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Économiste, sociologue et HEC à la retraite (maître de conférence à l’Université Dauphine et membre du Cabinet Syndex, expert-comptable spécialisé dans le conseil aux Comités d'entreprise et aux syndicats de salariés), il s’occupe, depuis une dizaine d’années, de promouvoir l’Indépendance de la Kanaky Nouvelle-Calédonie. Il s’est mis en outre à écrire autre chose que de savants traités...

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Billet de blog 26 janvier 2024

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Une stratégie pour l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie : franchir le Rubicon !

Philippe Gomès, un important homme politique calédonien, ex-député avec deux mandats, centriste de droite, loyaliste mais progressiste en matière économique et sociale, peut-il le faire ? Il s’est toujours refusé à promouvoir l’Indépendance-Association, malgré les accusations de ses adversaires encore plus à droite ; mais « Il peut le faire » ! Cependant, ce n’est pas gagné ; un miracle peut-être…

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Économiste, sociologue et HEC à la retraite (maître de conférence à l’Université Dauphine et membre du Cabinet Syndex, expert-comptable spécialisé dans le conseil aux Comités d'entreprise et aux syndicats de salariés), il s’occupe, depuis une dizaine d’années, de promouvoir l’Indépendance de la Kanaky Nouvelle-Calédonie. Il s’est mis en outre à écrire autre chose que de savants traités...

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Il y a un moyen de franchir ce Rubicon : « Il faut que tout change pour que rien ne change ». Certes, tout changera : la Kanaky Nouvelle-Calédonie sera indépendante, en association avec la France. Mais rien ne changera dans la vie quotidienne : l’économie ne s'écroulera pas ; les impôts et les cotisations sociales de la Sécu locale (la CAFAT) remplaceront petit à petit les fameux transferts (de fric) de la Métropole (dite maintenant, par les fauls-culs, Hexagone...) qui font que le contribuable de l’Hexagone finance ce que les classes aisées du Caillou se refusent à financer.  Car, sauf idiotie suprême, la France ne coupera pas tout de suite ce robinet, trop contente de garder son porte-avion militaire sur ce Caillou pour dissuader les petites envies chinoises; et c’est très bien comme ça...

Bien sûr, le Européens, Caldoches, Métros-Zoreils et leurs affidés devront alors contribuer au financement des dépenses ; mais il ne perdront pas leur pouvoir économiques. Certains feront leurs valises comme beaucoup l’ont déja faite ; mais je suis persuadé qu’il s'agira d’exceptions. Avec cette solution, le scenario catastrophe de l’indépendance algérienne ne se reproduira pas ; avec le scenario préparé par Macron et les loyalistes de la Calédonie française, c’est moins sûr.

...

Dans mon vieux livre[1] Kanaky Nouvelle-Calédonie indépendante ? j’évoquais déjà cette Tentation du Guépard [2]. Cette tentation transformée en tentative aurait pu éclaircir l’avenir de la Calédonie ; elle a avorté car le patron du parti Calédonie ensemble (noté ici CE) Gomès s’y est toujours refusé considérant sans doute cette solution comme « suicidaire » pour un loyaliste qui la proposerait. Mais Gomès, est le roi des volte-face[3] ; on peut donc rêver…

Ce billet est divisé en deux parties. Bien que toujours soucieux du dialogue avec tous les indépendantistes (et il rêva donc, à mon humble avis, d’aller plus loin mais sans sauter le pas ; certains - dont lui-même - le voient en Líder máximo : après le passage du Rubicon, il le deviendra sans doute...). Gomès fut et reste loyaliste ; il eut toujours un certain pouvoir même en étant minoritaire mais eut son heure de gloire de 2014 à 2019 ; c’est le point 1. Le point 2 tente de répondre à la question suivante : restera-t-il loyaliste ? Peut-être que Oui, peut-être que Non. Ce qui est certain, c’est que CE a été sévèrement battu aux élections provinciales de 2019 ; ce qui est aussi certain, c’est que l’avenir de la Nouvelle-Calédonie est, depuis le troisième référendum du 12 décembre 2021, des plus incertains : Macron a laissé de côté la neutralité de l’État[4] ; le dialogue est de fait rompu avec les indépendantistes ; les loyalistes radicaux se déchaînent[5] (et singulièrement contre Gomès) qui, après avoir fait le gros dos, réplique maintenant sèchement, et tous azimuts, sur la stratégie nickel autant que sur la question institutionnelle ; après l’arrivée en 2019 d’un parti communautaire (mais pas communautariste selon ses dires) wallisien-futunien (L’Éveil Océanien) et après des hésitations entre les deux camps, qui a pris le parti de voter avec les indépendantistes ; et le gouvernement du Caillou est depuis 2021, présidé par Louis Mapou, un indépendantiste du parti Palika, le Parti de libération kanak dont le drapeau[6] résume bien la ligne politique.

1 – Les volte-face, mais toujours le loyalisme

Gomès, dès 2014, parlait avec les indépendantistes du Palika, surtout avec le patron de ce parti, Paul Néaoutyine étant également depuis longtemps le Président de la Province Nord. Tout tournait en fait autour de notre Tentation du Guépard ; lassé des tergiversation de son interlocuteur, Néaoutyine a renoncé à parler de ce sujet…. 

* Gomès fit partie des premiers dissidents contre Jacques Lafleur

Son aspect progressiste apparaît dès la fin des années 1990 : il sera (encore membre du Rassemblement pour la Calédonie dans la République, le RPCR de Lafleur) au gouvernement le négociateur en 2000 du Pacte social[7] ; il proposa une augmentation des revenus des ménages jugés les plus modestes par des aides ou un salaire minimum accru (ce qu’il fera avec les fortes augmentations du SMG, du Salaire minimum garanti, en gros le SMIC du Caillou) ainsi qu’une baisse de la fiscalité directe sur ces derniers compensée par une augmentation sur les tranches considérées comme les plus aisées.

Il commença donc sa carrière politique avec la droite dure et loyaliste de Jacques Lafleur, puis, avec d’autres, s’y opposa. Le parti Calédonie Ensemble (CE) emmené par Gomès, fut fondé en 2008 ; en 2009, il devient Président éphémère du Gouvernement local ; son discours de politique générale fut marqué par un fort volet social et interventionniste, voulant en finir avec le « tout libéral ». En 2012, c’est sa première grande victoire politique : il est élu député de la 2e circonscription (en gros tout sauf Nouméa) et rejoint avec Sonia Lagarde (également CE à l'époque) le groupe parlementaire de l’Union des démocrates et indépendants (l’UDI) de Jean-Louis Borloo. 

* Le parti de Gomès accède au pouvoir après les élections provinciales de 2014[8] … et la tentation du Guépard 

Et avec un belle victoire. On passe sur le gouvernement Germain (un homme d’affaires mais dans la même veine que CE) qui tint bon jusqu’en 2019, soutenu de fait par les indépendantistes et une grande partie des syndicats de salariés. Certains Kanak indépendantistes articulaient le développement et le rééquilibrage économique à la lutte de classes et à l’indépendance ; c’était le cas du Palika et de la coalition de l’UNI (l’Union Nationale pour l'Indépendance) en Province Nord, peut-être convaincus qu’il était possible d’obtenir une large majorité de Oui au référendum en expliquant aux Caldoches et autres communautés qu’une Kanaky du destin commun était possible. CE et les indépendantistes, surtout ceux du Palika, étaient d’accord, rappelons-le, sur un point particulier mais de première importance : la calédonisation de la SLN en passant de 34 % du capital de cette dernière à 51 %. Il semblait donc y avoir entre le Palika et CE une convergence quant au choix du développement avec politique sociale ; elle aurait pu devenir une convergence quant à l’avenir institutionnel du Caillou. Notre fameuse tentation, avec une indépendance-association…

Les partis du Caillou étaient toujours restés figés officiellement sur des positions binaires : Oui ou Non à l’indépendance-pleine souveraineté ; avec cependant un serpent de mer qui réapparaissait de temps en temps comme une rumeur : celui de l’indépendance-association comme solution de compromis. Solution déjà proposée en 1984-1985 par Edgard Pisani pour sortir de la quasi-guerre civile qui commençait ; solution rejetée officiellement des deux côtés. D’après Pisani, ce n’est pas exact : Tjibaou l’aurait accepté officieusement en emmenant Pisani au pied d’un arbre...[9].

* La fermeture de cette tentation : déjà en 2015, le changement, ce n’était pas encore pour maintenant

CE au pouvoir ne mit évidemment pas en avant cette solution ; attaqué sur sa droite, CE ne pouvait pas se déclarer indépendantiste, même selon une solution intermédiaire en convergence avec le Palika. Gomès déclarait, fin mai 2015 : « Nous ne sommes pas associés aux indépendantistes ». Il considérait avoir été insulté en étant taxé d’indépendantiste et de socialiste par cette droite dure, et se déclarait « ni indépendantiste, ni socialiste ». Il rappelait aussi qu’il ne souhaitait pas un Oui à la question qui serait posée en 2018.

En 2017, avant et après les législatives et jusqu’à la fin de la crise gouvernementale en décembre, CE s’alliera de nouveau avec une droite qui lui était redevenue compatible. La droite était divisée comme jamais entre CE et les autres : Gomès était loin d’être sûr de récupérer son siège de député contre l’indépendantiste Louis Mapou du Palika. Comme Henri IV, il se dit que son deuxième mandat de député valait bien une messe avec ses adversaires loyalistes. La volte-face de Gomès est évidente, ce dernier acceptant la déclaration commune : « C’est pourquoi nous réaffirmons collectivement et clairement notre engagement pour que la Nouvelle-Calédonie reste au sein de la France et dans la Paix. Nous réaffirmons aussi notre ferme et totale opposition à toute forme d’indépendance ou d’indépendance-association ».

* Gomès se défend partout, bec et ongles, contre ceux qui voudraient seulement évoquer son alliance avec les indépendantistes

Un Haut-commissaire (dit, sur le Caillou, Haussaire) de la République, délégué du gouvernement en Nouvelle-Calédonie éclairait assez bien les luttes politiques de l’époque. Il dressait un portrait de l’échiquier politique suite aux élections provinciales de mai 2014 caractérisé par le « symptôme de l’éclatement […] avec trois groupes politiques au sein du bloc non indépendantiste ». En rajoutant les deux groupes au sein du bloc indépendantiste (UC et UNI-Palika) on n’observait plus deux blocs mais une structure « pentapolaire », en cinq blocs. Ce Hausaire notait la « recomposition des alliances » qui avait permis début 2015 la constitution du gouvernement Germain « qui pourrait aboutir, écrivait-il, à terme, à une recomposition du paysage politique, avec un éventuel dépassement du clivage entre indépendantistes et non-indépendantistes et la formation d’une “majorité de projet“ qui réfléchirait à l’avenir institutionnel du pays. Mais il est encore trop tôt pour le dire »[10].

Les réactions de Gomès furent toujours vives à toutes les rumeurs d’alliance avec le Palika concernant un éventuel accord sur l’indépendance-association et singulièrement à leur évocation à peine voilée par ce Haussaire qui, intervint Gomès « [] a évoqué comme une perspective éventuelle l’émergence de “majorités de projet“ ou de partis qui sortiraient des clivages actuels. Je ne dis pas que c’est impossible, mais cela ne pourra se faire qu’une fois la question de l’indépendance réglée, d’une manière ou d’une autre. Tant qu’elle ne sera pas soldée, le clivage se fera entre indépendantistes et non-indépendantistes ». Après cette intervention, notre Haussaire se défendit et présenta presque des excuses[11] : « Quant à l’élection du président du gouvernement, je n’en ai jamais contesté la légitimité. Comme vous le savez, Monsieur Gomès, on a même reproché à l’État d’accepter que cette élection ait lieu, voire de faire partie d’un “axe“ Calédonie Ensemble-Palika. J’ai moi-même été critiqué pour ce motif. En tout cas, je vous concède volontiers que j’aurais dû employer un autre terme que celui d’alliance, qui vous a sans doute choqué ».

Par ailleurs, Gomès précisa sa pensée sur le fond : par respect du suffrage universel, le gouvernement mis en place en 2015 était légitime, « C’est, ajouta Gomès, ce que les indépendantistes ont écrit dans un communiqué signé […] annonçant que, “dans le cadre d’un acte citoyen […] sans tractation, sans négociation et sans troc […] et […] dans le respect du suffrage universel“, ils apporteraient leurs voix […] afin que soit formé un gouvernement opérationnel. […] Il n’y a donc eu ni alliance ni union avec des indépendantistes, pour une simple et unique raison : dans le cadre de la bipolarisation actuelle de la vie politique calédonienne et à trois ans du référendum, une telle alliance ou union porterait le discrédit à la fois sur la formation indépendantiste et sur la formation non indépendantiste qui la concluraient. Elle serait tout simplement mortifère pour l’une comme pour l’autre ».

* Le double salto arrière de Gomès en 2017

Un autre crise gouvernementale ne s’est résolue que la veille de l’arrivée d’Édouard Philippe en décembre 2017, un an avant le premier référendum d’autodétermination de 2018[12]. Gomès qui s’était donc fâché avec les indépendantistes pour se faire élire député contre l’indépendantiste Mapou, aura réussi une nouvelle pirouette. Et une double pirouette : il avait donc rallié une grande partie de la droite pour son élection à l’Assemblée nationale ; mais il avait réussi à obtenir les votes indépendantistes pour la reconduction du gouvernement. Ce fut très fort !

Dans le même temps où le Palika acceptait l’indépendance-association, Gomès allait au bout du bout de ce qu’un loyaliste pouvait proposer en espérant ne plus se faire traiter pour la énième fois d’indépendantiste (ce que ses adversaires n’ont pourtant, encore une fois, pas manquer de faire…). On n’était plus dans il faut que tout change pour que rien ne change, mais il y avait une tentative de remake adouci avec un nouveau concept marketing : la Petite nation dans la Grande, reprenant une expression de Jacques Lafleur. Ce qui a probablement permis le soutien des indépendantistes à la formation du nouveau gouvernement après la crise de 2017, couplé avec la peur de voir abandonner la politique quasi-sociale libérale en cas de nouveau gouvernement de la droite unie.

* Le bout du bout de l’autonomie la plus large, selon Gomès, mais dans la République

C’était quoi ce bout du bout ? Toujours dans la France (mais ce serait encore plus ou moins le cas avec l’indépendance-association qu’il refuse) avec toutefois plus de compétences régaliennes transférées et calédonisation des emplois régaliens. La justice, la défense et les affaires étrangères resterait régaliennes, mais on pourrait penser à un Caillou intervenant encore plus en tant que tel dans les affaires régionales, à un drapeau commun, à un strapontin à l’ONU. 

On ne serait pas loin d’une indépendance à la rhodésienneles Blancs rompirent avec la Métropole britannique pour garder le pouvoir, mais ici de façon beaucoup plus cool car fondamentalement différente : avec l’accord de la Métropole et de tout ou partie des indépendantistes et en évitant la guerre civile de la Rhodésie du Sud devenue Zimbabwe (en passant par Zimbabwe-Rhodésie, accolant le nom premier du Pays à celui de la colonie, anticipant Kanaky-Nouvelle-Calédonie ?). Ce ne serait qu’un copier-coller particulier de l’histoire du Canada, de l’Australie et de la Nouvelle Zélande, colonies de peuplement européen. Qui peut donner les dates de leur indépendance[13] ? Qui sait que le « Président » de ces pays est la reine d’Angleterre, avec son effigie sur toutes les pièces de monnaie ? Qui sait qu’il y a une sorte de Haut-commissaire-Gouverneur sans pouvoir dans ces pays ? Bref, on pourrait passer graduellement de cette autonomie non pas dans la Couronne mais dans la République à une indépendance qui ne dirait pas son nom. Mais Gomès ne pense probablement pas à ça…

* Le vacillement de CE avant la chute

Lors de sa visite sur le Caillou en décembre 2017, le Premier ministre Édouard Philippe tint un discours refondateur résumé par « N’ayons pas peur de nos peurs[14], ce sont elles qui nous permettent de préparer l’avenir plutôt que de l’affronter » ; sa méthode nouvelle « simple et éprouvée » : « Un dialogue resserré autour d’un groupe de travail resserré d’une dizaine de représentants des forces politiques nommément désignés » qui sera plus tard nommé le G10 « Sur le chemin de l’avenir ».

Ainsi, fut choisie la date du premier référendum (le 4 novembre 2018) et la question posée, binaire mais curieusement (à cause de tractations) redondante[15] : « Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante ? ».

Résumons : Gomès était depuis une dizaine d’années et surtout depuis 2014-2015, le personnage central de la vie politique du Caillou ; bref, il avait joué sur le Caillou un rôle analogue à celui pris en France par Macron, mais sans se dire ni de droite ni de gauche, quoique s’assumant du centre ; avec cependant à la fois plus de ruse et de franchise : il avait tiré un nombre incroyable de bords pour remonter les vents contraires et y avait réussi (c’est un fin politique très malin) ; il était resté loyaliste malgré les accusations de la droite traditionnelle qui le taxait d’indépendantiste et de socialiste (il était franc). Cela n’allait pas durer…

Certes, déjà avant mars 2018, l’Union de la droite vacillait : les oppositions en matière de politique économique et sociale entre CE et le Rassemblement-LR (les ex-RPCR) talonnés par les Républicains calédoniens (le nouveau parti de droite où allait briller Sonia Backès) étaient trop fortes. Surtout, leurs conceptions du dialogue avec les indépendantistes étaient bien éloignées. Frogier, du Rassemblement-LR avait toujours eu du mal à digérer la notion de Peuple calédonien avancée par Édouard Philippe en décembre 2017. Fin février 2018, le G10 était en crise, et pas seulement pour la date du référendum, car Gomès avait publié un accord de ce G10 signé par tous les représentants des partis, que les Républicains calédoniens (Backès) évidemment, et même les LR (Les Républicains) locaux avaient ensuite dénoncé. Gomès était encore accusé de collusion avec les indépendantistes : Selon Backès « la repentance coloniale est beaucoup trop forte à notre goût »[16]. Gomès joua de plus un pari risqué : à long terme, la revendication indépendantiste allait s’estomper puis disparaître, avec la disparition des vieux et l’apparition des nouvelles générations : il ne jouait plus la montre mais la grosse horloge du temps très long, au moins trente ans.

2 – De la chute de Gomès[17] à sa radicalisation vers l’indépendance association ?

* La chute aux élections provinciales de 2019, et peau de chagrin au Congrès

La belle victoire de CE en 2014 sera balayée cinq ans plus tard, et pas qu’un peu ; car, malgré son loyalisme toujours affiché et malgré ses volte-face, la droite l’accusa encore, avec succès, de complicité avec les indépendantistes. 

Illustration 1

* Plus de négociations véritables depuis le troisième référendum de fin 2021 sur l’avenir de la Nouvelle-Calédonie ; et les loyalistes radicaux en font des tonnes, CE étant, à son habitude, plus sage

Depuis le troisième référendum de décembre 2021 où le Non à l’indépendance l’emporta avec une écrasante majorité mais une abstention (boycott de fait) de plus de la moitié des électeurs, le dialogue fut rompu entre les indépendantistes et l’État. Les premiers considéraient et considèrent toujours (à mon avis, et de celui de beaucoup d’autres, avec raison) que si son résultat était juridiquement admis, il n’avait aucune légitimité politique. L’attitude de Macron[18] y fut et y est encore pour beaucoup, malgré les efforts de Darmanin et Borne. Début 2024, le cinéma semble s’être arrêté sur une triste diapositive, notamment quant au Pacte nickel proposé par Le Maire, mais aussi quant à l’avenir institutionnel. Ledit « document martyr » (les propositions de l’État, c’est-à-dire du gouvernement français pour négocier sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie) est jugé « inacceptable » et « irrecevable ».

Tout cela ne me dit rien qui vaille. Depuis que des cailloux, des ornières et des couacs de l’État jonchaient le chemin, dont, après la proposition par Sébastien Lecornu (alors ministre des Outre-mer) d’un nouveau référendum « de projet » pour juin 2022, le refus maladroit de Gérald Darmanin (chapeautant l’Intérieur) et de Jean-François Carenco, (ministre délégué mal à l’aise, chargé des Outre-mer du 4 juillet 2022 au 20 juillet 2023).

* Folles attaques de Backès contre Gomès, réponses souvent mesurées…

Ce n’est plus de l’histoire, c’est de l’actualité. Sonia Backès lanca une attaque très dure, le 4 novembre 2023[19] contre Gomès « … qui, écrit-elle, nous a mené dans le mur, cette vision naïve et dangereuse selon laquelle si on est gentil avec les indépendantistes, ils seront gentils avec nous. Non ! Comment avons-nous réussi à maintenir le 3e référendum ? En étant ferme ». Ou encore : « Les Calédoniens par trois fois ont choisi de rester Français, ce n’est pas pour lire dans le communiqué commun de l’UC et de Calédonie Ensemble qu’il faut “poursuivre la trajectoire d’émancipation du pays”. Les Calédoniens n’ont pas choisi de continuer vers l’indépendance, ils ont choisi de rester Français. Je le redis, cette naïveté est mortifère ». Elle finit par une véritable insulte : « Un conciliateur, disait Churchill, c’est quelqu’un qui nourrit un crocodile en espérant être le dernier à être mangé », et bien [sic] il nourrit les indépendantistes, et en étant bien avec eux, il espère peut-être reprendre le pouvoir ou conclure un accord majoritaire avec eux, comme il l’a fait aux sénatoriales ». Est-ce une vilaine vengeance de Backès après sa cuisante défaite aux sénatoriales - cette défaite est-elle due seulement aux votes de CE ? - ou seulement un remake des vieilles critiques contre CE qui « parlait » jadis avec Paul Néaoutyine, les deux rêvant d’une possible Indépendance-Association ?

Gomès n’a pas, sauf erreur, réagit directement à ces invectives et à cette insulte ; mais, invité, le 10 décembre 2023, du JT de ©NC la 1ère[20], il commence à contrattaquer ; convoqué (avec deux de ses camarades) au tribunal pour une audience relais dans le cadre de soupçons d’emplois fictifs, il se dit d’une « une sérénité absolue. […] L’affaire a été relancée pour des raisons politiciennes » (un signalement de Sonia Backès) ; et il passe rapidement au débat politique. Sans rappeler les critiques acerbes de la même Sonia Backès, il rappelle que son parti CE est depuis fin octobre en discussion avec l’UNI et l’UC sur les questions du dégel du corps électoral et sur l’avenir institutionnel, notant que, sur ces questions « Deux groupes ont décliné l’invitation, les Loyalistes et le Rassemblement.

Suit une petite musique à propos du chaud débat sur les exportations de minerai inexploité dans les réserves métallurgiques[21] où est discrètement critiquée, sans la nommer, la même Sonia Backès qui tire à boulets rouges contre les indépendantistes et singulièrement Néaoutyine alors que Gomès déclare, selon le journaliste, « [… qu’à] ses yeux, les divergences avec la province Nord relèvent de “postures politiciennes”. Des autorisations attendues par la SLN auraient récemment été délivrées par la province Nord, assure-t-il. Persuadé que, “dans les intérêts des uns et des autres, on arrivera à trouver un équilibre” ». Autre pierre dans le jardin de Backès qui ne réclame pas la mise de la main à la poche des trois grands groupes miniers, encore sans la nommer, il affirme au contraire : « Eramet doit investir »[22].

CE en a rajouté un peu plus tard[23] : il a publié sur sa page Facebook du 21 janvier : Dans un communiqué publié hier signé par l’État, la province Sud et Prony Resources, constitue l’acte de décès de l’Usine du Sud version « accord historique » de 2021. Gomès n’y va pas là par quatre chemins, entre autres : « Apothéose le 05 mars 2021, où les économistes Loyalistes en culotte courte - Backès, Metzdorf, Brial, Brieuc Frogier, Ruffenach, Blaise etc... - nous annonçaient “un accord historique” permettant d’entrevoir “une stabilité durable” mettant en place un nouveau “modèle minier ”… Le “durable” a duré moins de trois ans... ». Gomès, très en verve, continue : « Nous avions dénoncé cet accord signé entre la province Sud, le management et Trafigura. Nous rappelions qu’un “partenariat industriel est essentiel pour garantir la pérennité de l’Usine du Sud” […] afin de “maîtriser un process extrêmement complexe et d’être plus compétitif face à la concurrence” (Communiqué CE du 05 mars 2021). Nous affirmions également dès 2021 “que l’accord est muet sur la question de la couverture des risques financiers. Ni Trafigura, ni Tesla ne s’engagent à prendre en charge - pour le compte des intérêts Calédoniens - les pertes d’exploitation éventuelles dans les années à venir” (Communiqué CE du 05 mars 2021). Faute de partenaire financier, le “modèle” de l’Usine du Sud était mort-né. Nous avions proposé en 2020 une nationalisation temporaire de l’Usine du Sud, le temps de construire une solution robuste… Peut-être est-il enfin temps - après cet invraisemblable fiasco – d’y réfléchir... ».

Et le débat, d’abord limité avec Backès, s’est généralisé entre Calédonie ensemble et tous les loyalistes radicaux.

Voir le second post, à la même date, beaucoup plus politique : Gomès critiqua sèchement un loyaliste radical ; son parti venait en effet de voter, au Congrès de Nouvelle-Calédonie, un texte progressiste avec les indépendantistes : « … nos collègues sur la partie gauche [du Congrès] qui considèrent que voter avec les indépendantistes, c’est déjà être à moitié indépendantiste, [… ] on a eu à ce titre là une observation que j’ai trouvé très déplaisante  [de Philippe Blaise] :On ne peut s’ empêcher de penser que [la] connivence de CE avec les indépendantistes a tout d’une danse nuptiale politique […] pour nourrir sa démarche solitaire de négociation avec le FLNKS” ». Gomès rappelle qu’une autre « danse nuptiale politique » est prévue, mais en catimini, de ces loyalistes avec les indépendantistes en début de semaine prochaine… Elle aura lieu à l’hôtel Sheraton de Bourail. 

Et le débat Backès-Gomès et affidés va continuer par interviews et déclarations limitées ou non sur la stratégie nickel.  Ce qui montre que la stratégie nickel dépasse largement le seul domaine économique[24].

Calédonie ensemble va-t-il finir par choisir entre ses deux danses nuptiales qu’il alterne entre les deux « camps » ? Cétait ce que nous écrivions dans la première version de ce billet ; le lendemin, petite bombe : CE et Gomès avaient encore avancé !

On apprenait en effet, au JT du soir du 26 janvier de la télé Caledonia[25], confirmé par sa page Facebook de CE[26], à la même date, un premier accord entre ce parti et les indépendantsites, surtout avec lUNI-Palika, car, écrit CE, « Au terme de ces échanges le groupe UNI a donné son accord pour signer le document, mais le groupe UC-FLNKS et Nationalistes s’y est opposé au motif de divergences substantielles sur l’exercice du droit à l’autodétermination ».

CE annonce donc que ça avance : « Propositions de convergences entre Calédoniens pour un Grand Accord. Le 23 octobre 2023, Calédonie Ensemble a proposé  “de nourrir le dialogue entre Calédoniens, en ouvrant une séquence de discussions entre les groupes politiques du Congrès afin de construire les convergences nécessaires pour nous permettre de sortir par le haut de l’accord de Nouméa”. Les groupes UNI et UC-FLNKS et Nationalistes y ont répondu favorablement. Par contre, les groupes « “Rassemblement” et “Les loyalistes” ont décliné l’invitation. Depuis lors, 25 réunions de travail se sont tenues représentant plus d’une centaine d’heures d’échanges, la dernière rencontre datant du 12 janvier ».

Et sera publié un petit feuillet... que lon peut feuilleter grâce au lien suivant :

https://heyzine.com/flip-book/a53bc83dba.html?fbclid=IwAR0knXYIlKuJZNdjMTPksGxwh3qCZ6MYRWhqWKeGfMijOFUw3NFUi7I-SCw

Illustration 2

Attention : peut-être LaTentation du Guépard, le retour, mais, cependant, nallons  pas trop vite !

Et Gomès-CE continuent, par exemple sur Calédonie la première au JT du dimanche 28 janvier ; et le débat nest sans doute pas fini[27]...

Si le pire n’est pas certain, car les indépendantistes se sont durcis, continuant cependant à se chamailler, ils considèrent de plus en plus s’être fait balader pendant 30 ans ; et ça risque de continuer.

C’est devenu un roman noir, son dénouement n’est pas très éloigné de celui du roman d’Agatha Christie (dont nous nous permettons de dévoiler la fin du suspense) : Le Crime de l’Orient-Express. Il n’y a pas un coupable, tous les acteurs du Caillou sont coupables ; les principaux héros de la saga étant toutefois plus coupables que les autres. Et contrairement à Hercule Poirot, je ne les absous pas.

Quant au passage du Rubicon de Gomès, je n’y crois pas trop ; mais qui sait…

Notes de bas de page

[1] Écrit-Tic, L’Harmattan, Paris, 2018.

[2] Rien à voir avec un félin, quoique : le blason d’un aïeul du très aristocrate di Lampedusa, était un lion léopardé. Cette expression renvoie au Guépard (Il Gattopardo), roman donc de l’écrivain italien Giuseppe Tomasi di Lampedusa (mis en images par Luchino Visconti) où l’aristocratie italienne accepte, lors du Risorgimento, de perdre apparemment son pouvoir pour mieux le conserver : « Si nous ne nous mêlons pas de cette affaire, ils vont nous fabriquer une république. Si nous voulons que tout reste pareil, il faut que nous changions tout ».

[3] Le lecteur peut lire une véritable biographie politique de Gomès par Wikipédia ; elle présente cependant trois inconvénients : elle est très lourde ; n’évoque pas notre sujet, et surtout elle s’arrête en 2014-2015 quand le parti CE prend le pouvoir. Philippe Gomès a une histoire personnelle particulière (mais pas unique : un certain nombre de Pieds-noirs rapatriés sont venus en Nouvelle- Calédonie) : il est né en Algérie en 1958, part à Cherbourg après l’indépendance et n’arrive en Calédonie qu’en 1974 à l’âge de 15 ans. Voir :

Philippe Gomès — Wikipédia (wikipedia.org)

Le présent billet se concentre essentiellement sur son objet : celui de son titre et de son sous-titre.

[4] Revoir ou voir notre billet du 26 septembre 2023 sur Le Club de Médiapart, Macron en Calédonie : le retour en juillet 2023 et la persévérance dans l’erreur :

Macron en Calédonie : le retour en juillet 2023 et la persévérance dans l’erreur | Le Club (mediapart.fr)

[5] Voir aussi le billet sur Le Club de Mediapart du 7 novembre 2023 : Provocation ou toujours le mot pour rire, ces loyalistes calédoniens radicaux ! Il s’agit de la mise en relief des propos de Sonia Backès (mais pas que…). Voir :

Provocation ou toujours le mot pour rire, ces loyalistes calédoniens radicaux ! | Le Club (mediapart.fr)

On peut aussi lire une critique de l’inénarrable Nicolas Metzdorf :  du 29 octobre 2023, Le jeune député calédonien Metzdorf se jette dans le grand bain… 

Le jeune député calédonien Metzdorf se jette dans le grand bain… | Le Club (mediapart.fr)

[6]

Illustration 3

[7] Pacte qui a surtout défini la politique de relations entre les partenaires sociaux (règles de représentation des salariés et du dialogue social).

[8] On laisse ici de côté les coalitions de 2011 à 2014, mariage de la carpe et du lapin : les nombreux gouvernements d’Harold Martin, l’ancien compère de Gomès.

[9] Voir l’excellent de documentaire d’Arte (en 2000)… à la 27e minute :

https://www.bing.com/videos/riverview/relatedvideo?q=Edgard+Pisani+et+l%27arbre+de+Tjibaou&mid=69D93405484410C7830969D93405484410C78309&FORM=VIRE

[10] Beaucoup, surtout dans la gauche française, militaient pour la solution de cette pleine souveraineté avec partenariat avec la France, surtout Alain Christnacht qui fut toujours très impliqué dans le dossier calédonien ; on peut en savoir plus sur la Toile :

Alain Christnacht — Wikipédia (wikipedia.org)

[11] Cette question de l’éventuelle émergence de majorités de projet était liée à celle de la formation du gouvernement de 2015 mais ne pouvait pas ne pas sous-entendre des projets plus ambitieux.

[12] Edouard Philippe en Nouvelle-Calédonie un an avant un référendum sur l'indépendance - Le Parisien.

[13] L’Australie est officiellement indépendante depuis 1901 quand les colonies se sont fédérées en Commonwealth of Australia ; mais il n’y eut jamais de déclaration d’indépendance ; en politique étrangère, elle resta toujours assujettie au Royaume-Uni jusqu’aux années 1930. La Nouvelle-Zélande fut indépendante en 1907 en devenant un dominion ; elle n’accèdera à la pleine souveraineté qu’en 1947.

[14] La peur et n’ayons pas peur n’est pas qu’une formule à la Jean-Paul II : Sarkozy l’employa lors de son voyage sur le Caillou, en réponse au Sénat coutumier : « Monsieur le président, n’ayez pas peur des Kanak », lança le président du Sénat coutumier au chef de l’Etat ; « Monsieur le président, n’ayez pas peur de la République française » lui répondit Sarkozy.

[15] Gomès, avec toujours le même humour, nous indiquait simplement qu’indépendance était un « sous-titre » explicitant, pour ceux qui n’auraient pas compris, la pleine souveraineté.

[16] Elle ajouta : « Cette petite charte n’est commune qu’aux indépendantistes et aux nationalistes [c’est ainsi que CE et Gomès étaient alors définis par la droite loyaliste dure, PC] et par conséquent qu’elle ne peut avoir l’ambition de représenter l’ensemble des valeurs calédoniennes ».

[17] Ah ! J’oubliais : Gomès entretient dès 2010 des relations de plus en plus difficiles avec la alors jeune Sonia Backès.

[18] Revoir mon billet contre Macron, op. cit.

[19] On reprend ici ce que nous indiquions déjà dans le billet sur Le Club de Mediapart du 7 novembre 2023 :

Provocation ou toujours le mot pour rire, ces loyalistes calédoniens radicaux ! Voir plus haut.

[20] https://la1ere.francetvinfo.fr/nouvellecaledonie/philippe-gomes-elu-caledonie-ensemble-dans-notre-pays-les-passages-en-force-ca-ne-nous-reussit-pas-trop-1449854.html

[21] On n’insiste pas ici, car un billet va bientôt sortir sur Le Club de Médiapart ; on donne cependant ici quelques conclusions de ce billet.

[22] « Il exhorte par ailleurs, écrit le journaliste, l’État à “donner des instructions aux actionnaires”. Au moins à Eramet, dont il est actionnaire. “Pourquoi Eramet n’investit pas dans la SLN ? Le groupe a fait 180 milliards de francs de bénéfices l’an dernier. Il va investir 240 milliards à l’échelle de la planète. Et en Nouvelle-Calédonie, rien ? Il y a quand même un petit problème...” ».

[23] Voir le premier post sur le site Facebook du parti : 

https://www.facebook.com/CaledonieEnsembleNC/).

[24] C’est justement l’objet du billet à venir.

[25] Voir et entendre ce JT : 

Le JT - Information et replay du journal télévisé | CALEDONIA

[26] Voir la page de CE (qui, bien sûr, évolue) dans les posts de la droite du document  :

https://www.facebook.com/CaledonieEnsembleNC/

[27] Voir et entendre :

Le 19h30 : Édition du dimanche 28 janvier 2024 - Nouvelle-Calédonie La 1ère : le replay en streaming (francetvinfo.fr)

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