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Billet de blog 21 décembre 2024

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Nuisances aériennes : les riverains de Schiphol contre-attaquent au pénal.

L'avocate Benedicte Ficq accuse : « Dans de nombreux cas, les habitants de Schiphol ont des problèmes de santé dus à un sommeil perturbé depuis des années. Ils sont réveillés sans arrêt, sans jamais savoir quand cela finira. C’est épuisant pour l’organisme, la santé, les relations et les enfants »

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Il y a deux ans éclatait en France le scandale d'un Plan de Prévention  contre le Bruit dans l'Environnement (PPBE) pour Roissy, entièrement piloté par la Direction Générale de l'Aviation Civile (DGAC), à la fois juge et partie : ce PPBE, qui prétendait lutter contre le bruit par une augmentation du trafic aérien de Roissy et le refus d'un couvre feu, était uniquement élaboré pour favoriser les intérêts économiques des compagnies aériennes, au détriment de la santé des riverains. Malgré l'opposition des associations de défense de l'environnement et la démonstration par la littérature médicale de la nocivité du bruit, le PPBE était validé par le Préfet du Val d'Oise. Dans le même temps, le Ministre des transports Clément Beaune s'engageait à mener enfin les études d'approche équilibrée rendues obligatoires par les directives européennes, mais nous les attendons toujours. Cette indifférence totale des pouvoirs publics envers les problèmes de santé publique s'est confirmée à Beauvais, où un plan de doublement du trafic est froidement envisagé.

Dans le même temps, le Gouvernement des Pays-Bas et la Direction de l'aéroport d'Amsterdam-Schiphol avaient pris plusieurs décisions inédites dans le monde :  diminuer de 505000 mouvements par an à 440000 le trafic de l'aéroport néerlandais, décréter le couvre-feu dont ne voulait pas Paris et interdire les jets privés. Cette dernière mesure, dans le même temps, était refusée par les députés français.  Mais là encore, les intérêts économiques des grands groupes aériens prennent le pas sur toute autre considération : ce sont cinq compagnies aériennes qui attaquent la décison, soi-disant "pour s’assurer que les Pays-Bas restent connectés au reste du monde via Schiphol ". La procédure est soutenue par l'assocation internationale du transport aérien, qui estime illégale la décision du gouvernement néerlandais. l'argument classique du maintien des emplois est également évoqué. Le jugement, en faveur des compagnies aériennes en première instance, est invalidé par la cour d'appel qui donne raison à l'Etat.

On croit enfin arrivée la fin du feuilleton ? Non point : C'est compter sans les lobbies américains, pour lesquels  "la réduction de capacité serait injuste, discriminatoire et anticoncurrentielle pour les compagnies aériennes". Cette déclaration est assortie d'une menace, celle de limiter les créneaux horaires des compagnies hollandaises. Et c'est alors que la Commission Européenne se réveille d'un long sommeil de 18 mois pour exprimer "de sérieuses préoccupations" et engager les pouvoirs publics néerlandais à prendre "de toute urgence les mesures nécessaires pour garantir le respect du droit européen". Un droit à géométrie variable, marqué par une incapacité  à faire respecter ses propres directives par la France (retard de mise en place des PPBE, études d'approche équilibrée toujours inexistantes, non respect des normes de bruit et de pollution).

Force est de constater que la capacité de nuisance du transport aérien ne connaît aucun frein, incitant l'avocate néerlandaise Benedicte Ficq à porter l'affaire au pénal : La déclaration mise en introduction exprime les raisons de cette action . Selon cette approche, les nuisances subies du fait du trafic aèroportuaire sont assimilées à de la maltraitance. Ce moyen de droit  s'appuie sur une thèse de doctorat qui dénonce les nuisances sonores et la pollution des aéroports comme "un acte de pure violence". C'est donc en toute connaissance de cause que les compagnies aériennes infligent ces nuisances aux riverains des aéroports et ceci en raison d'intérêts économiques. 

Maître Ficq n'en est pas à son coup d'essai : en 2016, une procédure contre l'industrie du tabac a été jugée irrecevable par la justice : dans l'état actuel du droit, il n'existe aucun moyen de droit pour une condamnation pénale car les fumeurs s'exposent en toute liberté aux consquences du tabagisme. Mais ce n'est pas le cas pour la pollution imposée par l'industrie chimique et deux procédures pénales sont en cours contre le géant de l'industrie chimique Chemours  (anciennement Dupont de Nemours) et contre l'aciériste Tata Steel.

Les procédures initiées par Maitre Ficq sont  collectives, auxquels les particuliers qui s'estiment lésées peuvent adhérer, à l'image de ce que sont les Class Actions des Etats-Unis, qui ont l'avantage, en répartissant les frais d'avocat entre un grand nombre de personnes, de limiter le coût par plaignant. Une particularité de ces actions au pénal est qu'elles sont dirigées contre des personnes physiques et non contre des entreprises. Ce sera donc aux dirigeants eux-même de répondre de la maltraitance infligées aux populations, avec des peines pouvant aller jusqu'à trois ans de prison. 

Cela fait beaucoup trop longtemps que les secteurs économiques sacrifient la santé des populations sur l'autel du rendement économique. Partout, des voix s'élèvent pour que la santé publique soit prise en considération par les lobbies, mais nous savons depuis longtemps qu'il serait plus facile de convertir un vol de vautours aux cinq fruits et légumes par jour. La démarche néerlandaise est donc une réponse appropriée. Mais une telle démarche serait-elle possible en France ? Depuis la loi Hamon de 2014, Les domaines d'application de l'action collective ont été élargis et une procédure de type Schiphol pourrait s'appliquer dans les cadres santé et l'environnement. Celle-ci peut s'appliquer aussi bien au civil qu'au pénal, comme le précise  le mode d'emploi en lien

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