Trois médecins du travail risquent d'être radiés de l'ordre des médecins à la demande de chefs d'entreprise parce que "Ces médecins ont rédigé des certificats médicaux et des courriers constatant les liens entre l’organisation du travail et ses effets sur la santé psychique de salariés." (Politis). Cela a été rendu possible grâce à la modification du code de la santé publique réalisée par voie de Décret par le gouvernement de François Fillon, qui a ouvert ainsi en catimini le droit aux employeurs de contester les avis médicaux rendus par des médecins. Un des employeurs est EDF, la centrale nucléaire de Chinon.
En effet, l'article 116 du Décret n° 2010-344 du 31 mars 2010 pris par le gouvernement auquel participait Roselyne Bachelot comme ministre de la santé, a ouvert le droit de saisir l'ordre des médecins aux employeurs en faisant ajouter le mot "notamment" à l'article R.4126-1 1° du code de la santé publique : " Le conseil national ou le conseil départemental de l'ordre au tableau duquel le praticien poursuivi est inscrit à la date de la saisine de la juridiction, agissant de leur propre initiative ou à la suite de plaintes, formées notamment par les patients, "
Cette modification sur l'ajout d'un "notamment" n'apparaît pas dans la loi votée par l'Assemblée nationale : LOI n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires. Le seul article de la loi évoquant une plainte contre un praticien est l'article 54. Il modifie l'article l'article 1110-3 du code de la santé publique en s'appliquant à rappeler le devoir d'humanité du médecin envers le malade. Ce que semble paradoxalement reprocher les employeurs aux médecins du travail devant le Conseil de l'Ordre.
D'où vient alors la modification administrative sur ce "notamment", qui a bien pu l'inspirer, si ce n'est pas le législateur ?
Légifrance ne permet pas de le savoir.
Si le " Décret n° 2010-344 du 31 mars 2010 tirant les conséquences, au niveau réglementaire, de l'intervention de la loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires " est bien répertorié dans la base, le texte du Décret, lui, n'est pas visible. Il y a manifestement un défaut de publication.
C'estd 'autant plus regretable que ce nouvel exemple d'inversion normative fait échec aux droits de l'homme.
Le droit à la santé est un droit de l'homme qu'il appartient à l'Etat de garantir. C'est également un droit social qui n'admet aucune régression selon le comité des droits de l'Homme des Nations-Unies.
Un autre aspect pervers de ce décret est que le gouvernement de François Fillon a ainsi permis aux entreprises de rendre l'Ordre des médecins complice de l'altération de l'état de santé des salariés en faisant pression et en menaçant les praticiens de sanctions disciplinaires graves ; alors que l'employeur est tenu, lui, à une obligation de résultat en matière de sécurité et de santé des travailleurs, tant pour leur santé physique que psychique et que cette obligation de résultat découle du droit de l'Union européenne qui a une valeur constitutionnelle selon l'article L 88-1 de la Constitution.
Le décret de François Fillon viole donc le droit constitutionnel, le droit de l'Union et les droits de l'Homme sans parler de la procédure légalistive et de la comptéence exclusive du législateur. Celui-ce devait déjà déjà être relegué au rôle d'accessoire dans l'esprit qui règnait à l'époque au sein des cabinets ministériels. L'ANI n'a fait que prospérer sur l'inertie de cette mentalité bien installée.
Ce Décret N° 2010 - 344 est donc un exemple d'inversion normative exceptionnel.
Le lecteur relèvera aussi la subtilité de la novlangue administrative mise en oeuvre dans l'intitulé du Décret dont l'action des employeurs contre les médecins du travail souligne comment "la loi (...) réforme santé" dans l'esprit de l'exécutif, qui ne va pas manifestement dans le sens d'une amélioration de la prise en compte du malade ou de sa souffrance... On ne casse plus le thermomêtre aujourd'hui, mais carrément le médecin.
Un autre aspect que révèle l'action des employeurs est la sounoiserie du procédé normatif pour éluder le débat républicain.
Ce décret est un texte règlementaire, pris sans aucune publicité, dont n'a pu que se féliciter le Médef, plus habitués aux couloirs du pouvoir que les salariés soumis aux conditions de travail que constatent les médecins du travail.
Le discours et l'action du Médef ont démontré que seule l'optimisation immédiate du profit l'intéresse au mépris des travailleurs et de l'environnement, comme en a témoigné l'ANI et la campagne de promotion pour le gaz de schiste, que fait actuellement Laurence Parisot.
L'action de chefs d'entreprises contre trois médecins que les organisations patronale ont su apprécier toute l'opportunité et l'étendue juridique du mot "notamment".
Les salariés le doivent aux hauts fonctionnaires inspirés qui ont glissé ce mot qui ne manquera pas de profiter aux industriels dont les scandales du Médiator et des prothèses PIP témoignent du peu de souci qu'ils se font de la santé, de manière très générale.
Voilà encore un bel exemple de régression sociale que nous a légué l'UMP et qui témoigne de son mépris pour la santé et la sécurité des travailleurs, de l'individu, tout simplement, dramatiquement. La tirelire passe avant le respect de la personne.
Maintenant, grâce au Médef et à l'UMP, c'est Koh-Lanta tous les jours et on peut se passer de la télé. Chacun peut le vivre au travail.
Il faut espérer que cela fasse réfléchir les élus socialistes qui ont voté l'ANI et amène le président de la République à renoncer à la promulgation d'une loi qui comporte un nombre considérable de régressions, laquelle régression est prohibée par le droit international.
Il serait dommage que le PS méprise cette prohibition comme l'UMP l'a fait durablement lors du précédent quinquennat :
- Le gouvernement interpellé sur la réforme des retraites
- Le cadeau de Noël de Valérie Pécresse
- L'UMP contre les droits de l'homme
- Nicolas Sarkozy sonne l'hallali des droits sociaux
- Etc.
La promulgation de la loi Sapin par François Hollande confirmerait la critique de Jeanc-Laude Michéa selon laquelle il n'y a pas d'alternance, ou plutôt que celle-ci se réduit à "l'alternance unique" : on change de majorité mais pas de politique. Cela a l'apparence de la gauche mais ce n'est pas de la gauche :
Jean-Claude Michéa : l'alternance unique
L'Observatoire du stress de France Télécom a saisi les instances européennes en la personne de deux parlementaires et soutient l'association Santé et médecine du travail.
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Ce billet renvoie à d'autres réflexions connexes déjà abordées :
Thierry Costa, Koh Lanta, médecine du travail
ANI, loi Sapin, fin de l'Etat de droit et du politique
Le PS adopte tout seul l'ANI du Médef
Putsch social et légitimation de la violence
Le pouvoir est le SEUL responsable
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La presse en parle :
La Nouvelle république :
" Deux médecins du travail attaqués par des employeurs" : " Le docteur Dominique Huez, tout comme sa consœur le docteur Bernadette Berneron, sont visés par une plainte émanant des employeurs - la société Orys pour l'un, EDF pour l'autre - de deux de leurs patients devant le conseil de l'ordre. "
" Des médecins du travail attaqués par des employeurs " : " L'affaire pourrait faire grand bruit. Elle jette, en effet, un véritable pavé dans la mare dans le domaine de la santé au travail. Et elle concerne l'un des praticiens les plus en pointe dans ce domaine en Indre-et-Loire, le Dr Dominique Huez, médecin du travail de la centrale nucléaire de Chinon. "
Côte d'Ivoire News :
" Des employeurs portent plainte contre 3 médecins du travail ": " Des plaintes ont été déposées devant le conseil de l’ordre contre 3 médecins du travail par des employeurs, dont la société Orys et EDF. A l’origine de ces plaintes, le rapprochement qui est fait entre une maladie et le travail. "
Sénégal Actu :
"Plaintes contre les docteurs Delpech, Huez et Berneron" : " Les plaintes contre les docteurs Elizabeth Delpuech, Dominique Huez et Berneron devraient être rejetées parce qu’elles ne sont pas fondées sur des motifs extérieurs à la santé des salariés. « Une plainte auprès du conseil de l’ordre doit être précédée d’une concertation confraternelle avec le médecin mis en cause », selon le Syndicat National des Professionnels de la Santé au Travail. « Pour les médecins du travail, la conciliation avec le plaignant-employeur ne peut avoir pour objet de s’expliquer sur leurs actes professionnels ce qui serait contraire aux dispositions réglementaires particulières concernant leur exercice. » "
Le Monde :
" Plaintes contre trois médecins du travail devant le conseil de l'Ordre " : "Faire le lien entre travail et santé, c'est le rôle même du médecin du travail, son cœur de métier", atteste Pierre Abéccasis, médecin inspecteur du travail en Bourgogne, dont la fonction consiste à contrôler les services de santé au travail."
TF1 :
" Plaintes contre des médecins du travail pour des certificats favorables aux salariés " : " Trois médecins du travail sont confrontés à des plaintes auprès du conseil de l'Ordre des médecins déposées par des entreprises qui souhaitent faire invalider des certificats médicaux établis par eux. "
RUE 89 - Le Nouvel Observateur :
"Qui veut la peau du médecin de la centrale nucléaire ?" : "Première en France : trois entreprises portent plainte contre des médecins, qui ont lié les pathologies de salariés à leurs conditions de travail."
Journal international de médecine :
"L’indépendance des médecins du travail est-elle en danger ?" : " L’attitude du Conseil fait-elle désordre ? Tant le principe d’une plainte déposée par un employeur que le fond des dossiers incriminés irritent fortement le Syndicat national des professionnels de santé au travail (SNPST) qui a mis en ligne ce week-end une pétition de soutien aux praticiens visés. « Faire le lien entre travail et santé, c'est le rôle même du médecin du travail, son cœur de métier » rappelle cité par le Monde Pierre Abéccasis, médecin inspecteur du travail en Bourgogne, tandis que le SNPST renchérit : le médecin du travail doit pouvoir « attester de ce lien et il a même l'obligation d'en informer le salarié et de lui permettre d'en obtenir réparation lorsque la pathologie est avérée ». Empêcher les praticiens d’établir une telle corrélation est une entrave à leur indépendance considère encore le SNPST. Ce dernier estime par ailleurs qu’il n’appartient pas à l’instance ordinale d’instruire les plaintes déposées par les employeurs, ce dont se défend le Conseil de l’Ordre. "
TOP Actu Santé :
" Plainte contre trois médecins du travail "
Politis :
"Le lien entre santé et travail mis en cause par les employeurs" : " La raison de ces plaintes est que les certificats et courriers attestent d’un lien entre l’état de santé de salariés et leur situation professionnelle. "
Le Progrès :
" Dans le collimateur des entreprises, les médecins du travail se mobilisent " : "Trois médecins du travail, dont un exerçant à Bourg, sont aux prises avec des patrons qui veulent faire invalider des certificats médicaux."