Article précédemment publié dans l'édition Camédia et supprimé par son rédacteur en chef.
“Ils ont pris pour de la religion ce qui n’était que de l’aliénation” JM Le Clezio Le monde des livres
“ Qu’est-ce qui relève du « pur » religieux, du culturel, du social, et, le grand impensé du débat, du politique, ce même politique que nos hommes politiques dissimulent derrière la rhétorique et la fameuse « communication » qui fonctionne à plein dans la gestion du deuil des morts de Charlie Hebdo.” Olivier Roy)
Quelle est l’origine de l’embrigadement ?
Le rétrécissement des politiques sociales ? Les inégalités ?
Est-ce (plutôt) l’idéologie islamiste radicale qui attire les jeunes ou est-ce les ghettoïsation des quartiers qui les projette à la recherche d’une idéologie de la révolte violente avec ouverture sur le fantasme de la toute puissance ?
Et n’oublions pas que la moitié des jeunes qui partent en Syrie ont grandi dans des familles sans aucun lien avec l’islam (Dounia Bouzar)
L’islam lui-même ?
“Aujourd'hui, même des intellectuels antiracistes se demandent : est-ce qu'il n'y a pas quelque chose dans l'islam qui mène à ce genre de massacres ? Jusqu'ici, cette interrogation était réservée à certains pôles idéologiques : les populistes anti-immigration, la droite identitaire anti-islam et même une frange de la laïcité militante. Maintenant, cette idée est devenue un cliché et ce genre de parole s'est libéré, notamment depuis le débat sur l'identité nationale lancé par Sarkozy. C'est devenu le nouveau politiquement correct… ” Olivier Roy
Est-ce la conjonction des deux comme certains le disent ?
“Ma thèse est que la raison principale de cette radicalisation est le croisement entre un référentiel musulman d’une part et d’autre part une culture de la violence, du ressentiment, de la fascination nihiliste pour un héroïsme malsain, négatif et suicidaire…” Olivier Roy
Les réseaux internet ?
Est-ce les stratégies d’embrigadement mises en œuvre sur Internet par les réseaux djiahadistes radicaux ? Dounia Bouzar (La vie) montre comment des liens internet savamment orchestrés distillent un discours mélangeant le vrai et le faux que l’on peut résumer ainsi : on ne peut pas faire confiance aux adultes, des mensonges sont organisés par des complots et des sociétés secrètes, des journalistes achetés, il faut choisir : être complice ou résister.
Les politiques de ghettoïsation ?
D’une part invisibilité
“Il faut demander des comptes à une grande partie des médias sur leur gestion de l’invisibilité ou même de l’effacement d’une jeunesse en déshérence, en désarroi, sans avenir, sans racines, ni culture, ni langue, ni mémoire. ” Marie-Josée Mondzain
D’autre part, fabrication de l’ennemi
Une fabrication de l’ennemi, symétrique des djihadistes
“ces médias étaient en train de fabriquer des effigies, des icônes de la terreur, avec une typologie sous-jacente et silencieuse.
La télévision a transformé des visages en faciès.
Au lieu d’enregistrer cet événement sous le mode respectueux dont doit bénéficier un être humain même condamné à mort et de toute façon ils sont morts et ont payé pour leurs crimes –, nous entretenons les braises du faciès haïssable, de l’iconicité de l’homme à abattre. Ben Laden en fut un gestionnaire exemplaire” Marie-Josée Mondzain
pour élargir la question de la responsabilité.
Les caricatures sont loin d’être unanimement approuvées
Débat sur On est d’accord avec les caricatures ou bien on soutient la liberté d’expression mais on ne soutient pas les caricatures.
Je me suis demandé si j'y avais ma place car je pensais avant l'attentat, et pense encore aujourd'hui, que de nombreux dessins de Charlie Hebdo n'ont fait qu'attiser les tensions au sein de la société française et que si je ne pouvais leur contester le droit de les publier, il m'était tout de même permis d'en contester l'opportunité. Blog de Farid sur Mdp
A propos des assassinats et de qu’est-ce qu’on peut faire
Alain Badiou parle de meurtres de type fasciste ( ciblé sur la race, l’appartenance à une communauté caricaturiste / artiste etc…) et d’un objectif de produire de la guerre civile. Il rappelle qu’il ne peut il y avoir de démocratie sans égalité, sans égale dignité c’est à dire le contraire du monde colonial qui attribue aux uns une dignité qu’ils refusent aux autres. Il parle également d’une volonté de remplacement du front de classe par un front de race commune aux djihadistes et à l’extrême droite.
Benjamin Stora souligne la contradiction qu’il y a à chanter la laïcité et à vouloir en même temps, nommer des imams dans les prisons (il rappelle qu’autrefois il y a eu des universitaires qui rendaient visite aux prisonniers), à avoir remplacé l’émission Mozaïque qui était une approche culturelle de différentes cultures par les émissions religieuses aujourd’hui. On parle également de former des imams en France, on ne dit rien de “comment donner à connaître les cultures dont sont issus tout une partie de la population française.”
N’est-ce pas ainsi que l’on peut susciter du dialogue sur les valeurs identiques que ces cultures appellent parfois autrement, et sur les valeurs différentes qui ne sont pas sans lien avec la géographie et l’histoire de ces cultures, avec leurs environnements successifs.
Edgar Morin juge important que l’on enseigne une histoire de France qui raconte l’intégration successive des différentes provinces et des différentes influences qui ont modelé ce que notre pays est aujourd’hui. Il juge tout aussi important d’enseigner la rationalité et les limites de la rationalité. Il rappelle que l’humanité a fabriqué des religions depuis son origine. Réduire la religion à sa part obscurantiste n’est-ce pas s’interdire tout débat avec elles ?
Que rejette-t-on quand on dit que l’on rejette la religion ?
Comme le rappelle Kakadoundiaye, la hiérarchie cléricale n’a pas le monopole de l’endoctrinement régressif.
Edgar Morin insiste sur l’importance de former les enseignants, les éducateurs, les formateurs pour qu’ils ne soient pas démunis face à ces questions.
Jocelyne Dahlia rappelle les polémiques violentes du Moyen-âge et de la Renaissance, entre l’Europe et l’Islam, elle note que ce sont souvent les mêmes images, les mêmes insultes qui sont utilisées aujourd’hui. Elle insiste également sur l’existence au sein même de l’islam non seulement d’un courant modéré qui représente la grande majorité des musulmans, mais aussi d’un courant moderniste.
Régis Debray rappelle l’échec du politique, l’échec des politiques d’intégration (abandon par les immigrés de leur culture d’origine) comme des politiques multiculturalistes (cohabitation des cultures). Il dénonce l’unification techno-économique du monde, la religion du chiffre dans laquelle toutes les idées s’aplatissent.
Eric Fassin montre que “l’effet dissuasif de la prison ne fonctionne pas.” Pas davantage que le spectre de la mort au bout du chemin.
“La frénésie de punir (augmentation des emprisonnements de 50% depuis 2002) encombre nos prisons où les idéologies terroristes prospèrent, mais les délits en matière fiscale ou financière, la corruption s’étend sans réelles révoltes dans la société. ”
Comment transmettre des valeurs alors que les Grands Médias Réunis ne semblent avoir pour mission que de rendre acceptables les inégalités et de faire accepter la prison “comme un mode de gestion des populations les plus modestes et les plus indésirables.”
Avec 2/3 des détenus noirs ou arabes, avec 14% des incarcérés revendeurs de cannabis et 0,25% de trafiquants on imagine les facilités d’amalgames dans les réseaux d’embrigadement dans le djihadisme, seule idéologie globale actuellement disponible sur le marché de la révolte radicale.
Je ne reviendrais pas ici sur toutes les réflexions qui concernent le devenir de l’Islam, les débats sur ses définitions et sur ses évolutions, ce sont des débats internes à la communautés musulmanes, (j’ai lu avec intérêt un texte d’Abdennour Bidar ) nous pouvons nous y intéresser, elle m’intéresse, mais ce n’est pas notre débat.
Enfin, pour finir sur Charlie Hebdo je repends les mots de Christian Salmon : “Bien sûr Charlie Hebdo n’était pas toujours à la hauteur de cet objectif (un certain regard démystificateur sur le monde). Bien sûr, depuis quelques années, l’équipe de Charlie avait muté. Les savonaroles de la laïcité avaient rejoint les gentils bouffeurs de curés ; les moines soldats de l'idée fixe de l’islamofascisme s’étaient taillé une place à la table des vieux potaches écolos et ils avaient viré Siné, coupable de lèse-majesté envers le fils Sarkozy. Ce ne sont pas eux qui ont été pris pour cibles mais les saints insolents, les joyeux drilles, les pourfendeurs de l’esprit de sérieux, les descendants de Villon et de Rabelais, les héritiers de Brassens...
Et un cri du cœur de Philippe Marlière : Je suis pour une laïcité conçue comme un principe de non-domination des religions minoritaires [; une laïcité fidèle au principe de neutralité énoncé par la loi de 1905 : respect des croyances de chacun, dans le cadre de la loi, ce qui favorisera l’émergence d’une identité française plurielle, inclusive et fraternelle.
Je suis pour un humour émancipateur : auto-ironique, tendre avec les opprimés et impitoyable avec les puissants.
Je suis pour qu’on fiche la paix aux croyants. Les croyants sont des individus comme les autres, ni supérieurs, ni inférieurs aux athées ou aux agnostiques.
Mon ami Charb: les salauds, les cons, l’émotion ordinaire et la tendresse
08 JANVIER 2015 | PAR PHILIPPE CORCUFF
«Charlie Hebdo» dans le miroir de l’affaire Rushdie
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11 JANVIER 2015 | PAR ANTOINE PERRAUD
« En direct de Mediapart » : La République, l'islam et la laïcité
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ENTRETIEN 4019 MOTS JOSEPH CONFAVREUX 24/01/2015 –
Justice pour tous
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Mais aussi
Poids lourds vs Poids Plume poème de Fatou Diome
ARTICLE EDITION 482 MOTS PASCAL MAILLARD 11/01/2015
Billet d’André Koulberg sur l’islamophobie en 2013
http://blogs.mediapart.fr/es/edition/cent-paroles-d-aix-journal-local-alternatif/article/270213/lislamophobie-en-question-mediapart-et-ailleurs
Lettre à ma fille, au lendemain du 11 janvier 2015vpar JMG Le Clézio dans le Monde des livres du 14.1.2015
Déconstruisons leur discours interview de Dounia Bouzard (antropologue) dans La Vie du 15 janvier
Mais aussi les billets de Claire Raffin et son regard poétique, de Kakadoundiaye et son rejet violent de toute religion, d’Arthur Porto toujours présent sur tous les fronts émancipateurs, sans oublier les articles des journalistes de Mdp
et l’interview d’Emmanuelle Saada par Antoine Perraud que je viens de lire et qui représente une véritable synthèse des analyses critiques vis-à-vis de la dangereuse politique communicationnelle Valso-Valienne.