"On n'est pas dans un #GrandDebat, on est dans une consultation... Quand vous procédez uniquement par un questionnaire, en réalité, la réponse est déjà faite, le débat est faussé". Ce tweet de Chantal Jouanno en date du 25 janvier est en phase avec les contributions parues dans ce blog en dates du 12 et du 17 janvier.
Chantal Jouanno s'en prend donc à la structure même du débat, qualifiant "d'hérésie" le cadrage limité à quatre thèmes choisis par le Gouvernement : "c'est aux Français de choisir les sujets qu'ils mettent sur la table". Elle dénonce également la méthodologie du questionnaire : "C'est un autre exercice, où vous choisissez les questions, qui sont forcément orientées" et l'absence de certains sujets importants : "Par exemple, si vous voulez travailler sur la question du travailleur pauvre et du pouvoir d'achat, des hôpitaux, du handicap il n'y a aucune question portant sur ces sujets". Ce qu'en revanche, Chantal Jouanno ne dit pas, c'est qu'il y a, à côté des questions "fermées", une série de questionnaires plus ouverts, mais dont les commentaires sont fermés aux autres participants. Étrange débat qui ne permet pas les échanges entre participants !
Le dirigisme de l'Exécutif apparaît aussi dans la définition de lignes rouges, c'est à dire de propositions dont le Gouvernement annonce par avance qu'il ne tiendra aucun compte. Cette annonce, faite contre l'avis de la Présidente de la CNDP, vide de son sens toute la consultation, car beaucoup de revendications des Gilets Jaunes concernent ces "lignes rouges", mais cela introduit un biais dans la consultation, les citoyens portant ces propositions interdites se décourageant de participer au débat. Le Gouvernement aura alors beau jeu de dire que les propositions concernant l'ISF, l'assurance chômage, la Flat Tax, etc. ne sont pas portées par la majorité. C'est une forme de manipulation des résultats indigne d'un débat qui se veut "grand".
Nous apprenons aussi que le Gouvernement a imposé au débat sa propre méthodologie et ses ptopres questionnaires, en lieu et place de ce qu'avait proposé la Commission : "C'est beaucoup plus simple de s'attaquer à la CNDP et de dire qu'elle n'avait pas fait son travail, plutôt que de dire qu'on a complètement changé le dispositif, que finalement on a voulu verrouiller les questions". Madame Jouanno souligne que sa Commission avait demandé, sans aucune réponse autre que cette "mise sous tutelle", des garanties sur la neutralité et la sincérité de l'exploitation des données fournies par le Grand Débat.
Cette absence de neutralité du débat apparaît dans la façon dont sont conçues les fiches. deux exemples parmi les quatre thèmes :
- La fiche sur la fiscalité et les dépenses publiques est conçue comme un besogneux texte de propagande néo-libérale : on y apprend qu'il est absolument nécessaire de baisser des impôts qui seraient parmi les plus élevés au monde sous peine de nuire à la compétitivité du pays et, dans le questionnaire, on demande aux participants lesquels baisser. Mais on ne fait aucune allusion à la contribution des plus riches, ligne rouge oblige ! C'est le TINA (There Is No Alternative) de Margaret Thatcher qu'on assène ici et toutes les questions sont, ensuite, orientées dans ce sens, à contrepied total des motivations des Gilets Jaunes. Bien entendu, il n'est fait aucune mention de sujets comme la règle bruxelloise des 3% de déficit ou la lutte contre une évasion fiscale dont la disparition permettrait de rééquilibrer le budget de la France et de subvenir aux besoins de la population en écoles, en hôpitaux, en services publics. Le débat passe donc complètement à côté de la justice fiscale, revendication majeure des Gilets Jaunes.
- Le débat concernant la fiche sur la transition écologique tient de la pure propagande publicitaire : il y est fait l'article des "diverses mesures [qui] ont été mises en place depuis 18 mois pour accompagner les Français", qui "s'ajoutent à celles mises en place par les collectivités locales, les entreprises ou les associations". Mais les motifs de la démission de Nicolas Hulot sont entièrement passés sous silence, de même que l'acharnement du Gouvernement à soutenir des projets climaticides comme EuropaCity. A en croire la fiche "lutte contre le réchauffement climatique", le débat se limite à "l'enjeu de passer à un véhicule plus propre et moins coûteux", sans qu'il soit nullement question du bilan carbone des transports maritimes et aériens, ces derniers devant encore, à terme, être augmentés du fait de la construction du terminal A4 de Roissy. Tout cela rend le questionnement sur l'écologie dérisoire.
Ces critiques, formulées dès le début par la présidente de la CNDP; ne seraient-elles pas la raison pour laquelle celle-ci a été écartée de l'arbitrage du débat ? Officiellement, c'est elle qui s'est mise en retrait après une polémique sur son salaire, en justifiant sa décision de la façon suivante : "A partir du moment où ma rémunération [...] était perçue comme injuste, j’étais devenue un objet du débat [...]. Par conséquent, je ne pouvais plus le piloter. Il est dommage que certains membres du gouvernement ne le comprennent pas". Même si ce n'est pas elle qui a fixé son salaire, sa décision est donc normale. Il est dommageable pour la pertinence de ce débat que le Gouvernement, qui a désigné deux ministres dans l'équipe chargée de piloter le débat, n'ait pas cette éthique de neutralité.
Un article de Médiapart fait l'historique de tous les échanges entre la CNDP et le Gouvernement et précise que la décision de Chantal Jouanno fait suite à une longue suite d'échanges avec le Gouvernement, qui a systématiquement bafoué les règles d'un débat. L'attitude de la Présidente est tout à son honneur, car à aucun moment, malgré les pressions qui s'exerçaient sur elle, elle n'a transigé sur les règles qui doivent régir un débat public. Mais son retrait a laissé le champ libre aux manipulateurs en tout genre. On ne peut s'empêcher de penser que la fuite sur le salaire de Chantal Jouanno arrivait à un moment opportun pour tenter de la décrédibiliser et la mettre définitivement hors jeu. Cette fuite n'aurait-elle pas été organisée par les autorités ?
Toujours est-il que ce "grand débat" n'est rien de plus qu'une mascarade grotesque. Cependant, il est nécessaire d'y participer, car les questions ouvertes offrent une tribune sur laquelle nous pouvons parler de tous les sujets, même ceux qui sont interdits. Les Gilets Jaunes ne doivent pas se satisfaire de ce débat instrumentalisé pour permettre à Baby Erdogan de se débarrasser de la situation insurrectionnelle qu'ils ont créée.
Post-scriptum hors sujet : on apprend que les Gilets Jaunes vont présenter une ou plusieurs listes aux élections européennes. Une telle opération ne peut que conforter le clan Macron, qui ne rêve que de diviser pour régner, pour un résultat plus qu'incertain, car il est peu probable que cette liste puisse réunir plus de 5% des voix. Pour cette raison, bien que sympathisant du mouvement, je ne voterai pas plus pour eux que je n'aurais décidé de voter pour un syndicat qui présenterait une liste.