salvatore palidda

Professeur de sociologie à l'université de Gênes (Italie)

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Billet de blog 10 janvier 2022

salvatore palidda

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Italie: changements à travers la succession des présidents de l’Etat depuis 1990

Depuis 1990 cinq présidents de la République italienne ont géré le passage de la soi-disant “première” à la “deuxième” République, la période la plus trouble du pays après celle de 1945-1960. L’Italie est devenue un Etat présidentiel de fait. La situation reste incertaine à l’aube de l’élection du nouveau chef de l’Etat fixée le 24 janvier; la perspective politique du pays est très mauvaise

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Depuis 1990 le journaliste Marzio Breda a suivi les affaires politiques italiennes du côté du Quirinal, le palais où siège le président de la République et donc pendant que ce poste a été occupé successivement par Cossiga, Scalfaro, Ciampi, Napolitano et Mattarella. En 2006 a publié La guerra del Quirinal, sur les mutations du role du président entre la “première” et la "Seconde République" et maintenant il vient de publier Capi senza stato. I presidenti della Grande Crisi italiana, un ouvrage qui propose un excursus fort utile de l’œuvre des présidents pendant cette période. Rappelons qu’il s’agit là de la période marquée par des bouleversements du cadre politique du pays autant importants que ceux connus de 1945 à 1960. Juste après la guerre ce fut le referendum qui décréta la fin de la monarchie mais ensuite en 1948 ce fut le triomphe de la Démocratie Chrétienne (DC), le parti-Etat qui a dominé le pays pendant 40 ans, merci au soutien des Etats-Unis, de l’Église Catholique, du patronat, d’un très vaste “capitalisme d’Etat”, du clientélisme mais aussi de la mafia, un soutien qui a imposé cette domination avec toutes sortes de moyens et modalités licites et surtout illicites voir à tout prix. Mais dès 1992 c’est la fin de la soi-disant “première République”, la fin du parti-Etat et de fait de tous les partis dits “de masse” (surtout DC, Parti Communiste et Parti Socialiste). Dès lors c’est aussi le triomphe de néo-libéralisme, la privatisation de tout le capitalisme d’Etat, un processus de déstructuration profonde de toute l’organisation politique de la société qu’on avait connue auparavant. Voilà alors que le role du président de la République est secoué e contraint à changer. Comme écrit Breda: «l’époque des présidents coupe-rubans (lors des cérémonies d’inauguration) ou qui sont là juste pour certifier en silence les choix des partis est terminée et on ne revient pas en arrière”. Ainsi les présidents, merci à leur entourage de plus en plus très bien avisé et réfléchi, ont découvert que le chef de l’Etat a beaucoup de pouvoirs jusqu’à maintenant ignorés. E à travers l’expérience de ces cinq présidents ont a compris la “formule qui a permis au Quirinal et l’Italie de rester débout: nos pouvoirs sont très hauts e très vagues, imprécis et imprécisables”. C’est ce que soutient le juriste Carlo Fusaro et Breda avant lui. “Pouvoirs qui doivent donc être interprétés et, quand il est nécessaire, dilatés”. “L’ambiguïté de la définition de la fonction de la présidence est contre la certitude du droit et pourrait induire quelques présidents à faire politique à son compte” -écrit Breda rappelant ce qui lui disait Cossiga-. Et là il cite aussi ce que le cardinal Giovanni Colombo avait expliqué au journaliste Alberto Cavallari qui en 1966 menait une enquete sur le Vatican. Pour faire comprendre les effets du Concile, ce cardinal disait: «Notre logique exige que nombre de choses restent dans le vague afin qu’elles puissent prendre forme avec le temps, selon les époques et les exigences de l’Église». Et selon Breda ce même raisonnement appliqué à la présidence de la République peut se traduire ainsi: un certain Quirinal n’existe plus, mais un nouvel Quirinal n’est pas encore né. Pendant qu’on y essaye il change. Mais il est certain que le changement semble permanent.

Les cinq chefs d’Etat suivis par Breda, jouant l’accordéon des prérogatives dont disposent, ils ont réussi à gérer une transition politique, économique et sociale encore incomplète. Une crise sans fin, qui les a vu transférer en actes concrets -chacun selon ses caractéristiques- une fonction cruciale, avec des objectifs divers. Cossiga a joué le prophète de la catastrophe; Oscar Luigi Scalfaro a été l’antagoniste des premières formes de populisme et souverainisme, avec Berlusconi et la Ligue Nord. Ciampi a voulu réanimer le patriotisme constitutionnel; Napolitano a joué à solliciter les réformes impossibles parce qu’imposées par le haut. Enfin, Mattarella a soutenu une idée d’Etat-communauté dans un pays tourmenté par les divisions. 

Pour atteindre ces buts les présidents ont fait recours à des nouvelles moyens: les “externations” (prise de parole) sur toute sorte de média (comme par ailleurs el Pape qui utilise aussi twitter et les social network), le systématique choix d’exécutifs dits techniques ou à but ou de “sauvegarde publique”, la firme «avec observation» (i.e. sous réserve) des lois les plus délicates ou controversées pour é en éviter le refus, un activisme incisive dans la formation des gouvernements (y compris dans le choix des ministres), plus de poids conféré au Conseil suprême de la défense, le jeu d’un sort de Lord Protecteur du pays en politique étrangère, la création de comité de sages pour planifier les réformes et même les programmes à confier au chef du gouvernement, les appels pédagogiques à une société civile qui est toujours plus souvent «très incivile», selon le sociologue Alessandro Pizzorno. Tous ces actes sont sans précédents et ont cherché à combler les vides de la politique. Les critiques, attaques et menaces d’impeachment n’ont pas manqué mais surtout avec Mattarella personne semble oser critiquer le président de la République qui au contraire il est loué comme un sauver.

Après l’affreux choix de mettre en place le gouvernement Monti par l’alors président Napolitano, le dernier coup du présidentialisme à l’italienne a été l’œuvre de Mattarella en tandem avec Draghi, un choix qui a ouvert la voie au despotisme de ce dernier. Or, le résultat de ces choix se révèle de plus en plus comme une horrible triomphe de la primauté du PNB aux dépens de la santé publique et des plus élémentaires attentes des travailleurs et de la population aux revenus pauvres ou sans aucune revenue (voir l’article de Marco Revelli publié par il manifesto du 10/01/2022).

Maintenant la bagarre pour l’élection du nouveau président semble tourner dans l’impasse: l’élection de Draghi produirait une crise gouvernementale sans issue imaginable car aucune autre personnalité pourrait assurer l’actuelle coalition hyper hétéroclite de partis toujours en conflits entre eux ni pourrait représenter une garantie face à la BCE et à la Commission européenne et donc pour obtenir les crédits du Plan de Reprise et Résilience (PNRR). Alors semble croitre l’idée de convaincre Mattarella à accepter sa réélection, ce que jusqu’à présent il a refusé. Entretemps on assiste à l’effronté auto-candidature de Berlusconi qui est convaincu d’arriver à obtenir l’élection au quatrième scrutin (à la majorité simple) ramassant des voix de toutes part.

Or, ce qui est grave est que toute sorte de résultat ne promet qu’une perspective très inquiétante du point de vue des intérêts des travailleurs et de la population sans protection et du point de vue de la défense des droits fondamentaux de tous les personnes (italiens et immigrés).

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