Mauvaise passe pour l’état d’urgence.
1 - Le 13 juin 2017, l’Elysée reconnaissait officiellement son inutilité dans la prévention du terrorisme, comme cela est souligné ici.
2 - La semaine suivante devait doublement illustrer cette réalité selon laquelle l’état d’urgence ne constitue aucunement un bouclier contre le terrorisme.
Lundi 19 juin 2017, en plein Paris, une fourgonnette de police a été attaquée par une personne qui, selon les informations données par la presse, faisait l’objet d’une fiche S et possédait un permis de port d’armes de catégorie B, délivré en 2012 et renouvelé par la préfecture en février 2017. D’où des questions en cascades, posées par le Premier ministre lui-même : faut-il interdire le port d’armes aux « fichés S », alors que ceux-ci ne savent le plus souvent même pas qu’ils font l’objet d’une surveillance ? Faut-il autoriser les agents des préfectures à consulter le fichier des « fichés S » ? Quel crédit accorder à ces « fiches S », qui sont pour beaucoup d’entre elles constituées de « on-dit » et de ragots ?
On aurait aimé lui poser ces deux questions supplémentaires, auxquelles il est facile de répondre : quelle a été la part prise par l’état d’urgence actuellement en vigueur dans la prévention de cette tentative d’attentat ? En quoi le projet de loi sur la sécurité publique présenté le 22 juin en Conseil des ministres permettra t-il, lorsqu’il sera vigueur, de prévenir une tentative d’attentat comparable ?
3 - Ce même 19 juin 2017, le Conseil d’Etat a suspendu deux prolongations d’assignations à résidence prises le 20 mars 2017 pour trois mois par le ministre de l’Intérieur d’alors.
Les deux personnes en cause dans chacune des affaires étaient assignées depuis le 23 décembre 2015. Par ordonnances du 17 mars 2017 évoquées ici, le Conseil d’Etat avait jugé légale la prolongation de leurs assignations à résidence pour 90 jours, jusqu’au 19 mars 2017. Trois jours après ces ordonnances, ces deux personnes étaient donc assignées à nouveau, pour trois mois cette fois comme le permet l’article 6 de la loi du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence telle que modifiée par la loi du 19 décembre 2016. Par ordonnances du juge des référés du tribunal administratif de Lille en date du 16 juin 2017, les arrêtés ministériels du 20 mars 2017 ont été suspendus (ils ne sont plus applicables), et le Conseil d’Etat a confirmé ces suspensions.
Sur le terrain juridique, l’apport de ces ordonnances du 19 juin 2017 est de répondre à une interrogation posée le billet précédemment mentionné consacré aux ordonnances du 17 mars 2017, relative à la notion d’élément nouveau ou complémentaire de nature à établir la persistance de la menace grave pour l’ordre public que représente l’individu, élément exigé pour les prolongations successives par tranches de trois mois des assignations d’une durée cumulée de plus de 12 mois. Le Conseil d’Etat a considéré que cet élément nouveau ou complémentaire doit survenir à partir de la dernière prolongation (en l’occurrence, le 20 mars 2017). Or ici, aucun élément nouveau ou complémentaire révélé entre le 20 mars et le 17 juin 2017 n’a pu être produit par le ministre de l’Intérieur à l’encontre des personnes concernées.
Sur le terrain pratique, l’on relèvera qu’en tout état de cause, les assignations des deux personnes concernées prenaient fin de plein droit le 20 juin 2017, soit le lendemain des décisions du Conseil d’Etat. Ces deux personnes, présentées comme « extrêmement dangereuses » par la représentante du ministre de l’Intérieur devant le Conseil d’Etat, sont complètement libres de leurs mouvements depuis le 16 juin 2017. La protection des français en est-elle diminuée ?
4 - Malgré cette inefficacité et ces échecs patents de l’état d’urgence, le gouvernement persiste à vouloir l’introduire dans le droit commun de la police administrative à travers une énième « loi antiterroriste », pour reprendre les termes du ministre de l’Intérieur – à quoi donc ont pu servir toutes celles qui viennent d’être adoptées sous le quinquennat précédent ?
Le Canard Enchaîné du 21 juin 2017 (p. 4) et Le Monde informent leurs lecteurs que le Conseil d’Etat, chargé d’examiner la légalité du projet de loi, est à l’origine de la réécriture de deux de ses dispositions : a/ les perquisitions administratives ordonnées par les préfets devront avoir été préalablement autorisées par un magistrat judiciaire indépendant – le juge des libertés et de la détention ; b/ les assignations à résidence seront limitées dans le temps et non reconductibles sans fin par tranches de trois mois comme cela était initialement prévu.
Le texte qui sera présenté au Conseil des ministres du 22 juin pourrait donc être « moins pire » que l’avant-projet initial. Il n’en pose pas moins les questions de la pertinence du recours à des mesures uniquement sécuritaires pour lutter contre le terrorisme comme du danger de leur mise en œuvre au-delà de l’objectif initial de lutte contre le terrorisme. Ainsi que le souligne l’ex commissaire-principal Georges Moréas : « il ne faut pas s’y tromper, ces perquisitions administratives nous concernent tous. Il suffit que votre voisin vous dénonce et le lendemain une douzaine de policiers carapacés défoncent votre porte, farfouillent dans votre ordinateur et exigent que vous leur donniez vos codes d’accès, ces trucs que l’on oublie toujours et que l’on a finalement inscrits sur un post-it ».
« On ne peut pas vivre de façon permanente en état d’urgence ». C’est le Premier ministre qui le dit. C’est pourtant ce même Premier ministre qui propose le contraire de ce qu’il proclame.