... Car qui a pris la décision irréfléchie de dissoudre l'Assemblée Nationale et de convoquer les électeurs aux urnes après une campagne électorale bâclée en trois semaines ? Qui a tergiversé pendant deux mois avant de nommer un premier ministre, gelant ainsi les travaux de l'Assemblée nationale ? Qui est l'autocrate narcissique et immature qui a suscité chez l'électeur une allergie généralisée au mépris "des gens qui ne sont rien" et à la gouvernance jupitérienne ? Sous quelle présidence, pour la première fois depuis le début de la cinquième république, a volé en éclats le "plafond de verre" qui nous protégeait d'un pouvoir lepéniste ? Qui a fait accéder le parti d'extrème droite au statut de faiseur de rois ? Il est un peu trop facile pour l'Erostrate de l'Elysée de reprocher aux pompiers de ne pas pouvoir éteindre les multiples incendies qu'il a lui-même allumés et de blâmer ses adversaires politiques pour un manque de culture du compromis, dont il est l'incarnation même.
Pour la presse étrangère, le verdict est unanime et sans appel : "Macron le saboteur" (Tages-Anzeiger de Zürich) est le seul responsable de la crise institutionnelle actuelle : l'année 2024 a vu trois records : quatre premiers ministres en un an, un record jamais atteint même sous la cinquième république ; le gouvernement le plus court depuis 1958 ; la première motion de censure depuis 1962. C'est l'échafaudage de la cinquième république qui s'écroule sous nos yeux et cela est dû à un processus de déstructuration de la vie politique française : avec son parti composite, qui n'a jamais rien été d'autre qu'un ramassis de carriéristes dont beaucoup n'auraient jamais eu accès à la vie politique en d'autres temps, Macron a marginalisé les partis traditionnels. Et le résultat est évident aux yeux de tous, sauf du président lui-même qui a été jusqu'à nommer un premier ministre venant d'un parti qui, en nombre d'élus, n'est plus que l'ombre de ce qu'il a été autrefois. Selon le site suisse "Blick", la motion de censure votée contre le gouvernement Barnier marque "une des plus grandes crises de l'histoire récente de la France". Le Daily Telegram surenchérit : "Un président discrédité a décidé de provoquer des élections anticipées qui ont abouti à une assemblée en trois blocs [et sans doute bientôt quatre avec un nouveau front populaire qui n'était rien de plus qu'une alliance défensive contre l'extrème droite et qui aujourd'hui, menace de se disloquer], encore plus ingouvernable". El confidential, journal espagnol, parle de "cacocratie", c'est-à-dire le pouvoir des nuls, pourtant légitimement élus de façon tout à fait conforme à notre constitution et, dans l'actualité, ce n'est une exclusivité macronienne ni en France, ni ailleurs. Et le journal pose une question cruciale qui devrait nous faire réfléchir sur les limites de la démocratie : "Comment défendre la démocratie contre la stupidité des démocrates ?
Du côté européen, on constate sans surprise une inquiétude des eurodéputés : cette crise arrive au plus mauvais moment, alors que se précise la menace d'une crise XXL de la dette, avec des conséquences sur l'Union beaucoup plus importantes que naguère celles de la dette grecque, car la France est une des deux "locomotives" de l'Union Européenne. Les deux pays subissent actuellement une crise politique et économique avec une motion de défiance contre le chancelier Scholz qui vient d'être votée et la perspective de nouvelles élections. Mais la situation française inquiète davantage car il manque cette capacité à réunir dans une même coalition des femmes et hommes politiques de sensibilité différente. Et un député vert allemand conclut : « Ce qui est inquiétant en France, c’est que la situation nécessite un changement de culture politique ».
Vu du Canada, le constat est similaire : pour les politologues de l'Université de Montréal, la motion de censure votée contre le gouvernement Barnier "est le signe que les partis politiques français "ne savent pas travailler ensemble au nom de l'intérêt général, contrairement aux autres pays européens". La conséquence directe de la motion de censure a été la dégradation de la note souveraine par l'agence de notation Moody. Et les retraités qui se réjouissent devant les caméras de télévision que la chute du gouvernement Barnier ait pour conséquence le maintien de l'indexation des retraites devraient plutôt être inquiets : si, à la suite de dégradations successives, la charge de la dette continue à augmenter, il se pourrait que, dans quelques années, il n'y ait plus de retraites du tout.
Il n'en reste pas moins qu'un effort budgétaire ne sera acceptable pour les classes moyenne et populaire que si le macronisme renonce à ses dogmes ultralibéraux et qu'une contribution substantielle soit demandée aux plus riches. C'est peut-être trop lui demander et pourtant, un programme de gouvernement, quel qu'il soit, ne peut réunir une majorité que dans un esprit de justice fiscale et si les forces de droite finissent par l'admettre, alors tout deviendra possible.