La réforme des retraites voulue par le Président Macron est socialement injuste et juridiquement aberrante[1], et s’il y a un exemple qui révèle le mépris du gouvernement, des députés et des sénateurs de droite ou assimilés à l’égard des citoyens, c’est celui du passage de 62 à 64 ans de l’âge d’ouverture des droits à la retraite, une mesure qui serait la seule source de financement envisageable permettant de pérenniser le système de retraites par répartition : ce qui est faux.
Les députés de gauche ont eu raison, au nom de la solidarité nationale partagée par tous, y compris les très riches, de soulever la question des superprofits et de proposer à l’Assemblée Nationale un amendement portant sur leur taxation : dommage que la presse n’en n’ait pas parlé au moment où il le fallait.
Mais leur intervention sur ce point s’est traduite par un verdict sans appel : il fallait que ces députés insolents cessent de faire « obstruction » puisque la seule solution pour éviter « l’effondrement » du système des retraites est forcément d’agir, toutes affaires cessantes, sur une variable et une seule, à savoir celle tirée des revenus du travail. Après, martèle le gouvernement, tout coule de source : il suffit de faire passer l’âge de départ à la retraite de 62 à 64 ans (en attendant mieux …). Pour le gouvernement, c’est un postulat incontournable ! Pourtant, ce n’est pas ce que prévoit la loi, une loi déjà ancienne.
Cette loi, codifiée à l’article L. 111-2-1 de la sécurité sociale du code de la sécurité sociale, dispose en effet que « La pérennité financière du système de retraite par répartition est assurée par des contributions réparties équitablement (…) entre les revenus tirés du travail et du capital » : ce n’est pas « ou du capital », ni davantage « et, le cas échéant, du capital », mais c’est « et du capital ».
En d’autres termes, la gauche n’a fait que proposer un amendement qui se bornait à traduire concrètement dans une loi de financement de la sécurité sociale ce qui est prévu par le droit de la sécurité sociale, comme j’ai tenté de l’expliquer dans mes articles précédents[2].
Mais pour le Président de la République, pour le gouvernement et pour toute la palette des élus de toutes les droites, cette loi est sans aucun intérêt, voire dangereuse, puisqu’elle ne défend pas les intérêts financiers qu’ils représentent : il ne faut surtout pas toucher aux dividendes, aux superprofits, au risque de susciter la colère des amis McKinsey et autres, tel BlackRock, le spécialiste des fonds de pensions privés !
Alors, comment expliquer ce comportement de la plupart des parlementaires de droite et du centre qui acceptent de piétiner à ce point notre Constitution pour défendre ces intérêts-là, et pas ceux des citoyens de notre pays, notamment des plus démunis ? C’est simple : ils ne pensent plus, ils obéissent !
Pourtant, la main sur le cœur, ils se réclament tous du général de Gaulle, celui qui leur a pourtant laissé un message diamétralement opposé qu’ils ont manifestement refoulé ou jeté à la poubelle de l’histoire, et qu’ils se gardent bien de citer.
Ce message est celui adressé par de Gaulle le 4 mai 1943 au Conseil national de la Résistance : « Il s'agit enfin de savoir si nous saurons sortir du chaos par une rénovation susceptible de rendre à la patrie sa grandeur avec les moyens de jouer le rôle éminent qui revient à son génie, et en même temps d'assurer à tous ses enfants la sécurité, la liberté, la dignité, dans leur travail et dans leur vie./ Il appartient au Conseil de la Résistance, plongé au centre du creuset, où, dans sa douleur et dans son combat, se forge la France nouvelle, de recueillir toutes les données et de susciter tous les travaux qui pourront éclairer la nation et guider ses dirigeants dans le choix de la route qui la mènera vers son avenir. Telle est la tâche très étendue et très périlleuse qui incombe au Conseil de la Résistance. L'importance en est extrême. Le Conseil s'en acquittera malgré toutes les difficultés, avec le seul but de servir la France et en s'inspirant constamment de cette fraternité nationale qui seule permet à la nation de résister à ses malheurs et la mettra demain à même de se reconstruire et de se renouveler ».
Quelques mois plus tard, de Gaulle prolonge ce message dans son discours d’Alger du 3 novembre 1943, un discours que MM Ciotti, Retailleau ou encore Larcher devraient lire.
Il y dit notamment que la France « veut faire en sorte que, demain, la souveraineté nationale puisse s’exercer entièrement, sans les déformations de l’intrigue et sans les pressions corruptrices d’aucune coalition d’intérêts particuliers », ou encore qu’elle « veut que cesse un régime économique dans lequel les grandes sources de la richesse nationale échappaient à la nation, où les activités principales de la production et de la répartition se dérobaient à son contrôle, où la conduite des entreprises excluait la participation des organisations de travailleurs dont, cependant, elle dépendait. Elle veut que les biens de la France profitent à tous les Français (…) ». Évidemment, tout ça ne rime pas très bien avec le CAC 40, McKinsey ou encore BlackRock !
Et quelques mois plus tard, de Gaulle nomme ministre du travail du gouvernement provisoire un ouvrier syndicaliste d’une intelligence hors norme, Ambroise Croizat, et lui confie la mission de bâtir la sécurité sociale et notre système des retraites, ce qu’il fera brillamment, avant de quitter le monde politique … et retourner à l’usine.
Alors, cette droite qui ne comprend plus rien à l’intérêt du pays doit au moins savoir que les citoyens en ont assez d’être trompés, désinformés, noyés dans des flots de paroles inconsistantes traduisant un manque d'imagination, de volonté, voire de courage pour s’efforcer de combler ces grands fossés qui écartèlent de plus en plus nos sociétés.
Fossé creusé par des élites de toutes sortes qui ignorent le peuple laborieux ou démuni dont la misère, pas seulement matérielle, laisse le pouvoir indifférent. Fossé aussi entre l'économie purement financière, numérisée à l’excès, qui manipule, « ni vue ni connue », le fonctionnement des sociétés et l'économie réelle, ici et là agonisante, alors que les pauvres de plus en plus pauvres n'en peuvent plus, que les très riches se fichent de ça pour peu qu'ils puissent s'enrichir encore plus, et que les classes intermédiaires, dites moyennes, paient dans tous les sens, se précarisent lentement, puis désespèrent, avant de disparaître vers le bas.
Et c'est ainsi que des embruns malodorants imprègnent et teintent d’une couleur brune de sinistre mémoire les plaintes laissées sur les bas-côtés, puis pénètrent dans notre démocratie épuisée. Tout cela pourrait mal finir, comme souvent dans une tragi-comédie qui, si l’on n’y prend garde, pourrait se transformer en tragédie.
NOTES:
[1]https://blogs.mediapart.fr/paul-report/blog/250223/reforme-des-retraites-une-strategie-du-mensonge-et-de-la-desinformation
[2] Sur ce point, voir par exemple https://blogs.mediapart.fr/paul-report/blog/210223/reforme-des-retraites-l-obstruction-pour-asphyxier-le-debat-vient-du-gouvernement