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Billet de blog 9 déc. 2022

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Des Blancs comme les autres? (3/3) Mélenchon a-t-il séché le caté ?

Le livre d'Illana Weizman dans sa charge furieuse, pose deux questions qui peinent à faire avancer la lutte contre l'antisémitisme : Mélenchon a-t-il séché le caté ? et est-il nécessaire de mentir pour polémiquer avec Houria Bouteldja ?

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Mélenchon a-t-il séché le caté ?

Mélenchon est-il un catholique d’avant Vatican II (1967) ?

Après avoir superbement ignoré la culture politique de Mélenchon Illana Weizman tente de rattacher à la théologie catholique "préconciliaire" d'avant 1965.

Le cas "Jésus", portant sur es circonstances supposées de sa mort est presque drôle : il permet à Illana Weizman d’affirmer que Mélenchon propage la théorie du peuple (juif) déicide en méconnaissant les enseignements du Concile Vatican II, qui l’a abandonnée.

Apolline de Malherbes de BFMTV, interrogeant Mélenchon sur la police, lance une comparaison surréaliste entre les CRS qui ne devraient pas riposter et « Jésus sur sa croix ». Mélenchon ne rétorque pas (comme rétrospectivement on imagine qu’il aurait pu dire : « Mais c’est tendre l’autre joue dont il est question, votre Jésus n’allait pas descendre de sa croix et se mettre à boxer ! ». « Ainsi vous faites vos prières du soir devant des photos de CRS ? »). Mélenchon prend une première distance en affirmant « Je ne sais pas si Jésus était sur la croix », donc qu’il n’y croit pas, et une seconde distance en précisant « je sais qui l’y a mis, paraît-il»,  donc je sais ce que rapportent les gens qui y croient ; « ce sont ses propres compatriotes ». Mélenchon ne parle pas de juifs mais de « compatriotes » aussi bizarres qu’anachroniques. Bref, face à ces propos absurdes, il ne trouve pas d’idée lumineuse. La morale qu’en donne Mélenchon n’a ni queue ni tête : « ce qui prouve qu’en matière de méchanceté mutuelle, l’imagination est là depuis quelques temps ».[1]

Cela traduirait-il le fait que Mélenchon garde des souvenirs brumeux du temps où il était enfant de chœur et apprenait donc la théologie préconciliaire ? Né en 1951, il a suivi le catéchisme avant la clôture du concile Vatican II fin 1965.  A-t-il, depuis, étudié les ouvrages consacrés à Jésus, aux circonstances supposées de sa mort, aux rôles respectifs tout aussi hypothétiques des notables juifs, des pharisiens et des occupants romains ? A-t-il une connaissance experte du débat théologique au sein de l’Eglise catholique sur la question ?

 En fait, Mélenchon, comme il y fait allusion, est rigoureusement athée. Il est donc par définition insusceptible de dire « je sais qui l’y a mis ». Car il n’a pas la moindre idée de la matérialité des faits. Et d’ailleurs, les mots sont importants : Mélenchon n’a pas dit juste « je sais », il a ajouté « paraît-il », prenant une deuxième distance avec la désignation de « ceux qui l’y ont mis ». Illana Weizman omet le « paraît-il ».

Enfin Mélenchon, toujours du fait de son athéisme, ne peut croire à l’idée du « peuple déicide », puisqu’à ses yeux, l’agitateur dissident qui aurait pu être exécuté à l’époque ne pouvait être Dieu.

Ces politiques devraient connaître par cœur les textes du Vatican !

C’est sûr, Mélenchon aurait mieux fait de zapper. Il se montre assez proche des trois évangiles qui ne parlent pas « des Juifs » mais du « peuple », de « la foule » ; l’exégèse mélenchonienne, en traduisant par « ses compatriotes », n’a rien d’absurde[2]. En fait en matière de théologie catholique, il est peut-être à la ramasse, - tout comme Illana Weizman -, cela ne fait pas de lui un antisémite accroché à la théorie du « peuple déicide ».

L’Eglise catholique n’est jamais revenue sur les récits de la Passion du Christ

Par ailleurs, vu que tout ceci repose sur des évangiles qui sont à la fois incontestables aux yeux des chrétiens et contradictoires entre eux sur des points essentiels, la marge d’interprétation de l’Eglise catholique est confortable. J’ai hésité à remercier Illana Weizman de nous avoir fait part de ses lumières sur les circonstances de la mort de Jésus, et pour sa superbe assurance à invoquer la déclaration Nostra Aetate du concile œcuménique Vatican II, le 28 octobre 1965.

Petit bémol : en fait Illana Weizman n’a pas pris la peine de lire le texte adopté au Vatican qui dit très explicitement que « des autorités juives, avec leurs partisans, [ont] poussé à la mort du Christ (Jean 19,6) ». Selon la citation complète, par laquelle l’Église rompt avec l’antisémitisme catholique : « Encore que des autorités juives, avec leurs partisans, aient poussé à la mort du Christ, ce qui a été commis durant sa Passion ne peut être imputé ni indistinctement à tous les Juifs vivant alors, ni aux Juifs de notre temps. S’il est vrai que l’Église est le nouveau Peuple de Dieu, les Juifs ne doivent pas, pour autant, être présentés comme réprouvés par Dieu ni maudits, comme si cela découlait de la Sainte Écriture. ».

En réalité le concile n’a pas touché du tout à la description des circonstances de la mort de Jésus ni aux rôles respectifs des prêtres et des pharisiens, foule du peuple demandant aux autorités romaines qu’il soit crucifié et que le voleur séditieux Barrabas soit relâché plutôt que Jésus. Car il en va de l’autorité des quatre évangélistes, qui en font état quasiment dans les mêmes termes. Donc sur ce point précis, le Concile n’a rien modifié. Il n’a en fait pas changé un iota au texte du Nouveau testament[3].

Le passage de l’évangile de Matthieu (27,25) visé par les cardinaux est « tout le peuple répondit « que son sang soit sur nous et sur nos enfants ! » ». Les cardinaux ont consenti à reconnaître que ces exagérations d’une foule excitée, un jour des années 30 de notre ère, n’engageaient pas les autres juifs hiérosolymites de l’époque, ni a fortiori leurs descendants.

Il reste certain que pour Mélenchon, comme tous les antiracistes et tous les proches et activistes des gauches radicales et des mouvements décoloniaux, le reproche fait par les chrétiens aux juifs concernant les hypothétiques circonstances d’un évènement survenu il y a près de 2000 ans est juste dépourvu de sens, une absurdité complète.

Est-il nécessaire de mentir pour polémiquer avec Houria Bouteldja ?

Sa deuxième tête de Turc est Houria Bouteldja, qu'elle attaque sans nuances. Dans le chapitre Les Blancs, les racisés et les Juifs ? qui parodie le titre de l’essai de Bouteldja Les Blancs, les Juifs et nous, elle aborde « Bouteldja et l’antisémitisme de certains milieux décoloniaux ».

Illana Weizman a évidemment le droit de penser pis que pendre de Bouteldja. Mais si elle la critique, encore faut-il qu’elle s’appuie sur ce que Bouteldja écrit effectivement.

Je prendrai un seul exemple :

Weizman écrit : « Dans son chapitre « Vous les Juifs », elle [Bouteldja] écrit : « On ne reconnaît pas un Juif parce qu’il se déclare Juif mais à sa soif de vouloir se fondre dans la blanchité, de plébisciter son oppresseur de vouloir incarner les canons de la modernité ». Illana Weizman commente « Dans sa vision fantasmée et hors sol, les Juifs sont blancs par choix, par élection, ils auraient choisi de devenir des oppresseurs »[4]. La citation est presque exacte, Illana n’a oublié qu’un « et ». Mais c’est néanmoins une tricherie, un mensonge.

En fait Bouteldja introduit son chapitre par une anecdote : « Un jour, un juge israélien, Moshe Landau, célèbre pour avoir présidé le procès d’Adolf Eichmann, a dit : « je déteste les Arabes, ils me rappellent tellement les [Juifs] Sépharades. » ». Elle file la comparaison, digresse puis reprend « Ce qui fait de vous de véritables « cousins », c’est votre rapport aux Blancs. Votre condition à l’intérieur des frontières géopolitiques de l’Occident. Quand je vous observe, je nous vois. Vos contours existentiels sont tracés. Comme nous, vous êtes endigués. On ne reconnaît pas un Juif parce qu’il se déclare Juif mais à sa soif de vouloir se fondre dans la blanchité, de plébisciter son oppresseur et de vouloir incarner les canons de la modernité.

Comme nous. »[5]

Bouteldja souligne ce qui constitue à ses yeux une ressemblance frappante entre les Juifs et les indigènes[6]. Couper le « Comme nous », c’est attribuer à Bouteldja une attitude qui n’est pas la sienne[7]. Le fondement de la pensée de Bouteldja, c’est « Vous êtes toujours dans le ghetto. Et si nous en sortions ensemble ? ».

Pour paraphraser Enzo Enzo : « la moitié d’une citation c’est déjà un mensonge. »[8]. Or Illana Weizman se laisse aller plusieurs fois à ce type de procédé[9].

Pourquoi tant de haine ?

C’est d’autant plus paradoxal que ces deux auteures semblent partager nombre d’analyses : par exemple quand Illana Weizman dit « Trop souvent, des personnalités ou organisations, qu’elles soient juives ou non, communautaires ou non, telles qu’Alain Finkielkraut, le Crif, mais aussi Manuel Valls ou Emmanuel Macron, vont allègrement mélanger destin israélien et condition juive […]. Crier à l’antisémitisme à chaque critique d’Israël est un piège, l’autre face du procédé antisémite de l’assimilation des Juifs à Israël ». Voila qui est dit avec des mots a peine différent par Houria Bouteldja.

Je serais néanmoins enchanté de préparer avec Illana Weizman une formation à deux voix dans le cadre qui lui conviendrait. Nous pourrions par exemple la bâtir autour de l’excellent ouvrage Antisémitisme & Islamophobie, une histoire croisée, qu’elle cite laudativement.

A une seule condition : qu’elle fasse des excuses publiques à Jean-Luc Mélenchon et Houria Bouteldja.

René Monzat

Troisième billet a propos du livre d'Illana Weizman, lire le premier et  le deuxième.

[1] 15 Juillet 2020 https://www.pscp.tv/BFMTV/1lPJqLWvYybGb?t=21m19s

[2] Seul l’évangile selon Saint Jean parle « des Juifs »

[3] La Bible de Jérusalem, éd du Cerf, 1988 : Matthieu, 27,22

« Pilate leur dit : « Que ferais-je donc de Jésus qu’on appelle le Christ ? » Ils disent tous « Qu’il soit crucifié !»

Il reprit : « Quel mal a-t-il donc fait ? » mais ils criaient plus fort : « Qu’il soit crucifié !»

Voyant alors qu’il n’aboutissait à rien, mais qu’il s’ensuivait plutôt du tumulte, Pilate prit de l’eau et se lava les mains en présence de la foule, en disant « je ne suis pas responsable de ce sang, à vous de voir ! »

Et tout le peuple répondit : « Que son sang soit sur nous et sur nos enfants ! »

[4] Des Blancs comme les autres ? p. 159.

[5] Les Blancs, les Juifs et nous. Vers une politique de l’amour révolutionnaire. Houria Bouteldja, la Fabrique, 2016. (147 pages). p.49.

[6] « Indigènes de la république, nous le sommes en France, en Europe, en Occident. Pour le Tiers-Monde, nous sommes blancs. La blanchité n'est pas une question génétique. Elle est rapport au pouvoir. Déjà les frères que nous avons abandonnés là-bas nous regardent d'un œil oblique. »

[7] De surcroît Bouteldja décrit les ressemblances entre « les Juifs » et « nous » (les indigènes »). Donc si ses appréciations étaient scandaleuses, elles le seraient autant pour « les indigènes » que pour « les Juifs ». Or Illana Weizman semble les juger scandaleuses seulement pour les Juifs. Je présume néanmoins qu’elle ne pense pas, consciemment du moins, que des propos racistes concernant les juifs cesseraient de l’être s’ils concernaient les noirs ou les arabes. Au contraire elle aime comme Bouteldja citer Franz Fanon « Quand vous entendez dire du mal des juifs, dressez l'oreille, on parle de vous.» Voir aussi sur le site du NPA une reprise de cette citation ici.

[8] Enzo Enzo, « La moitié d’une pomme » in album Deux 1994.

[9] https://qgdecolonial.fr/2022/12/06/droit-de-reponse-dhouria-bouteldja/

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