Roger Evano (avatar)

Roger Evano

ex-ébéniste, auteur

Abonné·e de Mediapart

118 Billets

3 Éditions

Billet de blog 24 février 2013

Roger Evano (avatar)

Roger Evano

ex-ébéniste, auteur

Abonné·e de Mediapart

Contre les communautarismes, les arts multiples de la créolisation (4/4)

Nous arrivons à la conclusion de notre critique de l’émission de Médiapart du 25 janvier (voir nos trois billets précédents, sur l’islamophobie, le voile, le totalitarisme). C’est à la pensée d’Edouard Glissant (E.G.) que nous avons principalement recours pour  ouvrir des perspectives.

Roger Evano (avatar)

Roger Evano

ex-ébéniste, auteur

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Nous arrivons à la conclusion de notre critique de l’émission de Médiapart du 25 janvier (voir nos trois billets précédents, sur l’islamophobie, le voile, le totalitarisme). C’est à la pensée d’Edouard Glissant (E.G.) que nous avons principalement recours pour  ouvrir des perspectives.

Inventer le vivre ensemble

Les questions de la diversité sociale (des ethnies, des religions, des coutumes...) sont souvent uniquement posées en termes de conflits culturels ou, dans nos sociétés désolidarisées, en termes de simples choix individuels.

C’est une façon d’ignorer les aspects politiques (au sens large) de la construction du vivre-ensemble. Deux orientations s’opposent :

- celle de la créolisation, des sociabilités ouvertes, tissant entre les communautés et les personnes les liens imprévisibles d’un monde commun dont chacun est coresponsable ;

- celle du communautarisme fermé, des clans exclusifs, du repli dans les forteresses de l’entre-soi, rejetant la diversité à l’extérieur.

La créolisation et la Relation

La créolisation.

« J’appelle créolisation, des contacts de cultures en un lieu donné du monde et qui ne produisent pas un simple métissage, mais une résultante imprévisible. Cela est très lié avec la notion de ce que j’appelle le chaos-monde. Un chaos-monde, caractérisé non pas par le désordre mais par l’imprévisible. On peut prévoir le métissage, pas la créolisation. (...) Essayer de pénétrer et de deviner la créolisation du monde, c’est commencer à lutter contre la standardisation généralisée qui atteint l’économie, le social, la culture… » (E.G.)

La Relation. C’est le nom que s’était donné le mouvement social en Guadeloupe, en janvier 2009 : Liyannaj Kont Pwofitasyon ( le lien contre la profitation)- mouvement qui s’était étendu à la Martinique, en Guyane, à la Réunion.

La créolisation implique de renoncer à l’identité fermée  « l’identité à racine unique qui prend tout et tue autour d’elle »pour adopter l’identité-relation « l’identité rhizome qui s’étend dans son rapport, dans sa Relation à l’autre ».

Elle est le contraire de l’assimilation, qui consiste à vouloir que tout le monde se conforme à un modèle dominant. Elle suppose changement réciproque, interactions créatrices. 

Ce principe préside aux jardins créoles cachés où, pour survivre, les esclaves cultivaient une grande diversité de plantes et d’arbres organisés de manière à se protéger mutuellement.

C’est exactement cette idée que partagent les trois amis, Edwy Plénel, Elias Sambar et Farouk Mardam Bey dans « Notre France ». Que disent-ils sur les liens, l’influence des cultures entre elles, sur la richesse des histoires différentes, des coutumes, des langues, des religions?

 Edwy Plénel: « Oui le déplacement, avec son corollaire, la relation est une question éminemment politique, l’envers des fixités mortifères et des clôtures guerrières… Comment tisser nos différences ?» 

 Et Elias Sambar: « Question lancinante qui requiert d’oser se demander si l’on peut changer et demeurer reconnaissable, changer tout en restant soi même, devenir un autre en demeurant soi ». «  Il est indéniable qu’il faut à un moment donné affronter une peur sournoise enfouie au plus profond de soi, celle de la dictature des racines,  qui vous chuchote sans cesse : Change et tu mourras Comment passer du multiculturalisme entendu comme une juxtaposition de cultures enfermées dans leur différences à une interculturalité faite d’échanges, de confrontations et d’emprunts mutuels?».

Le communautarisme et la fermeture

Les communautés  identitaires se constituent « une identité refermée sur elle-même, craignant l’étrangeté, associée à une langue, une nation, une religion, parfois une ethnie, une race, une tribu, un clan » (E.G.). Elles construisent des forteresses qui peuvent être défensives (protéger des traditions contre un monde hostile) ou offensives (dominer un territoire, capter ressources et pouvoirs).

Lorsqu’elles poussent à l’extrême la logique sectaire, elles interdisent à l’individu de s’épanouir hors de son appartenance. Les adeptes doivent marquer – par différents signes et comportements - leur rupture avec le contexte culturel commun et leur adhésion au dogme.

C’est bien l’esprit de l’identité fermée et sectaire que nous avons reconnu dans le discours des invités de Médiapart.

Le premier acte a consisté à accuser en bloc la société environnante de raciste, de colonialiste, d’islamophobe et de laïcard, sans plus  de distinctions.  Le cadre laïc fut  contesté en vertu d’une appartenance religieuse.  Le symbole du voile réfère les paroles de Mme Zahra Ali sur le féminisme à la vérité unique, celle du Coran : « …l’autorité de la charia (par conséquent divine et infaillible)… » (Féminismes islamiques p.117). Or l’égalité hommes-femmes n’est pas liée à une religion, c’est une valeur universelle.

Comment cette logique sectaire se décline-t-elle dans la réalité ? En 2004 au Forum Social Européen (FSE)  de Londres se sont affrontées deux conceptions du féminisme mais aussi de la laïcité et du débat. Les « féministes musulmanes », ayant pris le contrôle de la tribune, en refusèrent l’accès aux femmes non voilées. Il fut affirmé qu’il était normal que le séminaire du FSE ne fût pas contradictoire et qu’il ne portât pas aussi sur la liberté de conscience ou sur l’égalité entre les hommes  et les femme. A la fin du FSE la LDH  publia un communiqué  se terminant  par : «Il est évident que ce refus de débattre sur des problèmes aussi fondamentaux…ne peut être masqué par l’anathème  et l’invective…Si certains pensent qu’au delà de ‘leur vérité’ rien ne vaut…ils se situeraient alors aux antipodes de l’engagement de la plupart des organisations participantes, dont la LDH »

Dans toute démarche sectaire, les pires ennemis sont les plus proches en apparence. Si à Londres les féministes européennes étaient la cible, pour les intégristes islamiques ce sont les musulmans laïcs, ouverts à une compréhension contemporaine des préceptes religieux.  C’est ainsi que l’on a entendu la stupéfiante protestation d’Eric Vandorpe (min 42-43 de l’émission.) : « En France on préfère un imam de Drancy qui parle mal le français, qui ne connaît pas la culture française, plutôt qu’un Tariq Ramadan, un universitaire cultivé, qui parle admirablement la langue de Voltaire, qui connaît tout à fait les codes des français et connaît parfaitement la culture française. Voyez comment un certain imam, on l’a transformé en porte parole des musulmans de France et ce Tariq Ramadan qui a beaucoup plus de légitimité pour jouer ce rôle on n’en veut pas parce qu’il est trop bon français pour être vrai ». Il est vrai que Hassen Chalgoumi parle moins bien  le français que Tariq Ramadan. Mais est-ce là le critère de validité de leurs discours ? Depuis quand on juge la valeur de ce qui est dit à sa qualité littéraire et non aux valeurs exprimées ? Sans adhérer à toutes les  prises de positions de Hassen Chalgoumi, il faut signaler qu’il est partisan, d’une place entière pour les femmes dans la société, d’un dialogue inter religieux, d’un ‘djiad’ intérieur et de paix – et qu’il vit menacé des violences des fondamentalistes.

Tariq Ramadan, seul représentant valable des musulmans ?

On s’en souvient, face à Sarkozy, ministre de l’intérieur, il soutint l’idée d’un moratoire sur «  la lapidation des femmes adultères ».  L’idée - pourtant défendue depuis longtemps par son frère Hani - parut tellement incroyable qu’elle passa pour un dérapage. Erreur ! Aujourd’hui sur le site de « Présence musulmane » proche de T. Ramadan l’on trouve un « Appel international à un moratoire sur les châtiments corporels, la lapidation et la peine de mort dans le monde musulman ». T. Ramadan est aussi signataire de l’appel des « Indigènes de la république » qui s’oppose à la loi interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public, appelée «  Loi sur le voile intégral ».

En lisant le livre de Zahra Ali on apprend que ce «  Collectif des femmes musulmanes européennes  issu de la plate-forme interassociative "Présence Musulmane", proche de T. Ramadan, avait par ailleurs participé à des séminaires de formation  dispensés par ce dernier sur la « naissance d’un féminisme islamique ».

 L’on comprend alors que l’apologie de Tariq Ramadan n’est pas fortuite, que Zahra Ali  et  Eric Vandorpe sont sous l’influence des Frères Musulmans, dont T. Ramadan et son frère Hani sont les propagandistes en Europe. Nous  reconnaissons  cette influence à ce qu’ils utilisent les mêmes mots : racisme, islamophobie, laïcard, colonialisme et la même référence à l’Angleterre-pays-de-liberté-contrairement-à-la-France. Ils tentent systématiquement de culpabiliser et de disqualifier toute personne critique de leurs thèses. Les Frères Musulmans, au pouvoir en Egypte et Ghannouchi en Tunisie montrent ce que les discours de T. Ramadan donnent lorsqu’ils sont mis en œuvre.

Les Frères Musulmans ne développent pas une stratégie de conquête par les armes, à l’opposé des Salafistes, en cela ils apparaissent comme moins dangereux, mais une stratégie de conquêtes partielles symboliques (le voile), de travail en profondeur (les écoles pour les enfants, la formation des imams et des… féministes musulmanes). Séverine Labat , chercheuse au CNRS dit dans le documentaire de Caroline Fourest : « Les Frères Musulmans sont partisans d’une réislamisation par le bas, c’est à dire par le travail social, culturel…(pour) maintenir (les musulmans) dans un état de non intégration pour qu’ils soient malléables, toujours à la main de ceux qui les ont convertis ».

Toutes les questions éminemment politiques furent absentes du débat du 25 janvier. Centré, dans la confusion, sur le rejet discriminatoire de l’islam, il n’a pas été fait mention des  islamistes bourreaux. En cela cette soirée de Médiapart  paraissait renouer avec cette  tendance du gauchisme qui invitait, il y a quelques années, partout en France Tariq Ramadan à développer, sous des propos ambigus, le programme des Frères Musulmans. La LDH et la Ligue de l’enseignement mirent des années à comprendre le piège dans lequel elles étaient tombées

.. La culture musulmane est partie prenante de la culture occidentale qu’elle a  largement influencé depuis le moyen age. Son apport est important. Il ne peut consister en la perpétuation d’une dictature du religieux ni de la hiérarchisation hommes/femmes.. Sachons dans ces « emprunts mutuels » sélectionner ce qui permet le « mieux vivre ensemble », choisir ce qui est une richesse et non une régression. Edouard Glissant avait fait ces choix, lui qui fut président honoraire du Parlement international des Ecrivain, dont le premier président  a été Salman Rushdie, Parlement initiateur du réseau des villes-refuges pour les écrivains persécutés par la violence politique ou religieuse,  en réponse aux assassinats en Algérie de plusieurs écrivains et en particulier celui de Tahar Djaout, victime d’un attentat organisé par le Front Islamiste du Salut.

Nous sommes d'acccord avec Edwy Plénel quand il dit: « C’est ainsi que le sort m’a fait, a-religieux et, en même temps, sans sectarisme laïciste envers ceux qui croient en Dieu à condition qu’ils n’en fassent pas une idéologie politique ».

 Sous le discours contre la discrimination perçait l'idéologie politique des Frères Musulmans. C'est la raison  de notre réaction.

Chantal et Roger

Références

Les livres d’Edouard Glissant, notamment  Le discours antillais, Tout-Monde, Les entretiens de Baton Rouge.

Il est co-auteur du Manifeste des neuf intellectuels antillais à lire sur Médiapart (http://www.mediapart.fr/journal/france/160209/neuf-intellectuels-antillais-lancent-un-manifeste-de-la-revolte).

Propos recueillis par Frédéric Joignot (Le Monde.fr du 3 février 2011) Pour l’écrivain Edouard Glissant la créolisation du monde était irréversible (http://www.lemonde.fr/disparitions/article/2011/02/03/pour-l-ecrivain-edouard-glissant-la-creolisation-du-monde-etait-irreversible_1474923_3382.html)

Billet de blog de Pierre Carpentier Edouard Glissant, l’exemple world-class de l’anticolonialisme

http://blogs.mediapart.fr/blog/pierre-carpentier/211012/edouard-glissant-lexemple-world-class-de-lanticolonialiste

Edwy Plénel rend un superbe hommage au poète dans son article sur Médiapart Le siècle de Glissant, poète du Tout-Monde  http://www.mediapart.fr/journal/france/030211/le-siecle-de-glissant-poete-du-tout-monde.

Et à Buoux, avec Estelle Bonnier, lors de la rencontre organisée par CAMédia dont vous pouvez voir la vidéo : http://blogs.mediapart.fr/edition/camedia/article/051011/hommage-edouard-glissant-par-edwy-plenel-suite-buoux-2011

Les villes-refuges : Pierre Bourdieu en audience publique devant la Commission des affaires étrangères, de la sécurité et de la politique de défense - Sous-commission des droits de l'homme - Parlement européen, Bruxelles, 25 avril 1996.http://www.homme-moderne.org/societe/socio/bourdieu/Bvilrefu.html

Tribune de Salmon Christian Des villes refuges contre les assassins de l’imaginaire (Libération, 21 juin 1995  http://www.liberation.fr/tribune/0101146123-des-villes-refuges-contre-les-assassins-de-l-imaginaire)

Ne résistez pas au plaisir d’aller voir sur le site « archipel des sciences » les superbes images et explications sur les jardins créoles ainsi que les expériences pédagogiques. http://www.archipel-des-sciences.org/spip.php?article4

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.