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Billet de blog 7 octobre 2024

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L’APRÈS, et ensuite ?

Je fais suite à la réunion nationale de samedi 5 octobre de L’APRÈS à Paris, introduite par un rapport sur l’orientation à prendre. Comme il est bien difficile d’énoncer en trois pauvres minutes une pensée, voici quelques réflexions qui peuvent prolonger le débat…

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

1/ Je reprends ici le point de départ de mon intervention orale : « Nous avons… » un problème de temporalité, entre d’un côté la profondeur de champ et de l’autre l’immédiateté – le présentisme.

La profondeur de champ nécessiterait de procéder à une analyse de la situation internationale et nationale, l’état des forces politiques, le rapport de forces, une certaine analyse de la complexité pour poser un bon diagnostic 1, à partir duquel faire des propositions concrètes. 

L’immédiateté, elle, nous oblige à dégager une réponse rapide aux échéances à venir, en particulier à l’élection présidentielle. Si l’on comprend ce qui nous est présenté [dans les propos des fondateurs de L'APRÈS], il y aurait une première étape : l’organisation d’une gauche unie (des comités citoyens du NFP pourraient l'y contraindre), puis pour le 2e tour son élargissement, enfin son accès au pouvoir.

Si jamais cela advenait, par un heureux (presque) hasard (passer de 30 % à 51 % du 1er tour au 2e), tout le monde peut comprendre que la gauche même unie ne disposerait pas de l’ancrage social nécessaire pour réaliser ses promesses. L'idée d'un mouvement politico-social autour de la gauche, pour valable qu'elle put être à une époque, n'est plus en mesure d'élargir vraiment, parce qu'il s'agit désormais de forces résiduelles (du Secours populaire à la FCPE, pour prendre les plus importantes). Autrement dit, on en revient à la réalité politique du moment : ni le RN ni le macronisme ni la gauche unie ne peuvent accéder au pouvoir en étant légitime.

Quant à tabler sur une re-bipolarisation gauche-droite, à la faveur d'une recomposition de la droite autour du RN et de la disparition du macronisme qui contraindrait les électeurs à choisir le moins pire, ce serait une lecture électoraliste de courte vue, insuffisante pour permettre que se dégagent les bonnes réponses aux problèmes qui nous sont posés, ceux de la légitimité mais aussi ceux de la crise de civilisation – en fait, le problème de la définition d'un projet pour la France ; à défaut de quoi nous aurons l'instabilité (et, faute de mobilisation populaire, l'échec).

Donc, qu'on le veuille ou non, la question de l'élargissement véritable doit être posée toutes affaires cessantes.

(Je passe sur l’aspect unitaire d’une telle gauche, dont on sait qu’elle se divisera assez rapidement une fois au pouvoir devant les contraintes austéritaires de l’UE et l’attitude à adopter face à la déstabilisation menée par ses ennemis 2.)

C’est à partir de ce constat que toute organisation politique devrait commencer à réfléchir.

2/ Un autre aspect doit être traité, en relation avec le premier. L’articulation entre la situation politique du moment (le problème de la légitimité) et l’exigence d’une autre démocratie qui passerait par la revendication d’une VIe république.

ll existe toutes sortes de structures qui prônent le retour au peuple à travers une nouvelle Constituante… Le problème est le suivant : la population, au stade actuel, se mobiliserait-elle pour un objectif institutionnel ? La tentative du Mouvement pour la VIe république (M6R) de 2016, qui a précédé la création de LFI, a un peu montré la difficulté de l’exercice. Il manque une étape entre la situation du moment et le but ultime (une nouvelle république démocratique, écologique et sociale qui passerait constitutionnellement par une Assemblée constituante). Ce pont, et c’est là qu’intervient la possibilité aussi bien de l’élargissement de la gauche que le rapprochement du but, c’est le processus constituant. Qui ne doit pas être confondu, donc, avec le but ultime.

Il s’agit en effet de créer les conditions d’un PROCESSUS au cours duquel se construit un Sujet (un individu) constituant, permettant à chacun-e de dépasser les appartenances partisanes, pour une cause commune que chaque comité constituant LOCAL déterminera. Cette cause commune locale pourrait être une bataille contre une spéculation immobilière, contre une hausse des loyers, un soutien à une grève d’enseignants ou autres, l’exigence d’un service public, une lutte autour d’une pollution, la définition d'alternatives au budget municipal, etc. Chaque individu, à travers des comités constituants massifs, pourrait ainsi se mettre en situation de pouvoir. Et, par capillarité, commencer à s’interroger sur les responsabilités politiques plus générales qui concourent à la dégradation générale du pays. On reprend alors le terrain par le local pour finir par le national, sachant que beaucoup des problèmes nationaux trouvent leur déclinaison sur le plan local.

Donc, je répète : ne pas confondre l'objectif (une Constituante qui permet des institutions plus représentatives) avec le moyen d'y arriver (le processus)… Au stade actuel du pays, le processus (la méthode) est stratégiquement bien plus important que l'objectif.

Comment de tels comités constituants locaux pourraient-ils se créer ? En commençant par la mobilisation des Courageux, ces gens qui manifestent depuis tant d’années sous des formes et appellations multiples contre la « casse » du « modèle social français ». Ils sont dans les partis, syndicats, associations diverses et variées, dans une mouvance et n’ont nul besoin de se déclarer à gauche ou à droite ou abstentionnistes. Ils sont mécontents et le manifestent. Ils sont la cheville ouvrière du projet.

De cette manière, en en prenant sa part active, L’APRÈS contribuerait à élargir les idéaux de la gauche (si elle veut à tout prix s’en réclamer malgré son bilan durant les 40 dernières années…) ET à résoudre le problème de la légitimité d’un gouvernement de rupture.

Faute de parvenir rapidement à créer du consensus autour et avec la population, la situation se dégradera sous le poids de la cristallisation des oppositions – chacun-e réagissant à fronts renversés sur la base de caricatures, d'approximations et du grand n'importe quoi –, ce qui permettra à l'autoritarisme réactionnaire de l'emporter, comme le démontre à l'évidence, déjà, la tendance de ces dernières années. Il sera inutile après de le découvrir et le déplorer.

A suivre…

(1) Ce que, au passage, dès sa création en 2008 le Parti de gauche, plus ou moins ancêtre de LFI, n'a jamais voulu examiner, préférant l'activisme (tout comme le reste de la gauche dite radicale) plutôt que de faire l'effort d'une analyse précise de la situation, du rapport de forces (à l'époque, déjà, les salariés sous le coup d'une fermeture d'entreprise préféraient négocier leur licenciement au lieu d'occuper ou de mettre l'entreprise sous autogestion comme l'avait fait LIP, ou de demander à ce qu'elle soit « municipalisée » par les pouvoirs locaux et régionaux). Se souvenir ainsi que cette gauche a cherché à séparer le bon grain de l'ivraie en expliquant que les 55 % de « Non » au TCE de 2005 étaient surtout un non « de gauche ». Des années après, ni les Gilets jaunes ni l'Intersyndicale contre la réforme des retraites n'ont fait référence à la gauche pour mener la bataille, sachant que cela les marginaliserait. Il y a là un constat lumineux sur l'état de la situation. En ne le comprenant pas, la gauche ira-t-elle jusqu'au bout de sa défaite, en continuant de s'époumoner pour que le reste de la population la rallie ? Etre capable de mettre de côté son étiquette, afin d'être correctement entendu et pouvoir convaincre, est une preuve de maturité ; l'intérêt général est là. La souveraineté du peuple français contre le système de l'Argent-Roi, par la méthode constituante, voilà qui pourrait convaincre. Á condition d'avoir le courage d'en appeler à la population pour remodeler le paysage politique… L'accès légitime au pouvoir doit être précédé de l'hégémonie culturelle chère à A. Gramsci, à une époque où les partis existants n'ont plus du tout la même influence qu'autrefois.

(2). Voir mes billets :
https://blogs.mediapart.fr/serge-marquis/blog/141018/unite-de-la-gauche-et-front-populaire-reponse-m-n-lienemann
https://blogs.mediapart.fr/serge-marquis/blog/160921/2022-que-se-passerait-il-si-la-gauche-unie-gagnait

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