salvatore palidda

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Billet de blog 8 février 2025

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La continue reproduction des sales affaires italo-libyens

Comme tous les pays colonisateurs, l’Italie ne cesse de reproduire des sales affaires avec la Libye. Massacres des migrants, accaparement du pétrole, terres rares etc. Après Kadhafi l’entente avec les criminels devenus boss de la sécurité de ces affaires est sacrée pour tout gouvernement italien jusqu’à bafouer toute légalité nationale et internationale jusqu’à la révérence au bourreau Almastri

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Le récent crime du gouvernement italien avec la libération du bourreau Almastri oblige à rapplere la vieille horrible relation entre l’Italie et la Libye.

La colonisation italienne de la Libye fut la dernière grande guerre de Mussolini à coups de crimes contre l’humanité occultés par les Anglais et les Étatsuniens et ensuite, pour très longtemps, par les autorités italiens, après la 2ème guerre mondiale[1]. Le très courageux plus important historien des faits coloniaux italiens, Angelo Del Boca[2] fut longtemps banni parce que dévoilait des crimes de guerre que l’Italie ne voulait pas reconnaitre et payer.

Ce fut Berlusconi a établir en 2008 avec Kadhafi un traité “après 40 ans de malentendus” … pour “Moins de clandestins sur les nos côtes et plus pétrole” et pour l’“Amitié, partenariat et coopération entre l’Italie et la Libye” Kadhafi fut accueilli à Rome avec tous les plus grands honneurs, lui offrant des grandes espaces pour installer son campement et celui de son très nombreux entourage. L’Italie s’engagea à dédommager l’ex-colonie avec cinq milliards de dollars en vingt années. Rappelons que l’Italie était contraire à l’élimination de Kadhafi, mais ensuite elle a expérimenté toute sorte de rocambolesques combines pour maintenir des relations privilégiées avec la Libye en dure compétition avec la France, les Anglais et les autres puissances néocoloniales (https://effimera.org/lo-sporco-baratto-italo-libico-neo-genocidio-liberista-dellue). 

C’est l’alors ministre de l’intérieur Minniti du Parti démocratique (PD, ex-gauche) à avoir poursuivi en 2010 l’entente à tout prix avec les libyens (une entente qui date depuis longtemps -voir Carine Fouteau, et aussi ici). Rappelons que, avec l’autre important leader du PD Violante, ce parti déventa le premier référent politique de la lobby militare e des polices en Italie; aujourd’hui ils sont devenus des hauts dirigeants de Leonardo, la multinationales italienne des armements et aussi les nouveaux grands amis de la duce Meloni.

C’est lui qui envoya à Tunis des agents des services secrets italiens à l’hôtel Gammarth di Tunis pour donner 10 millions de dollars au frère du criminel (voir le reportage de Lorenzo Cremonesi)

Sur mandat de Minniti le chef de bande libyen Dabbashi rencontra des agents des services secrets italiens dans l’hôtel Gammarth de Tunis: là lui donnèrent 1o millions de dollars (Minniti fut definit “Lord of the spies” par le New York Times). Selon les témoignages de quelques migrants et de la présidente de Médecins sans Frontières, Joanne Liu (voit la lettre qu’elle envoya aux autorités européennes), et aussi selon la commissaire européenne Cecilia Malmström, les migrants arrêtés par cette milice étaient à la merci de vols, violences, esclavage, viols et tortures.

Depuis 2010, les reportages de Lorenzo Cremonesi sont précieux (ici l'un des premiers).

Depuis le début de l'année 2010, Sabratha Ahmad Dabbashi était un vendeur présent sur le marché, il était prêt à faire tout boulot, transport de cassettes de fruits, déchargement de camions etc.. Et enfin, dans le grande boucherie provoquée par la guerre de l'OTAN pour éliminer Kadhafi, il est devenu le bandit le plus célèbre de la région, contrebandier de pétrole et trafiquant de migrants; il a transformé sa bande en police anti-migrants; a travaillé avec le gouvernement de Tripoli et les agents des services secrets italiens”. C'est ce que raconte Mohammad son vieux voisin. “C'est la réalité de la Libye ... la force qui domine le camp est souvent pas propre, ambiguë, meme criminelle. Avec la milice de Dabbashi il n’y avait rien d’autre à fare que de s’y accorder. La combattre aurait été relancer un bain de sang et en plus sans perspective de victoire. La meilleure solution a été l’intégrer, agir pragmatiquement. Les services secrets italiens et le ministre Minniti en ont bien eu l’intuition”. (Hussein Dhwadi, maire de Sabratha)

Ahmad Dabbashi “est un mafieux, un bandit, il a assassiné nos agents et prospérer dans l'illégalité, dans l'arbitraire. Il ne pourra jamais être notre allié” (Bâle Algrabli, directeur de la locale Unité Anti-Migrants).

Ahmad Dabbashi, soupçonné de divers crimes, s'est lancé dans le trafic de drogue et de pétrole. Il a pu se payer environ 300 bandits ; il a pu avoir une dizaine de Toyota blindées avec des mitraillettes lourdes. Il a la "brigade Anis Dabbashi", nom des cousin mort dans un combat à feu et son autre "brigade 48" guidée par son frère Mehemmed appelé "al Bushmenka", avec la participation des cousins Yahia Mabruk et Hassan Dabbashi. En 2015, il a monopolisé les mouvements de camions vers le désert et jusqu’à la côte de la frontière avec la Tunisie et le port de Zawiya. Ammu Dabbashi contrôle également les services de protection des magasins et des terminaux de pétrole et de gaz à Mellitah. Ainsi il contrôle les sites de la multinationale italienne du pétrole ENI. C’est alors qu’il a tissé se rapports avec les 007 italiens devenus importants après l’enlèvement de quatre techniciens italiens (dont deux assassinés).

"Yihab - le frère d'Ammu - a également traité l'accord pour le stop des migrations vers l’Italie avec les agents des services secrets italiens envoyés par Minniti, dans l’hôtel de Gammarth. Les Dabbashi sont une garantie. "Il contrôlait 80% des départs, une affaire de millionnaire, au moins 1 000 dollars par migrant assurant un transport sur. Il était également en contact avec des organisations criminelles italiennes. 600 000 migrants étaient bloqués en Libye (nigérians, érythréens, soudanais, tchadiens, de la Cote d'Ivoire et du Mali).

Dans son entretien avec le Corriere della sera Minniti affirme: “La Libya est stratégique; il est juste faire des accords avec. Sur le cas Almasri le gouvernement aurait dû parler de sécurité nationale”. Cela parce que, selon mister Minniti, il s’agit de la “sureté meme physique de tout citoyen italien. Un grand morceau de sécurité nationale qui se joue en dehors des frontières nationales car c’est la base la plus avancée des trafiquants. Second, il y se joue une match énergétique essentiel (il fait allusion à l’intérêt de l’Eni), tout comme en Ukraine. Troisièmement, l’Afrique est le principal incubateur du terrorisme international e juste il y a quelques années la capitale moderne de la Libye, Sirte, était en main de l’Etat islamique”.

Remarquons au passage que cette pseudo “raison d’État” invoquée par mister Minniti n’est absolument pas compatible avec l’adhésion au statut de la Cour Pénale Internationale (CPI), (par ailleurs signé à Rome) comme prévu par l’art. 127. Les États qui n’ont pas reconnu cette Court, tels la Russie et les États Unis, c’est précisément parce qu’ils n’ont pas voulu renoncer à leur emploi -le plus souvent sans scrupules- de la raison d’État.

A propos du cas Almastri, le bourreau dont la Cour International avait demandé l’arrestation, mais le gouvernement italien l'a libéré et l'a accompagné chez lui avec un vol d’État. Mais selon Minniti: “Dès le début j’aurais utilisé le thème de la sécurité nationale: c’est net. … No, le cas de Bija n’a rien à avoir .. Je ne l’ai jamais rencontré”. La biographie de ce trafiquant de migrants est assez similaire à celle d’Almastri. En 2017 fut invité par l’Oim en Italie, pour traiter un accord afin ‘arrêter les migrations de la Libye. A la demande d’une journaliste de l'Espresso s’il avait rencontré Minniti en Italie dit: “je ne sais pas, peut-être, je ne me souviens pas”. Le célèbre journaliste du quotidien du Vatican, Nello Scavo raconte ici la réunion en Italie à laquelle avait participé Bija. Malgré les dizaines de reportages sur ce criminel par plusieurs médias européens, Bija fut présenté in Italie comme “un des commandants de la Garde côtière libyenne (ibidem). C’est à cette réunion dans l’alors centre de rétention des immigrés “expulsables” en Sicile que les libyens demandent: “Combien dépense le gouvernement italien pour héberger chaque migrant ici?” Et alors ils ont fait comprendre que le “modèle de ces centres d’expulsables” peut être exporté en Libye si l’Italie le finance épargnant ainsi argent et problèmes” (ibidem).

Et Minniti affirme “L’État n’est pas une ONG” pour ensuite stigmatiser ceux qui attaquent le gouvernement Meloni pour avoir protégé et traité Almastri comme un précieux ami de l’Etat.

Dans son nouveau récent reportage, Lorenzo Cremonesi livre des morceaux de biographie de ce criminel -Almastri- qui aujourd’hui a le titre de général-chef de la police judicaire libyenne.  

“Toutes les plus hautes autorités libyennes -écrit Cremonesi- ont fait pression sur l’Italie pour obtenir le retour rapide de Almasri. Si l’Italie n’aurait pas fait ce qu’elle a fait il y aurait été un grave risque immédiat pour les structures de l’Eni, les travailleurs et tous les italiens en Libye. L’ambassade italienne elle meme aurait été le cible d’attaques”.
“L’Italie n’avait pas d’alternatives et par ailleurs Turquie, France, Égypt et Russie auraient pu se partager les contrats italo-libyens et des citoyens italiens en Libye auraient été kidnappés pour imposer l’échange avec Almastri”. Centaines de messages libyens sont parus sur TikTok et Facebook disant: “Dites à Rome qu’elle a 48h pour nous rendre Almasri, puis on attaquera l’Eni … Leur ambassade sera détruite”.  

Voilà donc les vrais raisons de cette grave opération de révérence italienne inouïe vis-à-vis des criminels libyens alors que la cheffe du gouvernement du fascisme “démocratique” italien, M.me Meloni, prétend toujours vanter qu’elle “ne subit, ni subira aucun chantage”.

Almasri, en 2014 se fait recruter dans la Rada, la milice émanation du front islamique et contribuera à arrêter le troupes du général Haftar. “La Rada utilise Almastri pour les sales opérations. Lui est un killer, il est chargé d’éliminer les indésidérés et pour ce faire il embauche des tueurs-à-gage et des mecs disposés à tout, les recrutant parmi les prisonniers enfermés dans les mêmes prisons qu’il contrôle lui-même”. Les vies d’environ 15.000 prisonniers dans trois prisons sont à sa merci. Dans la prison de Jedaida il y a surtout des trafiquants de drogue et criminels accusés de délits graves. Dans celle de Rueni il y a les migrants africains et arabes des pays voisins, tunisiens et égyptiens.  

La sécurité de l’actuel premier Abdul Hamid Dbeibeh et de son gouvernement est garantie par les hommes armés de trois milices et parmi elles par celles contrôlées par Almastri. “Le milices et en particulier la Rada sont des vrais États dans l’Etat. Personne peut les toucher. Elles ont une souveraineté et une autonomie proportionnelles à leur force militaire et à la faiblesse de l’autorité centrale. Quiconque veut traiter avec la Libye et agir sur son territoire doit négocier avec ces milices”.

L’affaire Almastri est maintenant devenu un grave cas d’abus de pouvoir de la part du gouvernement italien aussi à cause d’erreurs maladroits de la part de la Cour de justice de Rome et de la part du ministre italien de la justice (comme écrit le magistrat Aniello Nappi ex-conseilleur de la Cour de cassation italienne). La CPI a «envoyé la requête d’arrestation d’Almastri à l'Interpol par un “avis  rouge”, qui légitime l’arrestation directe de la police judicaire. Les magistrats romains ont donc commis un grossier erreur de droit refusant de valider l’arrestation d’Almasri et son incarcération. De sa part le Ministre de la justice italien aurait du communiquer de ne pas être légitimé à intervenir dans une procédure d’exclusive compétence du procureur général car la loi ne lui donne aucune autorité à ce propos.

La Cour pénale internationale (CPI) a donc ouvert une enquête à l’encontre du gouvernement italien pour déterminer si l’expulsion par l’Italie du responsable libyen Osama Almasri Najim constitue une entrave à la justice. De sa part le gouvernement italien a rejeté l’enquête de la CPI, mis en doute la conduite de la juridiction internationale et suggéré que la Cour elle-même fasse l’objet d’une enquête. La cheffe Meloni a refusé de se présenter devant le Parlement pour répondre aux questions de l’opposition et avec ses ministres mis sous enquête judiciaire prétend renverser la table accusant la CPI (Meloni imite Trump).

Or force est de constater que Almastri est sans aucun doute un dangereux criminel et qu’un pays que le libère de l’arrestation légitime de la part de la police et en plus l’accompagne chez lui avec un vol d’État est complice d’un bourreau inculpé d’assassinats, tortures, viols etc.

L’attitude de ce gouvernement néofasciste italien ne peut que rappeler celle de Mussolini qui après l’assassinat du leader socialiste Matteotti revendiqua devant le Parlement d’en avoir donné l’ordre.

[1] Voir l’excellent documentaire Fascist Legacy: https://www.youtube.com/watch?v=QBZT-9f-bIk&t=102s  avec les célèbres historiens Michael Palumbo, Angelo Del Boca, Giorgio Rochat, Claudio Pavone, David Ellwood et le yougoslave Ivan Kovacic. Ce documentaire montre qu’après l’Éthiopie Mussolini autorisa Badoglio et Graziani d’employer “meme à large escale tout gaz e lance feux” -28 décembre 1935-. Malgré avoir été condamné par le tribunal ONU -fait caché par les Anglais- Badoglio fut nommé chef du gouvernement italien après l’armistice italo-Anglo-Saxons en 1943. Les Anglais emportèrent de Rome une grande quantité de documents dont ceux montrés dans ce documentaire de la BBC après l’ouverture des archives anglaises. Ces documents constituent une dénonciation très grave de leur dissimulation des crimes de guerre commis par le colonialisme italien et la dissimulation de la condamnation conséquente de Badoglio et d’autres légitimés par les USA et le Royaume-Uni. La chaîne nationale italienne RAI avait acheté une copie de ce documentaire, mais il n’a jamais été transmis. Seule une chaîne privée italienne -une seule fois- en a diffusé des extraits en 2004. Voir https://www.imdb.com/it/title/tt1597615/ ; https://www.bbc.co.uk/programmes/w3ct6dl7 ; https://en.wikipedia.org/wiki/Fascist_Legacy.

[2] Parmi les livres d'Angelo Del Boca, voir Italiani brava gente ?, ebook, Neri Pozza ; Id. Da Mussolini a Gheddafi, Neri Pozza; Id, Aussi cruel que n'importe qui d'autre : les Italiens, les colonies et l'empire, Seagull Books, 2024. A. Del Boca et Mario Giovana, Le fascisme aujourd'hui : un aperçu mondial, Panthéon, 1969.

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