La plupart des mis en cause ont été absents à l’ouverture ; c’est notamment le cas des cadres et des techniciens des deux sociétés gestionnaires de l’autoroute, dont l’Atlantia, qui était détentrice de 88% des actions d’Autostrade per l’Italia et de Spea (propriété jadis publique et privatisé en 1999 au bénéfice du groupe Benetton). Ils sont poursuivis en particulier pour homicide involontaire, atteinte à la sécurité des transports et faux en écriture publique et notamment l’ignorance des alarmes de danger d’effondrement du pont pendant 36 ans et huit mois (Voir photos). Les juges ont écrit 2.000 pages. "Les interventions de nature structurelle exécutées sur le viaduc avaient couté 24,5 millions d’euros, dont 98,01% dans la période de propriété publique et seulement 1,99% (soit 488 mille euros) par le privé (Atalantia Benetton). En outre, les juges d’accusation écrivent que la situation d’incurie se perpétuait depuis la privatisation : "injustifiable" car les ressources financières nécessaires étaient largement à la disposition du propriétaire privé qui depuis 1999 à 2005 était en forte actif (avec des bénéfices entre 220 et 528 millions d’euros) et entre 2006 et 2017, était passé de 586 à 969 millions.
Le 31 mai 2021, l'assemblée sociétaire d’Atlantia a délibéré la vente d’Autostrade per l'Italia à une coalition guidée par la Caisse Dépôts et Emprunts (-CDI- Etat italien) au prix è de 9,1 milliards, dont huit pour Atlantia (à 30% de la famille Benetton) et le reste aux assurances allemandes Allianz. De la nouvelle propriété HRA appartient à CDI (51%),Blackstone Infrastructure Partners (24,5%) et aux fonds gérés par Macquarie Asset Management (24,5% -autrichien).
L’absence de travaux d’entretien et mise en sécurité était due au choix de « préserver les dividendes ». Autostrade per l’Italia est accusée de ne pas avoir entretenu l’ouvrage d’art «pour faire des économies ». « Le pont Morandi était une bombe à retardement. Vous pouviez entendre le tic-tac, mais vous ne saviez pas quand elle allait exploser », a déclaré en février Walter Cotugno, l’un des procureurs. Pour lui, il ne fait aucun doute que les dirigeants de la propriété et de la société chargée de la maintenance, « étaient conscients du risque d’effondrement », mais qu’ils n’ont pas financé les travaux nécessaires car leur priorité était « préserver les dividendes » des actionnaires.
Le constat de l’enquête des magistrats est accablant : « Entre l’inauguration [du pont], en 1968, et l’effondrement (en 2018), il n’a pas été procédé aux interventions de maintenance minimales pour renforcer les haubans du pilier numéro 9 », qui s’est affaissé le jour du drame.
Bien évidemment les inculpés ne partagent pas cette thèse. L’un de leurs avocats prétend que «le pont s’est écroulé en raison d’un vice de construction caché ». Ainsi, « les prévenus sont innocents ».
La famille Benetton a cherché à « sauver les meubles » et à sa façon l’honneur, affichant son envie de tourner la page. Ainsi, pour échapper au procès ils ont conclu un accord à l’amiable avec le parquet prévoyant le paiement de 29 millions d’euros à l’Etat.
Selon Raffaele Caruso, l’un des avocats qui représente le comité des proches des victimes du pont Morandi, ce pacte « constitue une première reconnaissance de responsabilité » de la part des deux sociétés. Seules deux familles de victimes ont refusé d’accepter les indemnisations proposées par ASPI, qui a déboursé plus de 60 millions d’euros à ce titre.
Egle Possetti, la présidente du comité des proches des victimes, a décliné l’offre pour ne pas perdre la possibilité de se constituer partie civile et de peser sur le procès. « Nous sommes confiants dans le fait que le procès fera ressortir toute la vérité sur le drame pour éviter que nos proches soient morts en vain », a-t-elle déclaré jeudi matin sur les marches du palais de justice à Gênes. L’autre refus est venu de Roberto Battiloro, qui a perdu son fils Giovanni, un vidéaste de 29 ans, dans le drame et qui s’est vu proposer un million d’euros : « La vie de mon fils n’a pas de prix, je veux un vrai procès » (voir Le Monde).
Selon l’avocat Andrea Mortara : « On a deux typologies de victimes et endommagés: des privés et des entreprises ». Le risque est que le très haut nombre de parties civiles puisse ralentir excessivement le procès sera évalué par le tribunal.
L’épilogue
Il y a sans doute deux faits accablants qui constituent l’épilogue de la tragédie du pont Morandi. Le premier est que le gouvernement a permis à la famille Benetton de s’en sortir au mieux : la vente de la société Autoroutes à l’Etat et ses partenaires a été une très bonne affaire. D’autant plus que depuis 1999 cette famille a impunément géré ce domaine réalisant des énormes profits payés au prix fort par les citoyens dépensant presque rien pour l’entretien et la mise en sécurité.
Le deuxième fait accablant est que la construction du nouveau pont a couté très cher et de fait a été réalisé “à la sauvette”. Car le projet de Renzo Piano, nouveau dauphin de la droite qui gouverne Gênes, est passé sans mise à concours et couvert au nom de l’état d’urgence. Il est donc soustrait à tout contrôle (voir Emile Povet, “Y’a le Piano qui Gênes”, Mouvements, 114, 2022 et aussi “Gênes, au-delà du pont”, par Graziana Lucarelli https://italopolis.italieaparis.net/articles/article-658/).
Comme signalent nombre d’experts, on aurait pu éviter de reconstruire - au prix fort - ce pont au même endroit et de fait selon la même logique qui mène l’autoroute directement sur le centre-ville. En effet, la tragédie de ce pont a été l’énième désastre produit par la troïka qui gouverne Gênes depuis les années 1970 (l’entente entre Opus Dei - archevêché -, l’ex-gauche et les droites, voir ici et ici). Maintenant, les droites qui ont gagné les élections locales (régionales et communales) s’apprêtent à gouverner les grandes œuvres grâce aux 2,7 milliards que le PNRR a destiné à la ville.
Ainsi, on prévoit la construction d’une nouvelle digue du port, le réaménagement d’une partie du vieux port, la construction d’un canal. apartir du vieux port va en créer un nouveau port de plaisance et un quartier chic high tech (encore un projet de Renzo Piano en entente avec la troïka), le nouvel hôpital Galliera avec à coté un quartier résidentiel privé, un tunnel similaire à celui scélérat Turin-Lyon et encore d’autres œuvres.
En revanche, pas de travaux pour réparer et remédier à la dégradation des immeubles dans les quartiers populaires, pas de financement pour les écoles, la santé publique, le RSA, l’assistance socio-sanitaire aux personnes âgées et aux plus défavorisées. Ce programme est cohérent avec les orientations du gouvernement Dragh, qui n’a pas arrêté de dégager des financements importants pour de grands ouvrages, pour les banques et les entreprises. Alors que le précariat et le nombre de pauvres augmente.