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Billet de blog 9 mai 2025

« Un coup de vent m’a fait perdre l’équilibre et je suis tombée »

A l'atelier « Prendre mots » de la Maison des femmes de Saint-Denis (93), nous avons eu besoin cette semaine d'imaginer l'endroit où l'on se sentirait bien, à quoi ressemblerait le nid que l'on pourrait construire.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Après l’intense séance où il fut question de l’assassinat d’Aboubakar Cissé dans une mosquée du Gard, nous avons souhaité cette semaine, au sein de l'atelier “Prendre mots” de la Maison des femmes de Saint-Denis (93), réfléchir aux endroits où l’on se sent bien, aux valeurs que nous partageons. Nous, les animatrices de cet atelier, et les femmes que nous y accueillons, femmes vulnérabilisées et victimes de violences. 

Imaginons d’abord que chacune d’entre nous construise son nid. Puis que tout autour s’installent d’autres nids et qu’on y vive en harmonie.

Le silence s’installe, chacune prend son stylo et sur son cahier, pose ses mots. 

Nous reproduisons ci-dessous les textes des femmes qui ont accepté qu’ils soient publiés dans ce blog. 

***

Illustration 1
A l'atelier "Prendre mots" de la Maison des femmes, le 5 mai 2025 © Louise Oligny / MDF

« Je me présente, Wendie, un oiseau multicolore laissé seul dans son nid. 
Deux oisillons : ma sœur et moi. Un coup de vent m’a fait perdre l’équilibre un jour de pluie et je suis tombée. Je suis tombée longtemps et l’impact de la chute a brisé mes ailes. 
Je m’appelle Wendie et je ne peux plus voler. Je suis l’oiseau qui ne sait pas voler. 
Ne pouvant rejoindre mon nid, je suis partie et me suis construite seule, observant les autres oisillons, et d’autres oiseaux déjà grands, pour m’en faire de nouveaux modèles. 
A mon tour, je suis devenue oiseau grand, bien que trainant la patte. 
Astucieuse et débrouillarde, j’ai enfin pu retrouver mon nid. Mais je n’ai rien reconnu, rien ne ressemblait au nid de mes souvenirs, ce nid idéal que j’idôlatrais. 
Mais sœur avait grandi, elle avait deux magnifiques ailes noire et pailletées, des ailes bien entretenues, lisses et robustes. Papa et Maman oiseau s’en étaient bien occupée, j’en étais ravie. J’ai tenté de faire ma place dans ce nid, il était trop petit, nous deux ayant grandi et j’étais trop différente, ça faisait tâche. Personne n’avait lavé ni coiffé mon plumage, il s’était terni.
Les couleurs jadis lumineuses de mes plumes s’étaient assombries mais pas suffisamment pour ressembler aux oiseaux noirs de sa famille. Les couleurs devenues fades ne faisaient plus écho à la brillance de leurs ailes. Alors elle est partie, enfin, je suis partie, car l’oiseau, c’est moi, il ne faut pas que j’oublie.
 
Je suis partie à l’aventure et quelle aventure ! Beaucoup de bas, mais je ne regrette pas. 
J’ai rencontré de nouvelles familles, m’en suis fait des modèles, me suis créé la mienne, composée d’amis. 
Il ne me reste qu’à construire un nouveau nid, un nid extensible pour accueillir mes amis et tous les laissés pour compte, celles et ceux qui cherchent un peu de tendresse et beaucoup de bienveillance. 

Mon nid ne serait pas fixe, il irait à la rencontre de l’autre. Je lui mettrais des petites roues pour qu’il ne perde pas l’équilibre.

Il serait cabossé mais solide. Un nid-mobile (nimobile) qui vous appartiendrait le temps d’un moment puis disparaitrait en un coup de vent sans jamais vous abandonner.

Il reviendrait toujours, fidèle. Je voyagerai dedans, parfois seule. Tu pourrais m’y rejoindre ? Nous nous poserions ici et là, ouvririons nos portes puis reviendrions à la saison prochaine, car je suis un oiseau migrateur mais ne pars pas toujours vers le soleil !

Lorsque l’hiver viendrait, je ne fuirai pas, je ne fuirai plus, c’est seulement là que je me forcerai, le temps d’une saison, à rejoindre dans un petit bout de forêt un arbre magnifique bien que cabossé, un arbre dont chacune des branches abriteraient un ou plusieurs nids, des nids de ma famille amis, des nids qu’à leur tour ils se seront construits, extensibles eux aussi pour accueillir de nouveaux oisillons ou oiseaux grands en réparation.

Cet arbre serait immense et personne n’en connaitrait la taille exacte. Il y aurait des petits ponts de brindilles qui relieraient chacune des branches. Il faudrait en prendre soin, une brindille, c’est fragile ! Mais ensemble nous nous en occuperions, ensemble nous prendrions soin et protégerions cet arbre majestueux et tout cabossé, ses ponts fragiles et nous vivrions ensemble, jusqu’à la prochaine saison où l’heure de l’aventure et de la rencontre retentirait de nouveau. 

PS : Ce lieu serait aussi ouvert à Papa et Maman oiseau, à ma petite sœur aux si belles plumes. »

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« Chaque jour, je cherche les meilleures brindilles et les ramènent à mon nid. Mon nid, tous les jours je le construit mais il n’est jamais fini, certaines brindilles tombent, d’autres restent mais moi, je le construis. Il est confortable et la nuit, me garde du froid. Il est d’une taille petite mais parfaite pour ma reine et moi car je l’ai construit avec mes propres choix. 
Très haut dans un arbre fleuri, le soleil me réveille et me rappelle tous les jours que je dois le quitter pour trouver plus de brindilles et qu’un jour il faudra pour de bon partir. »

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« Je me demande comment autant de délicatesse et de solidité est possible.
C’est vers cela que j’aimerai tendre. Je dois apprendre.
Peux-tu me dire, toi, avec tes plumes soyeuses et tes si grandes ailes comment fais-tu pour organiser ces branchages de manière si méthodique sans régularité systématique?
Comment fais-tu pour bâtir un cocon protecteur, brindilles après brindilles, plumes après plumes, terre humide après petits cailloux? 
Comment fais-tu pour inventer un espace libre? 
A force de vouloir tout dompter, a t-on oublié ce que nous enseigne la nature?
Il faudrait observer davantage et s'inspirer pour imaginer des nids pour tou.tes les vivant.es, partout. »

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« Un phénix sorti du déni prenant ses blessures telles des branches dorées de kintsugi et sa grandeur qui cache bien des peurs, il ose, oui il ose enfin faire son nid. 
Tel un poète avec sa prose, de son bec que l’on a tant voulu museler, avec fortesse (force et tendresse), il récupère les plus belles branches mais pas que, car la beauté n’est pas dans le parfait. 
En voici une craquelée, il y dépose des paillettes de kintsugi et voici le plancher de son nid. Et puis il aperçoit de la lavande, ce doux parfum du jardin de sa grand-mère, elle la douce combattante, il la cueille et la dépose en plein milieu du nid de ses grandes ailes. Il finit son nid puis il se met à pleurir (pleurer et rire) ce bel oiseau pleure de soulagement, tel un grand soupir, un nouvel avenir. Puis il rit, il rit car il se remémore : « il y a deux ans, ce qui me guettait, c’était la mort et la survie, et voilà que maintenant, je construis, je souris et je ris ». 
Alors conscient de la fragilité de son nid, il se dit que la force n’est pas dans son nid mais dans son pouvoir à maintenant construire où le vent l’emmène. La force n’est plus uniquement en l’autre : elle est en lui. 
Merci à la vie de m’avoir appris à construire ma vie. 

(15h20) Prendre le temps pour soi tout en partageant la richesse de chacune, voilà ce qui met de la beauté à mon humble et petite plume. »

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Comme chaque semaine, une fois ces premiers jets de texte écrits, souvent en moins d’une demi-heure, nous nous les lisons ensemble, les partageons. 
De nouveaux mots sont apparus, venant compléter notre liste des mots qui manquent pour exprimer au plus près ce que l’on ressent. 
Aujourd’hui, il y a donc
Fortesse : avec force et tendresse.
Vivoir : vivre et voir
Cœurtice : la justice du cœur
Nimobile : équilibre entre la soif d’aventure et de rencontres et le besoin de repères fixes. 

 Mais, une fois nos nids construits, que serait le vivre ensemble auprès d’autres nids ? 

***

« Par les temps qui courent, dessiner des valeurs, des ponts, des espaces communs où tous les oiseaux du monde entier pourraient se retrouver. Non pas pour se « chicorner », pour « voler » le nid des autres ou pire encore pour les anéantir, non! 

Nous avons besoin d’un air plus pur. 

La respiration, pourtant, circule, partout, dans les airs, à l’intérieur et à l’extérieur des nids, dans les mers et sous la terre. Ce qui est expiré par les uns est inspiré par les autres et vice et versa.

Prenons soin de notre air commun, car nous, les oiseaux migrateurs, nous qui prenons de la hauteur, nous savons mieux que personne que l’air pur appartient à tout le monde et à personne. 
Cet air pur devrait, donc, ici ou ailleurs, voyager librement. »

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« Mon nid n’irait pas près d’une cage, même si les canaris s’y époumonent tous les jours. 
Mon nid sera près d’autres nids où les résidents sont libres de voler, de traverser les frontières, de revenir sur leur terre. 
Mon nid ne cherchera pas les plus belles plumes, ni les plus beaux chants. 
Il sera près de créatures anonymes, bavardes, qui se moquent de l’espèce et acceptent toujours le petit coucou dans la couche et sont prêtes à lâcher le vermisseau dans la bec du petit voisin affamé.
Autour de mon nid, la force des uns sera protection des autres, le ramage de l’un fera le ravissement des autres, le plumage de l’un fera l’émerveillement des autres. 
Ni jalousie ni convoitise, ensemble pour toute la beauté du monde. »

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Illustration 2
A l'atelier "Prendre mots" de la Maison des femmes, le 5 mai 2025 © Louise Oligny / MDF

« Comme je disais, la force n’est pas dans le nid mais dans celui qui le construit. Avoir une maison, ce n’est pas avoir un foyer. Je m’explique : ce qui fait que le nid vit, ce sont ses valeurs, la puissance de son cœur, mais alors, me diriez-vous, où veux-tu en venir ? 

Je veux dire que les branches sont dans tous les arbres du monde : une branche beige, marron, grande, petite, morte, vivante, craquelée… telles nos valeurs humaines communes. Je peux ne pas aimer une branche, me méfier peut-être par ignorance qu’elle se pique aux autres, mais au nom de la beauté de la nature et de la vie, cette branche, je me dois de la respecter, de respecter l’espace de vie de chacun et puis, n’oublions pas que ce qui permet à chacun de vivre, c’est l’oxygène que nous partageons tous à chaque seconde, minute, heure et au fil des siècles qui passent. 

Du coup, j’ai interrogé mon ami le phénix : «  Dis moi, si tu devais changer d’endroit pour ton nid, où irais-tu ? »  
Il me répondit avec un sourire dans la voix : « Je vais t’enseigner ce que j’ai appris : le plus beau est de pouvoir construire avec chaque branche que tu trouves, car chacune raconte une histoire, porte ces valeurs, son vécu… voici la richesse du nid, elle réside en l’héritage que chaque branche a laissé et que l’on compose avec son propre nid. » 
Alors je lui ai dit : « Dis moi, ce n’est pas la valeur de la vie humaine que tu me décris : liberté, égalité, fraternité, partage, respect et diversité ? ” 

Il me répondit : « Tu as la réponse en toi, la couleur de ta peau caramel ; et dans ce que tu vois, vis, et tu le sais déjà, alors au nom du partage, de l’oxygène qui fait battre nos cœurs, ne te laisse pas avoir ni par la peur, la haine et la rage et n’oublie pas ce mot qui t‘animais depuis ton exposé sur les Papou : UBUNTU ». Nous sommes. »
(Nelson Mandela disait que « quelqu’un d’ubuntu est ouvert et disponible pour les autres. Il sait qu’il appartient à quelque chose de plus grand et il se sent diminué quand les autres sont diminués », Ndrl).

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« Si j’étais un de ces oiseaux aux ailes bleues, ceux un peu plus gros que mes deux mains jointes, surement j’aurais envie et besoin de me faire un nid. D’avoir ce creux quelque part, prêt à me recevoir. 
Je choisirais peut-être un arbre dans un bosquet près d’une route, où je serais tranquille mais jamais seule. Ou peut-être je trouverais une vieille maison, usée par le temps et par eux qui y restent, quelques brindilles à tresser tous les soirs, des bouts de cordes et de ficelle à tisser entre les brins, et bientôt mon creux serait là. En attente d’un corps chaud et fatigué à recevoir. Je le ferais dans un trou sous les tuiles pour ne pas quitter l’odeur du vent la nuit. »

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L’atelier « Prendre mots » vise à permettre aux femmes vulnérabilisées et victimes de violence, prises en charge dans le parcours de soin de la Maison des femmes de l’hôpital Delafontaine, de s’exprimer dans le cadre d’exercices d’écritures encadrés. Ce n’est pas un groupe de parole mais une espèce de cercle de jeux de mots, animé par la photographe et autrice Louise Oligny, la dessinatrice, créatrice et autrice Clémentine du Pontavice, la journaliste Sophie Dufau, et cette année avec l'étudiante en art thérapie Juliette Cabon. Pour retrouver tous nos posts, cliquez ici.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.