial, est non seulement une contre-vérité absolue [...] mais entretient l’idée que tout mérite réparation, que tout est un dû. […] Selon eux, cette posture anticoloniale à la Plenel, nourrie d’une mauvaise conscience aussi compréhensible qu’inutile, entretient par sa prétendue bienveillance un paternalisme tout à fait colonial ».

[36] Voir plus haut notre pique contre l’ancien patron de la MNC à Paris.

[37] La Découverte, Cahiers libres, août 2020.

[38] Plenel écrivait : « L’écho rencontré par ce texte qui nous caricature tient en effet à la présence, parmi ses quatre signataires, d’Emmanuel Tjibaou, l’un des fils du leader indépendantiste kanak, devenu une figure notable de la vie culturelle sur place. Or ce dernier a tenu à nous faire savoir solennellement qu’il se désolidarisait de cette tribune "qui instrumentalise [son] nom en le portant caution d’un point de vue sur la question coloniale en Nouvelle-Calédonie qu’[il] ne [défendra] jamais". "Je suis découragé d’avoir été si naïf et en colère contre moi-même" nous écrit-il. Relisant ce texte, il "[se rend] compte que chaque mot est une lame qui se dresse à la gorge des compagnons d’âmes de [son] père" ». Armes ou âmes me dis-je ? Je fus rassuré mais trouvais le fils Tjibaou bien peu attentif à ce qu’il signait…

[39] Fin mal barrée avait dû penser Emmanuel Tjibaou ! Elle affirme toujours : « Je n’ai qu’une passion : raconter des histoires. Celles des hommes, qui se mêlent et s’entremêlent... ». Elle était favorable au fameux Destin commun, mais elle s’était barrée en effet en Métropole en 2020 ; elle ne revient que de temps en temps sur le Caillou, avec quelques nouvelles pièces de théâtre. Certains disent qu’elles furent moins bonnes que la première ; mais les on-dit…

[40] Alban Bensa et Jean Freyss en 1994 ; puis Jean Guiart en 1999 ; voir plus haut.

[41] (Re)voir le billet : Une stratégie pour l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie : franchir le Rubicon !

https://blogs.mediapart.fr/patrick-castex/blog/260124/une-strategie-pour-l-independance-de-la-nouvelle-caledonie-franchir-le-rubicon

[42] Voir :

https://blogs.mediapart.fr/patrick-castex/blog/250124/il-avait-fait-un-reve-j-en-ai-fait-deux-songes-de-l-independance-de-la-caledonie

« I have a dream », « Je fais un rêve ». On aura reconnu celui de Martin Luther King, le 28 août 1963, devant le Lincoln Memorial, à Washington D.C., durant la Marche sur Washington pour l’emploi et la liberté, devant plus de 250 000 manifestants (en gros l’équivalent de la totalité des habitants du Caillou).

[43] Voir ce qu’est ce FIFO :

https://fr.search.yahoo.com/yhs/search?hspart=reb&hsimp=yhs-ext_onelaunch&p=FIFO%202024&type=0_1023_102_1103_108_240211

[44] Et voir l’article des Nouvelles calédoniennes du 9 février 2024 : Fifo 2024 : un Éloi Machoro à contre-emploi 

https://www.lnc.nc/article/culture/cinema/pacifique/polynesie-francaise/nouvelle-caledonie/fifo-2024-un-eloi-machoro-a-contre-emploi?fbclid=IwAR0J0v3ptZU0HV26kpX4Vr-5eY4yR0U8mU9OlE-BOJgqFOB1gUJyaMxdgL8

[45] Pour la bande annonce, voir :

https://www.fifotahiti.com/eloi-machoro-itineraire-dun-combattant/?watch_trailer=1

Le film est visible (mais il faut se connecter, gratuitement) sur :

https://www.france.tv/la1ere/nouvelle-caledonie/itineraires/5705328-emission-du-mardi-20-fevrier-2024.html

[46] La Saison 1 (il y en a 20) date du 31 octobre 2023 ; Éloi Machoro est ici le premier de ces autres. Voir (encore une pub !) :

https://blogs.mediapart.fr/patrick-castex/blog/311023/cocos-et-anars-jouent-eros-plutot-que-thanatos-uchronie-et-histoire-saison-1

Éon est le nom de pinceau de l’un de mes petits-fils.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.