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Billet de blog 5 avril 2023

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Sainte-Soline : images de guerre et guerre des images

De l'aveu général, nous avons assisté à Sainte-Soline à des images de guerre. Mais aux images de guerre, puisque guerre il y a, vient aussi s’ajouter une guerre des images, tant il est vrai qu’il n’y a pas de guerre sans propagande. Propagande que nous allons essayer de décrypter ici.

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S’il y a bien un point sur lequel tout le monde est d’accord en ce qui concerne les événements de Sainte-Soline du samedi 25 mars, c’est que nous avons assisté à de véritables scènes de guerre entre forces de l’ordre et manifestants. Mais aux images de guerre, puisque guerre il y a, vient aussi s’ajouter une guerre des images, tant il est vrai qu’il n’y a pas de guerre sans propagande. Propagande que nous allons essayer de décrypter ici. Précisons tout d’abord que nous ne nous cacherons pas derrière une fausse neutralité qui consisterait à renvoyer dos à dos les violences des manifestants et des forces de l’ordre, mais plutôt d’interroger les présupposés des deux récits et ce qu’ils impliquent en termes de visions du monde. Ces présupposés parlent d’eux-mêmes comme nous pourrons le voir.

« de nouvelles images extrêmement violentes »

Le premier récit est celui du pouvoir en place. Il s’exprime de manière explicite dans une interview du ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, sur CNEWS, daté du 24 mars 2023, soit la veille des événements. Dans cette interview, le ministre nous prévient, interrogé au sujet de la manifestation prévue contre le projet de mégabassine de Sainte-Soline, « Les Français vont voir de nouvelles images extrêmement violentes », puis « nous verrons des images extrêmement dures ». C’est ce qu’en narratologie, on appelle une prolepse narrative, soit le récit anticipé d’un événement à venir. Faire une prolepse dans le cadre d’un récit présuppose qu’on maîtrise à l’avance toutes les étapes du schéma narratif, on comprendra donc que la seule personne habilitée à faire une prolepse soit l’auteur lui-même et personne d’autre. Appliquée au cas qui nous occupe, l’existence de cette prolepse et le fait même qu’elle se soit révélée exacte est particulièrement problématique. Ce que nous dit Gérald Darmanin c’est qu’il avait prévu la violence des affrontements à Sainte-Soline. Rappelons juste que le rôle d’un ministre de l’intérieur est de maintenir l’ordre et le calme et précisément d’éviter le recours à la violence. Or dans le cas précis, non seulement il ne l’évite pas, mais il avoue par avance que tout en l’ayant anticipé, il ne fera rien pour l’éviter.

Il est en effet intéressant d’observer la formulation utilisée qui ne saurait être un écart de langage dans la mesure où le ministre la réitère. Notons tout d’abord qu’il utilise le futur (périphrase verbale du futur proche ou futur simple), sans aucun modalisateur (il affirme « nous verrons », pas « peut-être verrons-nous », « il se peut qu’on voie », « j’ai peur que l’on voie ») comme s’il s’agissait d’un film déjà tourné.

Ensuite, il s’agit de constater que ce dont parle le ministre, ce ne sont pas les faits eux-mêmes, mais les images qui en résultent. Il ne s’agit jamais avec Darmanin, et tout le reste de l’interview le confirme, de constater des faits, ce qui devrait être le rôle de la police, mais de voir ou de regarder des images. On a presque l’impression qu’il flatte une forme de voyeurisme malsain en déroulant un message implicite qui pourrait se formuler ainsi : « Regardez la télévision dimanche, vous allez assister à un spectacle incroyable ! » D’ailleurs, quand il est interrogé sur les forces mobilisées, il prend la peine de préciser avec une gourmandise visible que c’est deux fois plus qu’en octobre. Pour un peu on croirait entendre un producteur vanter son prochain film et la débauche de moyens matériels, humains et visuels qui l’accompagne.

Répondant à une interview sur une chaîne d’information en continu, il ne s’adresse pas à des citoyens, mais à des téléspectateurs. Il en fait lui-même l’aveu lorsqu’il affirme que « les Français regardent la télévision ». Les Français ? De quels Français parle-t-on ? Toutes les études tendent à montrer que l’âge moyen des télespectateurs ne cesse d’augmenter. Darmanin semble volontairement confondre l’électorat majoritaire d’Emmanuel Macron avec « les Français ». Mais comme il s’exprime à la télévision, il a évidemment peu de chance d’être contredit.

Dès lors quel est le but de ce narratif établi par le ministre de l’intérieur ? Il s’agit dans un premier temps de préparer le terrain de l’opinion en prédisant des violences de la part des manifestants. Ces violences permettent de justifier en retour les violences policières. Le ministre peut compter sur le soutien actif des chaînes d’information en continu pour relayer son storytelling. Nous avons eu droit à la télévision à des images effectivement très impressionnantes de fourgons en flammes, de jets de pierre en point de vue interne à l’intérieur d’un véhicule, d’activistes en tenues de combat avec boucliers et masques à gaz franchissant des fossés telle une horde de Huns ou d’Apaches. Sans oublier les sempiternelles haches et boules de pétanque retrouvées sur certains manifestants.

Gérald Darmanin nous l’a dit lors de l’interview, les manifestants étaient venus peut-être pour tuer les gendarmes. Par conséquent le manifestant de Sainte-Soline est un ennemi pour lequel il n’y a aucune considération à avoir, contre lequel on peut bien évidemment utiliser des armes de guerre. Aussi ne s’étonnera-t-on pas que la seule réponse du ministère de l’intérieur à la nouvelle que deux manifestants étaient entre la vie et la mort ait été que l’un d’entre eux était fichés S. Manière de dire comme dans une chanson de Renaud des années 70 que « c’est bien fait pour sa gueule, ce n’est qu’un petit salaud ». Interrogé à l’assemblée sur ce qui s’était passé, Darmanin n’a pas eu un seul mot de compassion pour les victimes, se contentant d’évoquer les gendarmes blessés comme seule justification. Gérald Darmanin ne se comporte pas beaucoup plus dignement qu’un troll anonyme sur les réseaux sociaux. Sauf qu’il est ministre de l’intérieur. Même Pasqua avait plus de dignité.

À bien y réfléchir, Darmanin n’a en réalité pas beaucoup plus de considération pour les membres des forces de l’ordre que pour les manifestants. S’il respecte l’uniforme, il ne respecte pas les hommes qui le portent. Qu’on s’y attarde deux secondes : il sait qu’il va y avoir des violences à Saint-Soline, il affirme que les manifestants sont venus avec la volonté peut-être de tuer des gendarmes. Soit il ment délibérément en sachant que les gendarmes ne courent en réalité aucun risque, soit il dit la vérité ce qui est encore pire. En tant que ministre de l’intérieur il lui incombe d’éviter qu’il y ait des morts. Par conséquent, s’il estime que le risque existe, il revoit son dispositif de sécurité et il fait tout pour éviter l’affrontement. Soit exactement l’inverse de la politique mise en œuvre. Donc Darmanin a délibérément mis en jeu la vie des forces de l’ordre et celle des manifestants. Et pour quoi ? Pour défendre un trou dans un champ. On se croirait revenu aux grandes heures de la grande guerre où des officiers envoyaient gaiement des contingents se battre pour défendre un talus pendant qu’eux restaient planqués à l’arrière.

« Exterminez toutes ces brutes »

Pour quelle raison prendre autant de risques ? On ne peut évidemment que faire des suppositions. La plus évidente est qu’il s’agit de faire diversion. Cet épisode de Sainte-Soline s’inscrit dans une temporalité plus longue et est à relier directement à la bataille autour de la réforme des retraites. Ce n’est pas moi qui fais le lien mais Gérald Darmanin lui-même. Il s’agit en effet de désigner un ennemi. Pas seulement l’ennemi du gouvernement, mais l’ennemi de la République et de nos institutions. Et dans cette catégorie, Gérald Darmanin y fourre à peu près tout ce qui peut représenter un danger supposé ou réel. Il entretient à dessein une confusion entre l’ultragauche et l’extrême-gauche dans laquelle il range évidemment LFI et une partie des Verts. Lorsqu’il parle de violence, il mélange volontairement violences contre les biens, violences contre les personnes et même violences symboliques telles que de simples paroles.

Reprenant une petite musique qui s’est installée dans le camp présidentiel et qui par sa récurrence semble bien être devenu un élément de langage, il souligne que LFI ne condamne pas les violences (contre les policiers bien sûr puisque comme chacun sait il n’y a pas de violences policières). Cette injonction à condamner est une antienne bien connue des chiens de garde médiatiques. J’en avais montré il y a quelques temps ici même le caractère absurde et illégitime. Mais Gérald Darmanin va plus loin encore puisqu’il appelle l’ensemble des Français à condamner ces violences. Avec le sous-entendu que si vous ne condamnez pas, vous êtes condamnable. Comme si mon indignation à moi devant ma télévision avait une quelconque influence sur l’action des black blocs. La stratégie est assez grossière, je me permets néanmoins de l’expliciter : il s’agit de déplacer la ligne de fracture entre partisans et opposants de la réforme des retraites, terrain sur lequel le gouvernement sait qu’il a définitivement perdu la bataille de l’opinion, à celle entre partisans et opposants à la violence. Il s’agit d’enfoncer un coin dans cette belle unité que montre le pays et Darmanin s’y emploie de toutes ses forces en saluant l’attitude responsable de Laurent Berger qui « condamne ».

Mais revenons à nos bassines. En tentant de disqualifier les opposants aux mégabassines, Darmanin utilise en réalité une technique très ancienne du capitalisme, presque aussi vieille que la capitalisme lui-même et qui est parfaitement explicitée dans le documentaire en quatre parties de Raoul Peck adapté d’un livre de Sven Lindqvist, Exterminez toutes ces brutes. Pour justifier sa prédation, prédation des terres et prédation des corps, le capitalisme désigne ceux qu’ils spolient comme des sauvages qu’on peut contraindre à l’esclavage, qu’on peut massacrer en toute bonne conscience puisqu’ils ne sont pas comme nous. Le documentaire trace ainsi une continuité idéologique entre le racisme moderne du monde occidental, servant à justifier l’appropriation des terres d’Amérique, la traite négrière et la colonisation de la majeure partie de l’Afrique et de l’Asie, et sa forme extrême mise en œuvre par le régime nazi durant la Seconde guerre mondiale. Le racisme ne serait pas tant une détestation de l’autre qu’un prétexte commode pour s’accaparer sa terre ou sa force de travail. La preuve en est d’ailleurs que les mêmes qu’on a envoyés exterminer les Amérindiens aux Etats-unis s’étaient d’abord exercé sur les Irlandais.

On le sait, le capitalisme commence en Grande Bretagne et en Irlande avec l’appropriation de la terre à travers le mouvement des enclosures. Avec Sainte-Soline, avec la réforme des retraites, le capitalisme est revenu à ses fondamentaux, anticipant, dans une pure logique de prédation, les crises, financière, écologique, politique à venir. Il s’agit de s’accaparer les ressources essentielles comme l’eau et la terre, il s’agit de s’accaparer la force de travail de la masse pour la mettre au seul service du capital. Et pour cela, il s’agit évidemment de diaboliser tous ceux qui pourraient se placer en travers du chemin en mettant en avant la violence qu’on a soi-même provoquée. Darmanin utilise à dessein le terme d’écoterroriste. Parce qu’un terroriste on peut le tuer sans que ça n’émeuve personne. Peu importe que, dans les faits, si terrorisme il y a, il soit plutôt du côté du gouvernement qui cherche à se sortir de la crise dans laquelle il s’est fourré en terrorisant les manifestants.

Hollywood au renfort des manifestants

À ce récit du ministre de l’intérieur, quel récit peut-on opposer ? Il y aurait la tentation de faire comme l’adversaire en diabolisant celui auquel on s’oppose. Et il faut dire que Darmanin est le candidat idéal pour ce genre de traitement. Darmanin semble ne pas être un homme, mais une caricature. Personnellement, il m’évoque le personnage de Paul Gorner, le ministre de l’intérieur arriviste et cynique du roman d’Alain Damasio, les furtifs. Alain Damasio serait-il doué d’un talent visionnaire en inventant un personnage qui allait trouver son incarnation dans la réalité ? Absolument pas, la réalité c’est que ce personnage est déjà inspiré de personnes réelles, Nicolas Sarkozy et Manuel Valls, pour ne pas les nommer dont il constitue la synthèse et la caricature. Autrement dit, Darmanin semble être la caricature d’une caricature concentrant dans sa manière d’agir tous les défauts de ses modèles réels ou fictif sans qu’on puisse lui reconnaître une seule de leurs qualités (comme nous l’avons déjà remarqué, il n’a pas le courage d’un Sarkozy par exemple, en restant tout le temps planqué à l’arrière et en soutenant les forces de l’ordre comme la corde soutient le pendu).Ce serait un personnage de fiction qu’on se dirait à juste titre que l’auteur manque singulièrement de subtilité.

Allons plus loin. Pas besoin d’être un analyste nourri de littérature révolutionnaire et d’analyses marxistes ou anarchistes pour pouvoir identifier clairement que Darmanin représente le camp du mal. Et pour établir ce constat, les manifestants peuvent compter sur un allié au coeur même du système capitaliste : le cinéma hollywoodien. L’imaginaire du western des années cinquante de forteresse assiégée par des sauvages déployé par Darmanin ne peut parler qu’à des plus de soixante-dix ans. Pour n’importe qui ayant grandi dans les années quatre-vingt ou après, les forces de l’ordre en France, ce serait plutôt l’univers de Robocop, ou pour évoquer une référence qui parle également aux plus jeunes, les soldats impériaux dans Star Wars. C’est que depuis les années soixante et soixante-dix et le mouvement d’opposition à la guerre du Viet-Nam, l’idéologie colonialiste et sa prétendue mission civilisatrice n’ont plus trop le vent en poupe.

Si l’on veut évoquer des grosses productions hollywoodienne récentes où il est question à la fois de colonisation, de gestion et d’exploitation des ressources au profit de quelques-uns, de prédation et de violences, on songe évidemment à Dune de Denis Villeneuve et à Avatar la voie de l’eau de James Cameron. Deux films qui ont cartonné au box-office en France et ailleurs. On y retrouve un autre rapport au vivant que celui du capitalisme, traçant cette ligne de démarcation évoquée par Bruno Latour entre extracteurs et ravaudeurs.

Si l’on s’intéresse à la rhétorique et à l’imaginaire des militants écologistes présents à Sainte-Soline, on constatera une proximité avec ce que l’on a pris l’habitude d’appeler les peuples premiers. Peuples premiers représentés comme des figures positives dans les deux films précédemment cités sous les traits des Navi’s et des Fremen. À l’instar des peuples premiers, les manifestants anti bassines se sont réunis en tribus sous l’égide d’un totem représentant des animaux locaux en lien avec le milieu aquatique, la loutre, l’anguille, l’outarde. C’est une foule, colorée, bariolée, et, il faut le dire puisque cet aspect-là les chaînes d’information en continu n’en ont pas trop parlé, joyeuse, que l’on a vue à Sainte-Soline.

On y retrouve l’esprit carnavalesque que j’évoquais déjà dans une note précédente, et qui consiste en une remise en cause de l’ordre établi et à une inversion des rapports de force attendus. Face à des gendarmes suréquipés dotés d’armes de guerre, les manifestants utilisaient ce qui était à leur disposition, à savoir des pierres ramassées par terre. Les commentateurs de plateau ont eu beau jeu de gloser sur les boules de pétanque et les haches retrouvés sur certains manifestants : il s’agissait d’armes par destination et par conséquent ne pouvant être qualifiées comme telles qu’à partir du moment où elles auraient été utilisées, ce qui n’a visiblement pas été le cas (sinon, à n’en pas douter, nous l’aurions su). On ne peut pas en dire autant des LBD et des grenades de désencerclement qui ne sont assurément pas faites pour jouer à la pétanque. Des pierres contre des armes de guerre. La symbolique est forte : on pense évidemment à l’intifada, mais aussi à David contre Goliath.

Et de fait, il semblerait qu’on ait assisté à une inversion du rapport de force attendu : armés de simples pierres, les manifestants ont contraint les gendarmes à reculer. Dois-je l’avouer ? Il y a presque une jubilation en tant que spectateur à voir cette inversion du rapport de force attendu. Parce qu’il y a dans ces images, un caractère épique que l’on peut rapprocher d’une vision romantique des mouvements insurrectionnels. Vision exprimée par un activiste interrogé par Camille Reporter : se battre, y compris en mettant sa vie en danger, pour défendre le bien commun, c’est se sentir vivant. Le parallèle avec Netflix est intéressant : l’action militante, dans sa dimension potentiellement violente, serait un substitut aux émotions frelatées provoquées par la fiction. Il faut évidemment se défier de cette vision. Le résultat, in fine, c’est un nombre impressionnant de blessés, un manifestant encore dans le coma, des dégâts humains considérables. Mais le gouvernement aurait tort de penser qu’un tel déchainement de violences serait suffisant pour réduire la mobilisation à l’impuissance, c’est le contraire qui est vrai.

« Dissoudre les soulèvements de la terre » ou la politique hors-sol de Darmanin

Face à cette opposition dont il a exacerbé la force par l’usage disproportionné d’une violence étatique, Darmanin n’a eu d’autre recours que ce qui s’apparente dorénavant à un gimmick, similaire au « Qu’on lui coupe la tête ! » de la reine d’Alice au pays des merveilles. Il a annoncé qu’il allait « dissoudre » les soulèvements de la terre. Dissoudre les soulèvements de la terre. L’expression laisse songeur. Elle m’évoque le roi perse Darius faisant fouetter la mer pour la punir d’avoir contrecarré son projet d’invasion de la Grèce en dispersant les navires de sa flotte.

Dissoudre les soulèvements de la terre ? Et pourquoi pas dissoudre la terre elle-même ? On trouve ici caractérisée l’expression d’une politique hors-sol qui est, à bien des égards, celle du gouvernement. À l’égard de l’écologie d’abord. Animé par la formule assez creuse qui est celle du néolibéralisme que lorsque l’on veut on peut, Emmanuel Macron est persuadé du caractère performatif de sa propre parole. Il suffit qu’il décide quelque chose pour que ce qu’il a décidé devienne une réalité. Sans aucune prise en compte de la réalité. Dans cet aveuglement coupable, il peut compter sur l’appui inconditionnel des éditorialistes des plateaux de télévision. Comment pourrait-il en être autrement ? Le président comme ces éditorialistes vivent dans un milieu fermé, un entre-soi incestueux qui les déconnecte du réel.

Le cas des mégabassines est emblématique : on sait qu’une des principales actions de résistance des opposants à ces bassines est de débâcher, soit de remettre en contact l’eau et la terre. Et la question du contact et de la connexion est un élément essentiel de ce qui caractérise le vivant (on retrouve encore l’imaginaire déployé par Avatar). Si on regarde à qui profitent les mégabassines, ce sont à des agriculteurs qui s’apparentent davantage à des entrepreneurs déléguant les tâches subalternes à de simples exécutants qu’à des paysans en contact direct avec la terre. Dès lors, le vivant n’est plus un allié, mais soit un esclave à soumettre, soit un ennemi à détruire. On connaît l’inanité à long terme d’une telle attitude. En détruisant le réseau subtil du vivant que la terre a mis des millions d’années à produire, l’homme se condamne à une agonie longue et douloureuse.

On peut voir dans cette attitude de l’agrobusiness un parallèle troublant avec le traitement des questions sociales par le gouvernement. Là encore il n’y a que deux attitudes possibles : esclave ou ennemi. Si vous n’êtes pas l’un, c’est que vous êtes forcément l’autre. Si vous refusez la réforme des retraites et que vous le faites savoir, alors vous êtes un ennemi de la République, un terroriste de l’ultragauche, en bref, un ennemi à abattre. Mais comme l’agrobussinessman qui s’emploie méthodiquement à détruire la terre qui constitue sa source de profits, le gouvernement s’acharne à saper la légitimité populaire sur laquelle il est censé reposer.

Le député LFI François Ruffin dans une de ces comparaisons issues de la culture populaire dont il a le secret compare Emmanuel Macron et son gouvernement au coyote de Tex Avery qui, sautant d’une falaise, continue pendant quelques instants à courir dans le vide avant de s’apercevoir qu’il va tomber et que le vide se trouve sous ses pieds. J’utiliserais pour ma part une autre image : Emmanuel Macron ne se contente pas de se jeter du haut d’une falaise, il scie la branche sur laquelle il est assis. En s’opposant frontalement à la volonté manifeste du peuple (plus des deux tiers des Français opposés à sa réforme et cela depuis maintenant plusieurs mois), il perd de fait toute légitimité puisque sa seule légitimité repose sur la volonté du peuple, si tant est que nous soyons encore en démocratie. Agit-il en cela autrement que cette agriculture intensive devenue folle qui n’a de cesse de détruire le vivant qu’elle prétend exploiter ?

Nous sommes précisément au moment où la branche est en train de se désolidariser du tronc, jetant un pays entier et son président dans le vide. Jusqu’ici tout va bien, semblent se dire le gouvernement et le président avec lui. Doit-on leur rappeler que ce qui compte, ce n’est pas la chute, mais l’atterrissage ?

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