j'ai 64 ans et je n'ai jamais vu une rentrée comme celle-ci ! Et pourtant, je me souviens du conflit de l'école privée avec Savary, de la revalo de Jospin, et des ministres Chevenement, Darcos et autres tristes sires…
Mais dans un contexte nouveau marqué par le poids de plus en plus important de la communication politique, cette « séquence » (pour reprendre un terme chéri par les éditorialistes), est vraiment exceptionnelle
Saturation, Diversion, Récupération et Instrumentalisation ont été poussées à leur maximum.
Saturation

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On a littéralement saturé l'espace public avec la complicité des médias et autres éditorialistes sur le sujet de l'abaya. Au final, on nous informe que moins de 300 jeunes filles se sont présentées avec une « abaya » (qui n’a toujours pas été définie précisément) à l’entrée de leurs établissements. Seules 67 jeunes filles ont refusé de le retirer. Quand on rapporte cela aux 12 millions d’élèves, cela donne la mesure de l’amplification et de la manipulation.
Le sujet avait commencé à être porté dès l’an dernier par les médias les plus à droite. Cela se basait sur des retours de chefs d’établissement qui se plaignaient d’une difficulté à arbitrer face à ces provocations vestimentaires. Une circulaire du 9 novembre 2022 avait donné des éléments pour harmoniser les réponses.
Le nouveau ministre de l’Éducation s’est saisi de cette inquiétude des personnels de direction. Il en a fait un élément de son grand numéro de séduction à destination des chefs d’établissement dont une grande visio-conférence rien que pour eux le 29 août. Au final, la circulaire publiée ensuite ne dit pas grand chose de plus que celle de novembre et les chefs sont toujours en première ligne.
Mais dans le même temps, Gabriel Attal, en fin communicant s’est saisi de cette opportunité pour en faire un coup politique et une manipulation médiatique. Comme l’ont relaté plusieurs journalistes, le message envoyé par le service de presse était des plus explicites : «Bonjour, si vous avez prévu de faire un reportage dans un établissement lundi, sachez que nous avons ouvert les portes de huit établissements partout en France qui sont confrontés au problème de l’abaya. Dites-moi si vous êtes intéressée.». On est bien en face d’une volonté d’orienter l’information en mettant ce sujet à l’agenda.
C’est aussi une forme de « panique morale ». Selon Stanley Cohen, l’inventeur de ce concept, une « panique morale » surgit quand « une condition, un événement, une personne ou un groupe de personnes est désigné comme une menace pour les valeurs et les intérêts d'une société ». La médiatisation d'une panique se fait donc par des « entrepreneurs de morale » que sont les éditorialistes et autres influenceurs. La saturation tendant à légitimer l’information et à faire apparaître le problème comme bien réel et plus important qu'il ne l'est en pratique. L'un des aspects les plus marquants des paniques morales est aussi leur capacité à s'auto-entretenir. La médiatisation de la panique engendrant alors un accroissement de la « panique ».
Diversion
Cette mise à l’agenda a permis de faire diversion pour masquer d'autres sujets essentiels comme les effectifs des classes et la promesse (intenable) d'un prof devant chaque classe.
Le Ministre et avant lui, le président, avaient pourtant promis qu’il y aurait un enseignant devant chaque classe. L’enquête prévue la semaine prochaine du principal syndicat des personnels de direction devrait le confirmer, mais dores et déjà on peut affirmer que le promesse n’est pas tenue.
Au vu des résultats des derniers concours enseignants, les syndicats savaient déjà que, cette année encore, on savait qu’il y aurait des places vides. En effet, 3 100 postes n’ont pas été pourvus aux concours de 2023. C’était déjà plus de 4000 en 2022.
A cela il faut ajouter les démissions et autres départs volontaires qui prennent de l’ampleur ainsi que les départs en retraite plus nombreux que prévus.
Le recrutement “massif’ de contractuels ne suffira pas à masquer ce déficit. Et le ministre le sait. Les rodomontades sur la nécessité de revoir la formation continue pour réduire les heures « perdues » sont elles aussi de la gesticulation politique qui se heurtera au mur de la réalité du fonctionnement des établissements.
Quant au « Pacte », au cabinet du ministre actuel ou du précédent, on semblait dire qu’il fallait que 30% des enseignants le signent pour que les remplacements de courte durée se fassent. Les premiers retours semblent montrer que cette perspective de « travailler plus » ne séduit pas les enseignants et qu’on serait plutôt autour de 10%
Au passage, on notera que cela peut engendrer une autre diversion puisque cela peut permettre d’incriminer les professeurs et de les rendre responsables d’une situation qui n’est pas liée à leur mauvaise volonté mais bien à une logique d’économie tant au niveau de la rémunération que du recrutement.
Récupération et instrumentalisation
Ce qui donne son caractère particulier à cette rentrée c’est qu’elle sert des desseins politiques qui échappent à l’École.
La saturation de l’actualité avec la panique morale autour de l’abaya et la résurgence du thème de l’uniforme se fait dans un contexte de séduction de la droite et même de l’extrême droite. La récupération bat son plein et les expérimentations de l’uniforme qui sont acceptées par le ministre et soutenues par le président, ont déjà trouvé des municipalités candidates pour tester ce qui n’a, rappelons le, jamais existé en France métropolitaine dans l’enseignement public.
Ces sujets sont d’abord des marqueurs de droite mais l’abaya est aussi un diviseur pour la "gauche". Tous les leaders ont été sommés de s’expliquer dans les interviews sur cette question et des tensions sont inévitablement apparues.
Les questions de laïcité ont ainsi rendu inaudibles les vrais problèmes que sont la lourdeur des effectifs, la pénurie d’enseignants, les questions d’inégalités et de mixité sociale ou bien encore le coût de la rentrée. C’est le double effet de cette séquence qui aura réussi à rassembler la droite et diviser la gauche.
La récupération se double d’une instrumentalisation de l’École. Le Proviseur (pardon, le Président… ) de la République s’est emparé de ce sujet pour le revendiquer comme un « domaine réservé » dans son interview au Point. Il fait ainsi de Gabriel Attal un supplétif avec peu d’autonomie.
Cette préoccupation présidentielle révèle une vision de l’École qui est essentiellement au service de l’Économie. Mais elle est surtout un moyen de se saisir de thèmes qui peuvent occuper l’actualité sans passer par un débat législatif. Dans une sorte de frénésie communicationnelle, sans avis fondés, sans expertises, en s’appuyant sur une sorte de « populisme éducatif », le Président sort de son cerveau en surchauffe des propositions qui semble même quelquefois surprendre le Ministre et ses conseillers. L’École mérite mieux que cette récupération au service de la petite tactique politicienne.
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Comme je le prédisais dans un précédent billet, durant cette rentrée, le traitement des questions éducatives a été bien décevant par rapport aux enjeux. Et une semaine seulement après la rentrée, on se dit que cette année est déjà bien longue !